Intervention de Gérard Bailly

Réunion du 5 mai 2009 à 15h00
Débat sur la politique de l'état en matière de gestion des ressources halieutiques et des pêches

Photo de Gérard BaillyGérard Bailly :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les interventions brillantes des orateurs qui m’ont précédé ont porté en priorité sur les ressources des mers et des océans. Mon propos sera quelque peu différent, puisque, vivant à près de 1 000 kilomètres de la mer, je souhaite évoquer un autre sujet, celui des ressources halieutiques en eau douce.

Même si le problème peut paraître, bien entendu, mineur par rapport à ceux que rencontrent la pêche maritime, il a néanmoins beaucoup d’importance dans nos territoires ruraux : par exemple, nos trois départements de Franche-Comté comptent 4 200 hectares d’étangs.

La Bresse jurassienne est ainsi une importante région d’étangs, qui allie production piscicole significative et grande valeur du patrimoine naturel. Les étangs, de petite taille – souvent moins de 3 hectares –, y représentent 1 000 hectares. Je ne m’étendrai pas sur les bénéfices, que tout le monde connaît, liés à ces plans d’eau, en matière de régulation du régime des eaux et d’amélioration de la qualité de celles-ci. Les étangs constituent des écosystèmes d’intérêt majeur pour la conservation du patrimoine naturel et des sites de reproduction pour une grande variété d’espèces animales. Leur grand intérêt écologique est également reconnu, non seulement sur le plan national, que ce soit au travers de Natura 2000, des pôles relais ou des zones humides, mais aussi à l’échelon international, par le biais de la convention de Ramsar.

Or, les différents acteurs de la filière piscicole sont très inquiets pour l’avenir. Les problèmes relatifs à l’exploitation des étangs se multiplient et les revenus liés à l’activité chutent. La filière de la pisciculture d’étang est très hétérogène, puisqu’on y trouve une minorité de professionnels dont l’activité repose, pour l’approvisionnement et la vente, sur celle d’une majorité d’exploitants amateurs.

Cette filière rencontre des difficultés spécifiques, que je vais maintenant énumérer.

Elle supporte tout d’abord une forte pression fiscale : l’imposition forfaitaire est lourde au regard des revenus tirés de ce système de production.

Elle subit ensuite la concurrence des produits d’importation issus de la pêche professionnelle dans les pays de l’Est, notamment en mer Baltique. Ainsi, du filet de sandre est proposé à la restauration à partir de 6 euros le kilo, quand le même poisson vivant est vendu pour le repeuplement entre 10 euros et 20 euros le kilo. De même, la perche du Nil, en provenance du lac Victoria, que les restaurateurs commercialisent sous l’appellation « perche », est disponible, congelée bien entendu, à moins de 5 euros le kilo.

Un troisième problème, beaucoup plus spécifique encore, est posé par les cormorans §véritable fléau dont la pisciculture d’étang pâtit depuis plus de quinze ans. Certes, un certain nombre de progrès ont été réalisés en matière d’augmentation des quotas de tir et d’assouplissement des modalités de réalisation de ceux-ci, avec en particulier l’allongement de la période de tir au-delà de la période de frai du gardon, au mois d’avril, afin de protéger les géniteurs. Dans la pratique, les prélèvements imputables aux cormorans sont tout de même estimés à 120 tonnes de poissons d’étang dans la Bresse jurassienne, soit une valeur marchande de 300 000 euros par an, sans compter le surcoût dû au stockage hivernal, en termes d’unités de stockage et de main-d’œuvre, et à la mortalité chez les poissons que cela engendre. Des pisciculteurs me signalaient l’an dernier que les pertes pouvaient atteindre, dans certains de leurs étangs, plus du tiers de la production. En outre, les espèces envahissantes, comme le ragondin, le poisson-chat, l’écrevisse américaine, introduites à des fins scientifiques ou expérimentales, pénalisent aussi une gestion rationnelle des étangs.

Enfin, je soulèverai la question épineuse du repeuplement. La profession est en émoi, notamment le syndicat des aquaculteurs de Franche-Comté, du fait que le projet de schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux du bassin Rhône-Méditerranée pour la période 2010-2015 préconise « l’absence de recours aux repeuplements dans les masses d’eaux en très bon ou en bon état écologique ».

La profession s’étonne du manque de concertation et de débat entre les acteurs et déplore que l’on oppose bon état des eaux et pratiques de repeuplement, alors que la directive-cadre sur l’eau ne comporte aucun jugement négatif sur ces dernières. Il est surprenant de condamner ainsi de manière unilatérale le repeuplement, sur des bases scientifiques et techniques bien faibles, sans connaître la multiplicité des pratiques. Madame la secrétaire d’État, les professionnels craignent que cela n’accélère la disparition d’une partie des acteurs des milieux aquatiques, aménageurs de territoires ruraux et créateurs d’emplois. Ils souhaiteraient donc qu’une réflexion se mette en place à l’échelon national sur ces questions de repeuplement, traitées en dehors des SDAGE, et qu’un groupe de travail, piloté par les ministères de l’écologie et de l’agriculture, puisse regrouper les différents acteurs concernés – pêcheurs, pisciculteurs, associations, scientifiques.

Par ailleurs, il faut reconnaître que les dispositions réglementaires et les programmes environnementaux – loi pêche, loi sur l’eau, Natura 2000 – vont toujours dans le sens d’un durcissement des contraintes et entravent toujours un peu plus les pisciculteurs dans l’utilisation de leur outil de production. Devant l’accumulation de ces contraintes, on assiste souvent à un abandon des étangs par leurs propriétaires, qui se trouvent dans l’impossibilité de les gérer.

À propos de Natura 2000, je souligne au passage qu’un certain nombre de pratiques facilement quantifiables mériteraient d’être soutenues dans le cadre des mesures agroenvironnementales territorialisées, ou MATER : conservation des habitats remarquables par le maintien de la pratique du faucardage, l’entretien des digues, selon les situations, la technique de l’assec, c’est-à-dire l’assèchement des étangs tous les cinq ans, l’adaptation des structures.

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, de tout temps, les hommes se sont nourris de poisson. N’est-ce pas, du reste, souvent recommandé par le corps médical ? Au moment où l’on parle de diminution des volumes de prises en mer, convient-il de contraindre encore davantage la pisciculture en eau douce ?

Les professionnels de la pisciculture aimeraient être mieux reconnus et représentés au sein des groupes de travail dont les décisions ont des répercussions sur l’avenir de la filière et qui se réunissent dans le cadre, notamment, des SAGE, les schémas d’aménagement et de gestion des eaux, des contrats de rivière et des SDAGE.

La pisciculture d’étang, activité ancestrale, est l’une des rares activités agricoles qui reposent encore sur une production extensive, répondant parfaitement aux objectifs de développement durable. Elle demeure le premier garant du maintien d’écosystèmes riches et complexes, et participe à la vie des territoires ruraux. Pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, elle mérite d’être mieux considérée et soutenue. Je conclurai moi aussi mon propos en félicitant notre collègue Marcel-Pierre Cléach de son excellent rapport ; je forme le vœu qu’il ne reste pas sans lendemain !

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