Je vous remercie de me donner l'opportunité de m'exprimer devant vous.
Les questions que vous m'avez adressées m'ont paru extrêmement pertinentes. Elles posent bien les problèmes que soulève la question de la compensation, qui, comme vous l'avez sans doute compris, est extrêmement complexe.
Vous m'avez interrogé sur l'état de la biodiversité. Bien évidemment, ce sujet pourrait nous occuper pendant des dizaines d'heures ! Cependant, il importe de dire que nous n'avons jamais aussi bien connu cet état. Notre connaissance a beaucoup progressé, notamment au cours des dix dernières années, et on est aujourd'hui capable de retracer l'évolution, en particulier grâce à plusieurs dispositifs, notamment le dispositif d'évaluation de l'état de conservation, mis en oeuvre dans le cadre de l'application des directives européennes Habitat et Oiseaux. Le second bilan, qui couvre la période 2007-2012, confirme le premier, à savoir que la part des habitats et des espèces d'intérêt communautaire en bon état de conservation en France est faible. Grosso modo, un habitat sur cinq et une espèce sur quatre seulement sont en bon état de conservation. Ces données sont objectives, robustes et ne souffrent pas de contestation.
Pour l'ensemble des espèces, les tendances négatives sont plus nombreuses que les tendances positives. Sans surprise, parmi les écosystèmes les plus menacés, les écosystèmes marins, littoraux, humides et aquatiques sont ceux qui souffrent le plus.
Pour ce qui concerne, par exemple, le groupe taxonomique particulier que constituent les oiseaux, le bilan paraît un peu moins contrasté, avec 89 espèces nicheuses en déclin, 97 en hausse, 41 stables, 14 fluctuantes, et 53 dont on n'a pu déterminer l'évolution.
On peut avoir l'impression que baisse et augmentation s'équilibrent, mais, en réalité, les espèces qui augmentent sont des espèces généralistes, que l'on va trouver à peu près partout, alors que les espèces qui diminuent le plus, qui sont les plus menacées, sont les plus spécialistes. Au total, on se rend compte que le bilan n'est pas favorable.
Il ne s'agit pas de tomber dans le catastrophisme. Il y a des choses qui marchent bien, comme le retour des rapaces et des grands prédateurs. Malheureusement, ces succès se font parfois dans la douleur : elles peuvent être difficilement compatibles avec un certain nombre d'activités.
Une autre source d'information réside dans les listes rouges d'espèces menacées, élaborées en France et coordonnées par l'Union internationale pour la conservation de la nature et par le Muséum. À peu près un quart ou un tiers de nombreuses espèces sont menacées : il en va ainsi de 32 % des oiseaux, de 23 % des amphibiens, de 22 % des poissons d'eau douce et de 12 % des libellules.
Dans ce constat, il ne faut pas évidemment oublier les outre-mer. Vous n'ignorez pas que l'essentiel de la biodiversité nationale se trouve outre-mer. Là aussi, la situation est extrêmement compliquée. La France possède un territoire ultramarin extrêmement important, avec une biodiversité tout à fait exceptionnelle. Notre pays est aujourd'hui l'un de ceux qui possèdent le plus d'espèces endémiques menacées sur leur territoire, avec le plus fort taux de responsabilité. Bien évidemment, on a tendance, quand on parle de compensation, à s'intéresser de façon principale à l'Hexagone, mais un certain nombre de projets importants touchent l'outre-mer. Vous avez sans doute entendu parler de la nouvelle route du littoral à La Réunion, projet considérable dont les mesures d'accompagnement et les mesures compensatoires sont tout à fait importantes.
Concernant l'impact des grandes infrastructures, notamment de transports, à quelle échelle doit-on évaluer ces incidences et la pertinence des études d'impact ? À l'échelle nationale, régionale, locale ? À l'échelle des projets eux-mêmes ? En fonction de la réponse que l'on donne à cette question, les processus à mettre en oeuvre et les évaluations ne seront pas du tout les mêmes.
À ma connaissance, il n'y a jamais eu de tentative d'évaluation aux niveaux national et régional, pour différentes raisons : l'absence de volonté, la complexité et certainement aussi le manque de moyens. Cependant, il serait extrêmement intéressant de disposer d'une vision nationale de ces dispositifs.
Vous m'avez demandé quelle était la responsabilité des grands projets dans les phénomènes d'érosion de la biodiversité. Elle est certainement en deçà de l'intensification agricole, de l'artificialisation des sols, de l'urbanisation. Toutefois, par un effet cumulatif, les infrastructures se surajoutent sur des territoires souvent déjà déstructurés ou ayant subi un certain nombre de modifications, affectant la capacité de résilience, c'est-à-dire la capacité à se régénérer, des écosystèmes. Les érosions de la biodiversité sont alors très fortes. Vous connaissez tous l'image du château de cartes, qui devient branlant puis tombe d'un seul coup et très rapidement. Cette image est extrêmement pertinente en l'espèce.
Sur ces questions, on a souvent tendance à s'intéresser aux impacts directs d'un projet ; c'est assez naturel et légitime. On regarde ce que l'artificialisation d'un sol ou la création d'une infrastructure donne sur l'emprise ou à proximité de celle-ci. Mais il existe aussi des impacts indirects ou induits.
Par exemple, l'impact des travaux engagés dans le cadre du Grand Paris, qui ont été présentés récemment au Conseil national de la protection de la nature, où je siège moi-même, est extrêmement limité, parce que ce sont des travaux souterrains. La surface est très peu impactée, si ce n'est quelques puits d'aérage. Les impacts les plus importants sont induits par la gestion des remblais, qui entraîne des conséquences à plusieurs dizaines de kilomètres de distance. Où vont aller ces remblais ?