Notre rapporteur a retenu une approche philosophique, que vous me permettrez de compléter par une approche historique. Les Antilles se sont battues aux côtés des républicains abolitionnistes pour obtenir la liberté. Elles ont, ensuite, voulu donner corps à la fraternité, durant la Première guerre mondiale, dans les tranchées de Verdun où tant de soldats ont perdu la vie, puis, lors de la Deuxième guerre mondiale, en s'embarquant sur de frêles embarcations vers les Etats-Unis pour rejoindre l'Angleterre et participer au combat contre l'Allemagne nazie. Pour accomplir la promesse de la République, il leur fallait encore conquérir l'égalité : la loi de 1946, dont le rapporteur fut Aimé Césaire, devait leur apporter cette espérance.
Si, en 2017, cependant, on en vient à parler d'égalité réelle, c'est bien que l'égalité reste encore virtuelle. D'où la nécessité d'agir pour que s'accomplisse concrètement la promesse de la République, quelles que soient les latitudes, pour tous les Français. C'est la raison de ce projet de loi, qui traduit l'engagement du Président de la République d'apporter l'égalité réelle aux trois millions d'Ultramarins. Cette ambition est bienvenue, car l'égalité est loin d'être aboutie ; les populations des outre-mer se réjouissent de ce projet de loi, que les parlementaires ont d'ores et déjà popularisé sur nos territoires. De fait, si les mesures proposées restent modestes, elles n'en sont pas moins populaires. Lorsque Michel Debré a créé le « Bumidom », le Bureau pour le développement des migrations dans les départements d'outre-mer, beaucoup de jeunes gens partis vers l'Hexagone pour y recevoir une formation y sont restés. Ils ont fondé une famille et élevé leurs des enfants ici, et si l'on déplore le vieillissement de nos départements, c'est bien parce que leurs forces vives les ont alors quittés. Vous comprendrez que la mesure qui vise à aider, sous condition de ressources, au rapatriement de nos défunts, pour qu'ils puissent reposer en paix sur leur terre natale, même si elle ne représente financièrement pas grand-chose, est bien accueillie.
Gageons que le Sénat apportera une contribution de qualité aux débats constructifs qui se sont tenus tout au long de ces travaux, tout d'abord avec la consultation menée par notre collègue député Victorin Lurel, puis par le travail de notre ancienne ministre, Mme George Pau-Langevin et celui de notre ministre actuelle, Mme Ericka Bareigts. Ce travail interministériel puis législatif qui a été mené pour parvenir au texte soumis au Sénat atteste que chacun a conscience de la nécessité d'améliorer les conditions de vie des citoyens ultramarins.
Dans des zones où le PIB par habitant est encore, en moyenne, inférieur de 40 % à celui de l'Hexagone et où le taux de chômage, comme celui du décrochage scolaire, est deux fois plus élevé qu'ici, je me félicite des mesures d'ordre économique dont nous sommes saisis. Ces avancées, qui visent notamment à valoriser les productions locales et à favoriser l'intégration régionale, sont une impulsion vitale pour nos territoires. A l'occasion de la présentation du projet de loi de finances, j'avais souligné le caractère pervers des accords passés entre l'Europe et les pays d'Amérique latine, qui ont pour effet d'inonder nos pays de produits à bas coûts qui viennent attaquer nos productions vivrières. Quand vous voyez une contradiction entre les mesures contre la vie chère et celles qui tendent à lutter contre les prix bas, j'objecte que ces dernières visent à protéger notre culture vivrière.
Je tiens à saluer tout particulièrement plusieurs dispositions des articles dont nous sommes saisis. Certains favorisent l'égalité des chances, comme l'article 3 ter, qui retient un objectif de construction de 150 000 logements sur dix ans. D'autres constituent des avancées en faveur de la continuité territoriale, notamment l'article 11 A, qui met fin aux surcoûts pour les lettres n'excédant pas 100 grammes. De même l'article 12, qui crée un fond de continuité pour favoriser le retour des étudiants ultramarins dans leur collectivité d'origine, au terme d'une formation ou d'un stage, est bienvenu : il contribuera au retour au pays de nos jeunes diplômés.
Certaines mesures, d'ordre plus strictement économique, vont également dans le bon sens. Il en va ainsi des articles 14 et 14 quater, qui font obligation aux grandes et moyennes surfaces de négocier un tarif professionnel pour leur activité de gros, qui, à défaut d'accord, sera fixé par arrêté préfectoral. Si l'on a pu aboutir à une solution en 2008-2009, c'est bien parce que le préfet était là, non pas pour donner des ordres, mais pour rechercher des points d'équilibre permettant la négociation entre syndicats et grossistes. Aujourd'hui encore, il se tient chaque mois une réunion entre les grossistes, les importateurs, la grande distribution et les représentants des consommateurs.
Quant à l'article 18, il rend éligible à l'aide au fret les échanges internes aux outre-mer et les importations depuis les pays étrangers, dans une logique d'intégration régionale des économies ultramarines. C'est une reconnaissance des spécificités de nos régions et de nos zones d'activité.
De manière générale, l'approche territoriale des plans de convergence correspond bien aux réalités de nos outre-mer, que je vous décris toujours comme spécifiques, si on les compare tant à l'Hexagone que les uns aux autres.
Ces mesures vont dans le bon sens et je vous saurai gré, mes chers collègues, de bien vouloir adopter le rapport de Michel Magras - même si j'aurai quelques observations à formuler lors de l'examen des amendements - afin que l'outre-mer puisse bénéficier d'une application rapide de ce texte, qui n'est rien d'autre que la traduction d'engagements pris pour répondre à de vives réalités dont il est urgent de se saisir.