Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, après le débat sur la politique agricole commune qui a eu lieu la semaine dernière, nous abordons aujourd’hui la deuxième grande politique communautaire, dédiée à la pêche, dans un contexte de crise économique faisant suite à une année 2008 marquée par une forte augmentation des produits pétroliers.
Cette situation difficile, encore exacerbée par la gestion délicate des quotas – rappelons les problèmes récents survenus à Boulogne-sur-Mer –, est d’autant plus grave que l’examen des dossiers par le Fonds européen pour la pêche, qui aurait dû être engagé dès janvier 2007, n’a démarré qu’en juin 2008.
La crise économique actuelle ne fait donc qu’aggraver une situation qui n’a que trop duré, sans que soient proposées de véritables solutions pérennes : les contrats bleus devraient prendre fin en 2009 et des activités ont cessé en raison de la destruction des navires. Étant d’une région aimant beaucoup la mer et la pêche, c’est avec un pincement au cœur que je constate que quarante-sept navires bretons ont été sortis de pêche en 2008, et que cinquante autres devraient connaître le même sort en 2009.
Dans un contexte particulièrement tendu, le Gouvernement a décidé de mettre en œuvre une réforme des structures professionnelles d’ici à 2011. Pourtant, chacune des crises de ces dernières années a mis en avant le manque total de visibilité de ces structures peu ou mal organisées, qui, sans véritable perspective, se tournent parfois vers des solutions qui risquent, à terme, d’être contraires à l’intérêt de la profession.
Le rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, rédigé par notre collègue Marcel-Pierre Cléach, a bien posé le problème structurel traversé par le monde de la pêche : « captures stagnantes ou déclinantes, effort de pêche croissant, voilà l’équation fondamentale d’un secteur économique en crise profonde ».
Pourtant, la France, avec une production annuelle d’environ 600 000 tonnes pour un chiffre d’affaires de 1 milliard d’euros, est à la troisième place européenne pour ce qui concerne la pêche, derrière le Danemark et l’Espagne.
Le secteur regroupe environ 16 000 emplois à taux plein et concernerait 24 000 personnes embarquées. Mais, depuis plus de vingt ans, le nombre des navires métropolitains a chuté de plus de 50 %, passant de près de 12 000 à environ 5 000, tandis que la taille moyenne des navires s’est accrue de 6 % et la puissance moyenne de 19 %.
Les Français, pour leur part, consomment de plus en plus de poisson, environ trente-cinq kilogrammes par habitant et par an. On devrait s’en réjouir, mais la production nationale est loin de satisfaire la demande. Alors, comment mettre en adéquation demande et ressource ?
En 2008, le Conseil international pour l’exploration de la mer annonçait que, sur les cinquante-trois stocks communautaires de la façade Ouest, dix étaient en bon état, trente-trois étaient estimés à risque, et les dix restants étaient dans un état critique.
Au moment où se déroule le Grenelle de la mer, il convient de rappeler les objectifs spécifiques fixés pour la gestion des pêches lors du sommet mondial sur le développement durable de 2002, dont celui de ramener l’exploitation des stocks halieutiques à un niveau compatible avec leur production maximale d’équilibre d’ici à 2015. Vaste programme !
La responsabilité des États en général, et de la France en particulier, est donc majeure : au niveau mondial, ceux-ci contrôlent, grâce aux zones économiques exclusives, environ 90 % du potentiel halieutique, et la France détient le deuxième plus grand espace maritime du monde.
Dans ce cadre, la politique commune de la pêche devrait constituer un formidable levier de régulation, d’organisation et d’action.
À la suite de la réforme de 2002, la politique commune a aujourd’hui pour objet de garantir l’exploitation durable des ressources halieutiques et de tenter d’empêcher une pression excessive sur les stocks.
Vouloir abandonner des quotas et des outils communautaires de gestion, comme l’a évoqué le Président de la République, reviendrait à programmer, à terme, la mort de la pêche. D’autant que si la Commission européenne soumet des propositions au Conseil, ce sont bien les ministres des vingt-sept États membres qui décident en dernier ressort de la répartition par État des quotas de pêche par espèce et par zone maritime.
Le livre vert de la Commission sur la réforme de la politique commune de la pêche du 22 avril indique ainsi, à juste titre : « Une autre conséquence notable du cercle vicieux alliant surpêche, surcapacité et faible résilience économique réside dans les fortes pressions politiques exercées pour augmenter les possibilités de pêche à court terme, aux dépens de la viabilité future du secteur », en faveur d’« un nombre incalculable de dérogations, d’exceptions et de mesures spécifiques. »
Plus que dans tout autre secteur, nous nous retrouvons confrontés à la nécessité de maintenir l’équilibre entre l’économie, le social et l’écologie, et ce n’est pas la « marchandisation » maximale des quotas qui permettra le développement durable de la pêche.
Si les règlements communautaires déterminent les objectifs stratégiques de la politique commune de la pêche – répartition des fonds entre États membres, règles de cofinancement – ce sont bien les États membres qui mettent en place des programmes opérationnels et répartissent les fonds au niveau national. La responsabilité de chaque État est donc essentielle.
À l’échelon européen, tout d’abord, si le Fonds européen pour la pêche, instrument financier et structurel de la politique commune de la pêche qui a succédé à l’IFOP depuis 2006 pour sept ans, n’est doté que de 3, 8 milliards d’euros – soit une diminution de 33 % – c’est bien le Conseil des ministres de l’Union européenne qui l’a voulu.
Sur le plan purement national ensuite, à l’occasion de la discussion des projets de loi de finances de 2008 et de 2009, j’avais souligné l’insuffisance et, parfois, l’inadéquation des moyens déployés par le Gouvernement pour réconcilier compétitivité, durabilité et solidarité.
Ainsi, au-delà des plans conjoncturels, nous devons nous attendre à une baisse drastique des autorisations d’engagement de près de 20 % dans les deux prochains budgets du ministère de l’agriculture et de la pêche.
J’ai déjà évoqué la politique de casse des navires. Parmi les principales modifications apportées à la politique commune de la pêche en 2002 figurait l’abandon des objectifs obligatoires de réduction de la capacité, au profit de plafonds nationaux dans la limite desquels les États membres sont libres de décider de la manière dont ils mènent leur politique. Le livre vert de la Commission du mois d’avril dernier va dans le même sens, précisant bien que l’effort doit porter sur la capacité et pas nécessairement sur le nombre de bateaux.
Je réaffirme donc notre scepticisme à l’égard de la politique engagée par le Gouvernement et consistant en un plan de casse, certes commencé par d’autres gouvernements, notamment au travers du plan pour une pêche durable et responsable lancé au début de l’année 2008 et doté de 310 millions d’euros sur deux ans. Celui-ci a malheureusement révélé un profond malaise, car les demandes de destruction et de retrait ont été deux fois plus importantes que prévu. Cette politique comporte des effets pervers sur le prix de l’occasion et des effets néfastes sur l’installation et la sécurité des marins, y compris par le renchérissement du prix des bateaux.
Quitte à devoir sortir de la flotte des navires – et c’est souhaitable –, il semblerait plus pertinent de favoriser la sortie de vieux navires peu économes en énergie et peu sûrs, en permettant d’accorder une prime pour la construction de navires neufs, plus économes en énergie, le patron s’engageant à pratiquer une pêche responsable. Nombre d’entre eux préfèrent déjà « trier sur le fond et non sur le pont ». Car les quotas ne règlent pas le problème : si les marins ramènent au port les quotas autorisés, pour ce faire, des tonnes de poissons sont détruites !
À chaque conflit, le Gouvernement a tenté d’acheter la paix sociale, parfois au prix de mesures illégales au regard de la réglementation communautaire relative aux aides d’État. Nous avions ainsi pu le constater à la fin de l’année dernière concernant les aides versées entre 2004 et 2006 par le fonds de prévention des aléas pêche. Et même si le ministre nous a dit qu’il n’était pas envisageable que cette récupération des fonds mette en péril la pérennité des entreprises, il faudra bien payer, et ce à un moment où il semble que certaines clauses des contrats bleus ne soient pas non plus eurocompatibles.
Le rapport de l’Office parlementaire des choix scientifiques et techniques reconnaît par ailleurs que « Globalement, ce plan reste un ajustement conjoncturel qui ne traite pas les questions fondamentales qui expliquent le déficit de rentabilité de la flotte française ».
Vous le voyez, madame la secrétaire d'État, bien des clignotants sont au rouge dans le secteur de la pêche, et si je me fonde sur ce que les pêcheurs vivent dans ma région, je puis vous affirmer que la situation ne fait que s’aggraver depuis le début de l’année : mévente importante des produits, effondrement des cours en criée, quantités importantes de retrait, avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer, et, bien sûr, fragilisation extrême d’un secteur déjà durement touché.
Il est donc grand temps d’envisager la future réforme de la politique commune, mais aussi de la politique nationale, non pas par petites touches, mais comme une véritable mutation permettant de venir à bout des raisons profondes qui sont à l’origine du cercle vicieux dans lequel la pêche se trouve emprisonnée depuis quelques décennies.
Il s’agit de promouvoir une activité économiquement rentable, socialement protectrice et écologiquement durable. Certains se sont déjà engagés résolument dans cette voie.
Pour cela, il faudrait favoriser le renouvellement de la flottille et la transmission des entreprises, adapter le secteur aux mutations économiques et énergétiques, soutenir la recherche sur les outils de pêche mieux adaptés à la sélection des espèces et, surtout, promouvoir l’adaptation et la généralisation de ces outils à bord des navires. Tout cela vaut mieux que les sorties de flotte !
Pour repenser la politique commune, il faut que, tous, nous portions un regard neuf sur la situation maritime globale et acceptions de lui consacrer les moyens financiers et humains nécessaires, en sortant de la logique de rationnement nationalisé dans laquelle se trouve enfermé le budget européen.
Je forme donc le vœu que nos futurs parlementaires européens, qui, à terme, disposeront des pouvoirs de la nouvelle procédure de codécision, portent la voix d’une politique commune de la pêche capable de préserver les ressources, de répondre aux besoins des consommateurs et de fournir une activité solide et pérenne à nos pêcheurs.