Intervention de Bruno Le Roux

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 10 janvier 2017 à 9:5
Projet de loi relatif à la sécurité publique — Audition de M. Bruno Le roux ministre de l'intérieur

Bruno Le Roux, ministre de l'intérieur :

Monsieur le président, sur ce projet de loi, comme sur tous les textes que la majorité sénatoriale a examiné ces derniers mois, j'espère que nous parviendrons à un terrain d'accord afin d'aboutir à un texte riche de l'apport des deux assemblées.

Il est vrai que j'ai découvert à la fin du mois de décembre une ambiance très différente de celle que j'ai pu connaître dans mes fonctions antérieures, même s'il m'arrive de retrouver au Sénat d'anciens députés.

Je commencerai par fournir quelques éléments sur le contexte qui a présidé à l'élaboration de ce projet de loi.

Ce texte offre une forme de reconnaissance du travail accompli sur le territoire national par les policiers et les gendarmes, dans une ambiance particulièrement dure et tendue depuis plusieurs mois. Cet élément n'est pas mineur : policiers et gendarmes sont éprouvés et ont vécu des mois très difficiles, avec un temps d'emploi particulièrement chargé. Malgré cela, leur disponibilité est totale. Ils ont conscience que l'année 2017 sera marquée par une échéance démocratique et ont à coeur de participer totalement à la sécurité de ce moment important pour nos institutions. Quel que soit le choix des Français, celui-ci doit se faire dans la sérénité et la sécurité. C'est la volonté du Gouvernement, comme celle de tous ceux qui aujourd'hui assurent notre sécurité.

Vous connaissez les moyens juridiques qui ont été mis à la disposition des policiers et gendarmes depuis 2012. Je pense aux quatre lois sur le renforcement de la lutte antiterroriste, dictées par des considérations de réaction rapide et d'adaptation de nos outils à la situation créée par les terroristes. Ces textes ont tous été adoptés à une très large majorité, à l'issue d'échanges constructifs au sein de la représentation nationale. Le texte qui vous est présenté aujourd'hui est le dernier de la législature sur la question de la sécurité publique ; il est en parfaite cohérence avec les textes précédemment examinés.

Le contexte actuel est marqué par le malaise exprimé par les policiers après que, à Viry-Châtillon, au mois d'octobre dernier, quatre d'entre eux ont été pris à partie de façon sauvage et ont failli y laisser leur vie. Si trois d'entre eux sont aujourd'hui rétablis, le dernier est encore hospitalisé en Seine-et-Marne ; je lui accorde une attention toute particulière, à l'instar de Bernard Cazeneuve avant moi. Bien qu'il soit très gravement brûlé, il ne manifeste qu'une volonté, celle de revenir dans la police nationale le plus vite possible. Après cet accident tragique, les policiers ont exprimé un malaise qui a pris différentes formes, la plus visible ayant été les manifestations en différentes parties du territoire, en civil ou en tenue.

À cette occasion, une concertation a été mise en place par le Gouvernement. Elle a abouti à plusieurs mesures, notamment la mise en oeuvre d'un plan pour la sécurité publique de 250 millions d'euros destiné à renforcer les moyens dévolus aux forces de l'ordre. Cela concerne des matériels de protection nouveaux : casques balistiques, gilets pare-balles, équipements de cagoules, équipements de tous les véhicules de dispositifs anti-incendie. En effet, les techniques mises en place par les délinquants visent aujourd'hui à essayer d'enfermer des policiers à l'intérieur de leur véhicule pour y mettre le feu ; ce qui s'est produit peut se reproduire.

Ce plan prévoit également un volet législatif, qui nous réunit ce matin. Le projet de loi correspond donc aux engagements que nous avons pris vis-à-vis des policiers et des gendarmes de France. Il s'agit d'un texte resserré sur les enjeux qui s'attachent à la sécurité publique et non d'un texte fourre-tout de fin de législature. Ce texte doit conserver sa cohérence par rapport à la concertation qui a été menée.

Sur ce projet de loi, je souhaite que nous puissions aboutir à un consensus. C'est la raison pour laquelle je serai à votre entière disposition à tout moment. Sur les questions de sécurité, dans le contexte où nous sommes, les enjeux sont tels que nous ne pouvons pas ne pas rechercher cet objectif et, si celui-ci est atteignable, il faut tout faire pour y parvenir.

Ce texte est équilibré : il tient compte à la fois des impératifs opérationnels auxquels sont confrontées les forces de l'ordre et des exigences du respect des libertés publiques et de l'État de droit, lesquelles n'ont jamais été bafouées ou mises en cause sur aucun des textes précédemment adoptés. Il a reçu l'approbation du Conseil d'État comme celle des instances représentatives du personnel de la police et de la gendarmerie.

Ce projet de loi repose principalement sur trois évolutions majeures.

La première évolution concerne l'élaboration d'un cadre commun d'usage des armes pour les forces de sécurité, visant à unifier les règles applicables et à les adapter aux situations auxquelles les effectifs sont de plus en plus souvent confrontés. De nombreux débats ont eu lieu ces dernières années et la demande des policiers d'un cadre qui soit commun aux forces de gendarmerie était récurrente.

Les travaux qui ont été menés, notamment le rapport de Mme Hélène Cazaux-Charles, directrice de l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice, qui contient des propositions particulièrement précises, la rédaction proposée dans ce texte, le fait que les forces de gendarmerie sont aujourd'hui rattachées au ministère de l'intérieur et que les relations avec la police nationale connaissent une grande fluidité, la grande confiance issue de ce travail commun depuis des années : tout cela conduit à unifier ces règles qui s'appliqueront aux policiers et aux gendarmes, mais aussi aux douaniers et aux militaires déployés dans le cadre de l'opération Sentinelle. Bien évidemment, le cadre général de la légitime défense est maintenu.

Dès lors, les conditions d'usage des armes sont à la fois clarifiées, stabilisées et modernisées, dans le but de mieux protéger les forces de l'ordre, et ce dans un cadre juridique scrupuleusement conforme à l'État de droit. Le projet de loi présente toutes les garanties nécessaires en tenant compte des jurisprudences de la Cour européenne des droits de l'homme et de la Cour de cassation, notamment celles qui sont relatives à la condition d'absolue nécessité et de stricte proportionnalité. Nous avons donc atteint un point d'équilibre qui, à mes yeux, doit être préservé.

À cet égard, je veux dissiper un malentendu. Pour connaître les fonctions antérieures que j'ai exercées, vous savez que le droit d'amendement est à mes yeux fondamental. Bien entendu, ce projet de loi relatif à la sécurité publique, comme tout texte, sera amendé. Je m'en félicite par avance, car cela constitue un apport important. J'ai simplement déclaré devant un syndicat de police que l'équilibre de l'article premier méritait d'être examiné avec une grande circonspection. La question de l'usage des armes à feu donne lieu à un débat dans notre société. Il ne s'agit pas de croire que nous donnerions aujourd'hui aux forces de sécurité intérieure un « permis de tuer », pour reprendre l'expression que je trouve dans un certain nombre de courriers que je reçois, et de laisser ce débat se développer. Pour ce faire, nous devons le plus rapidement possible trouver un discours commun.

Bien entendu, je tiens à vous rassurer, ce texte n'est pas à prendre ou à laisser. Je souhaite bien entendu qu'il soit amendé.

L'évolution du cadre d'usage des armes est le résultat d'une réflexion de longue haleine. Dès le mois d'avril 2015, les inspections générales de la police et de la gendarmerie nationales ont travaillé sur cette question. Les dispositions contenues dans ce projet de loi complètent celles de la loi du 3 juin 2016, autorisant les policiers, les gendarmes et les militaires déployés à faire usage de leur arme en cas d'« absolue nécessité », s'ils sont confrontés à un « périple meurtrier », afin de prévenir tout risque de réitération lors d'une tuerie de masse, comme l'a connu notre pays. Par cohérence, un transfert de ces dispositions dans le code de la sécurité intérieure est prévu dans le texte qui vous est soumis.

La deuxième évolution majeure que nous proposons vise à protéger l'identité des policiers et des gendarmes, dès lors que sa révélation constitue un danger pour eux-mêmes ou bien pour leur famille. Dans les discussions que nous avons eues avec les policiers et les gendarmes, Magnanville occupe une place particulière : le commissaire Jean-Baptiste Salvaing et sa compagne, Jessica Schneider, ont été sauvagement tués. Le fait qu'ils vivaient sur le lieu où ils travaillaient montre bien la précaution extrême que nous devons prendre pour ceux qui mènent des enquêtes, au regard des conséquences que celles-ci peuvent avoir sur leur vie et celle de leur famille.

Tel est l'objectif du numéro d'immatriculation administrative auquel les policiers et les gendarmes seront autorisés à recourir pour s'identifier, en lieu et place de leur état civil, dans les procédures pénales et, bien entendu, sous certaines conditions. Il s'agit d'un mécanisme parfaitement encadré.

Ce dispositif existe déjà en matière de lutte antiterroriste. Dans les cas exceptionnels où la connaissance de l'état civil de l'enquêteur serait indispensable à l'exercice des droits de la défense, le juge pourra, bien entendu, ordonner la révélation de ces informations. De même, afin d'assurer la protection de l'identité des auteurs de décisions administratives en lien avec le terrorisme, l'administration sera autorisée à ne notifier à la personne concernée qu'une ampliation anonyme de l'acte, tout en aménageant les règles du contradictoire en matière contentieuse.

La troisième évolution tend à doubler les peines encourues en cas d'outrage à toute personne dépositaire de l'autorité publique, en les alignant sur celles qui sont prévues en cas d'outrage à magistrat.

Le projet de loi comporte d'autres dispositions ajustant, je le répète, des mesures d'ores et déjà en vigueur. Nous entendons ainsi compléter des dispositions de la loi Savary du 22 mars 2016 pour tirer les conséquences des enquêtes administratives concernant des salariés occupant des emplois en lien direct avec la sécurité des personnes au sein de certaines entreprises de transport. Cette question du « criblage » est aujourd'hui particulièrement importante.

Par ailleurs, nous souhaitons améliorer l'articulation entre les procédures judiciaires et les mesures administratives, afin de contrôler les personnes ayant rejoint ou cherché à rejoindre un théâtre d'opérations terroristes à l'étranger dans des conditions susceptibles de les conduire à porter atteinte à la sécurité publique lors de leur retour sur le territoire français.

Enfin, nous prévoyons d'ouvrir, de manière strictement encadrée, la possibilité d'un armement des agents de sécurité privée exerçant des activités de protection des personnes, lorsque ces personnes sont exposées à des risques exceptionnels d'atteinte à leur vie ou à leur intégrité physique.

Le projet de loi contient également deux articles qui concernent plus particulièrement le ministère de la justice et un article relevant du ministère de la défense.

Telles sont les principales mesures contenues dans ce projet de loi.

Je conclurai en évoquant de nouveau l'attaque de Viry-Châtillon et le malaise des policiers.

Dimanche matin, je me suis rendu à Bobigny, où ont été pris à partie vendredi des policiers qui, sans avoir été appelés, effectuaient une opération de simple contrôle sur dix jeunes à l'extérieur d'une cité. Au moment où ils ont voulu entrer dans l'immeuble s'est produit un déchaînement de violence, dans le but, non de permettre à ces individus de s'enfuir, mais uniquement de frapper longuement les policiers. Tous ceux qui ont pris part à cet acte ont été arrêtés. J'ai bien entendu pris contact avec toutes les organisations pour leur dire la fermeté extrême que je demanderai pour ceux qui ont été formellement reconnus comme voulant, ce jour-là, « se faire du policier ».

Ce texte donne aujourd'hui aux policiers des outils de nature à améliorer leur protection. Nous devons avoir pour souci majeur de protéger toujours ceux à qui nous demandons d'assurer notre sécurité et de faire respecter la loi. Nous ne pouvons pas accepter que la tâche que nous leur demandons les mette dans une situation de plus grande insécurité que l'exercice de leur métier au quotidien.

C'est en cela que ce texte est important et c'est pourquoi je porterai la plus grande attention à toutes les améliorations du projet de loi que vous proposerez, à partir du moment où elles vont dans ce sens. Je n'ignore pas - mes propos s'adressent en particulier à M. le rapporteur - les complémentarités qui se sont manifestées ces dernières années entre les forces de police municipale et nos services de sécurité intérieure.

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