Intervention de François Grosdidier

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 10 janvier 2017 à 9:5
Projet de loi relatif à la sécurité publique — Audition de M. Bruno Le roux ministre de l'intérieur

Photo de François GrosdidierFrançois Grosdidier, rapporteur :

L'article 1er de ce projet de loi, qui crée un régime d'utilisation des armes commun à une partie des forces de l'ordre et non pas à toutes les forces de l'ordre, est bienvenu. Il est attendu par les syndicats de la police nationale et offre une réponse à des débats publics. Certains revendiquaient la création d'une présomption de légitime défense, revendication que nous ne pouvons satisfaire.

Si nous faisions droit à une telle demande, nous ne pourrions prévoir qu'une présomption simple, donc réfragable, dans un domaine où les enquêtes sont systématiques. Par conséquent, cette présomption ne résisterait pas à l'enquête et ne serait donc que symbolique. En outre, elle pourrait être interprétée par certains comme un « permis de tuer », pour reprendre l'expression utilisée par un précédent ministre de l'intérieur qui avait été directeur général de la police nationale. Elle pourrait aussi être perçue par les familles et les proches de victimes de tirs de police, fussent-ils délinquants, comme une présomption protégeant réellement les policiers de toute poursuite en cas d'abus.

C'est la raison pour laquelle nous ne devons pas défendre cette revendication ; ce ne serait rendre service à personne. Peut-être faudrait-il en revanche interpeller le garde des sceaux sur la façon dont sont parfois traités les policiers ayant à faire usage de leur arme pour des raisons légitimes. Le traitement dont ils font l'objet et les gardes à vue en ajoutent au procès qui leur est fait souvent dans les médias et, toujours, par les familles des personnes blessées ou tuées. La pratique des parquets est peut-être déjà une réponse : elle ne doit pas empêcher la recherche de la vérité, mais ne doit pas non plus donner aux membres des forces de l'ordre le sentiment qu'ils sont systématiquement traités comme des présumés délinquants, dès lors qu'ils ont fait usage de leurs armes. Dans la mesure où nous ne retenons pas la présomption de légitime défense, il nous faut traiter cette question.

Je salue la rédaction de l'article 1er retenue par le Gouvernement. Elle ne correspond pas aux précédentes initiatives législatives, qui consistaient à vouloir donner aux policiers le bénéfice des dispositions applicables aux gendarmes. Le régime des gendarmes, tel qu'il est actuellement prévu dans la loi, est obsolète. En effet, il ne marque pas le respect absolu de la vie humaine : les forces de l'ordre peuvent faire usage de leur arme en cas de voie de fait - vision archaïque et trop large - et non d'atteinte aux personnes. Il est important de restreindre ce cadre, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation et de la Cour européenne des droits de l'homme.

De la même façon, d'après la loi et non la jurisprudence, les gendarmes peuvent tirer sur des véhicules fuyants, même sans que les occupants présentent de dangerosité particulière. Là aussi, il est mis fin à cette autorisation. Pour tirer sur un véhicule, il faut des raisons objectives de penser que les occupants pourraient attenter à la vie d'autrui s'ils échappaient aux forces de l'ordre.

Il s'agit donc de créer un régime commun aux policiers nationaux et aux gendarmes, applicable par extension aux douaniers et aux militaires employés dans les missions de sécurité intérieure. On relève que deux catégories de personnel ne sont pas incluses : les polices municipales, lorsqu'elles sont armées, et les futures unités de sécurité de l'administration pénitentiaire.

Nous ne sommes pas favorables à la généralisation de l'armement des polices municipales que demandent les syndicats de police municipale. Si nous avions un modèle unique de police municipale, cela ôterait les raisons d'être des polices municipales. Celles-ci relèvent en effet de la responsabilité du maire et exercent des missions très différentes. Dès lors qu'elles sont armées, il nous faut discuter du haut niveau d'exigence que nous devons avoir en matière de formation, de qualification, de rigueur de leurs agents. Je rappelle que c'est le préfet qui accorde le port d'armes et que le cadre d'emploi des policiers municipaux est défini par des conventions de coopération fixées conjointement avec l'État. S'il n'y a pas de généralisation des armes - ce n'est d'ailleurs pas souhaitable -, on pourrait tout de même discuter, dans le cadre de ces conventions, de l'adéquation entre les missions confiées à la police municipale et leur équipement ou leur armement. Je le répète, dès lors que les policiers municipaux sont armés, il n'y a pas de raison de ne pas les faire bénéficier du régime défini à l'article 1er, au moins en partie.

La même réflexion prévaut pour les futures unités de sécurité de l'administration pénitentiaire, qui sont évoquées à l'article 8 du projet de loi. Sans doute faudrait-il discuter avec le ministre de la justice du problème du périmètre d'intervention des forces de l'ordre : dans le projet de loi, il est réduit à la simple emprise foncière des établissements pénitentiaires, mais on connaît beaucoup d'établissements pénitentiaires situés en zone urbaine dont les limites sont la rue immédiate ; il faut donc réfléchir à un périmètre rapproché pour l'intervention de ces unités de sécurité pénitentiaire.

Par ailleurs, je souhaite savoir quel régime d'utilisation des armes est prévu pour les forces de sécurité privées appelées notamment à protéger les édifices publics et les lieux publics. Pour décharger la police nationale de gardes statiques, nous avons de plus en plus tendance à confier à des vigiles privés la garde d'édifices, y compris de ministères non régaliens. En effet, en matière de sécurité privée, ce texte ne porte que sur le port d'armes par des agents de sécurité privée chargés de la protection de personnes exposées à un risque exceptionnel d'atteinte à leur vie. En effet, ces agents de sécurité sont souvent bien plus qualifiés que les personnes menacées.

Par ailleurs, il faut étendre l'anonymat des forces de l'ordre et prévoir l'anonymat des autorités publiques qui peuvent avoir à signer des actes et à prendre des décisions dans le cadre de la prévention du terrorisme.

Un utile complément est prévu sur les transports publics. Nous avons déjà légiféré sur le recrutement, mais pas sur le maintien en fonction ou non d'agents de transports publics qui présenteraient des dangers.

Le renforcement des sanctions pour outrage à personne dépositaire de l'autorité publique est également bienvenu.

Enfin, il y aurait beaucoup à dire sur les établissements pénitentiaires, car les prisons sont peut-être les premières zones de non-droit de notre pays. Reste que, là aussi, les dispositions prévues sont les bienvenues ; je souhaite simplement que soient précisées les questions relatives aux abords immédiats de l'emprise pénitentiaire.

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