Intervention de Marthe Lucas

Commission d'enquête Atteintes à la biodiversité — Réunion du 20 décembre 2016 à 17h55
Audition de M. Arnaud Gossement avocat Mme Marthe Lucas maître de conférences à l'université d'avignon et M. François-Guy Trébulle professeur à l'école de droit de la sorbonne université paris i panthéon-sorbonne

Marthe Lucas :

C'est un grand honneur pour moi d'être auditionnée. Je vous remercie sincèrement de l'intérêt que vous portez à mes travaux.

Je vais essayer de résumer la démarche de ma thèse en quelques mots. J'ai commencé mes travaux en 2008 dans le but de faire un état des lieux des différents dispositifs juridiques de compensation écologique. J'en suis très vite arrivée à la conclusion que ceux-ci étaient au nombre de huit dans notre droit, avec évidemment des modalités et des objectifs différents, ce qui pose des problèmes de complexité, d'articulation et de cohérence juridique.

Au-delà de l'étude des textes, j'ai pris le parti de regarder la jurisprudence et la doctrine, qui étaient assez rares en 2008. Ensuite, j'ai choisi de compléter mes informations en allant à la rencontre des acteurs du terrain, pour savoir comment ils déterminaient les mesures compensatoires et, surtout, comment ils les mettaient en oeuvre.

À partir de ces éléments, j'ai proposé dans ma thèse la caractérisation d'une notion de compensation écologique, qui, pour répondre à sa finalité curative, devait obéir à plusieurs critères : des mesures en nature, destinées à compenser des dommages résiduels et fondées sur l'équivalence et l'additionnalité écologiques.

Je me suis également intéressée aux propositions pour améliorer la procédure de détermination des mesures et leur mise en place. Parmi les réflexions, notamment sur la nécessité de mutualiser les mesures compensatoires, je me suis penchée sur l'outil du marché d'unité de compensation, ainsi que sur la mutualisation par l'intermédiaire de la planification.

J'aimerais attirer votre attention sur deux points qui me semblent essentiels.

Le premier, c'est la place à réserver à la compensation écologique. Celle-ci est rattachée au triptyque éviter-réduire-compenser, dit ERC, que la loi pour la reconquête de la biodiversité a rappelé. Ce texte a également rattaché ce triptyque au principe de prévention. Autant, pour les mesures d'évitement et de réduction, nous sommes évidemment dans la prévention, puisqu'il s'agit d'empêcher la survenance d'un dommage, autant, pour la compensation, il s'agit plutôt de réparer un dommage, même si c'est de manière anticipée. Au-delà du triptyque ERC, la compensation fait partie d'une démarche beaucoup plus large, celle de l'étude d'impact. À mon sens, elle doit vraiment se rattacher à cette dernière, qui comprend notamment les principales solutions de substitution du projet, qui doivent désormais être décrites, et non plus seulement esquissées. Nous nous situons là véritablement dans de la prévention.

Nous devons certes avoir à l'esprit la loi sur la biodiversité, mais également l'ordonnance du 3 août 2016 sur la réforme des études d'impact et le décret d'application, qui a notamment conduit à un recul en termes de champ d'application des études d'impact.

Le second point essentiel est de rappeler les enjeux juridiques de la compensation. À mon sens, ils se situent au niveau de leur détermination, mais également au niveau de leur réalisation par les acteurs.

Sur la détermination et la définition des mesures compensatoires, de grands progrès ont été faits, ce qui a permis notamment de ne plus les confondre avec les mesures de réduction.

Sur la réalisation des mesures compensatoires par les acteurs, en revanche, il reste de nombreuses interrogations juridiques, qui sont particulièrement d'actualité, la loi biodiversité ayant augmenté les exigences en matière de compensation.

Ainsi, on peut s'interroger sur la façon dont on va inciter les partenaires locaux à gérer durablement un site de compensation. En d'autres termes, comment le maître d'ouvrage va-t-il réussir à contractualiser ?

De même, comment inciter le propriétaire à louer son fonds sur plusieurs années, voire à recourir à une obligation réelle environnementale ? Quelles pratiques agricoles peuvent être qualifiées de mesures compensatoires ?

Par ailleurs, comment réussir à garantir une compensation qui soit effective et pérenne sur le très long terme, alors qu'elle est actuellement le fruit de contrats de courte durée, ce qui nécessite une succession de contrats dans le temps ? Comment faire face au changement de gestionnaire de compensation, de propriétaire, voire carrément de site de compensation en cours de projet ou même de maître d'ouvrage ?

Enfin, comment ne pas perdre de vue une cohérence écologique sur les territoires, de façon à maximiser les apports de la compensation ?

Le besoin de recherche est réel sur ces points. L'Agence nationale de la recherche en a entrepris. Il conviendrait cependant de mettre en place une instance de travail qui réunirait les chercheurs, y compris les juristes, et les acteurs qui sont directement impliqués sur le terrain. Je pense particulièrement aux conservatoires d'espaces naturels, qui apportent des expertises très intéressantes.

Ces questions ne sont d'ailleurs absolument pas déconnectées de la mise en place des sites naturels de compensation, qui ont tendance à focaliser les débats quand il s'agit de réalisation de mesures compensatoires. Je vous remercie de votre attention.

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