Intervention de Arnaud Gossement

Commission d'enquête Atteintes à la biodiversité — Réunion du 20 décembre 2016 à 17h55
Audition de M. Arnaud Gossement avocat Mme Marthe Lucas maître de conférences à l'université d'avignon et M. François-Guy Trébulle professeur à l'école de droit de la sorbonne université paris i panthéon-sorbonne

Arnaud Gossement :

Je vous remettrai une note, bien modeste par rapport aux travaux de Mme Lucas, sur le cadre juridique lui-même de l'obligation de compensation des atteintes à la biodiversité, et sur l'évolution depuis 1976 de cette notion, contenant un certain nombre de références de jurisprudence.

Je rappelle également dans cette note que le ministère de l'environnement, pour essayer de clarifier les choses, a élaboré une doctrine dite ERC. Je me suis également inspiré des travaux du groupe de travail présidé par M. Romain Dubois, à qui la commission de modernisation du droit de l'environnement a demandé en 2015 de travailler à l'amélioration de la séquence ERC. Ces travaux ont débouché sur un certain nombre de propositions assez techniques sur la compensation des atteintes à l'environnement.

Je comprends que votre commission s'intéresse à la biodiversité, mais le sujet pourrait être plus large, et concerner la forêt ou le carbone par exemple.

Je vous ferai tout d'abord part du point de vue de l'ancien militant que je suis. En 2008, lorsqu'il a été beaucoup question de la compensation de la biodiversité, que l'on avait un peu oubliée depuis 1976, les débats au sein des associations de défense de l'environnement, notamment de France Nature Environnement, ont été extrêmement nourris. Il faut savoir que le débat est toujours le même : les associations de défense de l'environnement, comme les porteurs de projets, ont des réactions paradoxales par rapport à ce sujet.

Par exemple, au sein des associations, un certain nombre de responsables considèrent que la compensation est un droit à détruire. C'est un mouvement assez fort, même si des associations, notamment en Alsace, ont mené des chantiers de compensation sur le grand hamster extrêmement intéressants, qui ont permis de faire évoluer la position du mouvement associatif français en général. En même temps, lorsqu'il y a un contentieux, ces mêmes associations critiquent la faiblesse des mesures de compensation. Même s'il ne s'agit pas forcément des mêmes personnes, des mêmes points de vue ni des mêmes moments dans l'histoire, cela peut paraître paradoxal vu de l'extérieur.

Il en va de même pour les maîtres d'ouvrage et les porteurs de projets. D'un côté, mes clients me disent aujourd'hui que ces mesures de compensation sont compliquées et qu'elles coûtent cher car elles entraînent de la spéculation foncière, ce qui barre l'accès aux marchés pour les petites et moyennes entreprises. D'un autre côté, ils ont conscience que la compensation permet de faire accepter les projets.

Des deux côtés, en fin de compte, on a des attitudes paradoxales, et l'enjeu est aujourd'hui d'en sortir.

Après l'accueil de la compensation par les acteurs eux-mêmes, j'évoquerai l'attitude du juge. En réalisant une étude pour un acteur qui se lançait sur le terrain de la compensation de la biodiversité en France, j'avais constaté que, depuis 1976, le juge administratif avait une attitude assez constante. Les décisions qui ont été rendues vendredi dernier par la cour administrative d'appel de Lyon marquent cependant un tournant. En effet, jusqu'à présent, le Conseil d'État avait fait preuve d'une grande prudence sur l'obligation de compensation, au sens compensation-prévention ou anticipation des problèmes, c'est-à-dire dans la phase ex-ante, pour revenir à la typologie exposée par Mme Lucas. Je cite notamment la décision du Conseil d'Etat Syndicat mixte de la vallée de l'Oise rendue en 2008, où le juge exerçait un contrôle le plus restreint possible, c'est-à-dire se bornait à regarder si, dans l'étude d'impact, il y avait ou pas description des mesures compensatoires et de la méthodologie pour les mettre en oeuvre. En d'autres termes, l'étude d'impact était-elle sincère ? Le Conseil d'État avait par ailleurs dans cette décision une vision assez extensive de la mesure compensatoire dans la mesure où il l'étendait à des questions telles que l'envol des déchets ou la prolifération des animaux nuisibles. Or les puristes de la compensation les qualifient non pas de mesures compensatoires mais de mesures d'évitement.

On constatait donc un contrôle restreint et un souci du Conseil d'État, de faire en sorte que le juge administratif ne soit pas le juge de la qualité des mesures. Aujourd'hui, à mon avis, demander au juge administratif de le faire, comme le font les acteurs des quatre projets que vous avez retenus, revient à perdre son temps. Le juge administratif n'est pas la bonne autorité pour réaliser cette analyse de la qualité des mesures compensatoires : il intervient trop tard, il n'est pas outillé pour cela et les associations n'ont pas les moyens d'engager des mesures d'expertise judiciaire.

Tel était l'accueil par le juge administratif, jusqu'à la jurisprudence de la société Royfon Cottages. En l'espèce, la cour administrative de Lyon a pris le contre-pied du Conseil d'État lorsqu'il a été saisi du référé, puisqu'elle est allée beaucoup plus loin dans l'examen des mesures compensatoires « zones humides ». Le Conseil d'Etat a été saisi d'un pourvoi par le maître d'ouvrage, et il sera intéressant de voir comment il tranche.

Pour conclure, je me permets de faire quelques propositions inspirées de ma double expérience d'associatif et d'avocat d'entreprises qui interviennent dans le domaine des énergies renouvelables et des déchets.

Tout d'abord, je pense qu'il faut clarifier le régime juridique de l'obligation de compensation. Certes, vous avez tenté de le faire dans le cadre de la loi biodiversité, mais il y aujourd'hui des notions, notamment l'absence de perte nette ou le gain de biodiversité, qui me font un peu peur. À mon sens, il faut préciser les termes sur l'objectif même de la mesure compensatoire pour rassurer et éviter des stratégies de contournement de l'obligation de compensation.

Ensuite, il importe de réaffirmer encore plus franchement et plus précisément que la compensation n'est pas un droit à détruire mais la dernière séquence du triptyque ERC. Certes, cela figure dans les textes, mais l'administration laisse parfois passer des études d'impact dans lesquelles on passe directement à la mesure compensatoire sans que la preuve ait été apportée que l'on ne pourrait ni éviter ni réduire. Le maître d'ouvrage n'est pas forcément responsable, car lui-même peut être incité par l'administration, au nom de l'acceptabilité de son projet, à tout de suite passer à la compensation des atteintes éventuelles de son projet. Il faut vraiment que l'administration intègre cela.

Par ailleurs, je pense qu'il faut lancer un débat sur la spécialisation du travail de définition et d'exécution des mesures compensatoires. Mes clients, lorsqu'il s'agit de petites entreprises qui font appel à des bureaux d'études assez modestes, ne sont pas des spécialistes de la biodiversité et de son ingénierie. Or, faire appel à un tiers peut avoir un coût important qui va grever le budget, voire conduire à son abandon. Pourtant, une telle intervention est nécessaire. C'est pourquoi il faut reposer la question du rôle de l'Agence française de la biodiversité en tant que pôle d'ingénierie publique. Nous en avions débattu lors du Grenelle de l'environnement, sans que la question soit tranchée. En droit communautaire, c'est le maître d'ouvrage qui a la responsabilité de ces mesures, mais peut-on déconnecter le problème du financement en demandant à un organe public d'assurer la définition, l'exécution et le suivi des mesures compensatoires ? C'est un vrai débat, que la loi sur la biodiversité n'a pas permis de régler.

Ma troisième proposition est d'assurer l'indépendance de l'autorité environnementale. Au sein de la commission en charge de la modernisation du droit de l'environnement, présidée par M. Alain Richard, j'avais proposé de donner une véritable indépendance à cette autorité. Ce débat n'a pas non plus été tranché. Pourtant, c'est l'autorité environnementale qui est chargée de vérifier la sincérité et la qualité des mesures compensatoires qui sont dans l'étude d'impact. D'ailleurs, les avis qu'elle rend sont de grande qualité, mais ils sont un peu tardifs, ce qui peut être catastrophique pour le maître d'ouvrage. Surtout, l'autorité environnementale manque de moyens et il faut savoir que ses décisions sont souvent préparées par les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL). Je suis favorable à ce que l'on lui donne une véritable indépendance et de vrais moyens, notamment pour asseoir la crédibilité des mesures. Dans les projets que vous avez retenus, on voit bien que, systématiquement, la question des mesures compensatoires est posée alors qu'il est beaucoup trop tard et que le sujet a déjà complètement dégénéré.

Pour l'avenir, prévenons le problème avec une autorité environnementale totalement indépendante. C'est le sens de la jurisprudence dont la Cour de justice de l'Union européenne a posé les bases avec l'arrêt « Seaport », rendu le 20 octobre 2011. Nous aurions dû lui donner plus de poids, même s'il est peut-être interprété de manière excessive.

Enfin, à mon sens, il serait dommage de s'orienter vers un contrôle du juge administratif différencié. Je sais que la tentation existe chez certains parlementaires, mais je pense que le juge administratif n'a pas à être l'instance de contrôle de la qualité des mesures compensatoires.

Telles sont les propositions démocratiques et juridiques que je souhaitais porter à votre connaissance.

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