Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la mer est une composante fondamentale de la vie terrestre, sur les plans tant géologique que physico-chimique ou biologique.
La principale problématique de la mer et des océans est celle de leur biodiversité et de leurs écosystèmes qui, rappelons-le, fournissent plus de 80 % de l’oxygène de notre planète.
De manière générale, on considère aujourd’hui que la biodiversité génétique des espèces marines excède celle des espèces terrestres. Tous ces écosystèmes relèvent de conditions environnementales qui sont, par essence, exceptionnelles et fragiles. La physiologie des espèces supérieures, comme les poissons, est adaptée à ces conditions si particulières : croissance lente, durée de vie longue, maturité tardive.
C’est pourquoi je préconise, à l’occasion du Grenelle de la mer, que l’IFREMER soit doté de moyens supplémentaires afin de créer un véritable laboratoire du fond des mers chargé d’étudier la dynamique des écosystèmes à l’échelle de la décennie et de détecter les événements sismologiques sous-marins, à l’instar de ce qui se fait aux États-Unis ou au Japon.
Cela est encore plus nécessaire pour l’environnement côtier, qui doit également faire l’objet d’une protection spécifique à cause de ses particularismes : une faible profondeur induisant des phénomènes sédimentologiques spécifiques, des apports continentaux importants, y compris sous forme de pollutions, des marées d’ampleur considérable sur des temps très courts, couplées à des vents locaux et à des courants intenses, une exploitation intensive et variée des ressources, un usage dense des espaces maritimes.
Or, on ne peut intervenir dans cet espace de manière parcellaire ou fragmentaire qu’au risque de le fragiliser encore plus : c’est pourquoi je défends, au-delà de la simple gestion intégrée de la zone côtière, la mise en place d’une nouvelle gouvernance. Celle-ci doit être économique, écologique, urbanistique, mais également sociale et politique, car sa mise en œuvre ne peut être couronnée de succès que si elle associe tous les acteurs du milieu côtier à l’échelle locale ou régionale au sein d’un véritable « parlement de la mer ».
La mer a toujours été l’école du partage et de la solidarité. C’est cet esprit que je souhaite voir souffler sur les travaux du Grenelle de la mer.
La mer est, également, un théâtre d’innovations techniques qu’il faut soutenir et encourager, notamment dans le domaine des pêches maritimes, où la dépendance énergétique est totale et où le manque d’innovation en matière de motorisations fait courir un trop grand risque à nos patrons pêcheurs.
Pourquoi ne pas faire passer le secteur des pêches d’une logique de déclin à une dynamique de développement durable, en s’appuyant sur l’utilisation d’engins de pêche plus sélectifs et, surtout, plus économes en énergie, en instaurant des périodes de fermeture pour permettre aux « poissons géniteurs » de procréer tout en permettant aux « juvéniles » de grandir ?
Pour cela, il faut mettre en place des quotas individuels de pêche attachés aux navires, afin de limiter la course à l’accroissement des armements de pêche. Il est urgent de donner aux pêcheurs des garanties s’agissant de leurs investissements et de leur avenir. Seul le quota de pêche individuel transférable peut le permettre et pérenniser une filière qui s’appuiera alors sur une meilleure valorisation des produits.
Cependant, pour fonctionner de manière satisfaisante, le système devra reposer sur une parfaite validité du droit de propriété acquis, ce qui supposera un contrôle sans faille par les services de l’État et l’interprofession.
Trois principes devront nous guider pour mettre en place un plan d’avenir pour la pêche, à savoir la durabilité, la stabilité et l’équité : durabilité, car des droits à pêcher bien gérés sont fondamentaux pour avoir une vision « écosystémique » des ressources ; stabilité, car des droits à pêcher définis sur des périodes moyennes de quatre à cinq ans permettent aux entreprises de la filière de planifier les investissements, rendus encore plus onéreux par le vieillissement de la flotte de pêche française ; équité, car des droits à pêcher répartis en fonction des armements, des métiers et des lieux de débarquement sont la garantie d’une pérennisation des acteurs en place, sans pour autant interdire l’accès aux ressources à des primo-arrivants.
Ces quotas individuels transférables, gérés selon le principe que je viens d’évoquer, permettront à la pêche française, qui est à 95 % une pêche artisanale, d’aborder avec sérénité les échéances à venir, principalement le renouvellement de la flotte, qui est déjà le deuxième poste de charges des armements après le carburant.
Dans cette perspective, je propose de sortir le plus rapidement possible du système de totaux admissibles de capture – les TAC – mis en place par la politique européenne des pêches et dont même la Commission européenne reconnaît l’échec.
Il faudrait aussi refonder intégralement l’organisation professionnelle de la pêche autour d’une gestion plus participative, plus anticipative et plus adaptative de la ressource et d’une montée en puissance de l’aquaculture et de la conchyliculture.
Il serait bon, également, de créer un système d’information géographique unique, commun à l’ensemble des acteurs de la mer et des océans. L’instauration de notre propre système d’information donnerait en outre l’occasion à la France de développer une expertise en ce domaine et de pouvoir exporter celle-ci.
Il serait par ailleurs judicieux de généraliser la mise en place d’un étiquetage et de labels écologiques, notamment en valorisant encore mieux les origines géographiques et les terroirs, le tout au sein d’une démarche HACCP – hazard analysis critical control point.
Enfin, il conviendrait de mener une grande étude sur l’incidence de la pêche de plaisance sur les ressources, aboutissant à un véritable Livre blanc sur la pêche de loisir et à l’instauration de quotas, pour les plaisanciers, concernant certaines espèces emblématiques aujourd’hui menacées.
Cependant, ces solutions, la France ne saurait les imposer seule, car la mer, les courants et les poissons ne connaissent pas de frontières. Elle doit s’appuyer sur l’Union européenne et sur les organisations relevant de l’ONU, notamment l’Organisation maritime internationale.
S’appuyer sur l’Union européenne, c’est faire en sorte que les espaces maritimes européens relèvent de la règle environnementale la plus audacieuse en vigueur dans l’un des États membres, car seule la pédagogie de l’exemple pourra favoriser une harmonisation vers le haut des réglementations maritimes.
S’appuyer sur le système onusien, c’est faire valoir et faire reconnaître que la voix de la France, c’est la voix du seul État présent sur tous les océans de la planète, disposant du deuxième territoire maritime au monde.
Je souhaite maintenant, en tant qu’élu des Alpes-Maritimes, aborder les problèmes inhérents à la mer Méditerranée.
La Méditerranée représente un enjeu crucial, car ses rives connaissent aujourd’hui une crise des ressources environnementales qui menace le développement économique et le bien-être des populations.
D’après le Plan bleu, organisme du PNUE, le Programme des Nations unies pour l’environnement, chargé d’étudier cette zone, la Méditerranée est un espace particulièrement exposé, où se concentrent les phénomènes constatés à l’échelle mondiale.
La situation appelle des réponses urgentes.
La Méditerranée est l’un des principaux « sites critiques » de la biodiversité mondiale. La croissance démographique est la principale cause de la surexploitation et de la dégradation de ses écosystèmes. Le manque d’intégration politique des pays riverains, inclus dans différents espaces géopolitiques – Union européenne, Ligue arabe, Union africaine notamment –, fait obstacle à l’adoption de politiques coordonnées. Les gouvernements commencent à se rendre compte que l’état de leurs ressources naturelles influence leurs perspectives économiques, mais cela ne se traduit pas en actes.
L’Union pour la Méditerranée, lancée en juillet 2008, se veut une réponse. Ne faut-il pas maintenant la mettre en œuvre ? Il n’est pas un de nos grands partenaires mondiaux – États-Unis, Brésil, Inde, Chine, Royaume-Uni ou Russie – qui ne développe une grande politique maritime. Comme l’a déclaré M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, « les espaces maritimes demeurent en effet l’enjeu géostratégique majeur du siècle qui débute ».
Les avantages géographiques dont bénéficie notre pays, avec un espace maritime qui est le deuxième au monde, ainsi que ses savoir-faire navals et maritimes, lui donnent une responsabilité majeure dans l’avenir des mers et des océans, particulièrement de la Méditerranée.
Aujourd’hui, 88 % des stocks souffriraient d’une pêche excessive, mettant en péril la reproduction de certaines espèces, comme le cabillaud en mer du Nord ou le thon rouge en Méditerranée. L’Union européenne en est donc réduite à importer plus de la moitié des poissons qu’elle consomme.
Bruxelles souhaite briser ce cercle vicieux, consistant à solliciter toujours davantage des ressources qui s’amoindrissent, ce qui conduit l’Europe à subventionner de manière croissante une activité de plus en plus déficitaire.
Il est donc vital de protéger cet espace fondamental pour l’homme qu’est la mer, parce qu’elle lui fournit des ressources vivantes, minérales et énergétiques et parce qu’elle est le lieu d’exercice d’activités aussi stratégiques que le transport, la défense et, bien évidemment, le tourisme.
C’est une responsabilité que nous avons à l’égard des générations futures, bien évidemment, mais plus encore des générations actuelles.
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je conclurai en empruntant ces quelques mots à l’écrivain croate Predrag Matvejevic : « Il n’est pas question seulement d’histoire ou de traditions, de géographie ou de racines, de mémoire ou de croyances : la Méditerranée est aussi un destin. » J’adresse mes félicitations à mon collègue Marcel-Pierre Cléach pour son brillant rapport.