Merci d'avoir pris l'initiative de cette commission d'enquête. Pour la Confédération paysanne, la compensation est un leurre. Elle intervient parce que l'on n'a pas su éviter ni réduire. A ce titre, elle est toujours un échec pour la biodiversité. Plusieurs études scientifiques remettent ainsi en cause l'idée selon laquelle il serait possible de compenser la destruction d'un écosystème par la restauration d'un écosystème équivalent.
La compensation évidemment un marché. Le succès actuel des mécanismes de compensation au niveau international est dû à la création d'un nouveau marché juteux. On donne artificiellement une valeur marchande aux milieux naturels, à chaque mare, aux abeilles, etc. Les milieux financiers et les bureaux d'études se frottent les mains, mais les paysans à travers le monde sont inquiets. Donner une valeur monétaire aux richesses naturelles risque de les exclure encore davantage et de les marginaliser. Si nous ne pouvons plus acheter la terre ou accéder à l'eau, nous ne pourrons plus travailler. Or, ce sont les agriculteurs qui sont les meilleurs garants de la biodiversité. Lorsque l'open field céréalier remplace le bocage ou que des activités pastorales de montagne disparaissent, des écosystèmes disparaissent également. La biodiversité suppose le maintien de paysans nombreux sur tout le territoire. Or, les mesures compensatoires n'aident pas les paysans, elles les excluent. Ainsi les constructions du campus du plateau de Saclay ont-elles été compensées par la création de bassins de rétention d'eau, grâce à l'expropriation d'autres agriculteurs. Mais les terres agricoles ne sont pas illimitées ! On compense l'atteinte à une terre en prélevant les terres d'un autre agriculteur... C'est un jeu à somme nulle.
La Confédération paysanne plaide pour un processus territorial de proximité qui associe mieux les agriculteurs. Nous sommes opposés aux réserves d'actifs naturels et à tous les processus de financiarisation qui permettent aux bétonneurs de s'affranchir de la consultation des populations. La suspicion pèse sur la compensation car les phases d'évitement et de réduction sont négligées. A Sivens il a fallu un mort pour que l'on étudie enfin un projet alternatif ! À Notre-Dame-des-Landes, les pouvoirs publics refusent de prendre au sérieux la possibilité d'améliorer l'aéroport de Nantes-Atlantique. Si l'on respectait la séquence « ERC », les projets consommant le moins d'espaces naturels et agricoles devraient pourtant être privilégiés, mais ce n'est jamais le cas. L'Etat manque d'impartialité, faute d'une séparation fonctionnelle entre les services chargés d'autoriser un projet et ceux qui doivent l'évaluer sur le plan environnemental. C'est le préfet qui assure ces deux missions, avec de fortes pressions politiques. Les conflits d'intérêts sont nombreux. Le préfet qui a attribué le chantier de Notre-Dame-des-Landes à Vinci est devenu salarié de cette société ! À Sivens, la Compagnie d'aménagement des coteaux de Gascogne, société mixte dont beaucoup d'élus locaux sont administrateurs, a réalisé les études concluant à la nécessité d'un barrage et a été désignée, par les élus, pour construire l'ouvrage et pour assurer la gestion de la ressource. Juge et partie !
La loi sur la biodiversité a renforcé la compensation sans renforcer l'évitement ni la réduction. On a enterré de fait ces deux étapes qui étaient pourtant prioritaires dans la loi de 1976. Cette loi marque un retournement dramatique pour la protection de la biodiversité. Elle favorise les acteurs privés qui achètent des terres pour soi-disant les restaurer et ensuite les revendent aux sociétés qui veulent bétonner. Le risque est de remplacer une politique articulée autour de parcs naturels par une politique menée par des acteurs privés guidés par la recherche du profit à court terme. Dans la plaine de la Crau, la Caisse des dépôts promet une gestion sur trente ans. À Notre-Dame-des-Landes, les mesures compensatoires sont prévues dans le cadre de baux ruraux de neuf ans. Or, il est prouvé que pour restaurer des milieux naturels, il faut au moins une centaine d'années, pour un résultat incertain, alors que ce qui est détruit, le restera.
Les contrats signés avec le propriétaire posent la question du respect du statut du fermage. En empilant les mesures de compensation décidées par le propriétaire, on risque de remettre en cause le libre choix du fermier dans la gestion de sa ferme et de donner des pouvoirs excessifs au propriétaire au détriment du preneur.
Nous estimons que dans le cas des quatre projets qui vous intéressent, l'étude des alternatives a été bâclée, voire oubliée dans la mise en place de la séquence éviter-réduire-compenser. Il faut au contraire renforcer les moyens de l'action locale dans la conception des projets.
Ainsi, l'A65 était-elle bien nécessaire, au vu de sa faible fréquentation ? L'aéroport de Notre-Dame-des-Landes s'imposait-il alors que, d'après une étude sérieuse, il était possible d'améliorer à moindres frais l'aéroport Nantes-Atlantique ?
Quant à la réserve naturelle de Cossure, la création d'un marché de protection de la biodiversité créerait un dangereux précédent. Les politiques publiques, qui ont prouvé leur efficacité, seraient remplacées par des acteurs privés, avec leur logique de court terme. Ne serait-il pas plus simple de faciliter le maintien et l'installation de paysans pratiquant le pastoralisme ? Pour l'instant, la Caisse des dépôts et consignation installe des moutons...
La mise en oeuvre de la séquence éviter-réduire-compenser présente évidemment des enjeux pour le monde agricole. Éviter un aménagement, c'est empêcher une perte de terre agricole ; le réduire, c'est diminuer la perte ; en revanche, introduire une compensation, c'est actionner une chaîne de compensations successives qui impactent plusieurs fois les producteurs - en témoigne l'exemple de la plaine de Saclay.
La transformation des richesses naturelles en marchandises est une menace grave pour les paysans, pour le monde agricole et, au-delà, pour la production alimentaire. Cela nous concerne tous.