Intervention de André Reichardt

Réunion du 10 janvier 2017 à 14h30
Composition de la cour d'assises spéciale — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de André ReichardtAndré Reichardt :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, comme en 2015, l’année 2016 qui s’est écoulée a encore été marquée par le terrorisme, ainsi que, bien entendu, par la nécessaire lutte pour y faire face.

Notre collègue Michel Mercier le relève dans son rapport, le nombre d’ouvertures d’informations judiciaires en matière terroriste a augmenté de plus de 93 % par rapport à l’année précédente et le nombre d’enquêtes préliminaires de plus de 70 %. Au vu de la menace persistante, l’année 2017 ne s’annonce guère sous de meilleurs auspices.

Dans un tel contexte, il devient urgent de réformer l’appareil judiciaire, afin de donner à la cour d’assises spéciale de Paris les moyens de faire face à l’augmentation croissante et très importante, on l’a dit, du nombre de procédures pour crimes terroristes.

Alors qu’elle traitait jusqu’ici trois à quatre affaires par an, sa charge devrait doubler cette année. Plusieurs dizaines d’affaires sont ainsi à attendre pour les années à venir, dont deux principales, cette année, d’une durée moyenne évaluée à douze semaines. Ce sont – Mme Benbassa les a citées avant moi –, celle du frère de Mohamed Merah, qui avait tué sept personnes dont trois enfants en 2012, et celle de la cellule djihadiste dite de « Cannes-Torcy », accusée d’un attentat contre une épicerie casher la même année.

Viendront encore s’y ajouter de lourds dossiers, ceux du triste soir du 13 novembre 2015, pour lesquels quatre à cinq mois de procédure seront sans doute nécessaires. Le procureur de la République de Paris a, en outre, annoncé pour avril prochain la criminalisation de près de 90 dossiers, actuellement en cours d’information judiciaire.

Au vu de l’augmentation très importante du nombre de procédures et de l’obligation de respecter un délai d’un an d’audiencement, tel que le prévoit le code de procédure civile, la situation de la Cour est aujourd’hui mise à l’épreuve et devient singulièrement problématique.

La modification de la composition de la juridiction parisienne va donc dans le bon sens, celui d’une justice plus raisonnée, notamment au nom du principe de célérité de la justice, que ce soit dans le cadre des procédures pour crimes terroristes que pour ce qui concerne les procédures de droit commun.

Dès lors, si ce n’est permettre d’assurer un temps de procédure raisonnable, ramener le nombre d’assesseurs de six à quatre en première instance, et de huit à six en appel, ne peut qu’augmenter le niveau de performance de nos juridictions.

Au sens du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de la Convention européenne des droits de l’homme, le principe de célérité de la justice est un droit fondamental pour les justiciables, non seulement pour la victime, mais également pour la personne poursuivie, notamment lorsque celle-ci est placée en détention provisoire, comme c’est naturellement très souvent le cas.

Un délai non raisonnable engage ainsi la responsabilité de l’État pour faute lourde, au sens de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire, l’obligeant à réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice.

À ce titre, la personne qui aurait fait l’objet d’une détention provisoire au cours d’une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement devenue définitive a droit à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.

C’est ainsi que la presse s’est récemment fait l’écho de l’indemnisation dont avait pu bénéficier M. Farouk Ben Abbes, soupçonné d’avoir projeté un attentat contre le Bataclan dès 2010. Celui-ci avait obtenu un non-lieu faute de charges suffisantes, nonobstant des faits avérés par les services égyptiens. À telle enseigne que Philippe Bilger, magistrat honoraire bien connu, a souligné dans une chronique du Figaro : « On offre aveuglément les privilèges de l’État de droit à ceux qui veulent le détruire ».

J’aimerais à cet égard mettre l’accent sur la question des délais de procédure anormalement longs, qui ont valu à la France de se faire plusieurs fois condamner par la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg.

À l’occasion de l’affaire Sagarzazu contre France, en janvier 2012, la Cour a clairement rappelé qu’il « incombait aux États d’agencer leur système judiciaire de manière à permettre à leurs tribunaux de répondre aux exigences de la Convention », au terme desquelles « toute personne détenue a droit d’être jugée dans un délai raisonnable ou libérée pendant la procédure ».

En l’espèce, les requérants, membres de l’ETA à l’époque, avaient été mis en examen pour participation aux activités de préparation d’actes de terrorisme et placés en détention provisoire. Près de deux ans s’étaient écoulés entre l’ordonnance de mise en accusation et l’arrêt de la cour d’assises de Paris spécialement composée.

La Cour européenne des droits de l’homme, pour condamner la France pour durée excessive de la détention provisoire, avait retenu que les juridictions internes ont fait droit aux demandes de prolongation de la détention provisoire formulées par le procureur général « essentiellement en raison de la charge du rôle de la cour d’assises spécialement composée », et cela indépendamment de tout motif lié à « la préparation d’un procès de grande ampleur ou en raison du besoin des autorités de prendre des mesures de sécurité efficaces ».

La Cour avait en outre observé que le Gouvernement s’en était exclusivement tenu à l’argument de l’encombrement de la cour d’assises de Paris afin de justifier le délai litigieux. Bien qu’elle ait reconnu le problème lié à l’encombrement judiciaire, la Cour de Strasbourg n’a eu de cesse de condamner la France pour ces raisons.

La Cour de cassation s’est elle-même alignée sur la jurisprudence européenne, considérant, à l’occasion d’un arrêt rendu en chambre criminelle en 2009, que « les difficultés récurrentes de fonctionnement de la juridiction appelée à statuer au fond ne pouvaient justifier une prolongation de la détention provisoire au risque de méconnaître les dispositions tant de la Constitution que de la Convention européenne des droits de l’homme ».

Je souhaiterais donc insister sur le fait que la juridiction parisienne connaît actuellement d’importants déficits en termes d’effectifs, avoisinant, nous dit-on, les 15 %. Dès lors, la mobilisation de 24 magistrats – M. le rapporteur l’a citée avant moi –, sur un vivier d’à peine plus de 200 magistrats, rend malaisée l’organisation des services. En effet, lorsque des services ne fonctionnent qu’avec un ou deux magistrats, il est difficile de désigner une personne pour aller aux assises sans compromettre la capacité de jugement de la juridiction dans laquelle on a puisé.

Aussi, il est de pratique courante de ne puiser qu’au sein de trois services : le correctionnel, l’instruction et les affaires familiales. Il est donc urgent de donner à la cour d’assises spéciale les moyens nécessaires, afin de lui permettre de pérenniser son fonctionnement et de minimiser le risque d’engorger toutes les procédures par effet de cascade.

D’après les calculs opérés, cette proposition de loi visant à réduire le nombre de magistrats affectés aux assises devrait, nous dit-on, augmenter le nombre d’audiencements et permettre à la cour de juger treize affaires supplémentaires de terrorisme, de cinq jours chacune, et six affaires supplémentaires de dix jours en appel. Même si, comme nous le disait à l’instant M. le garde des sceaux, cette augmentation peut paraître modeste, elle reste, bien entendu, bonne à prendre, compte tenu des effets en cascade.

Qui plus est, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, sur un plan moral enfin, ce sont autant de procédures qui permettront d’accélérer le processus d’indemnisation symbolique des victimes, nonobstant la réparation pécuniaire assurée en amont par le fonds d’indemnisation.

Pour ces différentes raisons, vous l’avez compris, au nom du groupe Les Républicains, j’appuie fortement la proposition de loi présentée par le M. le président Philippe Bas et par certains de nos collègues.

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