Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat, en tant que représentant constitutionnel des collectivités territoriales, reprend ses débats aujourd’hui pour évoquer la question importante de la présence de l’État dans les territoires.
Où va l’État territorial ?
Le rapport d’information de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, dont les rapporteurs sont nos collègues Marie-Françoise Perol-Dumont et Éric Doligé, rassemble autour de trente-cinq propositions le point de vue – j’insiste sur l’ampleur de la consultation – des collectivités territoriales sur la question posée.
Il est peu de dire que les services déconcentrés de l’État ont connu dix ans de réorganisations successives avec, en premier lieu, la fameuse réforme de l’administration territoriale de l’État lancée dans le cadre de la non moins fameuse révision générale des politiques publiques entre 2008 et 2012.
Remis en septembre 2012, le rapport de trois inspections générales – l’Inspection générale des finances, l’Inspection générale de l’administration, l’Inspection générale des affaires sociales – a montré que cette réforme, menée avec le concours de prestations de conseil s’élevant à plus de 21 millions d’euros par an, a essentiellement consisté à rechercher des économies budgétaires rapides et portant sur des rationalisations, des restructurations de services ou de processus. Je cite, pour illustrer mon propos, un passage du rapport : « la règle de non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux prenant le pas sur les autres objectifs de réformes des politiques publiques ». Ainsi, la RéATE a conduit à la suppression de 3 200 emplois dans les réseaux des préfectures et sous-préfectures.
La réorganisation a été poursuivie depuis 2012 dans le cadre, cette fois-ci, de la modernisation de l’action publique, la fameuse MAP. Plusieurs chantiers prioritaires ont été lancés en 2014 sur le volet « services déconcentrés » : une revue des missions de l’administration territoriale, la rénovation de la carte de la déconcentration, la déconcentration de la gestion des ressources humaines et des crédits budgétaires – nous allons y revenir –, la nouvelle carte des sous-préfectures, le renforcement de la tutelle par les préfets des opérateurs de l’État au niveau territorial, la poursuite de la mutualisation des fonctions supports, la simplification du fonctionnement des instances consultatives.
Dans le cadre de la MAP, la réforme de l’État initiée – et confortée à partir de juillet 2014 pour qu’elle soit enfin menée dans le même calendrier que la réforme territoriale – poursuit l’ambition de faire un « État plus moderne » et un « État plus facilitateur » au service des collectivités territoriales.
Les différentes missions – et la vôtre n’est pas la moindre ! – aujourd'hui mises en œuvre pour évaluer l’état du sujet in situ sont formelles sur un point : les préfectures de département ont beau être présentées partout comme le niveau de mise en œuvre des politiques publiques, force est de constater qu’il leur est revenu de payer le prix fort.
Dans la préfecture du Cantal – département où vivent 147 000 habitants –, les effectifs de l’État, tous services déconcentrés réunis, sont passés, en dix ans, de 164 personnes à 100. Dans le Nord – je prends à dessein un département plus important, qui compte 2, 6 millions d’habitants –, les équipes des directions départementales de l’équipement, des affaires maritimes, de l’agriculture et de la forêt, qui regroupaient, il y a dix ans, 2 040 agents, relèvent aujourd'hui d’une direction à vocation interministérielle. Cette nouvelle direction départementale des territoires et de la mer rassemble 485 personnes. Et encore faut-il préciser que, faute de compensation en cas de perte d’effectifs, on redoute la moindre maladie ou épidémie de grippe !
En comparaison – c’est un constat arithmétique –, le niveau régional a été beaucoup moins impacté par des suppressions de postes. Ce qu’il convient de saluer comme une véritable avancée, c’est le renforcement de l’autorité des préfets de région sur l’ensemble des directions régionales ainsi, et cela est très nouveau, qu’un pouvoir de coordination enfin reconnu à l’égard des services étatiques ou démembrés qui prolifèrent de plus en plus – Rectorat, ARS, ADEME, ANAH, ANRU, je pourrais citer une kyrielle d’agences ! Il s’agit là d’une démarche essentielle à la cohérence de l’action de l’État dans les territoires.
Ce qui est le plus remarquable et qu’il faut encourager à tout prix, c’est le nouveau dialogue qui s’instaure entre les préfets de région et les administrations centrales sur la définition des moyens budgétaires et humains nécessaires à la conduite de l’action de l’État. Il faut avoir entendu parler des budgets opérationnels de programme, les BOP, il faut avoir vu les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement, les DREAL, ne dialoguer qu’avec leurs administrations d’origine pour mesurer le progrès accompli !
Maintenir la proximité de l’administration déconcentrée de l’État avec les collectivités territoriales – tout le Sénat est d’accord –, c’est d’abord faire le choix du département comme circonscription de l’État où se mettent en œuvre l’ingénierie territoriale et les politiques publiques. C’est cet objectif de rééquilibrage territorial qui a guidé l’action gouvernementale dès 2015 et qui a été encore renforcé par la fusion des régions au 1er janvier 2016.
Or, les ressources humaines de nombreuses préfectures départementales étaient à ce point « dans le rouge » qu’il y a lieu de se poser la question – comme le fait avec beaucoup de pertinence le rapport – de la garantie d’un socle d’effectif minimum pour que les services de l’État puissent mener à bien leurs missions, même redéfinies plus clairement. C’est l’origine du « plan Préfectures nouvelle génération » amorcé à l’été 2015 : revenir aux fondamentaux, à savoir les missions régaliennes de l’État et pouvoir apporter du conseil – et non plus uniquement du contrôle – aux collectivités, notamment les communes rurales et périurbaines. D’autant plus – j’insiste sur ce point – que des départements peu denses peuvent avoir des besoins stratégiques tout à fait réels – et c’est le cas neuf fois sur dix !
Le débat sur l’ingénierie territoriale semble parfois inutilement mettre en concurrence l’État et le département dans sa nouvelle compétence de solidarité territoriale – M. Doligé y a insisté.
Je partage avec les rapporteurs le souci de dépasser ce débat. Ainsi, la loi NOTRe, grâce aux schémas départementaux d’amélioration de l’accessibilité des services publics, a créé un cadre naturel de partenariat, notamment pour la mise en place des maisons de services au public : 700 maisons de services au public ont été créées, dont 225 en partenariat avec La Poste. Ce mouvement doit naturellement être encouragé.
L’amélioration de l’accès aux services et l’amélioration de la qualité de vie des populations sont des priorités importantes si l’on ne veut pas tomber dans le sentiment, décrit par Christophe Guilluy dans son ouvrage « La France périphérique », de relégation qu’on éprouve dans certains territoires.