Nous examinons cet après-midi le projet de loi de programmation relatif à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique. Notre commission a en effet décidé de se saisir pour avis de ce texte transversal afin d'examiner les dispositions relatives à l'aménagement du territoire et au développement durable qu'il comporte. De ce point de vue, le résultat est décevant.
Je voudrais tout d'abord dire un mot de l'économie générale de ce projet de loi, que le Sénat s'apprête à examiner la semaine prochaine et que l'Assemblée nationale a adopté le 11 octobre dernier. Ce texte, inflationniste puisqu'il est passé de 15 à 116 articles, entend instaurer une « égalité réelle » outre-mer. Il constitue le prolongement du rapport Égalité réelle outre-mer, remis par notre collègue député Victorin Lurel au Premier ministre en mars 2016, qui reprend lui-même en grande partie les réflexions menées par le conseil représentatif des Français d'outre-mer à l'initiative de son président, notre collègue Patrick Karam.
L'objectif affiché est de garantir aux citoyens d'outre-mer les mêmes opportunités que celles prévalant en France hexagonale, en tenant compte de leurs besoins spécifiques. Or il m'est vite apparu, en parcourant le texte, que, si les mots sont ambitieux, les dispositifs proposés le sont largement moins.
Le constat de ces inégalités n'est en effet pas nouveau. En 1986, déjà, un projet de loi similaire visant les départements d'outre-mer, Saint-Pierre-et-Miquelon et Mayotte entendait mettre en place des « mesures particulièrement vigoureuses et adaptées » à la situation des outre-mer afin de relancer leur économie et de réduire les inégalités avec la métropole.
Trente ans plus tard, la situation a peu changé. Dans les outre-mer, les inégalités demeurent, voire se sont renforcées, alors même que les textes programmatiques se sont succédé, empilant les incantations sans donner réellement à ces territoires les moyens de se développer comme ils le devraient. Le taux de chômage moyen avoisine ainsi 30 % de la population dans la plupart de ces territoires et il peut s'élever à 60 % chez les jeunes, soit le triple des niveaux constatés en métropole. Le prix des produits de base atteint régulièrement le double des prix constatés en métropole et il peut être supérieur de plus de 30 % pour certains produits de première nécessité, malgré la mise en place des observatoires des prix, des marges et des revenus outre-mer.
Loués, salués, visités à l'approche des échéances électorales, les territoires ultramarins semblent ensuite rapidement oubliés lorsque celles-ci sont passées, faisant l'objet de simples mesures d'adaptations en fin de textes législatifs ou de plans d'actions lors de la survenance de crises sociales.
L'avis que je vous propose aujourd'hui d'adopter est centré sur quatre axes principaux, qui recouvrent les thématiques de notre commission : la biodiversité et la protection du patrimoine naturel, les énergies renouvelables, les transports et la mobilité outre-mer, et, enfin, la gestion des déchets. Dans ce cadre, j'ai choisi de mettre en avant la question de la transition écologique outre-mer, enjeu d'un véritable développement endogène et régional.
Au cours des dernières années, notre commission a déjà manifesté son vif intérêt pour les problématiques spécifiques auxquelles sont confrontés les outre-mer. Ainsi, nos collègues Jérôme Bignon et Jacques Cornano ont remis, en novembre 2015, un rapport d'information consacré aux outre-mer face au défi climatique, établi conjointement avec la délégation sénatoriale à l'outre-mer et ayant donné lieu à des débats approfondis.
Ce projet de loi ne répond pas à son objectif ambitieux, notamment pour les sujets intéressant notre commission, alors qu'il est indispensable au contraire de continuer d'accompagner les initiatives locales et d'encourager le développement endogène et régional des territoires.
Avant d'aborder chacun de ces quatre axes, je voudrais vous soumettre le jugement, sévère, que notre ancien et éminent collègue Paul Vergès portait sur ce texte en octobre dernier, quelque temps avant sa mort. Pour lui, la promesse de l'égalité réelle aurait dû être appliquée il y a soixante-dix ans déjà, et relève aujourd'hui du « pari impossible » sur le plan économique. Je rejoins, pour ma part, ce point de vue qui pose la question de l'ambition de ce projet de loi.
Le concept même d'égalité réelle semble en réalité correspondre à une technique de communication. Souvenez-vous des mots percutants d'Aimé Césaire à l'Assemblée nationale à l'occasion du projet de loi de 1986. Pour lui, le mot « égalité » ne supporte pas d'être amoindri par l'adjonction d'une épithète. Il affirmait qu'« il n'y a pas d'égalité adaptée, il n'y a pas d'égalité globale ; l'égalité est ou n'est pas ».
Je crois que, malheureusement, le constat est le même aujourd'hui : la grande majorité des articles de ce texte ont une portée normative bien faible ; le texte est devenu fleuve et relève davantage d'une tentative de la majorité parlementaire de l'Assemblée nationale de masquer ses échecs plutôt que d'une volonté d'améliorer concrètement la vie de nos concitoyens ultramarins. Au mieux, ce texte sera vite oublié ; au pire, il ne changera malheureusement rien à la situation de ces territoires.
En ce qui concerne les sujets de notre commission, il m'est apparu particulièrement révélateur que, dans le document de politique transversale « outre-mer » annexé au projet de loi de finances pour 2017, le développement durable des territoires ne figure pas parmi les priorités. L'instauration d'un développement durable outre-mer répond pourtant à une triple nécessité : le développement économique, la préservation du patrimoine naturel et la cohésion sociale, dans un contexte de pression démographique, d'urbanisation intense, de conflits d'usages du sol, de manque d'autonomie énergétique, de risques naturels et climatiques prégnants et de menaces sur les espaces naturels et la biodiversité.
J'en viens maintenant à l'étude succincte des quatre thématiques que je viens d'évoquer. Premier axe, la biodiversité et la protection du patrimoine naturel. Vous savez que les outre-mer regroupent 80 % de la biodiversité nationale, 98 % de la faune vertébrée et 96 % des plantes vasculaires spécifiques à la France. Des risques importants pèsent sur cette biodiversité : quatre des cinq « points chauds » français se situent dans les outre-mer. Pourtant, le présent projet de loi ne comporte pas de disposition relative à la reconquête de la biodiversité.
Quatre articles traitent indirectement de la protection du patrimoine naturel, en prévoyant le renforcement de dispositifs de contrôle. L'article 29 bis habilite les officiers de police judiciaire à constater les infractions aux dispositions du code minier et à confisquer ou détruire les biens ayant servi à des infractions relatives à l'exploitation des mines ou gisements. Il prévoit également une extension de cette habilitation aux agents de police judiciaire en Guyane, dans le cadre du dispositif Harpie pour la lutte contre l'orpaillage illégal.
L'article 29 ter habilite les inspecteurs de l'environnement sur le territoire du parc amazonien de Guyane à constater les mêmes infractions.
L'article 30 étend à l'ensemble du territoire guyanais l'obligation de déclarer la détention de mercure ou de tout ou partie d'un concasseur ou d'un corps de pompe, aujourd'hui réservée à une partie du territoire. Ce matériel est destiné à lutter contre l'orpaillage illégal.
Enfin, l'article 30 bis habilite, en Nouvelle-Calédonie, les agents de police municipale, outre les officiers et agents de police judiciaire et les agents assermentés et commissionnés à cet effet, à rechercher et à constater les infractions aux dispositions applicables localement en matière de protection du patrimoine naturel, de pêche et de gestion des ressources halieutiques, de prévention et de gestion des déchets et de prévention des nuisances visuelles.
Ces quatre articles, qui pourraient contribuer à une meilleure protection du patrimoine naturel, apparaissent néanmoins anecdotiques au regard des dispositifs existants, qu'ils soient nationaux ou locaux. Les initiatives locales ne manquent pourtant pas sur ce sujet, comme par exemple le programme de lutte contre les espèces exotiques envahissantes mené par le gouvernement de la Polynésie française, qui a pour objectif de former les populations. La réserve nationale naturelle de Saint-Martin a également initié la création de l'Institut caribéen de la biodiversité insulaire.
Deuxième axe, les énergies renouvelables, car l'indépendance énergétique est un enjeu stratégique majeur pour les régions insulaires. Malgré un développement des énergies renouvelables parmi les plus avancés, la consommation d'énergie primaire des territoires ultramarins reste très dépendante des énergies fossiles. L'objectif des outre-mer est donc double : l'atteinte de l'autonomie énergétique et le développement des énergies renouvelables.
Pourtant, on ne trouve aucune disposition sur ce sujet dans ce projet de loi ; c'est particulièrement regrettable dans la mesure où 80 000 Guyanais ne sont pas raccordés au réseau et que 12 000 d'entre eux doivent produire eux-mêmes leur électricité au moyen de groupes électrogènes. Le rapport de nos collègues MM. Bignon et Cornano avait montré que les territoires étaient pourtant déjà bien engagés dans la transition énergétique avec l'exploitation de l'hydroélectricité, du photovoltaïque et de l'éolien, ou encore de la biomasse issue de la bagasse de canne à sucre.
Troisième axe, la mobilité et les transports. Le développement des infrastructures et des services de transport est un enjeu fondamental pour renforcer l'attractivité des outre-mer et favoriser leur développement économique ainsi que le tourisme. Les outre-mer possèdent en moyenne moins de 2 kilomètres de voirie départementale pour 1 000 habitants, alors que ce chiffre atteint 5,8 dans l'Hexagone, ce qui témoigne de l'enclavement de certains territoires. Les services collectifs de transport ne sont pas suffisamment développés et le constat n'est guère plus encourageant pour les infrastructures portuaires et aéroportuaires.
L'article 3 sexies du projet de loi prévoit la remise d'un rapport sur les moyens nécessaires pour garantir l'effectivité des mêmes droits en outre-mer dans les domaines des transports et des déplacements. Je suis dubitatif sur la portée d'une telle mesure, introduite par le Gouvernement ; si celui-ci souhaite faire un rapport, il n'a pas besoin que la loi l'y invite. Par ailleurs, les outre-mer ont davantage besoin de mesures concrètes pour développer effectivement les infrastructures et les services de transport. Mon analyse est la même sur l'article 12 quinquies, qui prévoit encore un rapport sur le processus de formation des prix des billets d'avion entre les outre-mer et la France continentale. Le sujet est réel mais le rapport n'apportera pas de solution concrète...
Enfin, je termine en abordant le quatrième axe, le sujet du traitement des déchets ; il s'agit d'un enjeu sanitaire et environnemental capital en outre-mer. Si des progrès importants ont été réalisés depuis une vingtaine d'années, avec la fermeture de nombreuses installations non autorisées, les décharges seront saturées d'ici deux ou trois ans. Rappelons qu'aucun territoire, hormis la Martinique, n'est doté d'une installation d'incinération ou de méthanisation des déchets. Si la collecte sélective et le recyclage des déchets montent en puissance, ceux-ci ne sont pas transformés sur place mais sont exportés vers la métropole ou l'étranger, ce qui pose la question du transfert transfrontalier de déchets.
L'article 22 vise à assurer les conditions qui permettent aux collectivités et départements d'outre-mer d'atteindre les objectifs nationaux d'orienter 75 % des déchets d'emballages ménagers et des papiers vers les filières de recyclage. Cet article n'emporte pas de réel effet puisqu'il inscrit en réalité dans la loi le principe d'action et de soutien spécifiques dans les outre-mer pour améliorer l'efficacité des filières de recyclage en complétant l'article 46 du Grenelle I, qui fixait les objectifs en la matière. Ce qu'il prévoit est déjà pris en compte par les nouveaux cahiers des charges des éco-organismes des filières papier et emballages issus des arrêtés des 21 octobre et 2 novembre 2016.
L'article 24 bis dispose que le plan régional de prévention des déchets inclut un plan de développement de la valorisation énergétique des déchets, ce qui ne me paraît pas apporter grand-chose au droit existant.
Sur ces sujets, j'attire votre attention sur les conclusions, rendues par l'Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) le 21 juillet dernier, au titre de la mission d'accompagnement du déploiement des filières dites à responsabilité élargie des producteurs (REP) dans les territoires d'outre-mer. Confirmant que le déploiement des filières REP est confronté à de multiples freins structurels et entravé par le caractère faible et dispersé des gisements, le rapport propose d'intensifier la concertation filières-territoires, de mettre en oeuvre des solutions de proximité, de mutualiser les moyens, de trouver des synergies inter-filières REP et inter-territoires ultra-marins. Là encore, il convient d'encourager les initiatives locales, comme celle du couplage de l'incinération des déchets et du dessalement à Saint-Barthélemy.
Je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption du projet de loi, même si je reste dubitatif sur l'efficacité d'un tel empilement de mesures peu normatives, souvent illisibles, n'emportant pas d'effet juridique et surtout, consacrant une trop faible part aux enjeux de développement durable et d'aménagement du territoire.