Nous poursuivons les auditions de notre commission d'enquête sur les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures, créée à la demande du groupe écologiste. Nous étudierons les mesures d'anticipation, les études préalables, les conditions de réalisation et le suivi dans la durée des mesures de compensation et analyserons quatre projets : l'autoroute A65, la LGV Tours-Bordeaux, Notre-Dame des Landes et la réserve d'actifs naturels de la plaine de la Crau. Nous nous pencherons sur l'efficacité et surtout l'effectivité du système de mesures compensatoires.
Notre réunion est ouverte au public et à la presse ; elle fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site internet du Sénat ; un compte rendu en sera publié.
Nous recevons Mme Carole Hernandez-Zakine, manager et responsable du droit de l'agro-écologie à InVivo AgroSolutions. Elle est accompagnée de M. Raphaël Zarader, consultant chez Rivington.
InVivo est un groupe coopératif agricole français issu de la fusion des deux unions de coopératives, de collecte et d'approvisionnement, Sigma et l'Union nationale des coopératives agricoles d'approvisionnement (Uncaa). Sa filiale InVivo AgroSolutions est opérateur de compensation de biodiversité.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Carole Hernandez-Zakine prête serment.
Madame Carole Hernandez-Zakine, quels sont vos liens d'intérêt avec les différents projets cités ?
Je n'en ai aucun. AgroSolutions, filiale d'InVivo, est un cabinet de conseil et d'expertise en agro-écologie. Il n'a pas de lien avec les grands projets cités car nous travaillons surtout sur de petits projets.
Merci de m'avoir conviée. J'ai ainsi l'occasion de vous présenter un nouveau métier, celui d'opérateur de compensation, qui existe depuis très peu de temps. Reconnu très récemment par la loi biodiversité, il est encore en construction.
AgroSolutions rassemble une quarantaine d'experts en agronomie, hydrogéologie, pédologie, protection des plantes, écologie, gestion des données, droit rural et droit de l'environnement - un merveilleux domaine d'innovation juridique. Grâce à nos compétences croisées en agriculture et en environnement, nous accompagnons les agriculteurs dans la transition vers l'agro-écologie. Notre but est de leur assurer des revenus durables et de les aider à intégrer les exigences environnementales et sanitaires, tout en tenant compte de leur bien-être.
La compensation existe depuis quelques années. Comment peut-elle servir le projet de l'agro-écologie ? Je précise que nous fonctionnons par la demande et non par l'offre. Selon la loi biodiversité, l'opérateur intervient pour mettre en oeuvre des mesures de compensation pour l'aménageur qui y est obligé, une fois que les mesures sont définies et autorisées, ce qui suppose que l'étude d'impact soit terminée. De plus en plus toutefois, nous ne travaillons plus seulement après la validation des mesures, mais aussi en amont.
Nous passons un contrat sur-mesure avec l'aménageur pour expertiser ses mesures de compensation et l'aider à les mettre en oeuvre. Demain, nous espérons passer un deuxième contrat de suivi de ces mesures.
Prenons l'exemple d'autorisations administratives qui exigent la préservation de prairies pendant la nidification d'une espèce donnée. Nous conseillons concrètement l'aménageur sur la mise en place de cette demande sur un territoire agricole, en définissant la période de fauchage de la prairie, les conditions de pâturage, la pratique de fertilisation, le drainage. Outre notre expertise théorique, nous rencontrons sur le terrain les acteurs du territoire, notamment les agriculteurs, que nous avons parfois déjà identifiés. Une fois le cahier des charges des mesures de compensation élaboré - sa coconstruction améliore grandement son acceptabilité - nous rédigeons le contrat proposé à l'agriculteur en charge de la compensation. AgroSolutions a choisi de rémunérer ce service rendu. Le contrat de mise en place des mesures de compensation peut être signé entre AgroSolutions et l'agriculteur, entre AgroSolutions, l'agriculteur et l'aménageur, ou entre ces deux derniers. Tout dépend du projet de chaque aménageur. Le travail de suivi de l'opérateur est ensuite très important, puisque la compensation se situe dans une dynamique de très long terme.
La loi biodiversité insiste sur l'obligation de résultat ainsi que sur l'obligation de moyens. Celle-ci peut être, par exemple, l'implantation de haies. Au bout d'un an, on vérifie si les haies ont été plantées et si les bonnes espèces ont été sélectionnées. Au bout de deux ou trois ans, on vérifie si l'implantation a réussi et si les haies sont suffisamment denses pour accueillir l'espèce concernée. Au fil du temps, le suivi évolue pour améliorer en permanence la compensation. L'accompagnement des agriculteurs est donc nécessaire, l'opérateur assurant le lien entre l'aménageur et l'agriculteur.
L'obligation de résultat inscrite dans la loi m'a beaucoup interrogée. Qu'afficher ? Peut-on exiger un certain nombre d'individus d'une espèce, ou de terriers ? Doit-on plutôt viser l'amélioration de la qualité des habitats ? Il est impossible, dix ans à l'avance, de prédire un nombre d'individus. La nature est capricieuse. Évaluer la capacité d'un habitat à accueillir des individus est plus aisé.
Depuis peu, nous sommes saisis par des aménageurs qui souhaitent que nous les aidions en amont du projet à définir des mesures de compensation précises dans leur étude d'impact et à sécuriser leur accès aux agriculteurs qui les mettront en oeuvre, en anticipation de l'autorisation administrative. Afin de nous assurer un réservoir d'agriculteurs et de terres agricoles, nous passons des contrats d'engagement préalable, de courte durée, avec les agriculteurs.
Nous ne travaillons pas que sur des mesures de compensation, mais également sur des mesures de réduction. Là aussi, nous élaborons des contrats. Notre travail est pédagogique : nous expliquons aux aménageurs ce qu'est la compensation, en quoi elle impose des contraintes et offre des opportunités. L'exigence d'efficacité à long terme impose des échanges fournis entre l'opérateur et l'aménageur. Le premier doit par exemple être capable de pallier le désengagement d'un agriculteur, dont le contrat échoit au bout de cinq ans, quand la compensation court sur trente ou quarante ans.
Nous accompagnons aussi les aménageurs qui ne parviennent pas à déployer leurs mesures de compensation car elles ne sont pas acceptées par les agriculteurs. L'un de nos clients avait prévu deux hectares de jachère par éolienne mais ne trouvait aucun agriculteur partenaire. Nous avons cherché des mesures équivalentes. Après le passage d'une convention avec le Muséum national d'histoire naturelle, nous avons rencontré les coopératives d'agriculteurs, la chambre d'agriculture, les associations de chasseurs. Dans le respect de l'équivalence écologique, il s'est avéré intéressant d'alterner la jachère avec la mise en place de haies, de bouchons et de bandes enherbées. Les conflits ont été apaisés.
La compensation est une véritable occasion pour l'agriculteur de jouer un rôle dans la préservation de l'environnement, tout en gagnant un revenu complémentaire. Les sommes ne sont pas très élevées et ne pousseront pas un agriculteur à produire des papillons plutôt que du blé. Pour que la compensation soit réussie, il faut que chacun soit raisonnable et construise ensemble la solution, en conjuguant intérêt général de la biodiversité et intérêt particulier de l'agriculteur.
Enfin, notre logique est de privilégier la contractualisation plutôt que l'acquisition de terres.
Constatez-vous deux poids, deux mesures entre les grands projets qui suscitent l'intérêt de l'État et les petits projets auquel il est plus indifférent ? On a parfois l'impression que plus le projet est petit, plus l'État est soucieux de la qualité des mesures de compensation.
Quels sont les coûts d'investissement et les coûts de fonctionnement des mesures de compensation ?
Avez-vous le sentiment que l'État joue son rôle de contrôleur ?
Les mesures de compensation participent-elles à l'approche environnementale des territoires, telle que la trame verte et bleue ? Quelle est l'échelle de proximité ?
Pour l'heure, nous, opérateur de compensation, ne sommes pas contrôlés par l'État en tant que tel. C'est l'aménageur qui l'est. Nous travaillons pour l'instant sur des petits projets et constatons une grande hétérogénéité du contrôle selon les territoires. Dans certains cas, nous constatons un militantisme administratif où l'État veut imposer ses mesures de compensation, tandis que dans d'autres cas, c'est presque l'indifférence.
Vous m'interrogez sur la proximité. Alors que nous travaillions sur un projet de plantation d'arbres, nous avons appris que la commune avait un projet d'infrastructure paysagère. Nous prévoyons de trouver une cohérence entre les deux projets - ce n'est pas une obligation.
Notre accompagnement étant sur-mesure, il peut être délicat d'en chiffrer le coût. Toutefois, ce peut être de l'ordre de 10 000 euros par an pour bénéficier de l'accompagnement d'un opérateur de compensation.
Ce chiffre concerne un petit projet d'une dizaine d'éoliennes.
Quelle proportion du coût global du projet cette somme représente-t-elle ?
Je vous ferai parvenir le détail par écrit.
L'obligation de résultat est impossible à tenir sur du vivant, qu'il soit végétal ou animal. Elle dépend de nombreux facteurs.
Mme Hernandez-Zakine suggérait de raisonner en obligation de constitution d'un milieu plutôt qu'en nombre d'individus.
En Loire-Atlantique, la terre n'est pas chère, elle est vendue 1 400 euros par hectare. C'est beaucoup moins cher d'acheter de la terre que de dépenser 10 000 euros par an pour compenser.
En Loire-Atlantique, la Brière est en train de se fermer, à cause de l'absence d'agriculture et de la prolifération de la jussie. Pourquoi se préoccuper de quelques hectares quand on a laissé 5 000 hectares disparaître de notre territoire ? N'est-on pas en train de créer des obligations pour les petits projets en fermant les yeux sur les grands sujets ?
Le chiffre de 10 000 euros est un simple indicateur. Le coût dépend du territoire et des mesures.
Je le répète, l'obligation de résultat est impossible à tenir s'il s'agit d'un nombre précis d'individus. Il faut plutôt réfléchir en termes de dynamique positive.
Combien de contrats avez-vous signé avec des aménageurs ? Vous devez faire vivre quarante collaborateurs.
Notre cabinet ne vit pas que de la compensation. Nous avons 300 000 euros de contrats. La compensation est un marché dans la mesure où il y a une offre et une demande, mais il est réduit. Notre société a choisi d'y participer car il s'agit d'une activité symbolique qui rapproche agriculture et écologie.
L'activité d'un grand groupe comme InVivo garantit la présence d'experts auquel un opérateur indépendant ne pourrait pas recourir.
En effet. En outre, nous avons accès aux chambres d'agriculture et aux agriculteurs en général.
La compensation est une mission que nous souhaitons remplir.
Pourquoi ne travaillez-vous pas sur de grands projets ? N'y avez-vous pas accès ?
Les grands aménageurs intègrent l'expertise au sein de leur propre structure. Nous sommes en contact avec eux pour des démarches complémentaires.
Avez-vous connaissance de projets dont les coûts de compensation étaient tels que l'aménageur a préféré y renoncer ou le modifier ?
Les opérateurs de compensation devront-ils être certifiés ?
Je ne connais pas de cas de renoncement ni de modification.
Oui, la certification serait positive puisque nous sommes dans une dynamique de professionnalisation.
L'agrément n'a pas été inscrit dans le texte de loi pour que les agriculteurs puissent être opérateurs. Peut-être faudra-t-il distinguer petits et grands projets.
L'installation d'une éolienne nécessite un trou de 1 000 mètres cube alors qu'on interdit des puits de 3 mètres de profondeur. Les éoliennes sont une atteinte suffisante à l'environnement pour qu'on n'impose pas d'autres problèmes en plus.
Nous recevons M. Pascal Férey, secrétaire adjoint de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA), Mme Morgan Ody agricultrice, et M. Bernard Breton, animateur foncier, de la Confédération paysanne, M. Alain Sambourg, vice-président de la section « CR77 » de Coordination rurale, Mme Christiane Lambert, vice-présidente, et Mme Kristell Labous, responsable des affaires juridiques de l'environnement, de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), et M. Guillaume Darrouy, membre du conseil d'administration des Jeunes Agriculteurs.
Cette commission d'enquête a délimité un double cadre pour ses travaux : d'une part, elle étudiera les mesures d'anticipation, les études préalables, les conditions de réalisation et le suivi dans la durée des mesures de compensation ; d'autre part, elle analysera quatre cas spécifiques, quatre projets d'infrastructures : le suivi des mesures mises en oeuvre dans le cadre de la construction de l'autoroute A65, la réalisation en cours des mesures de compensation du projet de LGV Tours-Bordeaux, les inventaires et la conception des mesures de compensation pour le projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes, et enfin la réserve d'actifs naturels de Cossure en plaine de la Crau.
Je rappelle que tout faux témoignage et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, soit cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende pour un témoignage mensonger.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Pascal Férey, Mme Morgan Ody, M. Bernard Breton, M. Alain Sambourg, Mme Christiane Lambert, Mme Kristell Labous, M. Guillaume Darrouy prêtent serment.
Ils déclarent aussi ne pas avoir de lien d'intérêt avec aucun des quatre projets mentionnés ci-dessus.
La compensation écologique est perçue comme une obligation réglementaire par les agriculteurs. Les premières expériences ont été peu concluantes. Depuis, la réussite de certaines opérations a fait quelque peu évoluer le regard. La loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages a instauré les obligations réelles environnementales et a reconnu le rôle des agriculteurs dans le maintien de la biodiversité. Des initiatives professionnelles pour définir des contrats de prestation de services environnementaux ont vu le jour. Nous regrettons toutefois que l'accent ne soit pas assez mis sur les autres mots de la séquence « éviter-réduire-compenser » (ERC). Eviter est essentiel. Limiter la consommation de foncier permet de réduire les pertes de biodiversité et de potentiel économique. Réduire est aussi important.
La compensation est parfois perçue comme une contrainte. Il y a des confusions entre les responsabilités du maître d'ouvrage et celles des agriculteurs. Le maître d'ouvrage doit compenser, mais c'est sur les terres de l'agriculteur. La confusion est maximale quand l'État est maître d'oeuvre, car il cherche à compenser en périphérie, comme ce fut le cas pour des opérations de contournements ou pour la construction de routes nationales. Les impacts économiques ou logistiques, lorsque des exploitations sont fragmentées, doivent faire l'objet d'une estimation précise. On ne comprend pas toujours le coefficient multiplicateur. Dix pour un, c'est souvent excessif ! La règle du « un hectare pour un hectare » devrait prévaloir. La concertation en amont avec les agriculteurs doit être améliorée ; les chambres d'agriculture se sont dotées de services d'aménagement qui travaillent en lien avec les syndicats agricoles. Il conviendrait aussi d'associer les agriculteurs à la réalisation des inventaires d'espèces. Les chambres d'agriculture et les organisations agricoles disposent d'experts compétents. Enfin, pour que les compensations soient opérationnelles, les agriculteurs doivent être associés à la rédaction des cahiers des charges.
Nous sommes attachés à un cadre juridique stable. Les contrats de prestation de services environnementaux sont une avancée en ce sens. La profession s'est mieux organisée. Aujourd'hui on parle de marché de compensation. N'oublions pas que les agriculteurs sont des acteurs de la compensation, des producteurs de biodiversité. Celle-ci a de la valeur. Si l'on nous demande des mesures supplémentaires en faveur de la biodiversité, il est normal de rémunérer ce travail utile à la société et de compenser les éventuels surcoûts. Nous sommes attachés au caractère volontaire et opposés à l'acquisition foncière par le maître d'ouvrage car il est possible de concilier l'activité agricole et la restauration de la biodiversité. Partout, dans le Finistère, le Loir-et-Cher ou la Marne, les responsables des fédérations départementales tiennent des réunions locales pour présenter les contrats de prestation pour services environnementaux. Les agriculteurs prennent conscience que la biodiversité est une richesse à préserver et qu'ils ont un rôle à jouer en la matière. La loi sur la biodiversité a facilité cette reconnaissance.
Les organisations agricoles doivent être associées en amont. Lorsque les maîtres d'ouvrage réduisent la concertation, ils créent les germes du conflit. Les interlocuteurs ne manquent pas : chambres d'agriculture, syndicats agricoles, bureaux d'études locaux, etc. L'acquisition foncière est souvent une solution de facilité. Elle pose aussi des problèmes de responsabilité.
La loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages a créé les obligations environnementales. Elles étaient présentées à l'origine comme une servitude, une obligation sans contrepartie ; aujourd'hui il est écrit qu'elles peuvent donner lieu à des contrats de prestation de services environnementaux. La FNSEA est en première ligne pour expliquer la démarche aux agriculteurs. Enfin, beaucoup de terres sont exploitées en fermage : dans ce cas, le fermier doit être aussi associé.
Je suis exploitant dans une région classée Natura 2000. Je connais bien les compensations écologiques. Tout d'abord si l'on parle de compensation, c'est que l'évitement et la réduction n'ont pas été suffisants. Pour les agriculteurs, la compensation, c'est un peu la double peine : on leur prend des terres pour réaliser des projets d'intérêt général, et on compense en prenant d'autres terres agricoles. Le mode de calcul du coefficient est opaque. Les donneurs d'ordres devraient le justifier car son caractère inflationniste pose problème. L'expérience montre aussi que les donneurs d'ordre, qu'il s'agisse de l'Etat ou des collectivités territoriales, sont souvent très exigeants avec les agriculteurs et beaucoup moins avec eux ! On pourrait faire appel à d'autres structures que les bureaux d'études ou les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement pour valider les documents préalables aux aménagements ; le Muséum national d'histoire naturelle, par exemple, qui est compétent pour les territoires Natura 2000, a l'expertise nécessaire.
Les compensations fluctuent en fonction des territoires et des sites : en zone viticole classée, la compensation en périmètre immédiat sera plus légère qu'ailleurs. À l'inverse, dans ma région, classée Natura 2000, le coefficient était de dix pour une opération de contournement urbain ! Les opérateurs sont arrivés, via la société d'aménagement foncier et d'établissement rural, avec un chéquier pour racheter les terres et ont fait flamber le prix du foncier. Non seulement les terres agricoles ont fondu mais leur prix a augmenté...
Prévoir une consultation publique, c'est bien. Encore faut-il que les documents soient compréhensibles ! Beaucoup de ces documents font des milliers de pages, en petits caractères, et sont techniques et inintelligibles, même pour des experts. La transparence doit aussi s'accompagner d'une bonne gouvernance. Être élu ne dispense pas d'expliquer son action. Trop souvent, lors des débats publics, les partisans et les adversaires du projet se mobilisent, mais 90% de la population n'a pas voix au chapitre.
Enfin, les projets d'aménagement sont des projets de long terme. Il faut davantage de pédagogie, prendre le temps d'expliquer en amont comment la compensation se fera et dans quel cadre. Les agriculteurs ne pourront indéfiniment supporter toutes les contraintes sans compensation financière. Les agriculteurs sont des producteurs de biodiversité. Il est normal que la société rétribue leur prestation.
La compensation des atteintes à la biodiversité concerne toutes les modifications de l'environnement, sur le plan écologique comme humain. Elle doit être définie sur la base d'une analyse exhaustive des mutations provoquées par un projet d'aménagement. Toute opération d'urbanisme en milieu rural crée des obligations pour les agriculteurs : restriction de l'usage des produits phytosanitaires, réduction des bruits, des odeurs, etc. Cela accroît leurs charges financières. Les agriculteurs doivent être associés à la procédure de détermination des préjudices et participer aux audits initiaux. Ces analyses doivent être réalisées dès l'étape de faisabilité, avant l'établissement des plans de financement, afin que leur coût financier soit bien inclus dans le calcul de rentabilité. On s'aperçoit trop souvent, après coup, que les crédits manquent pour les opérations de compensation. Les nuisances des projets pour le monde agricole sont sous-estimées par les services de l'Etat. Les indemnisations en cas d'expropriation sont trop faibles au regard de la dégradation irréversible de l'outil de travail. Les conséquences pour les pratiques agricoles doivent aussi être analysées à long terme. Les charges de production augmentent à cause de la création de zones non traitées, de la modification des horaires de travail ou de circulation de véhicules. Là encore, les agriculteurs sont pénalisés.
On constate aussi que plusieurs équipements ont provoqué un développement des plantes indésirables comme les renouées du Japon, les berces ou les chardons. Les sols sont vivants et captent le carbone. Le compte n'y est pas quand on transforme une terre agricole en route et que l'on compense avec une terre inculte ou polluée : la surface est identique mais le comportement du sol sera très différent. Je m'alarme aussi quand on remplace une terre capable de capter du carbone par des sols imperméables où l'eau ruissellera, entrainant des pollutions. L'agriculteur rend service à la collectivité grâce à l'activité biologique de ses sols. Ne l'oublions pas.
Merci d'avoir pris l'initiative de cette commission d'enquête. Pour la Confédération paysanne, la compensation est un leurre. Elle intervient parce que l'on n'a pas su éviter ni réduire. A ce titre, elle est toujours un échec pour la biodiversité. Plusieurs études scientifiques remettent ainsi en cause l'idée selon laquelle il serait possible de compenser la destruction d'un écosystème par la restauration d'un écosystème équivalent.
La compensation évidemment un marché. Le succès actuel des mécanismes de compensation au niveau international est dû à la création d'un nouveau marché juteux. On donne artificiellement une valeur marchande aux milieux naturels, à chaque mare, aux abeilles, etc. Les milieux financiers et les bureaux d'études se frottent les mains, mais les paysans à travers le monde sont inquiets. Donner une valeur monétaire aux richesses naturelles risque de les exclure encore davantage et de les marginaliser. Si nous ne pouvons plus acheter la terre ou accéder à l'eau, nous ne pourrons plus travailler. Or, ce sont les agriculteurs qui sont les meilleurs garants de la biodiversité. Lorsque l'open field céréalier remplace le bocage ou que des activités pastorales de montagne disparaissent, des écosystèmes disparaissent également. La biodiversité suppose le maintien de paysans nombreux sur tout le territoire. Or, les mesures compensatoires n'aident pas les paysans, elles les excluent. Ainsi les constructions du campus du plateau de Saclay ont-elles été compensées par la création de bassins de rétention d'eau, grâce à l'expropriation d'autres agriculteurs. Mais les terres agricoles ne sont pas illimitées ! On compense l'atteinte à une terre en prélevant les terres d'un autre agriculteur... C'est un jeu à somme nulle.
La Confédération paysanne plaide pour un processus territorial de proximité qui associe mieux les agriculteurs. Nous sommes opposés aux réserves d'actifs naturels et à tous les processus de financiarisation qui permettent aux bétonneurs de s'affranchir de la consultation des populations. La suspicion pèse sur la compensation car les phases d'évitement et de réduction sont négligées. A Sivens il a fallu un mort pour que l'on étudie enfin un projet alternatif ! À Notre-Dame-des-Landes, les pouvoirs publics refusent de prendre au sérieux la possibilité d'améliorer l'aéroport de Nantes-Atlantique. Si l'on respectait la séquence « ERC », les projets consommant le moins d'espaces naturels et agricoles devraient pourtant être privilégiés, mais ce n'est jamais le cas. L'Etat manque d'impartialité, faute d'une séparation fonctionnelle entre les services chargés d'autoriser un projet et ceux qui doivent l'évaluer sur le plan environnemental. C'est le préfet qui assure ces deux missions, avec de fortes pressions politiques. Les conflits d'intérêts sont nombreux. Le préfet qui a attribué le chantier de Notre-Dame-des-Landes à Vinci est devenu salarié de cette société ! À Sivens, la Compagnie d'aménagement des coteaux de Gascogne, société mixte dont beaucoup d'élus locaux sont administrateurs, a réalisé les études concluant à la nécessité d'un barrage et a été désignée, par les élus, pour construire l'ouvrage et pour assurer la gestion de la ressource. Juge et partie !
La loi sur la biodiversité a renforcé la compensation sans renforcer l'évitement ni la réduction. On a enterré de fait ces deux étapes qui étaient pourtant prioritaires dans la loi de 1976. Cette loi marque un retournement dramatique pour la protection de la biodiversité. Elle favorise les acteurs privés qui achètent des terres pour soi-disant les restaurer et ensuite les revendent aux sociétés qui veulent bétonner. Le risque est de remplacer une politique articulée autour de parcs naturels par une politique menée par des acteurs privés guidés par la recherche du profit à court terme. Dans la plaine de la Crau, la Caisse des dépôts promet une gestion sur trente ans. À Notre-Dame-des-Landes, les mesures compensatoires sont prévues dans le cadre de baux ruraux de neuf ans. Or, il est prouvé que pour restaurer des milieux naturels, il faut au moins une centaine d'années, pour un résultat incertain, alors que ce qui est détruit, le restera.
Les contrats signés avec le propriétaire posent la question du respect du statut du fermage. En empilant les mesures de compensation décidées par le propriétaire, on risque de remettre en cause le libre choix du fermier dans la gestion de sa ferme et de donner des pouvoirs excessifs au propriétaire au détriment du preneur.
Nous estimons que dans le cas des quatre projets qui vous intéressent, l'étude des alternatives a été bâclée, voire oubliée dans la mise en place de la séquence éviter-réduire-compenser. Il faut au contraire renforcer les moyens de l'action locale dans la conception des projets.
Ainsi, l'A65 était-elle bien nécessaire, au vu de sa faible fréquentation ? L'aéroport de Notre-Dame-des-Landes s'imposait-il alors que, d'après une étude sérieuse, il était possible d'améliorer à moindres frais l'aéroport Nantes-Atlantique ?
Quant à la réserve naturelle de Cossure, la création d'un marché de protection de la biodiversité créerait un dangereux précédent. Les politiques publiques, qui ont prouvé leur efficacité, seraient remplacées par des acteurs privés, avec leur logique de court terme. Ne serait-il pas plus simple de faciliter le maintien et l'installation de paysans pratiquant le pastoralisme ? Pour l'instant, la Caisse des dépôts et consignation installe des moutons...
La mise en oeuvre de la séquence éviter-réduire-compenser présente évidemment des enjeux pour le monde agricole. Éviter un aménagement, c'est empêcher une perte de terre agricole ; le réduire, c'est diminuer la perte ; en revanche, introduire une compensation, c'est actionner une chaîne de compensations successives qui impactent plusieurs fois les producteurs - en témoigne l'exemple de la plaine de Saclay.
La transformation des richesses naturelles en marchandises est une menace grave pour les paysans, pour le monde agricole et, au-delà, pour la production alimentaire. Cela nous concerne tous.
L'environnement est pour nous, jeunes agriculteurs, un enjeu essentiel. C'est notre outil de travail, nous sommes attachés à sa préservation. La compensation incombe au maître d'ouvrage, pas aux seuls agriculteurs. Nous y sommes attachés, car il est plus facile de s'en prendre à l'agriculteur à la fin du projet que de l'impliquer en amont. Il est indispensable de dissocier le maître d'ouvrage, qui est juridiquement responsable de la compensation, de l'opérateur, qu'il soit agriculteur ou autre.
L'estimation des impacts d'un projet doit faire l'objet d'une concertation en amont, pour évaluer les éventuelles mesures d'évitement et de réduction ainsi que, si nécessaire, les mesures de compensation. Quand on impose des mesures en fin de projet, les agriculteurs se braquent et le débat devient stérile. Ces derniers doivent être associés à l'élaboration du cahier des charges lors de la première discussion préalable.
La compensation revient-elle à créer un marché ? Je le crains. On voit des opérateurs vendre des mesures de compensation à des porteurs de projet, ou apparaître dans les commissions d'acquisition du foncier. Cela suscite des réactions très négatives des agriculteurs. La terre disponible ne doit pas être réservée à la compensation, mais destinée en priorité à l'installation de jeunes agriculteurs. Il faudra faire preuve de vigilance pour éviter que le foncier agricole ne devienne un puits sans fond. En cent ans, l'espace forestier a doublé, alors que l'espace agricole s'est réduit.
Les agriculteurs sont un vecteur de biodiversité, quel que soit leur mode de production. Quand on crée des ressources en eau, on peut aussi créer de la biodiversité - je pense au barrage de Sivens. La compensation peut offrir des opportunités à un jeune agriculteur qui s'installe, mais dans un cadre bien défini juridiquement. Le risque principal est celui d'une financiarisation de la compensation. Il faut écouter les agriculteurs, ils ont leur mot à dire sur les projets.
La co-construction doit être engagée avec tous les acteurs, en impliquant d'abord les personnes proches du site ; je ne vois pas quelle est la légitimité d'individus qui vivent à des centaines de kilomètres, comme les zadistes à Sivens.
Quant aux mesures à destination du grand public, j'ai du mal à me faire une opinion sur la base d'un dossier de 1 700 pages. Nous sommes nombreux à ne pas avoir l'instruction nécessaire pour l'analyser et déterminer si les mesures proposées sont à la hauteur de l'enjeu.
Plutôt que de nous demander ce que nous proposons ou ce que nous faisons déjà en matière de biodiversité, les services de l'État nous tirent dessus à boulets rouges.
Les agriculteurs, producteurs de biodiversité, ont beaucoup à apporter. Nous demandons que l'État joue le rôle de cheville ouvrière de la protection de l'environnement ; qu'il alerte et sensibilise les opérateurs sur le fait que l'on n'achète pas du foncier seulement pour remplir des obligations réglementaires. Éviter-réduire-compenser ne doit pas se réduire à un drapeau que l'on lève pour montrer qu'on a écouté les environnementalistes.
Le dispositif actuel n'est pas mauvais, à condition que l'on sache s'en servir. La loi a reconnu les services environnementaux rendus par les jeunes agriculteurs ; il faudra le traduire au plan économique. Nous sommes tout autant attachés au foncier qu'à l'environnement.
Pour conclure, j'espère que cette table ronde ne sera pas qu'une réunion de plus, et qu'elle permettra d'intégrer davantage la profession agricole et de l'associer à l'ensemble de la démarche.
Notre commission d'enquête se donne pour objectif de mesurer l'efficacité et l'effectivité de la loi sur toute la séquence ERC, et pas seulement sur la compensation.
Un mot sur l'utilisation des friches industrielles et des sites militaires abandonnés, question qui a été largement abordée lors de l'examen de la loi biodiversité. Nous sommes dans une posture pragmatique : nous sommes conscients que des zones industrielles, des zones artisanales et des voies de communication sont nécessaires pour désenclaver et créer de l'activité ; il faut par conséquent éviter et réduire autant que possible mais il restera toujours une part pour la compensation.
Nous sommes en mesure d'identifier des friches ; de jeunes agriculteurs ont lancé une opération appelée « Les délaissés », consistant à semer du blé pour donner la récolte à des associations caritatives.
La superficie des friches identifiées est parfois très importante ; il faut les valoriser en priorité. Dans la Marne, un terrain militaire désaffecté, la base 112, a été reconverti, à l'initiative de la FDSEA et avec l'expertise de la chambre d'agriculture, en « ferme 112 », un espace dédié à l'expérimentation et à l'innovation agricoles, en mobilisant des moyens publics et privés. Autre initiative, la FDSEA de l'Oise a participé à l'identification du domaine foncier public abandonné pour les mesures de compensation prévues dans le cadre du projet de canal Seine-Nord. Ces domaines pourraient être utilisés pour la création de serres ou de fermes verticales. Ces projets, dont l'ampleur est réelle, ont vocation à se substituer à la gestion très dispendieuse du foncier qui a longtemps prévalu.
Les DREAL continuent à privilégier l'acquisition pour assurer la pérennité du foncier. Or nous considérons que cette question a été réglée par la loi biodiversité, notamment dans le cadre des obligations réelles environnementales transmissibles. L'administration doit donc changer de logiciel.
Pour le repérage des friches, nous disposons d'outils comme les PLU et les SCoT, ainsi que l'acquisition par les collectivités, désormais conscientes de la rareté et de la cherté du foncier. Il s'agit de mettre en place une approche plus globale et anticipée, notamment avec les Safer.
La compensation est là ; il faut faire avec et procéder avec pragmatisme plutôt que par idéologie ou idéalisme, en impliquant tous les acteurs dans les départements.
Un recensement exhaustif des friches a été lancé dans les Landes par la chambre d'agriculture. Un grand nombre de surfaces dépérissent. Les mesures de compensation pourraient commencer par la conservation de ce type d'espaces, ce qui permettrait de rétablir du foncier agricole dans certaines zones.
Notre commission d'enquête cherche à dégager un équilibre et une vision cohérente entre des acteurs aux intérêts parfois divergents. Je prends vos remerciements à l'ouverture de cette réunion comme un encouragement pour nos travaux dont, nous l'avons constaté hier, la complexité est grande, notamment au plan juridique.
Vous semblez d'accord pour défendre le caractère prioritaire des deux premiers termes de la séquence : éviter et réduire. Il convient avant tout de maintenir le foncier agricole ; et pour cela, de faire en sorte que les aménageurs s'inscrivent dans cette démarche. Ainsi, tel maître d'ouvrage pourrait être tenté de préférer un parking simple à un parking en silo si le foncier n'est pas cher. Les contraintes liées à la compensation pourraient au contraire conduire les opérateurs à privilégier la séquence éviter-réduire. Votre avis sur cette question nous intéresse ; les positions idéologiques peuvent diverger, mais nous recherchons des éléments opérationnels. Dans le cadre de l'enquête coût-bénéfice, évitons aussi que la valeur attribuée aux terrains soit honteusement insuffisante.
Les délais de la compensation font l'objet d'intérêts et d'enjeux qui s'affrontent. Vous convenez tous que, pour être efficace, la compensation doit s'inscrire dans la durée. Or les agriculteurs sont inquiets des engagements de contractualisation dans la longue durée. Quelle est votre vision de cet arbitrage ?
Les friches peuvent être utilisées dans le cadre de la compensation, mais elles ne représentent pas toujours une équivalence écologique satisfaisante. Le partenariat éventuel avec le Muséum national d'histoire naturelle, que vous avez cité, est intéressant. Comment percevez-vous l'approche de la biodiversité qui repose, en France, sur le concept de trame verte et bleue ? Cela assure la cohérence globale des écosystèmes mais représente aussi une contrainte potentielle : tous les territoires n'ont pas la même valeur, en termes de compensation comme de fonctionnement.
Enfin, que serait, selon vous, une fourchette satisfaisante pour la valeur du service rendu par l'agriculteur dans une logique de compensation ?
Les aménageurs communiquent beaucoup plus sur la compensation, à l'aide de belles brochures, que sur l'évitement. Une comptabilisation des hectares évités aurait un effet incitatif. De plus, la communication des aménageurs ignore souvent les actions de compensation engagées par les agriculteurs eux-mêmes.
Le centre commercial Atoll Angers a enseveli un hectare de zone humide. L'aménageur proposait une compensation à hauteur de seize hectares ; mais, après des échanges avec la chambre d'agriculture et les associations de défense de l'environnement, il a été jugé préférable de mettre en place quatre hectares de zone humide dans de meilleures conditions. Le résultat a satisfait toutes les parties prenantes.
La loi du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture a introduit le concept de compensation collective agricole. L'indemnisation ne suffit pas toujours pour des opérations susceptibles de déstructurer l'économie agricole. Ainsi, 25 hectares en moins d'emprise foncière pour la coopération ou le négoce se traduisent par une baisse de chiffre d'affaires et des surcoûts logistiques. La compensation collective agricole oblige l'aménageur à compenser aussi cela. Ainsi, un rééquilibrage entre compensation de la biodiversité et compensation du potentiel de production peut être envisagé, permettant des études d'impact plus globales et fidèles à la réalité.
Pour être efficace, la compensation doit s'inscrire dans la durée. Pour cela, elle doit être rémunératrice. Les agriculteurs ne sont pas habitués à une indemnisation à juste valeur... Dans le cadre du contrat d'agriculture durable (CAD), successeur du contrat territorial d'exploitation (CTE), les surcoûts liés aux mesures agro-environnementales sont calculés et l'indemnisation est fixée à un niveau attractif pour l'agriculteur. Il convient d'associer les acteurs agricoles et les experts qui les représentent très en amont, dès la phase du calcul de l'indemnisation.
Les mesures de protection pour le grand hamster d'Alsace ont conduit les agriculteurs à convertir des hectares de maïs en hectares de blé ou de prairie. Le coût de ces conversions est facile à calculer. L'agriculteur qui l'accepte sera plus enclin à l'inscrire dans la durée si la compensation financière est à la hauteur. C'est donc avant tout une question de moyens mobilisés.
Comme pour les circuits courts, on veut à la fois l'apport écologique et un prix au rabais. Or la biodiversité a un prix - et celui qui doit le payer est le demandeur de biodiversité. Les espaces que l'on veut protéger ont une valeur ; il est d'autant plus opportun de le rappeler que le chiffre d'affaires agricole a baissé de cinq milliards d'euros l'année dernière.
Sur les quatre dossiers qui nous intéressent, considérez-vous que les mesures de compensation proposées par les opérateurs sont raisonnables ?
Sur la réserve de la Crau, la discussion a été difficile. C'était une approche nouvelle avec, pour les agriculteurs concernés, un sentiment de dépossession. De plus, ils n'étaient pas préparés à la négociation avec la Caisse des dépôts et consignations, qui en a tiré avantage. Désormais, les chambres d'agriculture conduisent des études d'impact globales.
La concertation s'est mieux déroulée dans le cas du grand hamster d'Alsace. Quant à Notre-Dame-des-Landes, le sujet est tellement polémique qu'il est très difficile de se faire une opinion. Pour répondre à votre question, je ne connais pas les propositions financières sur ce dossier. Quel espace serait concerné ? Nous n'avons pas d'éléments assez précis.
La ligne à grande vitesse Tours-Bordeaux avait fait l'objet d'une véritable négociation entre Réseau ferré de France (RFF) et les agriculteurs ; mais RFF a accordé une concession à Vinci. La compensation négociée, avec la participation de la chambre d'agriculture, avait satisfait les agriculteurs. Sera-t-elle maintenue ? Point important, la compensation a été homogène entre agriculteurs. Pour éviter la concurrence, il convient de formuler une proposition pour l'ensemble du territoire, en fonction des actions proposées par les agriculteurs. Si le prix du foncier est trop élevé dans certains endroits, certains propriétaires pourraient être tentés de ne plus mettre leurs terres en fermage.
L'A65 a fait l'objet d'une négociation avec les propriétaires-exploitants. Le montant négocié était, d'après mes informations, très attractif. Dans toutes ces situations, le prix résulte d'un équilibre à trouver.
J'en conclus que la compensation reste hétérogène entre ces différents dossiers.
Elle l'est encore plus sur les autres dossiers dont j'ai connaissance. Lorsque des baux à clauses environnementales sont passés, les agriculteurs ne touchent pas de rémunération. Pour nous, ce n'est pas une solution durable. Le bureau d'études Dervenn, en Bretagne, privilégie les contrats en traitant directement avec les agriculteurs. Enfin, sur la ligne à grande vitesse Nîmes-Montpellier, les discussions avec RFF se déroulent bien, mais le prix du foncier a augmenté.
Nous avons passé en 2016 une convention avec SNCF-Réseau pour la mise en place de la séquence éviter-réduire-compenser en amont, suite aux griefs exprimés. Il y a, en la matière, un conflit historique à lever.
Travailler sur la partie « éviter-réduire » est essentiel, d'autant que la France ne respecte pas toujours les obligations européennes en matière d'étude de solutions alternatives. Il convient d'intégrer celles-ci dès le début de la consultation et de prendre en compte les propositions des acteurs locaux.
Je regrette que la loi biodiversité n'ait pas tenu compte de cette dimension, d'autant que les défauts de la procédure ont donné lieu à des conflits. Aujourd'hui, l'État arrive avec un projet dont tout le monde sait qu'il sera retenu à l'issue de la consultation ; du coup, le public y voit une farce et n'y participe pas.
Nous sommes opposés, vous l'aurez compris, au principe même de la compensation. Il faut aussi reconnaître et quantifier la perte écologique. Prétendre que la compensation l'annule, c'est faire preuve de duplicité - comme pour la taxe carbone : un trajet en avion compensé n'est pas neutre pour autant.
Concernant les friches, nous estimons préférable de construire la ville sur la ville, en assumant le coût que cela représente. Arrêtons de considérer les terres agricoles comme des déserts. Il faut au contraire les sanctuariser autant que possible, et compenser la perte si on ne le peut pas.
La fourchette de prix que vous évoquez n'est pas dans notre logique. Nous ne voulons pas que les paysans deviennent des faire-valoir pour les bétonneurs, bons à compenser les destructions des autres. Ils ont un rôle à jouer dans la biodiversité. Nous voulons être rémunérés pour produire !
Privilégions la partie « éviter-réduire ». Lorsqu'une collectivité vient annoncer à un agriculteur une déviation, elle doit la justifier de manière argumentée, définir le cadre et les besoins dans le temps. Si ce socle n'est pas assuré, l'aménageur ne cherchera jamais à éviter ni à réduire. Pour chaque projet, l'État doit préciser par écrit quelles mesures il a envisagées pour éviter les atteintes à la biodiversité, et pourquoi il ne les a pas retenues.
Le traitement de la durée dépend des mesures prises. On pourrait s'apercevoir, cinq ans après, qu'elles n'ont servi à rien. Autre problème, la transmission des contrats et de la compensation. Il me semble difficile d'imposer à un agriculteur qui s'installe les compensations contractualisées par son prédécesseur - surtout quand le porteur de projet a fait l'objet d'une liquidation judiciaire ou a cessé son activité. La durée impose la prudence. Certains propriétaires et agriculteurs pourraient être tentés de toucher l'enveloppe, et advienne que pourra... La rétention foncière est un problème pour le fermage, quand on sait combien l'installation par acquisition est rare. Elle pourrait également avoir un impact sur le marché du foncier. Autour de Nice, les prix atteignent déjà des niveaux astronomiques, et devraient encore monter.
La concertation sur les trames vertes et bleues a été insuffisante au niveau local. La concertation a eu lieu au niveau régional ; ensuite, on a rédigé des guides envoyés aux bureaux d'études pour intégration dans les documents d'urbanisme. Il faudrait établir aussi un cahier des charges et engager une démarche de construction avec les chambres consulaires, notamment les chambres d'agriculture. Si la trame verte et bleue est décidée depuis Bruxelles ou même au niveau de la Région, c'est beaucoup plus compliqué.
La valeur du service rendu doit être calculée en évaluant précisément les efforts financiers, humains, stratégiques et économiques demandés à l'agriculteur. Si cela représente un risque économique, il doit être aidé. La valeur peut par conséquent aller du simple au double ; tout dépend de ce que l'on cherche à protéger. Il est hors de question d'imposer - comme c'est le cas actuellement - des contraintes environnementales supplémentaires ; et les agriculteurs volontaires doivent y trouver une contrepartie, d'autant que, comme nous le savons, leur situation est de plus en plus difficile.
Après un délai, les terres mobilisées sous forme de réserve foncière doivent être rendues à l'agriculture. Certaines zones artisanales sont en friche depuis quarante ans ! Le prix d'un mètre carré varie d'un euro à 150 euros, ce qui exclut l'installation d'agriculteurs. Lorsqu'il atteint 300 euros, comme en région parisienne, comment s'étonner que des exploitants proches de la retraite soient tentés de vendre à des acheteurs chinois ou arabes ? Si nous voulons un paysage agricole, à vous de jouer ! La compensation agricole est dans les cordes des agriculteurs. La compensation environnementale est un autre métier, qui doit faire l'objet d'une rémunération proportionnelle à la surface et garantie dans le temps. L'État a compensé, dernièrement, pour une entreprise italienne ayant contribué à l'exposition universelle de Milan. Il peut donc aussi compenser un changement d'activité. Quant aux friches, s'il s'agit de terres agricoles, elles doivent le redevenir. On peut se donner les moyens pour transformer des terres agricoles en zones humides, en formant et en rémunérant l'agriculteur chargé de les entretenir. Ce qu'il faut, c'est évaluer la biodiversité détruite par une construction, pour calculer la compensation. Et c'est bien celui qui détruit la biodiversité qui doit en assumer la charge.
Chaque collectivité territoriale a des obligations. En 2007, 160 000 hectares de friches industrielles ou artisanales étaient inutilisés en France. Cela peut être dû à de la spéculation, mais aussi à des questions de complexité : critères de dépollution, documents d'urbanisme faisant obstacle ad vitam aeternam... Des opérations financières non négligeables sont réalisées par les collectivités territoriales. A Melun-Sénart, la terre agricole achetée 20 000 ou 30 000 euros se vend 350 000 ou 400 000 euros une fois constructible. Et ce sont les exploitants agricoles qui doivent accepter la compensation suite à ce type d'opération ! Les hectares de terres périurbaines ont de la valeur, et il faut en tenir compte.
Qui a qualité pour définir un coefficient multiplicateur ? Il faudra tôt ou tard organiser le marché de la compensation pour éviter la spéculation. Le même agriculteur qui réclame la protection du code rural tant qu'il est actif ne se prive pas, la retraite venue, de proposer ses terres à la collectivité. Trêve d'hypocrisie : sans organisation, les marchés parallèles se développeront. J'ai les plus grandes réserves sur de grosses opérations comme la constitution de la réserve d'actifs naturels de la Crau. Les structures de grande taille disposent de moyens importants et présentent des projets de rêve. Pour être acceptée, la compensation écologique doit rester supportable et être bien expliquée.
La maîtrise du foncier est en sujet important. Quand le conservatoire du littoral achète du foncier, celui-ci ne peut plus être mis en fermage. La seule option est une convention de mise à disposition, c'est-à-dire la précarité. Dans la Manche, plusieurs centaines de milliers d'hectare sont détenus par le conservatoire du littoral. Lorsqu'un agriculteur part à la retraite, le cahier des charges peut changer du tout au tout. Écartons-nous le moins possible du statut du fermage.
La loi montagne a été l'occasion d'évoquer le problème de l'enfrichement des terres, gagnées même par la forêt. En 65 ans, la forêt a largement reconquis le Massif Central, par exemple. Mais quels sont les dispositifs de soutien pour un jeune agriculteur qui voudrait renverser cette tendance ? Y a-t-il des indemnités, des compensations ? Quid des retenues d'eau ? Il faudrait comparer aux compensations exigées autrefois. Dans ces zones, l'agriculteur ne fait souvent que restaurer un état antérieur. Pourquoi des taxes de défrichement ?
Je suis sensible à la double peine dénoncée par les agriculteurs : sur 70 hectares, lorsqu'on vous en prend dix pour un projet, dix hectares supplémentaires sont mobilisés pour la compensation. S'il est acceptable, dans une société démocratique, de sacrifier une part de ses terres à l'intérêt général, il semble plus difficile de renoncer en plus à une surface équivalente pour de la compensation.
Une première piste serait de renoncer à certains projets, moins pertinents que d'autres. Nous n'avons qu'une économie agricole, et il est chimérique de prétendre la remplacer par des cultures réalisées en ville ou sur nos balcons. Il est difficile de discuter de cette double peine. L'intitulé même de notre commission d'enquête trahit une certaine gêne, qui ne mentionne ni réduction ni évitement. Il faudrait pourtant regarder le problème en face. Or je n'ai jamais vu d'analyse d'évitement. Une tranchée de 105 kilomètres va traverser la Somme, l'Oise et le Pas-de-Calais. Elle est sans doute utile. Mais quelle rupture de continuité écologique ! Résultat : les prix montent, et des hectares d'une des terres agricoles les plus riches de France vont disparaître deux fois - pour la construction, et pour la compensation.
Nous n'avons guère fait d'effort pour atténuer, même temporairement, le double principe d'équivalence et de proximité. Nous avons pourtant des friches à résorber, mais manquons de moyens pour le faire. Cette situation est ubuesque !
Beau plaidoyer pour les terres agricoles ! La loi biodiversité a été débattue pendant deux ou trois ans. Et pourtant, elle comporte d'autres aberrations. Ainsi de l'exigence chimérique d'une perte nette de biodiversité nulle, voire d'un gain ! Comment l'exaucer ? Ce serait une triple ou une quadruple peine ! Est-ce plus grave de perdre un peu de biodiversité, ou beaucoup d'emplois et de production agricole ? Le manque de fermeté dans la contestation de ce point, et l'arbitrage rendu - nous savons par qui - aboutissent à un résultat catastrophique. À quel autre secteur imposons-nous de telles contraintes ? C'est inacceptable.
Défendre le foncier agricole est bienvenu, mais certains élus n'hésitent pas à changer d'attitude face à une entreprise. Pour occuper dix hectares dans l'Oise, Amazon a obtenu son autorisation ICPE en quatre mois. Je ne connais pas d'autre exemple d'un délai si court. Notre pays a connu une utilisation immodérée de foncier. Il faut changer cela, mais avec pragmatisme. Exiger une perte nette de biodiversité nulle, ce n'est pas sérieux !
Si, car cela implique davantage de compensation. Quant à l'articulation des compensations avec les schémas régionaux de cohérence écologique (SRCE), elle nécessite un énorme et minutieux travail d'anticipation.
Autrefois, on ne compensait pas. Positivons ! Cela dit, la compensation de la biodiversité n'existe pas et ne peut exister. Il n'y a qu'un écosystème, qu'on ne saurait remplacer. Considérez-vous que les ventes de terres à des Chinois doivent faire l'objet d'une compensation ? J'avais déposé un amendement empêchant le stockage des déchets du bâtiment dans de la bonne terre agricole. Il m'a fallu convaincre que je n'attaquais pas les agriculteurs, au contraire ! Comment empêcher ce type de projets ? Quelle compensation faut-il prévoir ? Avec le Grand Paris, cela ne va pas s'arranger.
C'est simple : s'il ne peut gagner sa vie, l'agriculteur part. L'enfrichement des terres reflète donc le manque de revenu agricole. Des pétroliers achètent nos forêts pour produire des briquettes. Peut-être est-il plus important de se chauffer que de se nourrir ? Pour nous, les retenues d'eau ne servent qu'à stocker l'eau l'hiver pour l'utiliser en été. En mai et juin dernier, nous avons frôlé la catastrophe à Paris. L'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (Irstea) explique qu'il vaut mieux inonder des terres agricoles que construire un bassin de retenue en aval. C'est plutôt que cela coûte moins cher... Une retenue en aval est pourtant indispensable, notamment pour refroidir la centrale de Nogent.
Compensation des espèces ? En remplaçant des forêts par des pâturages, on change évidemment la faune. Oui, il y a une double peine. Si la compensation est agricole, très bien. S'il s'agit de planter des arbres, c'est autre chose. Les agriculteurs préfèrent produire, et vivre de leur travail.
En effet, il serait bon d'analyser la pertinence des projets. Nous ne manquons certes pas de diplômés pour le faire ! Mais nous voyons bien que les communes sont surtout attentives aux promesses d'emplois. Celles-ci doivent-elles prévaloir sur l'objectif de préservation des terres agricoles ? C'est un choix de société.
Oui, le principe de proximité est compliqué à mettre en oeuvre. Quant à la vente de terres aux Chinois, elle s'explique évidement par la faiblesse des prix offerts par la Safer, combinée aux 3 000 ou 4 000 euros de dettes par hectare que laisse un agriculteur arrivé à l'âge de la retraite. Or les produits qui seront cultivés sur ces terres ne financeront pas les coopératives et autres organismes français, puisqu'ils seront directement exportés en Chine. La meilleure protection serait de laisser nos agriculteurs vivre de leur travail.
Faut-il faire 200 kilomètres pour enfouir ses déchets, ou 60, et les enfouir sous des terres de grande valeur ? Là encore, c'est un débat de société.
Quelle que soit la dimension d'un projet, il faut imposer une étude d'impact fouillée, dégageant une vision globale. L'étude de pertinence est rarement effectuée. En France, le foncier agricole n'est pas cher. C'est pour cela qu'on le gaspille si facilement. Aux Pays-Bas, un hectare coûte 100 000 euros.
Ils parviennent à acquérir des terres avec l'aide des banques. En France, les prix vont de 5 000 à 15 000 euros l'hectare. Cela dit, le prix n'est pas tout. Là où Caen aménage un espace de vente, le prix passe à 300 000 euros l'hectare, ce qui reste peu par rapport aux enjeux économiques. Où faut-il localiser la compensation écologique ? Imposer une proximité stricte restreindrait considérablement les possibilités de certains territoires. Le risque est de voir toutes les compensations localisées sur des terres d'élevage, qui deviendraient le refuge de la biodiversité. Il aurait fallu être plus précis : que signifie « un périmètre proche » ? Le bail environnemental peut être transmis, mais cela laisse-t-il vraiment le choix au successeur ? Des décisions ont été prises à Paris sans que leurs implications sur le terrain soient bien mesurées.
Au-delà des déclarations de principe, et des exposés de cas particuliers, quels remèdes opérationnels suggérez-vous ? Les États-Unis sont allés loin en imposant une équivalence complexe et très régulée. Quelle garantie durable inventer ? Comment fixer la valeur d'une terre agricole au moment de l'enquête coût-bénéfice ?
Les terres acquises par les Chinois restent cultivées, et ne font donc pas l'objet d'une compensation. La Safer n'y est pour rien : ils offrent 20 000 euros par hectare, quand le prix de marché est de 5 000 euros. D'ailleurs, la loi empêche les Safer d'intervenir car les transferts se sont faits par parts de société. C'est pourquoi le député Dominique Potier a déposé une proposition de loi sur le foncier, afin de combler cette faille. Il faut aussi définir le statut d'agriculteur de sorte que cette qualité ne puisse être reconnue à des financiers.
La loi montagne va être votée. Une taxe de défrichement et des compensations seront imposées : les forestiers ont bien négocié. Pour que les agriculteurs ne soient pas pénalisés, nous avions suggéré des amendements, qui n'ont pas été adoptés. Nos tentatives de regagner des espaces de production ont suscité plusieurs décisions défavorables.
Nous proposons une meilleure utilisation des friches et une meilleure estimation de la valeur de la compensation, qui facilitera sa pérennité. Il faudra trouver une solution pour les cas de faillite. Nombre de zones agricoles, à faible potentiel, sont en plein désespoir. L'arrêt de l'élevage les a pénalisées, mais la compensation écologique peut leur apporter des revenus. S'il faut produire de la biodiversité, nous le ferons, à condition que ce soit rentable.
La philosophie même de la loi nous pose problème, qui associe biodiversité et espaces sauvages, alors que celle-ci est liée à l'activité humaine. En montagne, on perd de la biodiversité quand les paysans disparaissent. Aussi faut-il défendre l'agriculture paysanne, en lui assurant des revenus, en la défendant contre le loup, ou en maintenant un réseau de petits abattoirs. C'est indispensable pour préserver une paysannerie sur tout le territoire, qui est la base de la biodiversité. Ne confondons pas compensation environnementale et compensation agricole. Souvent, quand un élu rend constructible une zone agricole, il compense en rendant cultivables des zones naturelles. Et ces terres échoient à de jeunes agriculteurs, qui peinent à les cultiver car leur potentiel agricole est faible.
La vente de terres à des acheteurs chinois ne nous poserait pas de problème si le modèle agricole qu'ils y mettent en oeuvre était différent. Dans la Nièvre, le montage est le même que pour la ferme des mille vaches. La politique de régulation foncière est détricotée par des montages sociétaires. Si nous ne réagissons pas, nos paysans vont disparaître rapidement. Les politiques publiques de défense de l'environnement ne doivent pas être remplacées par des acteurs privés. Avec les contraintes budgétaires actuelles, le risque est fort. La cohérence de l'action publique aurait beaucoup à y perdre.
Enfin, nous sommes très sceptiques sur les bénéfices que les agriculteurs pourraient tirer de l'argent de la compensation.
En effet, au regard des négociations internationales sur la biodiversité menées à l'heure actuelle - la France fait partie d'un programme international sur la compensation de la biodiversité -, il est évident qu'il sera très rapidement beaucoup moins cher d'acheter des réserves d'actifs naturels au Nicaragua ou au Soudan qu'en France.
Je ne crois pas du tout que la création des réserves d'actifs naturels soit une source de revenus potentiels pour les paysans à l'avenir. Au contraire, compte tenu des enjeux financiers, ces dispositions auront des impacts massifs au niveau international - elles en ont d'ores et déjà. C'est un marché très lucratif. Je ne pense pas que nous puissions, en France, nous en laver les mains.
Selon moi, l'inscription des réserves d'actifs naturels dans la loi est potentiellement très dangereuse pour l'avenir.
Monsieur le sénateur Bailly, selon moi, plusieurs éléments expliquent que l'agriculture ait du mal à reconquérir les espaces agricoles : la rentabilité et la rétention foncière de la part des propriétaires, phénomène que l'on ne trouve évidemment pas en montagne, mais plutôt en périurbain et dans certaines zones autour des agglomérations.
Concernant les friches, la procédure de terre inculte est très peu utilisée en métropole. En revanche, elle l'est régulièrement dans les territoires ultramarins. Je pense qu'il y a probablement des choses à améliorer sur ce plan.
On ne peut que vous rejoindre sur la double peine ! Je dirais même qu'il y a souvent une triple peine.
Contrairement à certains, je ne trouve pas normal que les acheteurs chinois rachètent notre patrimoine. Nous défendons une agriculture familiale, pas une agriculture de firme. On ne sait pas qui est l'investisseur chinois, où va partir le bénéfice de l'exploitation... Que peut faire un jeune face à un investisseur chinois qui met 20 000 euros sur la table, quand la Safer ne peut même pas intervenir ?
Je suis d'accord : il faut protéger le foncier. À ce sujet, je vous invite à lire le rapport d'orientation « Foncier : entre avenir et héritage », que les Jeunes Agriculteurs ont fait paraître l'année dernière. Nous y proposons un certain nombre de réponses. Tout le monde doit s'y mettre.
Les parlementaires du groupe Les Républicains ont demandé au Conseil constitutionnel d'annuler toutes les dispositions de la loi Sapin II relatives au foncier, alors que certains nous ont dit, droit dans les yeux, qu'ils étaient d'accord avec nous...
Par ailleurs, pour protéger le foncier, il va falloir définir rapidement ce qu'est un actif agricole. Qu'est-ce qu'un agriculteur ? Ce travail nous servira pour la compensation environnementale. Depuis la loi d'avenir, les Jeunes Agriculteurs l'avaient porté haut et fort. Nous avons été très peu suivis, mais tout le monde commence à le comprendre désormais. J'en suis ravi.
Je veux vous rassurer sur la compensation agricole : les collectivités qui engagent des projets impliquant une perte de terres agricoles ne devront pas automatiquement retrouver des terres agricoles. Très peu de dossiers relèveront du dispositif de la compensation agricole. Nous nous sommes fait enfumer.
Pour finir, je me demande pourquoi, aujourd'hui, en France, on protège mieux l'environnement que l'être humain.
Très souvent, la compensation écologique est réduite à la seule biodiversité.
Dans la commune voisine de la mienne, la création d'une route a été compensée écologiquement par une moindre consommation d'énergie, avec la mise en place d'une chaudière à bois pour chauffer les salles de sport.
La compensation n'est pas forcément surfacique et ne se réduit pas nécessairement à la biodiversité : elle peut porter sur l'air, l'environnement...
Vos propos illustrent la question de l'hétérogénéité, qui a été soulevée hier par les juristes.
S'agissant des commandes, nous attendons avec impatience vos contributions écrites et vos propositions.
Madame Labous, vous avez de toute évidence une vision assez précise des différents contrats qui ont été passés avec des agriculteurs sur un certain nombre de projets. Les éléments d'information dont vous disposez sur les quatre projets qui entrent dans le champ de notre commission d'enquête nous intéressent énormément. On voit bien qu'il y a des opérateurs plus allants, sans les citer à ce stade.
Quid des autres projets ?
Les informations concernant d'autres projets sont aussi importantes : elles nous permettront de disposer de points de comparaison.
Nous avons bien compris que vos approches idéologiques respectives étaient différentes. Ce n'est pas une surprise ! Cependant, sans adhérer obligatoirement au cadre très contraint défini par les lois en vigueur, vous avez peut-être des propositions opérationnelles à nous faire passer par écrit.
Ces propositions et les données dont vous disposez intéressent au plus haut point la commission d'enquête.
Il me semble que, lors de l'examen du projet de loi, on a parlé, à un moment, de « couloir de biodiversité » plutôt que de « trame verte » et de « trame bleue ». Pouvez-vous me le confirmer ?
Les éléments que vous pourriez nous communiquer sur le fonctionnement du Canal Seine-Nord, bel exemple d'une grosse infrastructure à venir, nous intéressent également.
Je vous invite à venir dans notre beau territoire pour découvrir le Canal du Midi, qui a apporté beaucoup de biodiversité. Sa présence nous ravit !
La réunion, suspendue à 17 h 25, reprend à 17 h 30.
Nous accueillons M. Jean-Philippe Siblet, directeur du service du patrimoine naturel du Muséum national d'histoire naturelle.
Ce service scientifique du Muséum est notamment en charge de l'inventaire national du patrimoine naturel. Son expertise en matière de connaissance de la nature et de sa préservation est particulièrement reconnue.
Vous êtes aussi chargé, dans le cadre de collaborations avec des partenaires privés ou publics, d'accompagner un certain nombre d'acteurs dans leur démarche d'évitement, de réduction et de compensation des impacts sur la biodiversité.
Pour votre information, cette audition est ouverte au public : elle est retransmise en direct sur le site internet du Sénat et fera l'objet d'un compte rendu.
Conformément à la procédure applicable à toutes les commissions d'enquête, je vais vous demander de prêter serment. Je vous rappelle que tout faux témoignage est passible de peines pénales, qui vont jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-Philippe Siblet prête serment.
Monsieur, avez-vous des liens d'intérêt avec les différents projets que nous étudierons plus particulièrement dans le cadre de la commission d'enquête, à savoir l'A65, la LGV Tours-Bordeaux, l'aéroport Notre-Dame-des-Landes et la réserve d'actifs naturels de la plaine de la Crau ?
Nous vous avons adressé une série de questions pour vous aider à construire votre propos. Nous n'attendons pas que vous répondiez point par point à chacune d'elles. Vous pourrez nous faire parvenir ultérieurement une contribution écrite.
Je vous remercie de me donner l'opportunité de m'exprimer devant vous.
Les questions que vous m'avez adressées m'ont paru extrêmement pertinentes. Elles posent bien les problèmes que soulève la question de la compensation, qui, comme vous l'avez sans doute compris, est extrêmement complexe.
Vous m'avez interrogé sur l'état de la biodiversité. Bien évidemment, ce sujet pourrait nous occuper pendant des dizaines d'heures ! Cependant, il importe de dire que nous n'avons jamais aussi bien connu cet état. Notre connaissance a beaucoup progressé, notamment au cours des dix dernières années, et on est aujourd'hui capable de retracer l'évolution, en particulier grâce à plusieurs dispositifs, notamment le dispositif d'évaluation de l'état de conservation, mis en oeuvre dans le cadre de l'application des directives européennes Habitat et Oiseaux. Le second bilan, qui couvre la période 2007-2012, confirme le premier, à savoir que la part des habitats et des espèces d'intérêt communautaire en bon état de conservation en France est faible. Grosso modo, un habitat sur cinq et une espèce sur quatre seulement sont en bon état de conservation. Ces données sont objectives, robustes et ne souffrent pas de contestation.
Pour l'ensemble des espèces, les tendances négatives sont plus nombreuses que les tendances positives. Sans surprise, parmi les écosystèmes les plus menacés, les écosystèmes marins, littoraux, humides et aquatiques sont ceux qui souffrent le plus.
Pour ce qui concerne, par exemple, le groupe taxonomique particulier que constituent les oiseaux, le bilan paraît un peu moins contrasté, avec 89 espèces nicheuses en déclin, 97 en hausse, 41 stables, 14 fluctuantes, et 53 dont on n'a pu déterminer l'évolution.
On peut avoir l'impression que baisse et augmentation s'équilibrent, mais, en réalité, les espèces qui augmentent sont des espèces généralistes, que l'on va trouver à peu près partout, alors que les espèces qui diminuent le plus, qui sont les plus menacées, sont les plus spécialistes. Au total, on se rend compte que le bilan n'est pas favorable.
Il ne s'agit pas de tomber dans le catastrophisme. Il y a des choses qui marchent bien, comme le retour des rapaces et des grands prédateurs. Malheureusement, ces succès se font parfois dans la douleur : elles peuvent être difficilement compatibles avec un certain nombre d'activités.
Une autre source d'information réside dans les listes rouges d'espèces menacées, élaborées en France et coordonnées par l'Union internationale pour la conservation de la nature et par le Muséum. À peu près un quart ou un tiers de nombreuses espèces sont menacées : il en va ainsi de 32 % des oiseaux, de 23 % des amphibiens, de 22 % des poissons d'eau douce et de 12 % des libellules.
Dans ce constat, il ne faut pas évidemment oublier les outre-mer. Vous n'ignorez pas que l'essentiel de la biodiversité nationale se trouve outre-mer. Là aussi, la situation est extrêmement compliquée. La France possède un territoire ultramarin extrêmement important, avec une biodiversité tout à fait exceptionnelle. Notre pays est aujourd'hui l'un de ceux qui possèdent le plus d'espèces endémiques menacées sur leur territoire, avec le plus fort taux de responsabilité. Bien évidemment, on a tendance, quand on parle de compensation, à s'intéresser de façon principale à l'Hexagone, mais un certain nombre de projets importants touchent l'outre-mer. Vous avez sans doute entendu parler de la nouvelle route du littoral à La Réunion, projet considérable dont les mesures d'accompagnement et les mesures compensatoires sont tout à fait importantes.
Concernant l'impact des grandes infrastructures, notamment de transports, à quelle échelle doit-on évaluer ces incidences et la pertinence des études d'impact ? À l'échelle nationale, régionale, locale ? À l'échelle des projets eux-mêmes ? En fonction de la réponse que l'on donne à cette question, les processus à mettre en oeuvre et les évaluations ne seront pas du tout les mêmes.
À ma connaissance, il n'y a jamais eu de tentative d'évaluation aux niveaux national et régional, pour différentes raisons : l'absence de volonté, la complexité et certainement aussi le manque de moyens. Cependant, il serait extrêmement intéressant de disposer d'une vision nationale de ces dispositifs.
Vous m'avez demandé quelle était la responsabilité des grands projets dans les phénomènes d'érosion de la biodiversité. Elle est certainement en deçà de l'intensification agricole, de l'artificialisation des sols, de l'urbanisation. Toutefois, par un effet cumulatif, les infrastructures se surajoutent sur des territoires souvent déjà déstructurés ou ayant subi un certain nombre de modifications, affectant la capacité de résilience, c'est-à-dire la capacité à se régénérer, des écosystèmes. Les érosions de la biodiversité sont alors très fortes. Vous connaissez tous l'image du château de cartes, qui devient branlant puis tombe d'un seul coup et très rapidement. Cette image est extrêmement pertinente en l'espèce.
Sur ces questions, on a souvent tendance à s'intéresser aux impacts directs d'un projet ; c'est assez naturel et légitime. On regarde ce que l'artificialisation d'un sol ou la création d'une infrastructure donne sur l'emprise ou à proximité de celle-ci. Mais il existe aussi des impacts indirects ou induits.
Par exemple, l'impact des travaux engagés dans le cadre du Grand Paris, qui ont été présentés récemment au Conseil national de la protection de la nature, où je siège moi-même, est extrêmement limité, parce que ce sont des travaux souterrains. La surface est très peu impactée, si ce n'est quelques puits d'aérage. Les impacts les plus importants sont induits par la gestion des remblais, qui entraîne des conséquences à plusieurs dizaines de kilomètres de distance. Où vont aller ces remblais ?
Absolument !
Ces impacts seront, à mon avis, beaucoup plus importants, en termes de qualité des terres, sur le remblaiement de certains plans d'eau, etc. Il s'agit là donc d'un vrai projet d'aménagement de territoire. Cette dimension n'est pas complètement prise en compte , du moins de façon globale, au démarrage des projets.
Je sais que des initiatives sont prises, mais, pour habiter une petite commune de la vallée de la Seine, en amont de Montereau, je vois bien que ces remblais suscitent beaucoup de convoitise et de spéculation : certains voudraient en profiter pour valoriser les plans d'eau.
J'ai compris que les déblais n'étaient pas très intéressants : ils contiennent beaucoup de gypse.
Au reste, pourquoi aller remblayer des plans d'eau à trente kilomètres sur un foncier incertain, alors que le coût des terrains situés à proximité immédiate est beaucoup plus important ? Que fait-on de ces remblais ? Comment les met-on en oeuvre, et pour quoi faire ?
Si l'on est dans une démarche de réhabilitation et de compensation écologiques, il faut recréer des espaces verts, des milieux naturels, pas des endroits éventuellement destinés à des activités non compatibles avec cet objectif.
Ce sujet n'entre pas vraiment dans le champ des travaux de la commission d'enquête, mais il m'intéresse. J'espère que nous aurons l'occasion d'en reparler, dans un autre contexte.
Volontiers.
Vous m'avez également interrogé sur le bilan que l'on peut dresser de la mise en oeuvre de la séquence ERC - « éviter-réduire-compenser » - depuis la loi du 10 juillet 1976. Ce bilan est finalement assez récent, car la séquence ERC n'est réellement prise en compte que depuis dix ou quinze ans. On n'a donc pas beaucoup de recul et notre capacité d'évaluation est, somme toute, limitée. Elle est aussi limitée parce qu'il manque, à mon sens, trois éléments importants.
Premièrement, jusqu'à la nouvelle loi sur la biodiversité, qui a prévu un registre national des opérations de compensation, la bancarisation des mesures de compensation n'existait pas. On n'avait pas de cartographie ni même de liste des mesures qui ont été mises en place et des méthodes de suivi.
Deuxièmement, la standardisation des méthodes de suivi qui permettent d'évaluer l'atteinte des objectifs est très faible. Ce point est lui aussi extrêmement négatif. On n'a pour ainsi dire pas de synthèse des bilans recueillis pour chaque opération à des échelles intégratives, qu'elles soient administratives ou écologiques. Par exemple, on n'est pas capable de dire, à l'échelle d'une vallée, ce qui a été fait, comment cela a été fait, ce qui a marché et ce qui n'a pas marché et la méthode utilisée pour l'évaluation.
Il me paraît envisageable de mesurer une opération de compensation, mais cela nécessite la prise en compte de deux principes fondamentaux préalables.
Le premier principe est ce que j'appelle la notion d'incertitude. Il faut savoir que l'ingénierie écologique est une science jeune et que la plupart des opérations de compensation reposent sur des expérimentations pour lesquelles peu de références existent. Par ailleurs, les références existantes concernent des contextes qui ne sont pas nécessairement comparables. Il faudrait donc adopter comme principe que l'efficacité des mesures compensatoires doit être évaluée sur la base de résultats tangibles, et pas uniquement sur la simple mise en oeuvre desdites mesures. Cela doit conduire à un principe de réajustement des mesures compensatoires si l'évaluation démontre leur manque de fonctionnalité. Ce point est important.
Cette réforme représenterait quand même une forme de révolution culturelle, parce qu'il est assez peu admis aujourd'hui qu'une mesure compensatoire puisse ne pas produire d'effet, notamment qu'elle puisse ne pas produire les effets escomptés, puisque ce sont des experts qui l'ont prévue.
Le second principe est la notion de finitude des territoires. Notre planète est de plus en plus petite, de plus en plus finie. Nous connaissons tous la question de l'empreinte écologique. On consomme ce que la planète peut nous donner chaque année un peu plus tôt.
Les mesures compensatoires nous interpellent très directement sur cette question. En effet, il paraît délicat, voire impossible d'évaluer l'impact d'une infrastructure s'il n'est pas possible d'évaluer la capacité de résilience du territoire sur lequel elle s'installe et ce, à des échelles pertinentes de perception. Cependant, jusqu'où peut-on aller dans l'artificialisation, la fragmentation, l'intensification de l'usage des sols d'un territoire donné sans affecter de façon définitive la capacité de résilience des écosystèmes et donc provoquer corrélativement un effondrement de la biodiversité ? Cette notion de finitude est extrêmement importante et doit s'apprécier à différentes échelles de perception.
Pour conclure sur cette question, je pense que l'on peut faire l'hypothèse que la prise en compte de ces deux principes conduirait à un changement de paradigme et à une proposition très différente de celle qui existe actuellement, permettant de déboucher sur des solutions beaucoup plus efficaces pour mettre à terme à l'érosion de la biodiversité et plus acceptables par la plupart des parties prenantes, qu'il s'agisse des aménageurs, de l'État, des organismes instructeurs ou des acteurs environnementaux, notamment par un recours accru à la modélisation prédictive en amont des projets et par un partage plus équitable de la charge de la compensation entre projets.
Cela éviterait de confier aux uns la charge de ce que les autres n'ont pas fait. On connaît les systèmes d'impact cumulatif. Je veux citer l'exemple des infrastructures linéaires : on fait une ligne à haute tension, puis une autoroute, puis une ligne à grande vitesse, et c'est à celle-ci qu'il incombe de compenser les deux premières - de fait, c'est impossible. À qui appartient la charge de la compensation ? Comment doit-elle être mise en oeuvre ? En la matière, prendre en compte les deux principes que je viens d'exposer permettrait d'améliorer les choses.
Définir la compensation est une tâche extrêmement complexe ! Il y a eu de nombreux travaux, et même des thèses sur le sujet. Pour ma part, j'estime que la compensation pourrait être définie par l'ensemble des mesures susceptibles de permettre le maintien ou la restauration du bon état de conservation des habitats et des espèces impactées par le projet. Cette définition a le mérite d'être relativement simple. Elle peut même paraître simpliste aux yeux de certains de mes collègues.
Les critères permettant d'assurer la réussite d'un projet de compensation sont très nombreux et ne sont pratiquement jamais tous mis en oeuvre de façon simultanée, ce qui pose bien le problème. En réalité, il n'y a actuellement aucune opération de compensation en France et pratiquement aucune dans le monde qui soit menée dans les règles de l'art, telles que définies par l'ensemble des écologues ou des ingénieurs. D'ailleurs, je pense que vouloir respecter ces règles rendrait l'opération économiquement non viable, car aucun opérateur n'accepterait de les mettre en oeuvre. Il faut donc garder une certaine modestie par rapport à ces questions.
Pour ma part, j'ai relevé cinq critères majeurs.
Premièrement, il n'y a pas de bon projet de compensation sans étude initiale de qualité, sur la faune, la flore, les habitats et sur la fonctionnalité des écosystèmes, sujet que l'on ne fait encore qu'effleurer aujourd'hui et pour lequel nous n'avons pas toutes les réponses scientifiques. Comment un écosystème fonctionne-t-il ?
Deuxièmement, il faut respecter une certaine proximité des sites de compensation. Ce critère est plus proche d'un principe de précaution qu'il n'est un critère véritablement scientifique. Plus le site de compensation est proche du site impacté, plus les chances de réunir un certain nombre de paramètres écologiques comparables - une même entité biogéographique et bioclimatique - et d'éviter des dérives sont importantes. C'est un principe de bon sens, qui n'est pas complètement absolu. Par exemple, il n'y a pas d'équivalence écologique entre une tourbière et un boisement, même situé à un kilomètre.
Troisièmement, il faut une équivalence écologique des terrains compensés. C'est à la fois une tarte à la crème et une condition incontournable. Aujourd'hui, on voit fleurir des études d'impact un peu compliquées qui expliquent que l'on peut compenser un hectare de bouleaux par deux hectares de hêtres. Je pense que, scientifiquement, il ne serait pas très long de démontrer que cela ne peut fonctionner ainsi.
Tout ne doit probablement pas pour autant être jeté à la poubelle. Mais, aujourd'hui, il n'existe pas de dispositif permettant de prouver scientifiquement que la compensation engagée évite une perte nette de biodiversité.
Quatrièmement, il faut aller vers la recréation, vers la renaturation d'espaces, et pas simplement préserver des espaces qui possèdent déjà une valeur importante. Une compensation qui consisterait à préserver un espace naturel de qualité n'en est pas vraiment une, puisque la superficie impactée sera de toute façon perdue.
Je suis assez frappé que des opérateurs puissent proposer, à titre de mesure de réduction, de différer leurs travaux après la période de reproduction des oiseaux. C'est un peu comme si je vous disais que votre voisin habitera chez vous durant ses travaux ! La place est déjà prise. Quand les travaux auront commencé, les territoires où les oiseaux chercheront à migrer seront déjà occupés par d'autres oiseaux.
Actuellement, on compte trois couples d'oiseaux nicheurs par Français. En réalité, très peu d'espèces d'oiseaux comptent des effectifs extrêmement importants. L'espèce la plus importante, en France, est le pinson des arbres : on en recense entre 8 et 10 millions de couples. Je rappelle que nous sommes 65 millions. L'espèce humaine est de très loin la plus nombreuse sur notre territoire !
Cinquièmement, il faut des mesures de suivi adaptées. Bien souvent, chacun estime qu'il a défini la meilleure méthode de comptage. Certains essaient de minimiser les coûts ; d'autres, de gagner un peu plus d'argent... Au final, cela donne des résultats nuancés et, parfois, des situations un peu étonnantes. Par exemple, l'opérateur qui a obtenu le marché public se déclare incompétent techniquement ou conteste le bien-fondé des normes figurant dans le marché. On constate de vrais déficits techniques sur ces questions.
Certes, la nouvelle loi sur la biodiversité apporte des éléments positifs pour la mise en oeuvre de la compensation écologique, mais ce qui fait le plus défaut en la matière n'est pas forcément l'absence de textes ; c'est plutôt la volonté politique déterminée d'appliquer les textes existants. C'était d'ailleurs en partie vrai de la loi de 1976, qui permettait déjà de faire beaucoup de choses. Par ailleurs, je regrette le choix, pour l'intitulé de la nouvelle loi, du terme guerrier de « reconquête » : il faut faire mieux que la guerre à la biodiversité !
Il faut aussi des moyens adaptés. Sans moyens, on ne peut imaginer faire les choses bien. Les besoins en recherche et développement sur la thématique de la compensation sont importants, pour un coût modéré - de l'ordre de quelques dizaines ou centaines de milliers d'euros. Il est dommage que l'on ne se donne pas aujourd'hui les moyens de réaliser ces études !
Il faut également disposer de moyens de contrôle. Pour avoir travaillé pendant dix-huit ans dans un service extérieur de l'État, qui s'appelait, à l'époque, « direction régionale de l'environnement », je peux vous dire que l'on manque de moyens. On ne peut pas être partout, même dans une région comme l'Île-de-France. On n'a pas le temps de vérifier tous les projets ni de lire des études d'impact qui représentent plusieurs mètres cubes de papier.
La proximité géographique est selon moi un élément essentiel à la réussite d'un projet de compensation.
En revanche, je ne peux pas définir une distance maximale. Il faut également tenir compte du caractère mosaïque de l'habitat. Plus l'habitat est complexe, plus il est difficile de s'éloigner ; plus l'habitat est homogène, plus on peut trouver des habitats comparables, même à distance de quelques kilomètres. Les études portant sur cet aspect de la question n'ont, pour l'instant, pas donné de résultats très convaincants.
Au reste, il ne faut s'enfermer dans trop de carcans : il faut essayer de respecter des principes, sans se dispenser d'être intelligent. S'il y a des coups à faire, même s'ils ne sont pas orthodoxes d'un point de vue scientifique, faisons-les ! À partir du moment où les choses sont expliquées, elles sont parfaitement recevables. On peut expliquer que l'on a volontairement décidé de ne pas respecter tel critère pour saisir une opportunité.
La nouvelle loi fixe le principe suivant lequel les mesures de compensation ne peuvent pas se substituer aux mesures d'évitement et de réduction.
Il faut garder en mémoire que la meilleure compensation est celle qu'il n'est pas nécessaire de faire. Ce n'est pas qu'une boutade : moins on fera de compensation, mieux la biodiversité se portera.
La compensation ne doit pas être le recours ultime après que les processus d'évitement et de réduction ont été mis en oeuvre. Il doit pouvoir y avoir un évitement : si le bilan coût-avantages en termes d'aménagement du territoire, de bien-être de la population, de respect et de préservation de la biodiversité est trop défavorable, on doit pouvoir renoncer à un projet.
En tant que membre du Conseil national de la protection de la nature, je vois que la notion d'intérêt public majeur est parfois utilisée à tort et à travers. Il est intéressant de noter qu'elle est utilisée à des échelles différentes. Potentiellement, tout peut avoir un intérêt public majeur, même un terrain de football construit sur une tourbière, pour le bien de la population, la santé des administrés, le développement du sport... sauf que la tourbière est l'un des rares écosystèmes qu'il n'est absolument pas possible de recréer. Il me semble que cette notion d'intérêt public majeur est parfois déterminée avec un peu d'abus, voire de laxisme.
Pour ce qui concerne la détermination en amont des impacts, je veux vous signaler qu'une expérience intéressante a été menée en lien avec le Muséum et la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer, la DGITM, du ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer. Cette expérience porte le nom de « CARNET B », pour « cartographie nationale des enjeux territorialisés de biodiversité remarquable ». Ce travail a consisté à utiliser toutes les informations disponibles sur un territoire donné, à les restituer à une maille kilométrique de 10 kilomètres sur 10 kilomètres et, à partir de là, de déterminer les fuseaux de moindre impact des infrastructures futures, de manière à minimiser les impacts très en amont. Cette initiative me paraît intéressante, d'autant qu'une campagne d'inventaire dédiée a été menée sur un certain nombre d'espèces réglementées, dites « patrimoniales » ou à enjeux, dans trois régions pilotes, dont la Lorraine et le Centre.
Cette opération « gagnant-gagnant » a permis de faire progresser la connaissance en biodiversité et, dans le même temps, de fournir des informations très intéressantes pour l'aménagement du territoire. Cette expérience mériterait d'être poursuivie.
On pourrait même imaginer un maillage plus serré, pour être encore beaucoup plus opérationnel. La maille de 10 km sur 10 km est la norme européenne et que l'on utilise pour la restitution des informations dans le cadre de l'inventaire national du patrimoine naturel. Nous avions calculé la faisabilité et le coût d'un maillage de 1 km sur 1 km sur toute la France, pour avoir une idée des enjeux. Le coût était apparu très important, mais pas si excessif au regard du coût d'autres infrastructures. Surtout, la limite n'était pas tant financière que liée au nombre de naturalistes nécessaires pour réaliser l'opération. Aujourd'hui, nous n'en sommes plus là de nos réflexions, mais ces travaux ont permis de montrer que la réalisation d'un maillage fin n'était pas totalement utopique.
Le Muséum commence à étudier la question des actifs environnementaux et de la compensation par l'offre. Nous avons un partenariat avec le conseil général des Yvelines, qui mène une opération pilote dans le cadre de l'appel à projets lancé par le ministère de l'écologie. Nous travaillons ensemble depuis maintenant trois ans. Nous nous sommes rendu compte que, en la matière, l'un des points clés est le foncier. Pour une collectivité territoriale, acheter du foncier en évitant l'expropriation n'est pas très simple. C'est même quasiment impossible dans un certain nombre de cas. Le projet, pour l'instant, butait sur ces problèmes d'acquisition. Par ailleurs, l'équivalence écologique nécessite d'acheter des terrains qui rendent la compensation possible, selon les normes que je vous ai présentées. En particulier, les terrains plus simples à acheter, ceux qui ne font pas l'objet de spéculation, qui ne permettent pas de développement, sont souvent les plus riches d'un point de vue écologique. Les terrains qui nous intéressent sont des terrains dégradés, que l'on pourra renaturer.
Nous avons donc une assez bonne connaissance de ces questions. Nous nous demandons si l'on peut s'orienter vers des mesures de gestion au moins autant que vers l'acquisition foncière, par exemple, en proposant des agriculteurs volontaires des mesures agri-environnementales pour gérer les terrains à long terme. Au reste, ce n'est pas très simple de trouver des agriculteurs volontaires, sauf dans le marais breton, où le taux de contractualisation des prairies naturelles, au titre des mesures agri-environnementales, s'élève à 80 %. Or, aujourd'hui, les primes sont versées avec un retard de deux ans, ce qui est problématique quand on sait que la prime fait le salaire.
J'en viens à la Crau, qui fait partie de vos cas d'étude. Il se trouve que je connais bien ce territoire, pour être ornithologue de formation et de coeur. J'ai beaucoup parcouru la Crau. Je considère que, d'un point de vue technique, le projet Cossure est très abouti. C'est vraiment un travail de très grande qualité. Les terrains qui ont été réhabilités et restitués ont une très grande valeur, mais n'ont pas la valeur des cossouls vierges. Aujourd'hui, nous ne sommes pas capables de reconstituer du cossoul originel.
Ne nous leurrons pas : certains espaces ne sont pas compensables. Une tourbière n'est pas compensable ; le cossoul de la Crau n'est pas compensable. Ce point est extrêmement important. Or, durant les dix dernières années, plusieurs dizaines voire centaines d'hectares de cossouls vierges ont disparu sous l'effet de l'artificialisation, liée notamment à l'implantation d'équipements logistiques sur la commune de Saint-Martin-de-Crau.
J'ai bientôt soixante ans ; j'ai fréquenté ces terrains pour la première fois à dix-huit ans. J'y ai vu des Ganga cata, des outardes canepetières. J'y ai vu chasser le vautour percnoptère. Aujourd'hui, on voit des boîtes à chaussures de plusieurs centaines de milliers de mètres carrés sur des centaines d'hectares, à perte de vue ! On aurait peut-être mieux fait de préserver ces terrains, qui ont une valeur inestimable. En termes d'aménagement du territoire, cet endroit est tout de même relativement vaste. Il y avait de la place ailleurs.
On a artificialisé sur les cossouls vierges. Et cela continue, puisque l'on a vu passer des dossiers au Conseil national de la protection de la nature voilà encore quelques mois. La compensation écologique a consisté en la création d'un vaste plan d'eau, qui, de toute façon, était nécessaire, compte tenu des risques d'incendie, en bordure de la route qui dessert Salon-de-Provence. Ce plan d'eau serait sans doute très apprécié dans certains secteurs urbains défavorisés, mais il ne vaut pas un site qui abrite des espèces endémiques uniques au monde. Par ailleurs, ce projet est intellectuellement déstabilisant : on est obligé d'imaginer des destructions, y compris de sites naturels, pour prendre des mesures de restauration.
Après-guerre, la Crau était en déshérence. L'élevage y était difficile. On a distribué des aides massives pour l'implantation d'arboriculteurs, notamment pour les pêchers. Cela a profondément déstructuré le sol, qu'il a fallu retourner, irriguer. Dans les années quatre-vingt, la chute de la production et les difficultés du marché ont conduit à un abandon progressif de ces cultures. Et je ne vous parle pas de l'implantation de terrains militaires ou autres centres d'essai pour véhicules, de ce grignotage qui, aujourd'hui, fait ressembler les marges de la Crau à un vrai gruyère. D'ailleurs, ceux qui ont créé la réserve naturelle se rappellent qu'ils se sont arraché les cheveux tellement le foncier était devenu complexe.
Aujourd'hui, fort heureusement, la Crau est une réserve naturelle nationale. Son coeur est protégé, mais il y a encore du travail.
Son exemple montre que l'utilisation de mesures compensatoires pour pallier des carences dans la préservation d'espaces remarquables constitue une déviance.
Autre exemple, l'aménagement du grand port du Havre : la mesure compensatoire a consisté à aider l'État à financer la réserve naturelle. Sauf que la réserve naturelle avait été créée pour compenser l'impact de Port 2000 ! Cette situation pose problème, d'un point de vue éthique comme sur le plan du respect de la loi.
Je ne connais pas suffisamment les sujets de l'autoroute A65, de la LGV Tours-Bordeaux et, surtout, de Notre-Dame-des-Landes, que je n'ai pas eu à traiter dans le détail.
Dans le cadre de la LGV Tours-Bordeaux, le concessionnaire, LISEA, a mis en place une fondation d'entreprise, dotée de plusieurs millions d'euros, qui sert à soutenir ou encourager des projets en faveur de la biodiversité sur un territoire relativement large. C'est intéressant, mais cela n'a jamais été présenté comme une mesure compensatoire par LISEA.
Pour ce qui concerne l'information du public, sur laquelle vous m'avez également interrogé, il y a parfois une petite confusion : l'argent versé par LISEA a tendance à être assimilé à une mesure compensatoire. Il faut être très précis. Bien sûr, il faut informer davantage, mais ces sujets extrêmement techniques se prêtent mal à une communication grand public. Il faut donc savoir ce que l'on dit, comment on le dit et quel public on vise.
Je vois quand même trois grands axes de communication.
Il faut dire à nos concitoyens que l'espace est limité et qu'il nécessite une gestion économe et raisonnée. Je me rappelle avoir lu, à la fin des années soixante-dix ou au début des années quatre-vingt, dans des textes qui émanaient de la DATAR, que la France était un pays vaste et qu'il n'était pas nécessaire d'économiser l'espace. On n'écrirait sans doute pas la même chose aujourd'hui !
Il faut aussi expliquer que l'on ne peut pas tout monétiser. Le rapport Chevassus-au-Louis sur le coût de la biodiversité l'a bien montré, la nature exceptionnelle n'a pas de prix. Par exemple, si une tourbière est détruite, on ne sait pas la reconstituer.
De plus, on affiche un objectif d'absence de perte nette de biodiversité très noble, auquel le grand public peut adhérer. Mais on ne peut atteindre cet objectif sans un référentiel clair. Actuellement, la tendance naturelle est de gouverner par des slogans. Au-delà, nous devons trouver une réalité scientifique et technique.
La commission d'enquête souhaiterait obtenir des propositions sur le « point zéro ». Quelle place pour l'Agence française de la biodiversité dans cette affaire et pour le Muséum ? Comment tout cela s'articule-t-il ?
Pourriez-vous nous citer un ou deux exemples où le château de cartes s'effondre, avec une dynamique de disparition de la biodiversité ? À l'inverse, connaissez-vous des endroits où la résilience est possible ? C'est un élément important pour les mesures compensatoires.
Enfin, quel est le rôle du Conseil national de protection de la nature dans cette affaire, lui qui est régulièrement interrogé sur les grands projets ? Comment prend-il ses avis ? Que deviennent-ils et qu'en fait l'État ?
J'ai apprécié les propos intéressants de M. Siblet, scientifique pragmatique. Mes questions concernent les infrastructures. Vous avez évoqué la LGV Tours-Bordeaux. Je pense à un autre projet où l'on nous demande soit d'imaginer un jumelage avec d'autres autoroutes ou lignes ferroviaires ou de faire une cicatrice sur un territoire vierge. Cette seconde solution semble poser plus de problème en termes de biodiversité animale.
S'agissant de la compensation, l'équation est assez difficile à maîtriser. En effet, si l'objectif est de préserver au maximum les terrains agricoles, on les prélève souvent pour reboiser et réaliser le projet. La Sologne, par exemple, est mise en avant comme zone naturelle, avec des passages Natura 2000, alors qu'elle compte nombre de propriétés clôturées. J'ai l'impression que les opérateurs hésitent à traverser ces zones, plus par crainte des propriétaires que de la mise en cause de la biodiversité. Pourquoi n'a-t-on pas prévu, comme en Argentine, des passages plus larges pour éviter de recouper encore notre territoire ? Cela devrait être mis en avant lors des réalisations d'infrastructures.
Vous avez raison, monsieur le sénateur. La France a été pendant longtemps leader sur ces questions, grâce aux techniciens de haut niveau, notamment ceux du Service d'études techniques des routes et autoroutes dépendant du ministère de l'équipement, le SETRA, qui travaillaient sur le passage de la faune.
Aujourd'hui, ces professionnels sont réduits à la portion congrue. Pour la libre circulation des poissons, par exemple, un ou deux spécialistes en France savent fabriquer une passe à poissons fonctionnelle. Nous avons des étudiants brillants sortant de faculté, des diplômés de Master II avec une expertise toujours plus pointue sur ces questions, mais ils ont du mal à trouver du travail à la fin de leurs études. Avec quatre ou cinq emplois supplémentaires, nous pourrions résorber en partie le problème.
J'en viens au jumelage des infrastructures. Cette solution est plus souhaitable que d'aller balafrer un site nouveau et de créer ainsi une nouvelle discontinuité du territoire. Mais comme dans tout, il faut savoir s'arrêter. Si l'emprise au sol est trop large, la faune ne circulera plus. À l'époque, nous avons mené des études avec RFF pour savoir comment les batraciens pouvaient franchir un ouvrage ferré et s'ils étaient sujets à des brassages génétiques. La réponse est positive sous certaines conditions. Peuvent-ils franchir plusieurs infrastructures ? En tout état de cause, il vaut mieux investir des espaces déjà impactés.
Ce sujet présente un lien avec la trame verte et bleue issue du Grenelle de l'environnement. En réalité, beaucoup d'éléments du Grenelle ont fini sur mon bureau pour que j'indique la marche à suivre. Je me suis entouré de collaborateurs et nous avons monté le dossier. Nous y travaillons et avons beaucoup progressé. Toutefois, encore aujourd'hui, nous ne disposons pas de tous les éléments permettant la certification de notre démarche.
Soyons modestes : l'ingénierie écologique est récente, et nous sommes dans une phase d'apprentissage. Nous n'avons pas à avoir honte, car nous disposons d'un recul insuffisant, de quelques dizaines d'années tout au plus. De plus, l'écologie n'est pas une science dure où l'on est sûr de tout. On a beaucoup à apprendre de la nature. À cet égard, le biomimétisme permet de tirer nombre d'enseignements.
Vous m'avez interrogé sur le rôle du Conseil national de la protection de nature. J'y suis très attaché, et depuis bien avant d'en faire partie. Ses membres viennent d'horizons divers, mais ils sont tous des scientifiques ou des praticiens ayant une connaissance réelle du terrain. On peut toujours contester la pertinence d'un avis, mais globalement, contrairement à ce que l'on entend parfois, le CNPN donne plutôt des avis favorables aux projets ; en réalité, son travail consiste plutôt à les amender ou à donner des pistes de réflexion qu'à les empêcher.
Pour tout vous dire, je suis inquiet de la réforme en cours. S'entourer de collaborateurs intuitu personae est une bonne chose, mais cela rend un peu moins tangible la façon dont la répartition est décidée autour de la table. Il est bon d'avoir des membres identifiés comme des représentants d'associations, d'institutions scientifiques ou reconnus pour les compétences propres.
La réforme est en cours. Le CNPN devrait être dissous et recréé selon la nouvelle méthode à l'été prochain. Nous attendrons des candidatures spontanées. J'espère que ce comité ne perdra pas son âme, sa spécificité. Les représentants des cellules environnement des entreprises me l'ont dit à plusieurs reprises, si le CNPN n'était pas là pour inciter à l'excellence, ils n'existeraient plus au sein des entreprises, car la dimension environnementale perdrait de son importance.
Cet outil est très intéressant, car il produit de la doctrine, de la méthodologie, permet d'envisager des solutions et des alternatives. Plusieurs projets ayant reçu en première lecture un avis défavorable assorti de conseils, ont ensuite été modifiés et obtenu l'avis favorable. Beaucoup y trouvent leur compte.
La résilience peut-elle être mesurée ? Je citerai l'exemple des canaux, qui sont parfois remplacés pour remplacer une rivière naturelle. Dans ce cas, on passe d'une trentaine d'espèces de poissons à moins de dix espèces, peu intéressantes pour le pêcheur. Je pourrai aussi citer les zones humides, car la biomasse devient presque inexistante lorsqu'elles sont comblées. Si cela se reproduit sur des centaines de kilomètres carrés, la baisse se révèle dramatique. En quarante ans, j'ai vu disparaître des espèces de certains territoires comme la pie grièche grise qui est tout de même un vertébré. Cela alerte fortement sur l'état de notre planète.
Oui, des exemples précis sont quantifiés. L'enjeu est de synthétiser et de modéliser, ce qui prend un peu de temps et d'énergie. Le nombre des équipes travaillant sur ces questions augmente, notamment au muséum, à Montpellier, mais on n'a pas encore toutes les clefs permettant de répondre à votre question. Si vous pouviez nous aider à initier cette étude sur l'état de référence, ou au moins commencer à étudier des pistes sur la façon d'envisager cette question, ce serait passionnant et extrêmement utile.
Pouvez-vous nous donner des exemples positifs, où l'on constate une reconquête forte de biodiversité, y compris avec une intervention humaine.
L'effet « réserve » existe, autant en milieu terrestre qu'en milieu marin. Je suis un fervent défenseur des politiques de préservation des espaces naturels, qui sont tout sauf désuets. Il faut continuer à en créer et à les protéger.
J'ai travaillé longtemps avec les exploitants de matériaux de granulats alluvionnaires, qui servent à fabriquer le béton. Si l'on s'y prend bien, on peut exploiter ces matériaux et récréer des espaces de très grande qualité, des écosystèmes, des habitats. Paradoxalement, c'est l'un des rares sujets à compensation qui peut être traité in situ. Dans certains cas, on peut obtenir une biodiversité supérieure à ce qui existait auparavant.
Bien sûr, il faut édicter des règles, car il n'est pas question d'exploiter les tourbières pour reconstituer des plans d'eaux. Sur des espaces banalisés, on peut parvenir à recréer de la biodiversité. Je vous invite à visiter le secteur de la Bassée, en amont de Montereau, où une réserve naturelle a été créée. Nous avons vraiment réussi à reconstituer une biodiversité, mais il faut étudier la question sur le long terme.
Les territoires qui vont mieux sont ceux qui abritent la forêt, et ce pour de nombreuses raisons : la forêt a été beaucoup plus protégée réglementairement. En outre, ces espaces sont beaucoup plus résilients. Tout n'est pas parfait, mais la forêt va bien, sachant que les secteurs les plus menacés sont les zones humides.
Le Marais breton va être classé au titre de Ramsar, mais tout cela est ténu, car certains se plaignent de ne pas recevoir de primes après avoir contractualisé. En revanche, j'ai cru comprendre que tous les sites Ramsar seraient désormais éligibles au titre de l'indemnité compensatoire de handicap naturel.
Notre dernière audition aujourd'hui sera celle de M. Laurent Piermont, président de CDC Biodiversité, filiale de la Caisse des dépôts et consignations, entièrement dédiée à la biodiversité et à sa gestion pérenne, de M. Philippe Thiévent, directeur, et de Mme Brigitte Laurent, directrice des relations institutionnelles de la Caisse des dépôts.
Vous intervenez pour le compte de tout maître d'ouvrage, collectivité, entreprise qui vous délègue le pilotage de leurs actions volontaires ou réglementaires, dans le cadre de la compensation notamment, mais aussi de la restauration de la gestion d'espaces naturels. Vous avez en outre mis en oeuvre en 2008, dans la plaine de la Crau, 357 hectares d'anciens vergers sur le site de Cossure, afin de restaurer un espace naturel et d'y créer la première réserve d'actifs naturels française. Cela constitue une première pour ce que l'on appelle la compensation par l'offre. Ce dossier est l'un des quatre dossiers que nous étudions plus spécifiquement dans le cadre de notre commission d'enquête.
J'indique que cette audition est ouverte au public et à la presse ; elle fera l'objet d'une captation vidéo et donnera lieu à la publication d'un compte rendu.
Je vous rappelle que, conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, votre audition doit se tenir sous serment et que tout faux témoignage est passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Laurent Piermont, Philippe Thiévent et Mme Brigitte Laurent prêtent successivement serment.
En dehors de la réserve d'actifs naturels de la plaine de la Crau, les trois autres projets portent sur l'A65, la LVG Tours-Bordeaux et l'aéroport Notre-Dame-des-Landes. Avez-vous des liens d'intérêts avec ces différents projets ?
Madame la présidente, la société CDC Biodiversité a des liens d'intérêts avec A'liénor, concessionnaire de l'A65, qui lui a délégué la mise en oeuvre des mesures compensatoires prévues par les arrêtés préfectoraux autorisant la réalisation de cette autoroute. Je précise que la délégation concerne uniquement les mesures compensatoires, à l'exclusion de toute autre mission.
S'agissant de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, la société CDC Biodiversité a été chargée de missions partielles d'études et de conseil visant à évaluer la faisabilité et le coût d'éventuelles mesures compensatoires, à l'exclusion de toute définition desdites mesures.
Il s'agissait effectivement d'une mission d'assistance à la maîtrise d'ouvrage et de conseil, préalablement à la réflexion du maître d'ouvrage. Elle n'a jamais conduit à une quelconque implication dans la mise en oeuvre concrète des mesures de compensation, comme ce fut le cas pour l'A65.
Concernant la LGV SEA, CDC Biodiversité n'a aucune implication dans cette opération, sinon que la Caisse des dépôts, via sa direction des investissements, a participé pour une part au financement de la LGV. Mais, sauf erreur de ma part, je ne suis pas informé des montants en jeu. Il me semble que les fonds d'épargne gérés par la Caisse des dépôts ont contribué financièrement, mais je ne saurais l'affirmer.
CDC Biodiversité est intervenue très en amont de l'attribution de la concession, là encore dans le cadre d'une mission elle-même très en amont pour Réseau ferré de France (RFF), alors que le projet n'avait pas du tout fait l'objet d'une concession. Cette mission d'expertise et d'orientation était donc destinée à l'État, qui était le maître d'ouvrage.
Je souhaiterais rappeler brièvement l'historique de l'implication de la Caisse des dépôts dans les questions de compensation et de biodiversité pour vous permettre de mieux comprendre la raison de notre présence parmi vous.
La Caisse des dépôts a engagé en 2004 une mission de réflexion sur les leviers économiques d'action qu'elle pouvait développer en faveur de la biodiversité. Cette réflexion a abouti, en 2006, à la création de la mission « Biodiversité » de la Caisse des dépôts pour laquelle Philippe Thiévent m'a rejoint. Cette mission a travaillé en étroite concertation avec les associations, le monde scientifique et les services de l'État. C'est en accord avec eux que nous avons orienté notre réflexion en 2006 sur le levier de la compensation, volet de la loi de 1976 qui n'était pas suffisamment respecté. La loi de 1976 a défini le concept : « Éviter, réduire, compenser ».
Les principes généraux qui ont structuré la réflexion avaient pour objectif d'aboutir à des propositions d'actions concrètes, de prendre comme étalon de l'action un étalon écologique et non financier, et enfin, de chercher à concilier économie et biodiversité.
En 2007, la décision a été prise de tester en vraie grandeur un opérateur de compensation. La Caisse des dépôts a donc créé une filiale à 100 % sous la forme d'une société anonyme, forme d'action la plus souple. Il a aussi été décidé de lancer une expérimentation de compensation par l'offre dans la plaine de la Crau, en accord avec l'État. Enfin, a été prévu un test à droit constant de la compensation en faveur de nombreux maîtres d'ouvrages. L'idée était de leur faire prendre conscience que, du fait de l'existence d'un opérateur, tout obstacle serait levé.
Le site de Cossure a été choisi pour réaliser le premier test d'une réserve d'actifs naturels, sur la proposition de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) et du ministère de l'écologie. Nous avons accepté ce choix pour trois motifs : un consensus de l'ensemble des acteurs pour faire cesser l'érosion du coussoul, formation végétale exceptionnelle de cette région ; une opération de génie écologique de grande ampleur visant à restaurer un désert en un espace favorable à la faune aviaire, au bupreste de Crau et à tout un cortège d'animaux caractéristiques de cet espace ; une expérimentation institutionnelle en vraie grandeur de l'action d'un opérateur de compensation et de la réalisation d'un site naturel de compensation. La posture de la Caisse des dépôts dans cette opération est encore aujourd'hui celle d'un expérimentateur. L'idée n'est pas de promouvoir plus particulièrement telle ou telle solution, mais de tester son intérêt.
Les tests portent sur l'engagement d'un opérateur à restaurer 357 hectares selon un cahier des charges, à organiser sur le long terme une gestion conservatoire en lien avec le conservatoire des espaces naturels, puis à se porter garant de la vocation écologique de l'espace au-delà des trente ans. L'opération peut être financée par la vente d'unités de compensation à de futurs maîtres d'ouvrage ou à des maîtres d'ouvrage n'ayant pas trouvé les moyens de réaliser leurs obligations de compensation.
Ce droit de proposer ces unités était restreint à une aire de service, c'est-à-dire à des zones de plaines méditerranéennes potentiellement favorables à l'avifaune steppique, situées à côté de la Camargue et des milieux côtiers. Cette aire a été dénommée l'aire de service de la réserve d'actifs naturels.
L'une des conditions pour pouvoir vendre les unités de compensation était que le service instructeur de l'opération en question donne son accord sur l'équivalence écologique. Le fait d'avoir obtenu la validation du site naturel de compensation de Cossure ne donnait aucun droit automatique à vendre les unités de compensation. Il fallait une seconde validation par l'État de l'équivalence écologique entre les destructions opérées par le maître d'ouvrage et les unités de compensation.
S'agissant d'une expérimentation menée avec l'État, la transparence la plus totale a été de mise. Nous avons mis en place un dispositif de suivi entièrement financé par CDC Biodiversité avec le laboratoire d'écologie d'Avignon, la DREAL et le conseil scientifique régional du patrimoine naturel (CSRPN), un état des lieux et des rapports d'étape au sein d'un comité de pilotage local et d'un comité de pilotage national.
Après dix ans de réflexion et d'action sur la compensation et sur l'action de CDC Biodiversité, nous constatons que nous obtenons des résultats. De plus, lorsque l'État décide d'autoriser une destruction, nous constatons que la compensation est possible, après évitement et réduction. S'agissant d'un bien public, le cadre réglementaire est évidemment décisif. Il implique l'autorisation, le contrôle, le suivi et éventuellement un registre. Par ailleurs, l'action de compensation ne peut être menée sans concertation étroite avec les acteurs du territoire et doit s'inscrire dans des projets de territoires.
Des débats ont eu lieu autour de la marchandisation et de la financiarisation de la nature, ainsi que de l'appel d'air. Tout d'abord, l'existence de l'opération Cossure n'a en aucun cas été un encouragement à la réalisation d'opérations donnant lieu à compensation. Ensuite, l'achat et la vente portent sur des prestations en vue de réaliser des études, d'effectuer des travaux écologiques. Mais en aucune façon l'écosystème, les outardes ou tout autre bien naturel ne peuvent être achetés ou vendus. Il est donc inexact de parler de marchandisation de la nature.
Je peux parler de la financiarisation, car j'ai notamment créé l'European Carbon Fund, qui s'est occupé de marchés de crédits CO2 et de leur transférabilité. C'est un fait, le marché du CO2 est financiarisé. En revanche, les opérations de compensation concernent une opération pour un maître d'ouvrage et ne sont pas transférables. Elles ne donnent pas matière à financiariser. Les banques n'ont d'ailleurs aucun intérêt à intervenir, sinon pour apporter le fonds de roulement de génie écologique.
Toutefois, dès lors que l'on souhaite éviter toute perte nette, on se met à compter. C'est ce dénombrement de la biodiversité qui gênera toujours l'action. Dès lors que l'on agit pour préserver la biodiversité, la nature ne peut plus être considérée de façon holistique. Il n'y a donc pas marchandisation ni financiarisation mais il y a bien un dénombrement des biens naturels.
CDC Biodiversité va poursuivre son action sur la compensation, mais, depuis que la loi a été votée, en proposant des partenariats et en aidant les futurs opérateurs de compensation, et non en jouant un rôle dominant sur ce secteur.
Enfin, nous continuons à développer de nouveaux leviers sur les services écosystémiques, la biodiversité en ville et le versement volontaire. Ce dernier service fonctionne plutôt bien. À ce propos, nous avons lancé un projet, Nature 2050, premier programme d'adaptation des territoires aux changements climatiques, fondé exclusivement sur un versement volontaire des entreprises qui s'intéressent à l'avenir des territoires où elles sont implantées. L'argent rentre, ce qui est une très bonne nouvelle pour le financement de l'action.
Jetez-vous un regard critique sur les projets pour vérifier que les mesures d'évitement et de réduction ont bien été prises en compte au préalable, y compris lorsque ces projets émanent de l'État ?
Il s'agit d'une audition-cadre, ce qui signifie que nous reprendrons ultérieurement, lors d'audition spécifiques, chacun des projets sur lesquels vous êtes intervenus. À ce stade, mes questions seront donc plutôt générales.
Nous avons auditionné aujourd'hui un autre opérateur, qui se plaignait de petits budgets. Votre logique est différente, car vous vous inscrivez dans une dynamique plus globale de restauration de la biodiversité. Certains dossiers sont en quelque sorte des vitrines pour drainer d'autres financements dans ce but.
Quel est votre sentiment sur l'état de la connaissance aujourd'hui ? De quelle connaissance s'agit-il ? Où en est-elle ? Est-elle suffisante ? Allez-vous voir à l'étranger ?
Demain, une partie de votre prestation sera-t-elle une prestation d'évitement ? La crainte majeure se situe là. Vos projets entrent-t-ils dans une logique écosystémique plus large, incluant les questions de trame ? Qu'en est-il de leur articulation avec les schémas régionaux d'aménagement et de développement durable du territoire, les SRADDT, et les schémas régionaux de cohérence écologique, les SRCE ?
Je donnerai deux chiffres : la convention sur la diversité biologique évalue en moyenne à 300 milliards de dollars par an les besoins de la biodiversité au niveau mondial. Le Global Canopy Programme estime à 52 milliards de dollars par an les financements actuels de la biodiversité, dont les trois quarts sont d'origine publique.
Ils visent à répondre aux objectifs de Nagoya.
Les chiffres montrent qu'il faut mobiliser le secteur économique pour atteindre les montants nécessaires, car on ne peut tripler, quadrupler ni même décupler les budgets publics. Par ailleurs, il n'est pas absurde de demander à l'activité économique, à la source d'une partie des problèmes, de financer ces besoins.
La bonne nouvelle, selon moi, est que si vous rapportez les 300 milliards aux 70 000 milliards de dollars du produit mondial brut, vous vous situez dans la fourchette habituelle, soit 0,4 %. C'est énorme, mais pour préserver l'avenir du monde vivant dont nous faisons partie, cela me paraît acceptable.
Toute l'action de la Caisse des Dépôts dans la biodiversité repose sur l'idée que l'action fonctionne et qu'il est possible de trouver des leviers économiques pour intégrer de la biodiversité dans les business model des acteurs économiques. Selon l'une de nos études réalisée en 2008, si l'ensemble des maîtres d'ouvrage de France respectaient la totalité de leurs obligations, le coût pour le secteur des bâtiments et travaux publics (BTP) aurait été de 0,4 % du produit brut du BTP, un taux acceptable pour le secteur.
À partir de là, on peut fonder un modèle économique d'acteurs qui interviennent auprès des entreprises ou se trouvent internalisés. On peut classer les activités en trois types.
Les premières dépendent d'une ressource naturelle renouvelable comme l'agriculture, la forêt, la pêche, et visent à préserver les écosystèmes produisant les produits renouvelables. Les leviers sont la certification écologique et le paiement pour la préservation des services écosystémiques.
Les deuxièmes intègrent dans leur activité la destruction de biens naturels de façon définitive. Sont concernées, globalement, la ville et ses extensions. Dans ces cas, il faut éviter, réduire, compenser. Mais la surface de la terre étant finie, on ne peut pas compenser éternellement. Il faut donc restaurer et modifier le plus possible nos modes de construction et d'aménagement pour réduire au maximum les impacts environnementaux.
Les troisièmes ont besoin de la nature, mais sans la consommer ou la détruire. Une grande partie de l'activité touristique n'a pas besoin de détruire les espaces naturels, même si nombre d'activités économiques reposent sur la destruction de certains espaces.
C'est sur ce concept d'activités à biodiversité positive que nous fondons Nature 2050.
Sur l'état de la connaissance, nous avons créé en 2006 la mission « Biodiversité » devenue mission « Économie de la biodiversité », qui est un budget de la Caisse des dépôts travaillant uniquement sur les liens entre économie et biodiversité. Une équipe de quelques personnes agit en ce sens. Nous allons d'ailleurs publier très bientôt une étude sur l'état des lieux de la mise en oeuvre de la compensation écologique, fondée sur une enquête anonyme auprès des services de l'État. Cette étude porte en elle ses propres limites. Nous en avons publié une autre voilà huit mois sur la compensation à l'international qui répond à votre question. Certains ont des idées très bonnes et différentes des nôtres sur la façon de mettre en oeuvre la compensation. Je pense à like for like, à like for unlike. Nous vous transmettrons le résultat de ces travaux.
Nous avons aussi publié des rapports sur la biodiversité et l'économie urbaine ou l'éclairage en ville. Ces travaux ont pour objet d'établir le lien entre l'économie d'un secteur et la biodiversité.
Nos projets s'insèrent-ils dans une logique écosystémique plus large ? Oui, bien sûr.
La connaissance est-elle suffisante ? Nous agissons sur les mécanismes de compensation, mais à ce stade, il nous paraît important de souligner que, trop souvent, l'absence ou la prétendue absence de connaissances peut être un prétexte à l'inaction. Or, en matière d'ingénierie écologique, il faut agir sans attendre d'avoir toutes les réponses scientifiques. Les scientifiques de l'IMEP, Thierry Dutoit en tête, ont trouvé là une occasion d'expérimenter sur 400 hectares ce qu'ils pratiquaient à l'échelle du mètre carré.
Concernant la restauration des zones humides, nous avons engagé un certain nombre d'initiatives, notamment sur le projet de l'A65. Dans le sud-ouest de la France, à l'inverse de la Crau, qui est sèche et ventée, les milieux sont plus humides. Nous avons donc mis en place pour ces milieux, conformément au cahier des charges, des processus de restauration d'habitats, en imaginant des itinéraires sylvicoles afin de concilier la préservation de certains lépidoptères et un mode de gestion forestière inhabituel. Nous nous sommes aperçus que l'on pouvait arriver à des résultats même sans passer par les méthodes scientifiques usuelles.
Nous avons également des objectifs pour les batraciens et les amphibiens, mais le dispositif était certainement moins adapté à leurs besoins. La sensibilité et la réaction de certaines espèces à l'habitat diffèrent beaucoup d'une espèce à l'autre. Elles sont très fortes pour les insectes, qui vivent dans des territoires souvent restreints, avec des capacités migratoires moins importantes que d'autres groupes taxonomiques.
Le choix de l'espèce, même s'il est guidé par les engagements et les obligations, nous incite, au fur et à mesure de l'avancement de l'expérimentation, à aller chercher la précision, y compris en zones humides.
Les leviers économiques pour agir en faveur de la biodiversité sont très efficaces, mais se heurtent à deux limites. D'abord, ils ne peuvent jamais être considérés comme des budgets, car ils sont nécessairement connectés à un marché dont l'activité est fluctuante. Surtout, ils sont dirigés par leur objet même. Par exemple, si le levier est la restauration du vison d'Europe. C'est cette espèce, et pas une autre, qui va être favorisée. C'est pourquoi ces leviers ne peuvent qu'être complémentaires à l'action publique, chargée de l'intérêt général.
Les principes sont les mêmes pour la connaissance. Dans quinze ans, des opérateurs de compensation se disputeront peut-être le marché de la compensation de telle infrastructure. À moins que l'arrêté préfectoral oblige à effectuer certaines recherches en particulier, la logique de compétition l'emportera.
Avant de lancer l'opération Cossure, nous avons visité les mitigation banks américaines pour nous en inspirer. Nous avons aussi étudié très sérieusement le système allemand des éco-points qui est plutôt performant.
Quant à notre implication dans la séquence éviter, réduire et compenser, CDC Biodiversité a voulu éviter, étant opérateur de compensation, de définir et réaliser les mesures ainsi que, dans la mesure du possible, de se mêler de l'évitement et de la réduction. L'objectif est d'exclure tout éventuel conflit d'intérêts. Pour autant, nous examinons l'opération et en rendons compte auprès d'un comité scientifique, notamment pour vérifier le respect des règles de déontologie internes à la société. Nous pouvons notamment inciter le maître d'ouvrage à progresser sur l'évitement et la réduction.
Nos projets s'insèrent dans une logique systémique plus large, car chaque action menée par CDC Biodiversité s'inscrit dans une étude globale des enjeux écologiques, territoriaux et paysagers. Lorsque nous sommes chargés de restaurer l'espace favorable au vison d'Europe, nous devons raisonner exclusivement en termes de biotopes et d'écosystèmes. Mais à la seconde même où nous commençons à agir, nous intervenons nécessairement chez quelqu'un, ce qui nous oblige à envisager la situation en termes de cadastre, de foncier, de schémas d'aménagements. Toute la difficulté de l'exercice est d'intégrer des infrastructures écologiques favorables aux espèces protégées dans les aménagements humains.
Vous commercialisez les produits de vos expérimentations. Pour quel pourcentage ? Qui sont vos acheteurs ? Quelle est leur philosophie ? Êtes-vous vraiment le dernier recours ou un moyen de faire un appel d'air ? Enfin, quelle est la nature de l'opération Nature 2050 ? S'agit-il d'une fondation ?
CDC biodiversité mène plusieurs dizaines d'opérations de compensation à la demande, à droit constant, et une expérimentation avec l'État à Cossure, dont aucune n'a créé d'appel d'air.
Il s'agissait tout d'abord de mettre en oeuvre au profit d'une zone d'aménagement des mesures compensatoires qui avaient été fixées par un arrêté préfectoral de 1997, donc bien avant l'installation de Cossure. Les autres opérations concernées sont une plateforme logistique, des activités industrielles à Saint-Martin-de-Crau et l'extension à venir d'une infrastructure aéroportuaire préexistante. Nous avons un client exceptionnel, la société du pipeline sud-européen (SPSE), depuis l'éclatement du pipeline à 800 mètres de Cossure à la suite duquel l'État a demandé des mesures compensatoires, dont l'achat de dix unités de compensations.
Il s'agit en l'espèce, non d'un projet d'aménagement, mais de mesures de réparation mises en oeuvre sur le lieu de l'accident. Compte tenu des hectares dégradés, les expérimentations menées depuis deux ans à Cossure ont pu être directement mises en oeuvre pour une efficacité maximale.
À la fin de 2016, 165,5 unités de compensation ont été utiles à des maîtres d'ouvrage, soit 46,3 % de ce qui était à vendre. Il nous en reste 191,5. En huit ans, nous n'avons donc pas vendu la totalité des unités de compensation et plusieurs projets ont été élaborés qui n'ont pas fait appel à Cossure.
Sur le plan économique, je suggérerai aux futurs maîtres d'ouvrage de sites naturels de compensation de réaliser des études de marché très précises. À Cossure, nous bénéficions d'un budget de 12,5 millions d'euros.
Cet investissement correspond aux engagements pris par CDC Biodiversité, à savoir l'acquisition du terrain, les travaux de restauration et l'ensemble de la gestion sur trente ans.
12,5 millions d'euros en valeur 2008. On constate une dérive des prix, puisque le tarif de vente, qui était de 35 000 euros en 2008, a atteint 44 000 euros. J'insiste, cette opération est non pas commerciale, mais expérimentale. Il a été décidé de ne pas retenir un prix fixe pour inciter à l'action.
Si l'État et la Caisse des Dépôts se sont lancés dans cette expérimentation, c'est principalement pour que la compensation ait lieu avant la destruction. Ce point est capital pour les outardes, qui ne seront pas sans abri en attendant les mesures compensatoires !
La cohérence écologique présente également une grande importance. Enfin, le contrôle des opérations est très facile pour les services de l'État, qui ne sont pas confrontés à une multitude de maîtres d'ouvrage dont certains pourraient ne pas rendre leur rapport ou se trouver dans une situation financière délicate.
Le modèle économique est satisfaisant, puisque les calculs se révèlent justes, avec des recettes supérieures aux dépenses à condition de vendre la totalité des unités. L'opération de Cossure est emblématique, mais peut-être avons-nous collectivement privilégié la qualité de l'opération sur l'aspect marketing.
Nous avons décidé de lancer le projet Nature 2050 juste après la COP21. L'humanité, en décidant de limiter à deux degrés la hausse des températures, a de fait accepté cette hausse. Or les conséquences écologiques seront considérables, même en France. Par conséquent, outre l'impératif de réduction des émissions de CO2, il convient d'agir maintenant pour aider les territoires agricoles, naturels et forestiers à s'adapter. L'humanité a, dans son optimisme bien connu, décidé d'imposer une accélération aux écosystèmes, ce qui entraînera inévitablement un certain nombre de désordres. L'objectif de Nature 2050 est d'atténuer ces désordres grâce à des actions sur les forêts, l'agriculture, la restauration de zones humides, l'introduction d'espaces naturels en ville.
J'en viens à la trame verte et bleue. Nous proposons à des entreprises d'agir dans les territoires où elles sont implantées, ce qui nous a permis de recueillir des sommes très importantes.
Tout à fait, pour éviter la contribution du contribuable.
Accompagnerez-vous demain les régions dans le travail colossal de définition de la trame verte et bleue ? Pourrez-vous mettre à profit votre expertise au service des régions pour les aider à identifier les verrous à restaurer pour assurer la continuité de la trame ?
L'accompagnement des collectivités est l'une des missions traditionnelles de la Caisse des Dépôts et de ses filiales. Agir et investir en faveur de la réalisation de la trame fait partie de nos missions. En revanche, CDC Biodiversité ne souhaite pas devenir un bureau d'études écologiques. Elle préfère faire appel à d'autres intervenants compétents, locaux ou régionaux.
Avez-vous déjà repéré des verrous de continuité sur lesquels il serait intéressant d'intervenir à nouveau ?
Nous en repérons en permanence, mais il faut distinguer le verrou et le lieu de priorité. La doctrine française a préféré porter la priorité sur le local, quand d'autres pays ont mis l'accent sur le like for unlike. Pour répondre précisément à votre question, nous devrons agir rapidement sur certains noeuds autoroutiers.
La mission de la Caisse des Dépôts est d'incuber des métiers et de développer des solutions. Elle accompagne les collectivités grâce à son expertise écologique, afin de les aider à acquérir ce savoir-faire. Cet accompagnement passe par un partenariat financier privilégié et l'identification de solutions économiques pérennes qu'un opérateur s'engagera à mettre en oeuvre. Il est vraiment important que ces actions s'inscrivent sur le long terme, mais cela soulève la question des ressources pour y parvenir. Les acteurs économiques qui y trouvent leur intérêt contribueront à l'entretenir. Notre pôle recherche travaille en ce sens en vue de l'intérêt général.
Nous attendons les deux études promises, au coeur de notre commission d'enquête. Je suis un peu surprise que seulement 47 % des unités aient été vendues. La compensation n'est sans doute pas suffisamment mise en oeuvre aujourd'hui mais la loi relative à la biodiversité devrait permettre d'améliorer la situation.
Pourriez-vous nous communiquer tous les rapports que la CDC Biodiversité à produits sur les dossiers étudiés par la commission d'enquête ?
Concernant la LGV, notre rapport est ancien. Il était destiné à l'époque à RFF. Nous avons effectivement publié un certain nombre de rapports d'études et de réflexions sur cette question de l'additionnalité et de l'équivalence écologique.
Il est très utile de remonter en amont pour comparer les diagnostics posés et les actions ultérieures.
J'imagine que vous souhaitez l'exhaustivité de nos productions, mais le volume de ces publications est très abondant. Nous pourrions vous les envoyer sous format électronique et vous indiquer les passages les plus utiles à votre mission.
Il est extrêmement important que ces documents restent confidentiels, car ils sont internes à la commission d'enquête. En cas de fuite, nous pourrions nous-mêmes être sanctionnés au titre du code pénal.
Nous avons encore quelques réponses factuelles à vous communiquer.
Nous informerons les maîtres d'ouvrage des projets en question.
Pour l'A65, notre vision des mesures compensatoires est très complète, mais elle est très partielle concernant l'ensemble de l'opération. Il serait plus pertinent d'interroger le maître d'ouvrage lui-même sur cette question.
Ce sera fait aussi !
Messieurs, nous vous remercions de ces éléments d'information.
La réunion est close à 19 h 45.