Intervention de Jean-Pierre Sueur

Réunion du 10 janvier 2017 à 14h30
Composition de la cour d'assises spéciale — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, c’est l’honneur des démocraties que de tenir absolument à ce que les crimes terroristes, par définition odieux, soient jugés dans le cadre d’une justice présentant – monsieur le rapporteur, vous avez, à juste titre, insisté sur ce point – les caractéristiques d’une justice de droit commun et non d’une justice d’exception.

Chacun a énoncé l’objet du texte : simplifier les choses, passer de six assesseurs à quatre en premier ressort et de huit assesseurs à six en appel. La composition actuelle, qu’il est proposé de réformer, est issue, vous l’avez dit, de la loi du 9 septembre 1986, et l’extension de la compétence de la cour d’assises spéciale aux crimes terroristes a alors eu pour objectif de prévenir tout dysfonctionnement judiciaire qui pourrait résulter de manœuvres d’intimidation sur les jurés populaires, comme il y en a eu.

Ces dispositions ne sont pas isolées, puisque, en application de l’article 706-26 du code de procédure pénale, en matière de stupéfiants, les accusés majeurs sont jugés par la cour d’assises dont la composition et le fonctionnement sont les mêmes. Il en va de même pour le jugement des crimes relatifs à la prolifération d’armes de destruction massive et de leurs vecteurs.

Je veux souligner que cette loi a été déférée au Conseil constitutionnel, qui a déclaré : « Considérant qu’il est loisible au législateur compétent pour fixer les règles de la procédure pénale en vertu de l’article 34 de la Constitution de prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent pourvu que ces différences ne procèdent pas de discrimination injustifiée et que soit assuré au justiciable des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense ;

« Considérant que la différence de traitement établie par l'article 706-25 nouveau du code de procédure pénale […] tend, selon l'intention du législateur, à déjouer l'effet des pressions ou des menaces pouvant altérer la sérénité de la juridiction de jugement ; que cette différence de traitement ne procède donc pas d'une discrimination injustifiée ; que, en outre, par sa composition, la cour d'assises instituée par l'article 698-6 du code de procédure pénale présente les garanties requises d'indépendance et d'impartialité ; que devant cette juridiction les droits de la défense sont sauvegardés ; que, dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la justice doit être écarté ».

Mes chers collègues, j’ai tenu à vous citer cet extrait assez long de la décision du Conseil constitutionnel, qui montre que le Conseil a clairement établi les choses par rapport à la légalité et à la constitutionnalité de la procédure. Je rappelle aussi que la chambre criminelle de la Cour de cassation, qui a eu à se prononcer sur la validité de cette composition, l’a aussi pleinement considérée comme justifiée et conforme au droit.

Vous l’avez souligné, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, monsieur le garde des sceaux, le contentieux terroriste connaît actuellement une forte augmentation. Les chiffres ont déjà été rappelés : au 1er décembre 2016, la section antiterroriste du parquet de Paris dénombrait 288 informations judiciaires et 287 enquêtes préliminaires, dont 160 informations judiciaires et 195 enquêtes préliminaires pour le seul contentieux syro-irakien. Le nombre d’ouvertures d’informations judiciaires en matière terroriste, comme je l’ai lu dans votre rapport, monsieur Michel Mercier, a augmenté de 93 %.

Dans ces conditions, nous verrons bien l’effet de cette mesure, dont nous dites, monsieur le garde des sceaux, qu’il sera limité. Cela étant, il est clair, comme vous l’avez sans doute remarqué, que l’intention du législateur et de notre commission des lois, unanimes en l’espèce, n’est en aucun cas d’aller vers une juridiction d’exception. C’est justement parce que nous ne voulons pas que certains, à l’avenir, aient l’idée de créer une juridiction d’exception que nous pensons sage de prévoir une composition réaliste, eu égard à la grande ampleur du contentieux qui devra être traité en 2017 et durant les années suivantes, hélas.

Je terminerai mon propos en disant qu’il s’agit pour nous d’aller vers la meilleure administration de la justice possible, ou de progresser tout au moins en ce sens. Vous le savez, monsieur le garde des sceaux, une bonne administration de la justice est aussi un objectif à valeur constitutionnelle.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion