Vous avez raison, monsieur le sénateur. La France a été pendant longtemps leader sur ces questions, grâce aux techniciens de haut niveau, notamment ceux du Service d'études techniques des routes et autoroutes dépendant du ministère de l'équipement, le SETRA, qui travaillaient sur le passage de la faune.
Aujourd'hui, ces professionnels sont réduits à la portion congrue. Pour la libre circulation des poissons, par exemple, un ou deux spécialistes en France savent fabriquer une passe à poissons fonctionnelle. Nous avons des étudiants brillants sortant de faculté, des diplômés de Master II avec une expertise toujours plus pointue sur ces questions, mais ils ont du mal à trouver du travail à la fin de leurs études. Avec quatre ou cinq emplois supplémentaires, nous pourrions résorber en partie le problème.
J'en viens au jumelage des infrastructures. Cette solution est plus souhaitable que d'aller balafrer un site nouveau et de créer ainsi une nouvelle discontinuité du territoire. Mais comme dans tout, il faut savoir s'arrêter. Si l'emprise au sol est trop large, la faune ne circulera plus. À l'époque, nous avons mené des études avec RFF pour savoir comment les batraciens pouvaient franchir un ouvrage ferré et s'ils étaient sujets à des brassages génétiques. La réponse est positive sous certaines conditions. Peuvent-ils franchir plusieurs infrastructures ? En tout état de cause, il vaut mieux investir des espaces déjà impactés.
Ce sujet présente un lien avec la trame verte et bleue issue du Grenelle de l'environnement. En réalité, beaucoup d'éléments du Grenelle ont fini sur mon bureau pour que j'indique la marche à suivre. Je me suis entouré de collaborateurs et nous avons monté le dossier. Nous y travaillons et avons beaucoup progressé. Toutefois, encore aujourd'hui, nous ne disposons pas de tous les éléments permettant la certification de notre démarche.
Soyons modestes : l'ingénierie écologique est récente, et nous sommes dans une phase d'apprentissage. Nous n'avons pas à avoir honte, car nous disposons d'un recul insuffisant, de quelques dizaines d'années tout au plus. De plus, l'écologie n'est pas une science dure où l'on est sûr de tout. On a beaucoup à apprendre de la nature. À cet égard, le biomimétisme permet de tirer nombre d'enseignements.
Vous m'avez interrogé sur le rôle du Conseil national de la protection de nature. J'y suis très attaché, et depuis bien avant d'en faire partie. Ses membres viennent d'horizons divers, mais ils sont tous des scientifiques ou des praticiens ayant une connaissance réelle du terrain. On peut toujours contester la pertinence d'un avis, mais globalement, contrairement à ce que l'on entend parfois, le CNPN donne plutôt des avis favorables aux projets ; en réalité, son travail consiste plutôt à les amender ou à donner des pistes de réflexion qu'à les empêcher.
Pour tout vous dire, je suis inquiet de la réforme en cours. S'entourer de collaborateurs intuitu personae est une bonne chose, mais cela rend un peu moins tangible la façon dont la répartition est décidée autour de la table. Il est bon d'avoir des membres identifiés comme des représentants d'associations, d'institutions scientifiques ou reconnus pour les compétences propres.
La réforme est en cours. Le CNPN devrait être dissous et recréé selon la nouvelle méthode à l'été prochain. Nous attendrons des candidatures spontanées. J'espère que ce comité ne perdra pas son âme, sa spécificité. Les représentants des cellules environnement des entreprises me l'ont dit à plusieurs reprises, si le CNPN n'était pas là pour inciter à l'excellence, ils n'existeraient plus au sein des entreprises, car la dimension environnementale perdrait de son importance.
Cet outil est très intéressant, car il produit de la doctrine, de la méthodologie, permet d'envisager des solutions et des alternatives. Plusieurs projets ayant reçu en première lecture un avis défavorable assorti de conseils, ont ensuite été modifiés et obtenu l'avis favorable. Beaucoup y trouvent leur compte.
La résilience peut-elle être mesurée ? Je citerai l'exemple des canaux, qui sont parfois remplacés pour remplacer une rivière naturelle. Dans ce cas, on passe d'une trentaine d'espèces de poissons à moins de dix espèces, peu intéressantes pour le pêcheur. Je pourrai aussi citer les zones humides, car la biomasse devient presque inexistante lorsqu'elles sont comblées. Si cela se reproduit sur des centaines de kilomètres carrés, la baisse se révèle dramatique. En quarante ans, j'ai vu disparaître des espèces de certains territoires comme la pie grièche grise qui est tout de même un vertébré. Cela alerte fortement sur l'état de notre planète.
Oui, des exemples précis sont quantifiés. L'enjeu est de synthétiser et de modéliser, ce qui prend un peu de temps et d'énergie. Le nombre des équipes travaillant sur ces questions augmente, notamment au muséum, à Montpellier, mais on n'a pas encore toutes les clefs permettant de répondre à votre question. Si vous pouviez nous aider à initier cette étude sur l'état de référence, ou au moins commencer à étudier des pistes sur la façon d'envisager cette question, ce serait passionnant et extrêmement utile.