Séance en hémicycle du 10 janvier 2017 à 21h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • déconcentré
  • l’administration
  • territorial

La séance

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La séance, suspendue à dix-sept heures trente-cinq, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Jean-Pierre Caffet.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, sur les conclusions du rapport d’information : Où va l’État territorial ? Le p oint de vue des collectivités (rapport d’information n° 181).

La parole est à M. le président de la délégation.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Bockel

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’administration territoriale de l’État traverse, depuis une dizaine d’années au moins, mais sûrement depuis plus longtemps, une succession de réformes qui ont profondément modifié son organisation, ses missions, ses moyens et les conditions de travail de ses agents.

Cette situation affecte profondément l’exercice des compétences des collectivités territoriales, dans la mesure où la mise en œuvre territoriale des politiques publiques s’effectue de plus en plus dans un cadre partenarial État-collectivités.

C’est pour optimiser les conditions de ce partenariat que la délégation aux collectivités territoriales a confié à Marie-Françoise Perol-Dumont et à Éric Doligé, que je salue, la rédaction d’un rapport d’information sur l’évolution de l’État territorial du point de vue des collectivités.

Je crois qu’il faut tout d’abord être conscient qu’un certain reflux de l’administration déconcentrée de l’État n’est pas nécessairement à regretter. Il me semble, dans son principe, largement conforme au mouvement même de la décentralisation. De fait, pendant que l’État territorial entamait son repli, les collectivités s’affirmaient, se dotaient des outils administratifs et techniques nécessaires à l’exercice de leurs compétences, développaient leurs coopérations. Les collectivités territoriales ont ainsi largement pallié les carences de l’État déconcentré.

Mais l’État continue souvent, trop souvent, de se regarder comme une instance surplombante, qui délègue des compétences sans rien perdre de son droit de regard sur l’ensemble et sur le détail. Monsieur le ministre, mon constat est d’ordre général et n’est pas conjoncturel : il s’agit d’une constante, par-delà les changements de gouvernements.

Pour perdurer tel qu’en lui-même, d’une part, l’État s’appuie sur une réglementation envahissante et, d’autre part, il use de la carotte financière dont il dispose encore. Mon propos est caricatural et je force volontairement le trait.

Cela se traduit par des initiatives dispersées, lancées sans concertation, selon les priorités ministérielles de l’instant, mais aussi par des doublons administratifs et par la tentation de l’empiètement.

L’une des principales conclusions de notre rapport est qu’il faut maîtriser ce désordre. Si l’État, garant légitime de l’intérêt public national dans toutes ses dimensions, doit évidemment être présent dans les territoires, au-delà de ses fonctions régaliennes, c’est en tant que stratège.

Il est de moins en moins acceptable qu’une administration étatique en manque structurel de moyens continue d’aligner des troupes plus ou moins clairsemées dans des domaines tels que la partie du social transférée aux départements, la culture ou le sport, autres compétences en partie transférées aux collectivités territoriales. Les interlocuteurs de nos rapporteurs ont souvent cité ces domaines, monsieur le ministre, mais tout cela est bien entendu à préciser.

L’essentiel est de progresser. C’est pourquoi je vous propose d’engager rapidement un travail d’identification et un processus de suppression des doublons, en partenariat avec les acteurs de terrain, les associations d’élus locaux, et avec le concours actif du Sénat. La Haute Assemblée est le lieu privilégié de la synthèse pour tout ce qui concerne les collectivités. Sur un dossier dans lequel les collectivités et le Gouvernement sont les parties intéressées, elle a assurément un rôle à jouer.

Une seconde question clé est, à mes yeux, la complexité des administrations déconcentrées, de leur organisation, de leurs circuits. Notre rapport dénonce en particulier l’insuffisance des repères dont les élus locaux disposent pour s’orienter dans le maquis des normes, des procédures et des interlocuteurs étatiques. Il dénonce aussi, sur ces sujets, la faiblesse latente de l’autorité préfectorale, qui devrait résumer pour les élus locaux l’ensemble de l’État déconcentré. Le préfet devrait jouer davantage pour tous les élus, directement ou par le truchement des sous-préfets ou de ses représentants, le rôle de facilitateur dont nos rapporteurs ont montré la nécessité.

Le Gouvernement a réformé son organisation territoriale souvent, il faut bien le dire, sans consulter ni discuter, ou du moins pas assez. Il pourrait être tenté de simplifier de la même façon le fonctionnement de cette organisation. Tout le rapport de la délégation montre que la consultation préalable et constante des collectivités est indispensable.

C’est pourquoi, je le répète, je vous incite à lancer un travail avec les élus locaux. Nous avons nous-mêmes fait un questionnaire pour lancer cette concertation, qui fait l’objet d’une forte demande. Comme nous avons su nous mettre à la disposition, avec notre collègue Rémy Pointereau, de toutes les commissions concernées du Sénat et de son président sur la question de la simplification des normes, nous pourrions modestement nous placer au cœur d’un travail partenarial, aux côtés des gouvernements successifs, pour aller dans le sens d’une plus grande simplicité.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, bien que M. Jean-Marie Bockel, président de la délégation, en ait déjà beaucoup dit, j’ajouterai quelques éléments qui méritent votre attention. Je le remercie tout d’abord de nous avoir permis de mener cette mission d’évaluation de l’application locale des politiques publiques, avec Marie-Françoise Perol-Dumont, mission qui a débouché sur l’élaboration d’un rapport d’information sur les relations entre les collectivités et les services déconcentrés de l’État.

Si les réformes de l’État territorial ont fait l’objet de nombreuses études, la plupart d’entre elles ont été réalisées, d’abord et avant tout, du point de vue de l’État, et non des collectivités.

Depuis la mission commune d’information du Sénat de 2011 sur la révision générale des politiques publiques, et hormis les rapports publiés par les commissions des lois et des finances dans le cadre de l’examen des projets de loi de finances, les conséquences de ces réformes sur les territoires ont été peu analysées.

La délégation a souhaité combler cette lacune, en parfaite coordination avec les travaux en cours de la commission des lois. Je salue ici notre collègue Pierre-Yves Collombat, qui a été entendu en sa qualité, notamment, de rapporteur délégué, chargé de l’administration générale et territoriale de l’État, de la mission de contrôle et de suivi de la mise en œuvre des dernières lois de réforme territoriale. Cet entretien a été un peu trop court à notre goût, mais nous aurons sans doute l’occasion de le poursuivre ultérieurement.

Afin de fonder nos travaux sur un diagnostic solide, il nous est apparu indispensable de consulter les élus locaux : en un mois, 4 500 contributions nous ont été adressées, dont 57 % par des maires, ce qui témoigne du vif intérêt rencontré par le sujet sur le plan local.

Les élus interrogés se sont très majoritairement dits insatisfaits des réformes des services déconcentrés qui se sont empilées depuis au moins une décennie.

J’insiste sur ce point : deux tiers des répondants ont ainsi jugé inefficaces ou non pertinents la réforme de l’administration territoriale de l’État, la RéATE, lancée en 2008, la réorganisation des services régionaux engagée en 2014 et le « plan Préfectures nouvelle génération », dévoilé en 2015.

Une proportion identique de participants a précisé que leur commune ou groupement a été touché par au moins une réforme des implantations des services de l’État, citant en tête les réorganisations des gendarmeries, des services régionaux, des hôpitaux, des sous-préfectures et des écoles.

Bien que demeurant souvent indirect, l’impact de ces réorganisations sur les collectivités et les usagers a été jugé négatif par la majorité des élus interrogés.

Ce constat mitigé, tiré de la consultation, est corroboré par les expériences de terrain qui nous ont été rappelées au cours de nos auditions et déplacements.

Un grand nombre d’acteurs locaux ont affirmé que ces réformes, dont l’inspiration est selon eux essentiellement budgétaire, et la méthodologie, peu participative, ont engendré une situation instable et confuse : l’État territorial, déstabilisé dans son organisation, désengagé de certaines missions et parfois dépourvu de moyens, ne répond pas toujours aux besoins des collectivités.

Il en résulte chez les élus locaux un sentiment d’insatisfaction, pour ne pas dire d’exaspération, qui contraste avec le discours rassurant, et parfois satisfait, des administrations centrales.

Au total, trois obstacles stratégiques s’opposent à la pleine efficacité des relations entre les collectivités et les services déconcentrés de l’État.

Le premier est l’insuffisante cohérence de l’État territorial. Les élus déplorent la complexité des circuits administratifs et la dispersion de la parole de l’État.

Le deuxième obstacle est l’existence de doublons. L’immixtion de l’État dans les compétences décentralisées est fréquemment dénoncée par les collectivités.

Le troisième obstacle, enfin, est dû à l’éloignement et au désengagement de l’État. Les élus s’inquiètent du retrait de l’État de certains territoires – toujours plus isolés – ou de certaines missions – pourtant utiles.

Face à ces difficultés, nous avons formulé une série de préconisations, que va présenter ma collègue Marie-Françoise Perol-Dumont.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées de l'UDI-UC. – MM. Pierre-Yves Collombat et René Vandierendonck applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Françoise Perol-Dumont

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme vient de le rappeler Éric Doligé, les nombreux élus ayant répondu au questionnaire et ceux que nous avons auditionnés ont dressé un bilan critique assez convergent des différentes réformes de l’État territorial, dont l’incidence, singulièrement sur les plus petites collectivités, a été jugée plutôt négative.

Pour autant, on ne peut pas dire que l’État soit resté totalement hermétique aux observations des élus, ni que les collectivités soient rétives à toute évolution des services déconcentrés.

D’une part, depuis l’année dernière, des inflexions ont été annoncées par l’État en faveur du maintien de services de proximité, d’une réévaluation de certaines missions intéressant les collectivités – comme le contrôle de légalité et l’ingénierie territoriale – ou d’une simplification des relations entre les acteurs locaux et les administrations déconcentrées.

Il conviendra d’être particulièrement attentifs à la mise en œuvre de ces annonces, parfois récentes, imprécises, afin qu’elles aboutissent pleinement et durablement.

D’autre part, ce ne sont pas seulement des critiques, mais surtout des attentes que les collectivités nourrissent, monsieur le ministre, à l’égard de l’État.

Les élus ayant participé à la consultation ont indiqué souhaiter un « État facilitateur », pour plus d’un tiers d’entre eux, et un « État conseil », dans plus d’un quart des cas. Ils souhaitent, en outre, disposer, par ordre de priorité, de services déconcentrés plus proches, plus disponibles et mieux identifiés.

Plus largement, les remontées de terrain témoignent de la nécessité d’un État capable de remédier à la complexité de son organisation, son droit et ses procédures, de maintenir une présence proche et partagée et de mieux s’inscrire dans une logique de coconstruction.

Dans cette perspective, notre rapport formule trente-cinq préconisations, réunies en cinq axes, dont je me bornerai à rappeler les grandes lignes.

Le premier axe vise à assurer la cohérence de l’État territorial. Il est ainsi crucial d’affirmer l’autorité préfectorale sur l’ensemble des réseaux territoriaux de l’État, agences comprises, agences surtout ! À cette fin, il serait utile d’instaurer une durée minimale d’affectation des préfets, de fixer leurs priorités dans une lettre de mission et de leur adjoindre le concours d’un véritable état-major.

Le deuxième axe a pour finalité le maintien de la proximité des administrations déconcentrées. Une attention particulière doit être portée aux départements dont la démographie est faible ou la géographie, spécifique.

À titre personnel – cela n’engage que moi –, j’ajouterai ma conviction que la RéATE, en amputant les moyens affectés à l’État dans les territoires, a initié ce fort sentiment de déshérence qui perdure, voire s’amplifie.

Dans ce contexte, il convient de conforter les ressources en ingénierie de l’État au niveau départemental, en particulier dans les régions fusionnées. L’organisation multisite des diverses directions dans ces régions nécessite d’être améliorée et la création de maisons de services au public, encouragée.

Le troisième axe tend à permettre aux collectivités de surmonter la complexité administrative. L’administration déconcentrée doit prendre en charge le poids de sa propre complexité en offrant aux collectivités un référent généraliste pour le montage des projets et en développant à leur intention des procédures intégrées, des engagements qualitatifs et des outils contractuels.

Le quatrième axe consiste à recentrer l’action de l’administration territoriale de l’État sur les politiques strictement étatiques. Il est urgent de mettre fin aux doublons en prévoyant la reprise par les collectivités de certains services déconcentrés et d’en finir avec les reports de charge en compensant véritablement le coût des politiques de l’État mises en œuvre par les collectivités.

Il importe aussi d’achever la décentralisation parfois inaboutie de certaines compétences en opérant les transferts correspondants de personnels, comme les gestionnaires de lycées et de collèges. On est, en la matière, resté au milieu du gué.

Le cinquième axe prévoit un renforcement de la dimension facilitatrice des administrations déconcentrées. Le contrôle de légalité doit être orienté, en amont de la prise de décision, vers l’offre d’avis et de conseil sur le droit et les procédures applicables, singulièrement pour les plus petites collectivités, qui ne peuvent disposer en interne des différents services requis.

De manière plus ambitieuse, il serait opportun d’accorder au préfet la faculté d’adapter certains éléments non cruciaux des normes, et plus largement du droit, en s’inspirant, par exemple, du pouvoir dérogatoire prévu en matière d’accessibilité pour les personnes handicapées.

Tel est le sens de notre rapport, qui est aussi un plaidoyer en faveur d’une relation partenariale adulte entre l’État territorial et les collectivités. Ainsi, posture de facilitation et rôle de conseil s’imposent comme la ligne de conduite impérative des services déconcentrés de l’État.

M. le rapporteur ainsi que MM. Hervé Poher, Daniel Chasseing et Benoît Huré applaudissent.

Debut de section - PermalienPhoto de René Vandierendonck

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat, en tant que représentant constitutionnel des collectivités territoriales, reprend ses débats aujourd’hui pour évoquer la question importante de la présence de l’État dans les territoires.

Où va l’État territorial ?

Le rapport d’information de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, dont les rapporteurs sont nos collègues Marie-Françoise Perol-Dumont et Éric Doligé, rassemble autour de trente-cinq propositions le point de vue – j’insiste sur l’ampleur de la consultation – des collectivités territoriales sur la question posée.

Il est peu de dire que les services déconcentrés de l’État ont connu dix ans de réorganisations successives avec, en premier lieu, la fameuse réforme de l’administration territoriale de l’État lancée dans le cadre de la non moins fameuse révision générale des politiques publiques entre 2008 et 2012.

Remis en septembre 2012, le rapport de trois inspections générales – l’Inspection générale des finances, l’Inspection générale de l’administration, l’Inspection générale des affaires sociales – a montré que cette réforme, menée avec le concours de prestations de conseil s’élevant à plus de 21 millions d’euros par an, a essentiellement consisté à rechercher des économies budgétaires rapides et portant sur des rationalisations, des restructurations de services ou de processus. Je cite, pour illustrer mon propos, un passage du rapport : « la règle de non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux prenant le pas sur les autres objectifs de réformes des politiques publiques ». Ainsi, la RéATE a conduit à la suppression de 3 200 emplois dans les réseaux des préfectures et sous-préfectures.

La réorganisation a été poursuivie depuis 2012 dans le cadre, cette fois-ci, de la modernisation de l’action publique, la fameuse MAP. Plusieurs chantiers prioritaires ont été lancés en 2014 sur le volet « services déconcentrés » : une revue des missions de l’administration territoriale, la rénovation de la carte de la déconcentration, la déconcentration de la gestion des ressources humaines et des crédits budgétaires – nous allons y revenir –, la nouvelle carte des sous-préfectures, le renforcement de la tutelle par les préfets des opérateurs de l’État au niveau territorial, la poursuite de la mutualisation des fonctions supports, la simplification du fonctionnement des instances consultatives.

Dans le cadre de la MAP, la réforme de l’État initiée – et confortée à partir de juillet 2014 pour qu’elle soit enfin menée dans le même calendrier que la réforme territoriale – poursuit l’ambition de faire un « État plus moderne » et un « État plus facilitateur » au service des collectivités territoriales.

Les différentes missions – et la vôtre n’est pas la moindre ! – aujourd'hui mises en œuvre pour évaluer l’état du sujet in situ sont formelles sur un point : les préfectures de département ont beau être présentées partout comme le niveau de mise en œuvre des politiques publiques, force est de constater qu’il leur est revenu de payer le prix fort.

Dans la préfecture du Cantal – département où vivent 147 000 habitants –, les effectifs de l’État, tous services déconcentrés réunis, sont passés, en dix ans, de 164 personnes à 100. Dans le Nord – je prends à dessein un département plus important, qui compte 2, 6 millions d’habitants –, les équipes des directions départementales de l’équipement, des affaires maritimes, de l’agriculture et de la forêt, qui regroupaient, il y a dix ans, 2 040 agents, relèvent aujourd'hui d’une direction à vocation interministérielle. Cette nouvelle direction départementale des territoires et de la mer rassemble 485 personnes. Et encore faut-il préciser que, faute de compensation en cas de perte d’effectifs, on redoute la moindre maladie ou épidémie de grippe !

En comparaison – c’est un constat arithmétique –, le niveau régional a été beaucoup moins impacté par des suppressions de postes. Ce qu’il convient de saluer comme une véritable avancée, c’est le renforcement de l’autorité des préfets de région sur l’ensemble des directions régionales ainsi, et cela est très nouveau, qu’un pouvoir de coordination enfin reconnu à l’égard des services étatiques ou démembrés qui prolifèrent de plus en plus – Rectorat, ARS, ADEME, ANAH, ANRU, je pourrais citer une kyrielle d’agences ! Il s’agit là d’une démarche essentielle à la cohérence de l’action de l’État dans les territoires.

Ce qui est le plus remarquable et qu’il faut encourager à tout prix, c’est le nouveau dialogue qui s’instaure entre les préfets de région et les administrations centrales sur la définition des moyens budgétaires et humains nécessaires à la conduite de l’action de l’État. Il faut avoir entendu parler des budgets opérationnels de programme, les BOP, il faut avoir vu les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement, les DREAL, ne dialoguer qu’avec leurs administrations d’origine pour mesurer le progrès accompli !

Maintenir la proximité de l’administration déconcentrée de l’État avec les collectivités territoriales – tout le Sénat est d’accord –, c’est d’abord faire le choix du département comme circonscription de l’État où se mettent en œuvre l’ingénierie territoriale et les politiques publiques. C’est cet objectif de rééquilibrage territorial qui a guidé l’action gouvernementale dès 2015 et qui a été encore renforcé par la fusion des régions au 1er janvier 2016.

Or, les ressources humaines de nombreuses préfectures départementales étaient à ce point « dans le rouge » qu’il y a lieu de se poser la question – comme le fait avec beaucoup de pertinence le rapport – de la garantie d’un socle d’effectif minimum pour que les services de l’État puissent mener à bien leurs missions, même redéfinies plus clairement. C’est l’origine du « plan Préfectures nouvelle génération » amorcé à l’été 2015 : revenir aux fondamentaux, à savoir les missions régaliennes de l’État et pouvoir apporter du conseil – et non plus uniquement du contrôle – aux collectivités, notamment les communes rurales et périurbaines. D’autant plus – j’insiste sur ce point – que des départements peu denses peuvent avoir des besoins stratégiques tout à fait réels – et c’est le cas neuf fois sur dix !

Le débat sur l’ingénierie territoriale semble parfois inutilement mettre en concurrence l’État et le département dans sa nouvelle compétence de solidarité territoriale – M. Doligé y a insisté.

Je partage avec les rapporteurs le souci de dépasser ce débat. Ainsi, la loi NOTRe, grâce aux schémas départementaux d’amélioration de l’accessibilité des services publics, a créé un cadre naturel de partenariat, notamment pour la mise en place des maisons de services au public : 700 maisons de services au public ont été créées, dont 225 en partenariat avec La Poste. Ce mouvement doit naturellement être encouragé.

L’amélioration de l’accès aux services et l’amélioration de la qualité de vie des populations sont des priorités importantes si l’on ne veut pas tomber dans le sentiment, décrit par Christophe Guilluy dans son ouvrage « La France périphérique », de relégation qu’on éprouve dans certains territoires.

Debut de section - PermalienPhoto de René Vandierendonck

Peut-être est-ce en effet bien entamé…

Le sous-préfet doit donc être l’interlocuteur naturel et le facilitateur des projets des communes. Il doit jouer un rôle de « courroie de transmission » qui oriente les collectivités vers les ressources en ingénierie et la recherche de financement.

Dans l’espace rural, il est indispensable qu’il noue des relations de partenariat avec les collectivités concernées, pouvant, chaque fois que cela est possible, prendre la forme de contrats de ruralité, par exemple, sur le modèle des contrats de ville.

Dans ce cadre contractuel, il sera possible de mieux articuler – autre problème soulevé par les rapporteurs – les procédures d’attribution de la dotation d’équipement des territoires ruraux, la DETR, avec les procédures analogues du département ou de la région.

J’en viens aux métropoles dont le moins que l’on puisse dire est qu’elles échappent désormais à toute définition rationnelle. Je veux souligner un point qui mérite de retenir notre attention en évoquant l’initiative prise par Nancy. Si cette métropole dispose de moyens d’ingénierie, elle est aussi dotée, indépendamment de ces derniers, des moyens d’ingénierie de son agence de développement et d’urbanisme. Eh bien, Nancy a mis en œuvre – à ma connaissance, c’est une première – un pôle métropolitain dont le but est précisément de mutualiser l’ingénierie à une échelle plus large que le périmètre métropolitain. Pour ma part, je crois que c’est à ce genre de comportement que l’on reconnaît une métropole solidaire et inclusive.

J’aborde maintenant le contrôle de légalité, signalant d'ailleurs, si on ne se paie pas de mots, que seul un acte sur cinq est actuellement contrôlé. Les effectifs consacrés au contrôle de légalité sont passés de 1 200 à 800 entre 2008 et 2016. Pourtant, la consultation faite par les rapporteurs montre qu’un État facilitateur – sollicité par 35 % des élus – et qu’un État conseil – souhaité par 27 % des élus – sont au premier rang des attentes des élus.

Le développement de la fonction de conseil et l’élaboration d’un répertoire des bonnes pratiques restent un objectif à atteindre.

Se pose ensuite le problème de l’allégement des normes – vous en avez fait mention, tous les élus en parlent et Rémy Pointereau y consacre une bonne partie de son énergie.

À ce stade, je voudrais rappeler que chaque fois que l’État, plutôt que d’emprunter la voie de la norme étroite du décret, privilégie le modèle des directives « Crédit foncier de France », il sauvegarde le pouvoir d’appréciation du préfet chargé de la mise en œuvre, il crée de la souplesse, il donne au contrat, qui fédère autour d’un projet de territoire les acteurs locaux, une réalité encore plus tangible.

L’État est stratège sur le plan régional. À ce stade, constatons que partout où nous allons en France – et nous allons partout ! –, les relations entre les services déconcentrés de l’État et les directions des nouvelles régions, dans le cadre de leurs compétences, sont encore à parfaire – pour être optimiste, on dira qu’elles sont embryonnaires.

On ressort des axes de progression autour desquels vous avez regroupé vos trente-cinq propositions avec la certitude que déconcentration et décentralisation, les deux font la paire. C’est ce que, en mécanique, on appelle un couple. Il n’y a pas de développement territorial sans une bonne articulation de ces deux forces.

On ressort de là aussi avec quelques idées simples.

Premièrement, il est essentiel de travailler sur la fonction « ressources humaines » – l’État a entrepris ce chantier –, ce qui veut dire non seulement rééquilibrer les compétences, mais aussi retravailler sur la formation et les moyens humains pour conforter l’échelon fondamental qu’est l’État départemental.

Deuxièmement, la compétence « solidarité territoriale » du département doit être mieux articulée avec l’ingénierie territoriale de l’État. Il est anormal, ici ou là, de voir des concurrences inutiles et stériles. La DETR en est un exemple.

Troisièmement, l’ingénierie territoriale, tout le monde en parle, mais on en parle plus qu’on en voit ! Je voudrais citer un objectif relativement simple. À l’heure de la nouvelle carte de l’intercommunalité, l’ingénierie territoriale donnera la certitude de ne pas laisser la nouvelle cartographie faire la réalité intercommunale. Ce qui fera la réalité intercommunale, c’est la capacité à fédérer les communes autour d’un projet. Pour cela, il y a un besoin d’ingénierie. Pour cela, le département a ses missions. L’État a les siennes. Quant à moi, j’indique ma préférence, dans un cadre clarifié, pour le mode contractuel, qui garantit la cohérence des politiques, qui garantit le partenariat, l’adaptation des politiques publiques aux réalités diverses des territoires.

Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains. – Mme Valérie Létard ainsi que MM. Jean Desessard, Hervé Poher et Pierre-Yves Collombat applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Caroline Cayeux

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer Marie-Françoise Perol-Dumont et Éric Doligé pour la qualité de leur écoute, pour la qualité de leur rapport d’information et la pertinence de leurs préconisations.

Dans le cadre de mes fonctions au sein de l’association Villes de France, j’avais émis quelques propositions sur ce sujet si important pour nos territoires. Beaucoup ont été reprises et je m’en réjouis. Permettez-moi toutefois de proposer quelques pistes d’amélioration des pratiques actuelles évoquées dans ce rapport.

J’approuve, en premier lieu, l’avis des rapporteurs, qui estiment nécessaire de pérenniser l’organisation multisite des services déconcentrés de l’État.

Une autre mesure, que j’ai le plaisir de retrouver dans les propositions du rapport, consiste à éviter « les fermetures simultanées de plusieurs services dans une même collectivité lors des projets de rationalisation d’implantation des services de l’État ».

Debut de section - PermalienPhoto de Caroline Cayeux

En évoquant cette préconisation, je ne peux m’empêcher de songer à ces territoires vertement touchés par les réformes des services déconcentrés régionaux, ou bien le « plan Préfectures nouvelle génération », sans réflexion territorialisée préalable. Ces multiples restructurations administratives s’ajoutent, malheureusement, parfois avec la fermeture d’un site industriel, le départ de services publics de proximité ou la mise à l’écart du maillage ferroviaire. J’irai, à titre personnel, plus loin que le rapport, en demandant que des compensations soient même accordées aux territoires ayant déjà subi des départs successifs d’administrations déconcentrées ces dernières années.

Je partage aussi le constat sur la nécessité d’instaurer une durée minimale d’affectation de trois ans pour les préfets. J’estime, comme les rapporteurs, que la stabilité des nominations est un élément essentiel pour la continuité du service public.

Une autre piste mérite une attention toute particulière, et peut-être une application rapide. La suppression du contrôle de légalité actuel pourrait être étudiée au profit d’un mécanisme plus efficace reposant sur le système de « rescrit », à l’instar de ce qui a été proposé par Alain Lambert.

Selon moi, c’est une idée intéressante à expertiser de près. Il faut le reconnaître, le contrôle de légalité s’est dégradé ces dernières années, et les services des préfectures ne disposent plus des moyens nécessaires au traitement juridique des plus de cinq millions d’actes qu’ils reçoivent. La généralisation du rescrit, très développé en matière fiscale, consisterait en une validation préalable par l’autorité préfectorale de la solution retenue pour une question complexe. Les collectivités y gagneraient en sécurité juridique et les préfets verraient leur rôle devenir celui d’accélérateur des initiatives locales. Ainsi, il faudrait orienter le contrôle de légalité, en amont de la prise de décision des collectivités, vers l’offre d’avis et de conseil sur les procédures applicables.

Enfin, je dois déplorer, comme les rapporteurs, le manque de concertation avec les élus locaux. Et je ne peux que souscrire sans réserve aux préconisations pour rendre impérative une vraie concertation nationale préalable avec les associations d’élus locaux avant tout lancement de politique ministérielle touchant les compétences décentralisées, comme aux réformes de l’administration déconcentrée.

Un ajout à ces mesures pertinentes : le Parlement pourrait être mieux informé sur les conséquences des réformes de l’État déconcentré en termes de répartition géographique des effectifs de la fonction publique d’État. La dernière synthèse chiffrée existante sur la répartition géographique des effectifs de la fonction publique d’État n’a figuré que dans le rapport annuel « sur l’état de la fonction publique et les rémunérations » annexé à la loi de finances de 2013. Sans doute faudrait-il envisager sérieusement de rendre obligatoires tous les ans ces informations dans ce « jaune budgétaire » pour suivre les conséquences des réformes régulièrement. Je crois que nous en avons besoin pour notre travail parlementaire.

D’une manière générale, ce rapport intitulé « Où va l’État territorial ? Le point de vue des collectivités » s’avère un document opérationnel et novateur, grâce à ses préconisations pratiques et réalistes. J’en remercie les rapporteurs.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Françoise Gatel et Valérie Létard ainsi que M. Pierre-Yves Collombat applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, je voudrais en premier lieu saluer l’ambitieux travail fourni par Éric Doligé et Marie-Françoise Perol-Dumont dans le cadre de ce rapport, en lien avec les membres de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation et notamment avec son président, Jean-Marie Bockel.

Je salue en particulier l’initiative qui a consisté à interroger 4 500 élus locaux, via une enquête sur internet. Leur large participation démontre à quel point ceux-ci ont besoin d’être entendus et respectés. C’est une preuve supplémentaire du rôle qu’ils jouent au quotidien pour l’exercice de notre démocratie et pour faire vivre la République sur tout le territoire.

Depuis le début de la législature, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen n’ont pas cessé de demander l’organisation de débats participatifs, la réalisation d’enquêtes et d’auditions, afin de mettre les élus locaux au cœur de l’élaboration de chaque réforme de l’administration comme de chaque réforme territoriale. C’est malheureusement tout l’inverse qui a été fait.

On ne s’étonnera donc pas de voir que 93 % des élus locaux ayant répondu à l’enquête dont les résultats figurent dans le rapport estiment ne pas avoir été suffisamment associés aux dernières réformes, et que 52 % d’entre eux indiquent ne pas y avoir été associés du tout. Le constat est accablant pour les différents gouvernements qui se sont succédé et les méthodes qu’ils ont employées. Force est de constater qu’ils ont préféré obéir aux injonctions de Bruxelles plutôt que de répondre aux besoins des élus locaux, ces sentinelles de la démocratie, et qu’ils ont fait le choix de la technocratie plutôt que celui de la République !

Madame la rapporteur, monsieur le rapporteur, lorsque vous évoquez la réforme de l’administration territoriale de l’État, la RéATE, la révision générale des politiques publiques, la RGPP, et la modernisation de l’action publique, la MAP, vous parlez de mesures incessantes, mal articulées, au sujet desquelles les acteurs de terrain n’ont pas assez été sollicités. Nous ne pouvons que partager les constats que vous dressez et serions même prêts à aller encore plus loin.

Les différents acteurs des collectivités locales, élus, agents et usagers, subissent aujourd’hui les conséquences des erreurs commises dès 2008 avec la RGPP. La première erreur aura été de mettre en œuvre cette réforme non pas dans le but d’améliorer la qualité des services publics, mais pour servir une idéologie néolibérale, en vertu de laquelle moins d’État, c’est davantage de liberté pour les marchés et pour la finance.

La seconde erreur – le rapport le montre bien – a consisté à réformer l’action publique en appliquant le dogme de la réduction des déficits budgétaires et de la baisse de l’investissement. Quelle erreur ! Quelle aberration, quand on sait que l'Observatoire français des conjonctures économiques considère que c’est justement par la relance de l’investissement public que l’on sortira de la crise à laquelle les Français sont confrontés.

Il faut évidemment réformer l’action publique. Parfois, nos concitoyens considèrent en effet que le fonctionnement de l’administration est trop complexe. Cela étant, le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux et les fermetures de services publics n’ont jamais permis d’améliorer la situation. Au contraire, cela a tout compliqué.

Les réformes menées ces dernières années, qu’il s’agisse d’attaques contre l’emploi public ou de délocalisation des services publics, ont considérablement complexifié et affaibli l’action publique.

Je veux notamment parler de l’affaiblissement du rôle de l’État en tant qu’accompagnateur des collectivités locales. Certains des élus, notamment ruraux, auditionnés par les rapporteurs ont notamment souligné le fait que la fonction de conseil auparavant assurée par les services déconcentrés de l’État avait quasiment disparu. Si bien qu’aujourd’hui, et pour ne donner que cet exemple, les prestations d’ingénierie territoriale destinées au bloc communal doivent être assurées par les conseils départementaux.

Ce constat me conduit à aborder un sujet préoccupant, à savoir le glissement d’une partie des politiques publiques, auparavant assumées par les services déconcentrés de l’État, vers les collectivités territoriales. Comment ces collectivités pourraient-elles assumer des politiques qui relèvent du pouvoir régalien, comme suppléer à la fermeture d’une gendarmerie ou d’une sous-préfecture, par exemple ? Comment pourraient-elles sortir de leurs compétences propres, alors même que la clause de compétence générale a été supprimée ? Surtout, comment pourraient-elles pallier les manques de l’État, alors qu’elles ont fait face à une baisse de 10 milliards d’euros de la dotation globale de fonctionnement au cours des trois dernières années ?

Les collectivités n’en sont tout simplement pas capables financièrement. Les élus locaux assistent impuissants au remplacement d’un poste sur deux dans telle sous-préfecture, à la fermeture d’une classe dans telle école, ou à la fermeture de la gendarmerie du canton.

Et que dire des services publics de l’État qui ont été privatisés ? Je parle notamment de La Poste et du risque de fermeture d’un tiers des bureaux de poste dans certains départements. Quelque 61 % des élus locaux ayant répondu à l’enquête déclarent ainsi que leurs communes ont été touchées par des suppressions de services publics déconcentrés. On peut donc parler d’un véritable effacement de l’action publique, à l’origine de fractures sociales et de fractures entre les territoires.

Est-ce cela que nous voulons pour la France du XXIe siècle ? En posant cette question, je m’adresse aux élus locaux, aux agents des différentes fonctions publiques et aux usagers : il n’y a pas de fatalité ! Tout est question de choix politique et de volonté politique !

Avec de la volonté politique – et nous, nous en avons ! –, nous pouvons bâtir une France protectrice et solidaire où l’État agit main dans la main avec les collectivités locales. Au travers d’un plan de relance des services publics, de l’école, de la gendarmerie et de la justice, nous pourrions assurer l’égalité et la sécurité des territoires.

Avec de la volonté politique, nous pourrions également prendre le pouvoir sur la finance. Il faut en finir avec les injustices fiscales, comme l’évasion fiscale qui coûte 80 milliards d’euros chaque année à l’État, ou ces 30 milliards d’euros de cadeaux faits au patronat, avec pour conséquence directe d’étrangler fiscalement les classes moyennes et populaires.

Mes chers collègues, voici ce à quoi les citoyens et les élus locaux aspirent : un État fort pour développer notre économie, pour assurer davantage de démocratie, pour permettre davantage d’égalité entre les individus et entre les territoires. C’est ce à quoi travaillent les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen pour les échéances à venir : construire une nouvelle République et construire un nouveau pacte républicain.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, où va l’État territorial ? Quel élu local déconcerté par l’avalanche de réformes parallèles touchant aux services territoriaux de l’État et collectivités locales au cours des dix dernières années ne s’est pas posé la question ? Merci à nos collègues Éric Doligé et Marie-Françoise Perol-Dumont d’avoir donné la parole à ces élus et de nous permettre d’en débattre.

Pourtant, j’ai le sentiment que les incohérences d’exécution bien réelles que nos collègues épinglent dans leur rapport dissimulent une logique, celle de la dissolution du modèle républicain français d’organisation territoriale dans tout autre chose. Ce modèle que l’on dit « jacobin » correspond plutôt à un jacobinisme bien tempéré, alliage d’un jacobinisme théorique, centralisateur et d’un girondinisme de fait.

Ainsi, depuis la Grande Révolution, la citoyenneté a deux faces : une face locale et une face nationale. La République est au village en même temps qu’à Paris. Contrairement à ce que l’on croit souvent, la commune française est la cellule de base de la gestion territoriale la plus autonome des grandes démocraties.

Si la démocratie locale est autant jacobine que girondine, l’État s’est fait de moins en moins jacobin tout au long d’un processus de décentralisation séculaire. De plus, ce que l’on oublie trop, il a joué le rôle d’un acteur local et pas seulement celui de surveillant général ou de courroie de transmission du Gouvernement.

Pierre Grémion l’a bien montré : dans le schéma classique d’administration territoriale française, il n’y a pas, d’un côté, l’administration de l’État et, de l’autre, les représentants de la population, mais une « consonance entre l’administration et son environnement » qui dépasse de beaucoup un simple accord de climat. L’administration préfectorale est autant le porte-parole de l’État auprès du terrain que l’inverse, c’est-à-dire du terrain auprès du pouvoir central.

De plus en plus et, surtout, sur la plus grande partie du territoire, l’État a d’abord marqué sa présence grâce à ses ingénieurs des Ponts et Chaussées ou à ceux des Eaux et Forêts. Il s’agissait d’une présence bénéfique et très appréciée qui faisait oublier ce que peuvent avoir d’urticantes les tracasseries de la bureaucratie régalienne. Au travers de ses ingénieurs, l’État est devenu partenaire et parfois acteur du développement local. Son désengagement progressif pour laisser place au marché – car c’est bien de cela qu’il s’agit – sera ressenti comme un abandon. C’est d’ailleurs ce que j’ai cru lire entre les lignes dans votre rapport.

Pour Pierre Grémion, cette symbiose entre fonctionnaires de l’État et élus locaux constituait un véritable « pouvoir périphérique ».

Les réformes intervenues ces dix dernières années au niveau tant des collectivités locales que des services de l’État visent à faire disparaître ce modèle sans le dire, voire en soutenant le contraire.

Fini l’État acteur et conseilleur ! Place aux intercommunalités les plus grandes possible, chargées d’assurer à leurs frais les services que l’État n’assume plus. Place aux cabinets d’expertise privés et au marché. Place aux départements transformés en services extérieurs de l’État social. Place aux grandes régions planificatrices de ce que d’autres, notamment les métropoles, voudront bien faire.

Sans compter que la RGPP, la MAP, la RéATE, ou encore le plan Préfectures nouvelle génération, sont en réalité la déclinaison d’un seul plan, le PRPTE, c’est-à-dire le plan de réduction de la présence territoriale de l’État, lui-même chapitre du grand plan de rigueur budgétaire, expression de la même logique.

Il faut bien garder en mémoire le fait que cette disparition du territoire de l’État acteur ne constitue en rien une nouvelle étape de la décentralisation, contrairement à ce que prétend le discours officiel. Elle correspond en réalité au renforcement de la tutelle du marché – il n’est qu’à voir le délabrement du service public sur la plus grande partie du territoire – assorti d’une nouvelle manière pour l’État d’exercer le pouvoir, ce que l’on a pu appeler « gouverner à distance ».

Sans renoncer à la contrainte par la loi et par la norme, lesquelles sont de plus en plus nombreuses et détaillées, bien que l’on s’en plaigne, l’État tend à utiliser des leviers de pouvoir plus libéraux et apparemment non contraignants : je parle des appels à projets dont l’État sélectionne les bénéficiaires mis en concurrence, des fonds plus ou moins exceptionnels de ceci ou de cela, aussi encadrés que les promotions publicitaires où – vous l’avez remarqué – l’on n’est jamais dans la bonne case, des bonifications – il n’est qu’à voir les incitations aux fusions de communes –, de la contractualisation – on en réclame même –, du conventionnement, de l’affichage des bonnes pratiques, ou encore du benchmarking.

Voilà la nouvelle façon de gouverner !

Condition nécessaire pour que cela fonctionne, réduire l’autonomie financière des collectivités territoriales et organiser leur dépendance vis-à-vis de l’État. C’est fait !

Au final, on a simplement remplacé l’État local, acteur de terrain, par l’État central bureaucratique, et ce au nom de l’autonomie de collectivités locales ainsi mises en concurrence et d’une saine gestion des finances publiques. C’est tout bénéfice pour la haute bureaucratie, dont les effectifs, eux, n’ont pas diminué : elle n’aura plus à se colleter avec les manants d’en bas, désormais totalement libres de prendre ou de laisser, à leurs risques et périls, du moins tant qu’ils accepteront de se tenir tranquilles !

Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – MM. René Vandierendonck et Jean-Marc Gabouty applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Poher

Tout cela pour dire que les relations entre l’État et les élus locaux sont bien souvent complexes.

C’est d’ailleurs bien normal, car l’État a pris un malin plaisir à complexifier les choses en cherchant à mettre dans un même creuset la décentralisation, la déconcentration, la RGPP, l’obsession stérilisante des économies budgétaires et l’inconfort permanent des réformes territoriales. Tout cela mélangé, on perd un peu de lisibilité. Or les élus, en particulier territoriaux, ont horreur de ne pas y voir clair !

Pour autant, rassurez-vous, monsieur le ministre, je ne tomberai pas dans la critique facile, car les relations entre les collectivités territoriales et l’État sont bien plus nuancées et bien plus complémentaires qu’il n’y paraît.

Parmi les « us et coutumes du peuple des élus locaux », on observe trop souvent une mauvaise habitude consistant à taper sur l’État. C’est bien pratique : « C’est la faute de l’État, de la loi, ce n’est pas moi ! ». Nous avons tous usé et abusé de cette façon de faire. Cela étant, ce comportement est normal : nous, les élus, passons régulièrement à la toise électorale. Alors, quand les choses vont bien, on en tire les bénéfices. En revanche, quand l’ambiance est orageuse, on cherche un vilain responsable. De ce point de vue, l’État est quand même un coupable bien pratique.

Heureusement, nous avons bien souvent en face de nous des préfets et des sous-préfets qui ont le sens du devoir et le sens de l’État, mâtiné d’un peu de diplomatie, ce qui ne gâche rien. Bref, nous avons affaire à un corps préfectoral de haut niveau.

Avant de décider s’il faut féliciter ou critiquer l’État, l’important est de savoir ce que l’on attend de lui dans un pays décentralisé, dans un pays où les collectivités territoriales ont de plus en plus de compétences au fil des réformes, dans un pays où le cerveau est bien souvent « anar », mais où le cœur reste étrangement jacobin.

Le rôle de l’État dans sa composante déconcentrée est triple : il doit être commandeur, conseiller et complice. Commandeur, parce que c’est lui le gardien de la loi. Conseiller, parce que nul n’est plus à même que l’État de faciliter l’application de la loi. Complice, enfin, car, l’alliance entre les représentants de l’État et ceux des collectivités locales permet bien souvent de trouver une intelligence pratique ou une pratique intelligente de cette loi.

Cependant, cet exercice si difficile atteint quand même ses limites lorsque l’obsession budgétaire conduit à des sous-effectifs très handicapants pour l’image et l’efficacité de l’État. J’ai cru lire dans un texte traitant de la diminution des effectifs que l’on remplaçait « la quantité par la qualité ». Je veux bien le croire, mais tout être humain, même doté de beaucoup de qualités, a tout de même ses limites. Alors, réduire les effectifs pour telle ou telle raison, soit ! Mais entre le soi-disant trop-plein et la disette, il y a un juste milieu !

Autre remarque : il est également possible d’avoir recours à des transferts de compétences pour alléger la charge de l’État. Seulement, cela doit se faire à condition, bien entendu, de réaliser en parallèle un transfert de moyens, en particulier financiers. Et que l’on ne vienne pas nous reprocher ensuite que les collectivités territoriales ont trop embauché ! Je ne connais aucune collectivité locale qui embauche pour le plaisir de dépenser de l’argent !

M. Claude Nougein est dubitatif.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Poher

Un bémol, toutefois : le transfert de compétences a ses limites, des limites financières, des limites administratives et, il faut bien l’avouer, certaines limites politiques, au sens de « gestion de la ville ». Personne ne peut nier que le poujadisme local ou l’électoralisme peuvent parfois, je dis bien parfois, nuire au message et à la finalité de la loi. C’est pourquoi le rôle de l’État neutre, indépendant, gardien de certains principes et présent sur le terrain est primordial.

Le rapport d’information de nos collègues Marie-Françoise Perol-Dumont et Éric Doligé est très évocateur, s’agissant en particulier des questions, des incertitudes, des frustrations, voire de « l’exaspération » des élus locaux dans leur rapport avec l’État. Les trente-cinq propositions qui figurent dans le rapport sont fondées sur le bon sens, sur l’écoute et sur l’expérience du terrain, aujourd’hui essentielle.

Il faudra néanmoins nuancer certaines mesures. Un seul exemple : la durée d’affectation des préfets. Je suis élu d’un département, le Pas-de-Calais, où les représentants de l’État sont souvent soumis à rude épreuve dès leur arrivée, souvent chahutés par les événements, et où les temps morts sont rarissimes. C’est sans doute très formateur, mais c’est aussi très fatigant, même si tous les départements ou tous les arrondissements n’ont pas le même potentiel de montée d’adrénaline.

Indéniablement, les propositions figurant dans le rapport répondent à la double préoccupation qui tourmente en permanence les élus : assurer pleinement la libre administration de la collectivité tout en étant le partenaire d’un État qui fait naturellement partie, et ce pour de nombreuses raisons, de notre environnement, de notre fonctionnement et encore de nos réflexes.

Une dernière remarque : faisons très attention au tout-numérique ! Big Data a certes beaucoup de mémoire, d’intelligence et de rapidité, mais il manque singulièrement de sentiments. Rien n’interdit à nos structures dirigeantes et administratives de faire preuve d’un peu d’humanité !

Pour autant, je tiens à remercier nos collègues pour ce rapport d’information. Il nous rappelle que l’État et les collectivités locales ont un même devoir et un même objectif : le service public et le développement dans une certaine idée de la République.

Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain. – Mmes Cécile Cukierman et Christine Prunaud ainsi que M. Pierre-Yves Collombat applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Fournier

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord féliciter Marie-Françoise Perol-Dumont et Éric Doligé pour la qualité et la clarté de leur rapport. Il s’agit d’un travail considérable et utile pour lequel ils ont pris la peine de consulter les élus locaux par internet. Et demander leur avis aux élus lorsque l’on parle de la réforme des services de l’État, ce n’est pas si courant !

Cela fait maintenant dix ans que les services déconcentrés de l’État sont soumis à des réformes continuelles, définies sans véritable stratégie sur le long terme et sans grande concertation entre les ministères, le principal objectif étant de réduire les dépenses publiques.

Si l’on peut souligner un effort de rationalisation, de simplification et de modernisation de l’action publique, on constate que ces réformes provoquent sur le terrain un sentiment d’exaspération chez les élus et conduisent à un épuisement des personnels concernés. La stabilisation tant attendue dans nos collectivités territoriales se fait attendre et la cohérence de toutes ces politiques n’apparaît pas clairement.

La complexité perdure et désoriente les élus qui, sur le fond, ne ressentent souvent que leurs effets négatifs. La plupart d’entre eux ont été touchés par ces réformes et la disparition de services éminemment symboliques, comme la gendarmerie, les écoles, les urgences des hôpitaux, la trésorerie.

Certaines de nos communes, souvent les plus rurales, ont subi une concentration inédite de fermetures au cours des dernières années. Cela entretient ensuite un cercle vicieux avec d’autres fermetures en cascade : l’épicerie, le bureau de tabac, la boulangerie. Ces territoires éprouvent alors un sentiment d’abandon qui se traduit par une baisse de leur population à terme. Qui voudrait rejoindre ces territoires abandonnés, ces zones délaissées par l’État, mes chers collègues ? Le sentiment de désertification rurale n’est pas un vain mot, mais bien une réalité.

Les élus de terrain estiment à juste titre avoir été insuffisamment consultés. L’AMRF, l'Association des maires ruraux de France, a souligné le « manque de concertation ». En tant que président de l’Union des communes rurales de la Loire, je ne peux que confirmer cette réalité.

Nous avons maintes fois été mis devant le fait accompli, par exemple, lorsque les ATESAT, les dispositifs d’assistance technique fournie par l’État pour des raisons de solidarité et d’aménagement du territoire, ont disparu. Il en va d’ailleurs de même pour l’ensemble des services publics au sujet desquels les associations d’élus doivent se battre pour se faire entendre. Je rappelle que 93 % des élus locaux estiment ne pas avoir été suffisamment associés à ces réformes.

Il y a aussi le sentiment que l’État et ses services sont de plus en plus loin et que tout est de plus en plus concentré au niveau de la région, des grandes villes ou des grandes métropoles, le sentiment que les missions de conseil et d’expertise des services de l’État sont réduites à peau de chagrin et que, a contrario, les procédures de contrôle sont de plus en plus tatillonnes.

Nos collectivités arrivent difficilement à assumer l’ensemble de leurs missions, les spécificités des territoires sont souvent ignorées.

Les services déconcentrés de l’État sont de moins en moins présents et transfèrent leurs responsabilités notamment sur les intercommunalités et les départements. Le constat est flagrant, singulièrement en ce qui concerne les prestations d’ingénierie territoriale destinées au bloc communal.

Par ailleurs, la simplification des normes et la poursuite du travail très important mené sur ce sujet par de nombreux collègues de la Haute Assemblée m’apparaissent indispensables. La complexité des procédures, la multiplication des services et des interlocuteurs, l’explosion des normes sont indissociables. Tout cela entraîne un sentiment d’incompréhension et crée une grande perplexité chez les élus.

Les trente-cinq propositions émises par nos deux rapporteurs sont très intéressantes.

Je retiendrai en particulier la proposition visant à associer les élus locaux et leurs associations à l’élaboration des réformes, car la coconstruction est indispensable à mes yeux pour prendre en compte la complexité du terrain et sa diversité. Je retiendrai également la mesure tendant à conforter l’échelon départemental et à affirmer le rôle du sous-préfet, ainsi que la mesure visant à favoriser l’existence d’un interlocuteur unique.

J’insisterai aussi tout particulièrement sur la proposition d’éviter les fermetures simultanées de plusieurs services au sein d’une même collectivité locale. Enfin, je trouve intéressantes la proposition de généraliser les maisons de services au public et celle de renforcer le contrôle de légalité et l’ingénierie territoriale, deux missions très protectrices pour les élus.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, la France, à la fois État déconcentré et République décentralisée, a été bousculée par plusieurs réformes territoriales au cours de ces dernières années, donnant le sentiment aux collectivités territoriales d’être la variable d’ajustement d’une vision politique mal définie et peu lisible.

C’est pourquoi je tiens à saluer la nouvelle initiative de nos collègues Marie-Françoise Perol-Dumont et Éric Doligé, menée au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Nos rapporteurs ont donné la parole aux personnes les plus concernées par les réformes, à savoir les élus locaux eux-mêmes et les représentants de l’État. Je me réjouis d’ailleurs que 60 % des presque 5 000 contributions récoltées proviennent de maires. Leur réponse massive est la manifestation de leur besoin de reconnaissance et de leur implication.

Ce rapport vient nous rappeler le lien indissociable qui existe entre décentralisation et déconcentration, cette dernière étant trop souvent oubliée.

Les propositions émanant des consultations qui ont été conduites me semblent parfaitement résumer les attentes des élus que chacun de nous rencontre au quotidien : il faut parvenir à définir une accessibilité des services au public après une concertation étroite entre les services de l’État et ceux des collectivités territoriales.

L’État doit être garant et à la hauteur de ses missions régaliennes. Il doit veiller à la cohérence des moyens mis à la disposition des collectivités locales pour leur permettre d’exercer leurs compétences d’origine ou celles qui leur ont été transférées. Bref, les collectivités territoriales ont besoin d’avoir un cadre d’action clair, qui – et cela n’est pas anecdotique ! – leur offre une sécurité juridique pour les actes qu’elles rendent.

Si l’on tire les conclusions du chamboulement territorial récent, on s’aperçoit que l’État a privilégié la seule loi du nombre pour définir la taille des intercommunalités, entraînant la constitution de périmètres toujours plus grands et plus larges, et cédant la place à une certaine forme d’« obésité territoriale ». Il me semble utile de rappeler que ces réformes, qui ont été conduites au fil de l’eau et sans grande cohérence, laissent aujourd’hui certaines collectivités territoriales totalement dépourvues et déstabilisées, ce qui porte préjudice tant aux collectivités concernées qu’aux élus et à la population.

En effet, l’État territorial se désengage d’un certain nombre de compétences et de missions au profit des collectivités locales, mais ne les retire pas pour autant à ses administrations déconcentrées. Dans le même temps, il n’accorde pas auxdites collectivités les moyens de leurs nouvelles compétences. Dès lors, un sentiment de méfiance s’instaure entre l’État et ces territoires, alors même que nous aurions besoin de fluidité, de partenariat, de coconstruction confiante de l’action publique.

La confiance, élément essentiel du pacte républicain en ce qu’elle permet d’instaurer des rapports apaisés, ne peut se concevoir sans équilibre et sans justice. Si l’État doit veiller à garantir cet équilibre territorial, il ne peut pas le faire en s’appuyant sur la seule décentralisation, tant nos territoires sont tous différents les uns des autres. Il ne peut l’atteindre que grâce à l’administration déconcentrée, en assurant l’égalité d’accès à ses services.

Au-delà de l’accès aux services publics, objectif figurant dans plusieurs des propositions du rapport, l’État déconcentré doit également porter une attention particulière et vigilante à l’accès aux services privés. Leur disparition sur certains territoires mérite une attention prioritaire pour bien agir : services postaux, professionnels de santé, services bancaires, sans parler de l’accès à la couverture en matière de téléphonie mobile et numérique.

Les parlementaires que nous sommes ont également un rôle à jouer à la veille de l’application de la loi sur le non-cumul des mandats. Si nous sommes naturellement des acteurs de la décentralisation auprès des élus et des collectivités locales, notre rôle dans la déconcentration est beaucoup moins évident. Pourtant, nous pourrions apporter un éclairage essentiel aux représentants de l’État sur nos territoires. Aujourd’hui, nous votons les dispositions législatives en n’ayant que trop rarement l’occasion de participer et d’en apprécier la mise en œuvre.

Aussi, pourrions-nous coconstruire davantage l’action publique territorialisée en coopération avec les acteurs déconcentrés ou non de l’État. Cela pourrait notamment se concrétiser dans le cadre de l’affectation de certaines dotations. Cette proposition permettrait de garantir l’équilibre que j’évoquais tout à l’heure, d’assurer leur liberté aux collectivités, de les accompagner dans leurs projets de développement, tout en veillant à ne pas créer de fractures entre elles, ou en les limitant, du moins, tant dans leur nombre que dans leur portée. Beau défi qu’il nous appartiendra de relever dès que possible !

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme, M. les rapporteurs ainsi que MM. Jean-Marc Gabouty, René Vandierendonck et Pierre-Yves Collombat applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique de Legge

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer ce rapport, dans lequel je me retrouve totalement. Je le regrette, ai-je envie d’ajouter, car je m’aperçois que depuis 2011, et le rapport que j’avais établi sur la révision générale des politiques publiques – la RGPP –, la situation n’a guère évolué et les conclusions restent sensiblement les mêmes.

Je voudrais très rapidement relever trois points.

Premier point : l’état d’esprit qui doit présider dans la relation entre les collectivités territoriales et l’État.

Les grandes réformes de décentralisation des années 1980, sur lesquelles il n’est pas question de revenir, ont tout de même profondément modifié cet état d’esprit. Le passage d’un contrôle a priori à un contrôle a posteriori me laisse le sentiment d’une volonté de contrôle, plutôt que d’accompagnement des projets.

Il serait heureux de faire évoluer cette mentalité, car, comme cela est dit à plusieurs reprises dans le rapport, l’État doit avant tout accompagner les collectivités territoriales.

Deuxième point : la parole unique de l’État.

Monsieur le ministre, vous nommez les préfets, qui, officiellement, dépendent du ministère de l’intérieur. Or je constate que, de plus en plus, des services échappent à leur autorité : l’éducation nationale, les finances publiques, aujourd'hui la santé. Que dire des DREAL ? Et c’est sans compter, comme cela a été souligné, l’existence de nombreuses agences, qui illustre parfaitement le démantèlement des services de l’État.

On finit par se demander qui est le patron. À qui faut-il s’adresser ? Le préfet est-il vraiment celui qui porte la parole de l’État ?

Le préfet n’a même pas autorité dans l’organisation de ses propres services. Par exemple, s’il disposait d’une certaine latitude en matière de personnel dans un service donné, il ne pourrait déplacer un agent de ce service vers un autre. Nous en sommes encore à une gestion en silo, avec des agents appartenant à la fonction publique d’État et dépendant de différents ministères.

Il faut avancer sur cette question de la restauration de l’autorité du préfet, de sorte que l’État dispose d’une parole unique et que les équipes puissent être organisées au plus près des besoins.

Troisième point : la proximité et l’efficacité.

Je m’appuierai sur un cas concret, rencontré la semaine dernière dans ma commune.

Étant un élu respectueux de la loi, j’ai lancé un processus de modification du plan local d'urbanisme – ou PLU –, afin de le mettre en conformité. Le préfet m’ayant alerté, par courrier, sur le fait que je n’avais pas saisi l’État, je lui ai apporté la preuve que je l’avais bien fait, ayant déjà écrit à M. le sous-préfet.

Mais voici ce que ce dernier m’a répondu, après avoir pris acte de ma saisine : « Pour information, il est néanmoins préférable de saisir directement la préfecture. Aussi lorsque la modification du PLU sera approuvée, je vous invite à transmettre l’ensemble du dossier complet, ainsi que la délibération d’approbation à la préfecture du département. Une copie du dossier peut être, si vous le souhaitez, transmise pour information au sous-préfet ».

À qui doit-on véritablement s’adresser ? Tantôt, c’est à la sous-préfecture, tantôt à la préfecture, tantôt aux directions !

Nous n’avons plus une idée très claire de notre interlocuteur, et il faudrait, de ce point de vue, que la situation évolue.

Pour conclure, il ne peut pas y avoir deux actions publiques : une de l’État et une des collectivités territoriales. Toutes deux ont vocation à se rencontrer, car, à un moment donné, elles sont au service d’une même population.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Jean-Marc Gabouty, Pierre-Yves Collombat, René Vandierendonck et Georges Labazée applaudissent également.

Debut de section - Permalien
Bruno Le Roux, ministre de l'intérieur

M. Bruno Le Roux, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, madame, monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, l’angle d’approche qui a été retenu pour ce rapport d’information me semble particulièrement intéressant.

Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.

Debut de section - Permalien
Bruno Le Roux, ministre de l'intérieur

Il me semble que ce qui est un réflexe acquis chez les sénatrices et les sénateurs l’est aussi dorénavant pour le Gouvernement.

Debut de section - Permalien
Bruno Le Roux, ministre

Ce réflexe, de bonne administration, qui consiste à s’interroger sur les conséquences de ses choix politiques sur les collectivités territoriales a d’ailleurs été formalisé. Je pense concrètement – il ne s’agit pas pour moi d’en rester à de simples phrases – au Conseil national de l’évaluation des normes, le CNEN, et aux études d’impact des projets de loi.

Pour le ministère de l’intérieur, c’est plus qu’un réflexe ! Rien de plus normal, pour nous, que de considérer l’administration territoriale de la République dans son ensemble et de peser chaque décision au double trébuchet de la déconcentration et de la décentralisation, sans antagonisme.

C’est d’ailleurs le seul regret que le ministre de l’intérieur que je suis peut formuler à la lecture de votre rapport, madame Marie-Françoise Perol-Dumont et monsieur Éric Doligé. Vous avez retenu une présentation plus duale qu’elle ne l’est en réalité, et cette présentation ne résiste ni aux remontées des collectivités ni même aux propositions que vous formulez.

Je note donc la qualité de ce rapport, dont je partage volontiers une grande partie des conclusions.

Toutefois, je commencerais par rappeler une évidence – le contenu du rapport ne me laisse pas d’autre choix : on ne peut naturellement pas demander au gouvernement actuel d’endosser des décisions autres que celles qui ont été prises par lui-même ou par son administration !

Oui, la révision générale des politiques publiques de 2007, comme cela a été dit voilà quelques instants, a laissé de profondes cicatrices sur nos territoires, en sabrant dans les effectifs sans logique d’ensemble, sur le seul fondement d’une recherche d’économies. Oui, la réforme de l’État de 2008 aurait pu donner lieu à une plus grande concertation avec les élus. Oui, la succession de réformes, menées rapidement et emboîtées les unes dans les autres sans vision globale, nuit à la cohérence de l’action publique.

Mais ce n’est pas là le bilan du Gouvernement !

Je souhaite donc ramener ce débat, y compris dans l’hypothèse d’un futur rapport que vous ne manquerez pas de faire dans les prochaines années, mesdames, messieurs les sénateurs, à ce que le Gouvernement a réalisé depuis 2013 et, précisément, depuis le comité interministériel pour la modernisation de l’action publique de juillet 2013.

D’abord, le Gouvernement s’est engagé dans la stabilisation des organisations existantes pour donner la priorité à l’amélioration du fonctionnement de l’administration déconcentrée au bénéfice d’un meilleur service public.

C’est bien cet objectif que visait initialement le mouvement de modernisation de l’action publique, et c’est cet objectif qui, je le pense, a été atteint, dans une concertation renouvelée avec les collectivités locales. Au fil d’une démarche participative, la modernisation de l’action publique, ou MAP, dès 2013, puis les chantiers de l’administration territoriale en 2014 et 2015 ont dessiné – redessiné, devrais-je dire – les lignes de force d’un État territorial plus cohérent, mieux armé et plus proche de nos concitoyens.

M. Jean-François Husson s’exclame.

Debut de section - Permalien
Bruno Le Roux, ministre

Depuis près de cinq ans, l’État territorial s’est sans conteste donné les moyens d’une plus grande cohérence.

C’est le cas lorsque l’on donne au préfet de région les leviers pour véritablement gérer les moyens budgétaires sur son territoire, en le désignant responsable des budgets opérationnels de programme.

C’est aussi le cas lorsque l’on réaffirme le rôle du préfet dans la conduite et la coordination des politiques publiques, y compris de celles qui sont entre les mains d’établissements publics. Je vous renvoie sur ce point au décret du 7 mai 2015 portant charte de la déconcentration, aux efforts de rationalisation qui ont été consentis à l’égard des opérateurs ou encore, plus récemment, au plan Préfectures nouvelle génération, qui identifie ce rôle de coordination comme l’une des quatre missions prioritaires des préfectures, en prévoyant les moyens humains correspondants.

La cohérence de l’action de l’État territorial est un point essentiel : les collectivités – vous l’avez noté à plusieurs reprises – ont besoin d’un État présentant un seul visage et s’exprimant d’une seule voix. Ce visage et cette voix, à quelques exceptions près, sont incarnés par les préfets et je suis fier de redire ici, rejoignant, là encore, le jugement émanant de votre assemblée, l’excellence du travail exercé par ces hauts fonctionnaires partout sur le territoire.

Mais je veux aussi souligner que l’État territorial est aujourd'hui mieux armé.

Le Gouvernement a immédiatement fait le choix de mettre un terme à l’effondrement des effectifs départementaux, porté à son paroxysme par la RGPP, pour renforcer l’échelon départemental.

Certes, je suis prêt à le reconnaître, cela ne se vérifie pas pour un certain nombre, marginal, de politiques publiques, mais pour l’essentiel, le département est très clairement désigné comme l’échelon où sont mises en œuvre les politiques publiques de l’État. Pour employer une formule lapidaire, l’échelon départemental, c’est l’État tout entier !

C’est le niveau où sont prises les décisions concernant le quotidien des Français, le niveau des polices administratives, de l’accompagnement de leurs projets économiques ou associatifs, de leur sécurité et de la gestion des événements graves ou extraordinaires, du respect de l’État de droit et de la cohésion sociale. D’où notre souhait de continuer à renforcer cet échelon départemental.

Le passage de 22 à 13 régions a naturellement conduit à renouveler l’acuité de ce constat. Loin de remettre en cause l’échelon départemental, la réforme régionale l’a une nouvelle fois légitimé.

Cet échelon départemental, voire infradépartemental quand cela est nécessaire, doit aujourd'hui s’affirmer comme la véritable priorité d’action de l’État.

On retrouve cette même logique de renforcement dans le plan Préfectures nouvelle génération.

Nul ne peut prétendre – et je ne le ferais certainement pas devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs – que la contrainte budgétaire épargne l’administration territoriale de l’État. L’impératif de redressement des finances publiques est fort et celle-ci doit, comme chacun, y prendre sa part. Mais il y a diverses manières de faire face à cet impératif : le ministère de l’intérieur, sous l’impulsion de mon prédécesseur, Bernard Cazeneuve, a fait le pari de s’y adapter, plutôt que de le subir.

Au nombre des missions prioritaires, figurent, je l’ai dit, la coordination territoriale des politiques publiques – l’impact est sensible pour les collectivités –, mais aussi le contrôle de légalité.

J’entends ce qui a été dit à ce sujet. Les moyens actuels peuvent sembler insuffisants, mais ce sont tout de même 136 équivalents temps plein – ou ETP – qui vont être redistribués sur le territoire pour assurer le contrôle de légalité. §par rapport aux politiques de suppression de postes qui étaient menées sur tout le territoire.

Je préfère les petits plus aux grands moins ! C’est tout de même préférable pour assurer un service au plus proche des collectivités !

Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - Permalien
Bruno Le Roux, ministre

Autre élément, les petites préfectures voyaient leurs effectifs baisser sans discontinuité, …

Debut de section - Permalien
Bruno Le Roux, ministre

… et la réduction était telle qu’elles finissaient par se demander si elles n’allaient pas devoir se regrouper à plusieurs pour assurer leur service. Là encore, la réforme a conduit à fixer un socle à 95 ETP, permettant de remplir toutes les missions et de garantir la présence de l’État, indépendamment de la taille des préfectures.

Je n’évoquerai pas en détail la capacité de mobilisation des personnels, au travers de déroulements de carrière plus bénéfiques pour eux, mais je pense tout de même que l’on peut voir dans toutes ces mesures – je le dis avec prudence, car les membres de cette assemblée connaissent beaucoup mieux que moi les collectivités locales – quelque chose de différent par rapport à ce qui existait par le passé.

Debut de section - Permalien
Bruno Le Roux, ministre

Je voudrais conclure ce propos en évoquant le troisième axe fort de l’action gouvernementale : la proximité.

Ce gouvernement croit profondément aux vertus de la proximité : près de 1 000 maisons de services au public créées, 65 maisons de l’État mises en place, et presque autant en projet, des schémas départementaux d’accessibilité des services au public en cours d’élaboration partout sur le territoire, un droit d’alerte mis entre les mains des préfets de département, une directive nationale d’orientation sur l’ingénierie d’État dans les territoires et, pour finir, une modernisation d’ensemble de la carte des arrondissements à la faveur d’une réforme de la coopération intercommunale ayant permis de réduire de près de 40 %, et je pense que cela apporte une cohérence supplémentaire à l’action publique dans notre pays, le nombre d’établissements publics de coopération. Tout cela, en outre, s’est fait dans la concertation la plus riche avec les élus locaux.

Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - Permalien
Bruno Le Roux, ministre

Ainsi, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, l’État territorial sait aujourd'hui où il va !

Mme Françoise Gatel rit.

Debut de section - Permalien
Un sénateur du groupe Les Républicains

Un sénateur du groupe Les Républicains. C’est déjà pas mal !

Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - Permalien
Bruno Le Roux, ministre

Il sort de ces dernières années renforcé d’une régionalisation assumée, corollaire de l’instauration de collectivités régionales plus puissantes, mises en situation de rivaliser – c’est bien là l’objectif – avec leurs homologues européennes et de dynamiser le développement économique de la France.

Je ne sais pas où ira l’État territorial au cours du prochain quinquennat, mais il sort de l’actuelle mandature en présentant un nouveau visage, celui d’une articulation améliorée – j’allais dire parfaite

MM. François Bonhomme et Jean-François Husson s’exclament.

Debut de section - Permalien
Bruno Le Roux, ministre

Dans une République qui, de par notre Constitution, est unitaire tout autant qu’elle est décentralisée, c’est un signe de force.

La grande force de votre rapport, madame Perol-Dumont, monsieur Doligé, est de montrer que nous avons besoin de cette nouvelle organisation territoriale, telle qu’elle existe aujourd'hui, que celle-ci ne peut être mise en œuvre sans concertation et qu’elle exige une ambition sans cesse renouvelée. Or, de l’ambition pour les collectivités locales, il me semble qu’il en a manqué beaucoup par le passé !

Je suis donc fier de réaffirmer la volonté du Gouvernement de continuer sur le chemin qu’il a emprunté, …

Debut de section - Permalien
Bruno Le Roux, ministre

M. Bruno Le Roux, ministre. … si tant est qu’il lui soit accordé la possibilité de le faire dans les prochaines années.

Applaudissementssur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions du rapport d’information Où va l’État territorial ? Le point de vue des collectivités.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 11 janvier 2017 :

De quatorze heures trente à dix-huit heures trente :

Ordre du jour réservé au groupe communiste républicain et citoyen

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

1. Proposition de loi visant à abroger la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite « loi Travail » (n° 155, 2016–2017) ;

Rapport de M. Dominique Watrin, fait au nom de la commission des affaires sociales (259, 2016–2017) ;

Résultat des travaux de la commission (n° 260, 2016-2017).

2. Proposition de résolution européenne sur la reconnaissance de l’enseignement supérieur comme un investissement nécessaire à l’avenir, présentée en application de l’article 73 quinquies du règlement (n° 104, 2016-2017) ;

Rapport de Mmes Colette Mélot et Patricia Schillinger, fait au nom de la commission des affaires européennes (179, 2016–2017) ;

Rapport de M. Jacques Grosperrin, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication (258, 2016–2017).

De dix-huit heures trente à dix-neuf heures trente et de vingt et une heures à minuit :

Ordre du jour réservé au groupe socialiste et républicain

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

3. Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, portant adaptation des territoires littoraux au changement climatique (176, 2016–2017) ;

Rapport de M. Michel Vaspart, fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable (266, 2016–2017) ;

Texte de la commission (n° 267, 2016–2017) ;

Avis de M. Philippe Bas, fait au nom de la commission des lois (246, 2016–2017).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

La séance est levée à vingt-trois heures cinq.