Intervention de Hervé Maurey

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 11 janvier 2017 à 9h35
Déplacement de la commission en californie — Communication

Photo de Hervé MaureyHervé Maurey, président :

La dernière centrale nucléaire en fonctionnement dans l'État, la centrale de Diablo Canyon, devrait cesser son activité d'ici à 2025, après l'arrêt en 2013 de la centrale de San Onofre, dans le comté de San Diego. Selon les représentants de la California Energy Commission, cette sortie du nucléaire est motivée à la fois par des considérations de sécurité liées au risque sismique, à l'absence de solution pérenne à ce stade pour le stockage des combustibles usés, après l'abandon du site de Yucca Mountain, et à la difficulté, dans un contexte de grande sécheresse, d'assurer pour ces centrales un approvisionnement en eau fiable pour le refroidissement. En parallèle, de nombreuses incitations fiscales soutiennent l'installation de panneaux photovoltaïques, l'ensoleillement de la Californie étant particulièrement favorable à cette technologie. Des géants mondiaux du secteur y sont installés, comme SunPower ou SolarCity. Nous avons d'ailleurs assisté à la démonstration d'un ingénieux robot de nettoyage de panneaux solaires, développé par une start-up désormais rachetée par SunPower. Il permet d'enlever la poussière qui se dépose sur les panneaux dans cette région sèche, et diminue leur rendement de 20 à 30 %.

En matière de lutte contre le réchauffement climatique, la Californie s'est fixé des objectifs ambitieux, dans une démarche semblable à celle de notre loi de transition énergétique. En octobre 2015, le gouverneur Jerry Brown a ainsi pris plusieurs directives afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % d'ici à 2030 par rapport à leur niveau de 1990. Le dernier inventaire des émissions de gaz à effet de serre du California Air Resources Board montre que l'État est d'ores et déjà en bonne voie pour ramener ses émissions à leurs niveaux de 1990 d'ici à 2020, soit une baisse de 17 % de l'existant. La Californie souhaite également arriver à 33 % d'électricité d'origine renouvelable en 2020 et à 50 % en 2030, réduire l'usage du pétrole dans les transports de 50 %, doubler l'efficacité énergétique dans les bâtiments, réduire les émissions de polluants à courte durée de vie et augmenter la capture du carbone dans les sols. De nombreuses incitations fiscales ont également été mises en place pour développer le parc de véhicules électriques, un marché sur lequel la Californie est leader mondial. L'an dernier, le volume des ventes s'est élevé à près de 60 000 véhicules électriques, soit un sixième des ventes mondiales et la moitié des ventes américaines. D'ailleurs, la moitié des véhicules électriques actuellement en service aux États-Unis circulent en Californie.

Nous avons également évoqué la réglementation des pesticides, la Californie ayant restreint l'utilisation de plus de 160 produits chimiques courants dans les produits ménagers. La CalEPA soutient le développement de la chimie verte à des fins de santé publique et un bras de fer est engagé depuis près d'un an autour du glyphosate, que l'agence a proposé de classer sur sa liste des produits cancérigènes.

Enfin, nous avons abordé la gestion des déchets, l'objectif fixé par les autorités californiennes étant une baisse de 75 % du volume des déchets ménagers à horizon de 2020. Sur ce point, nous nous sommes entretenus notamment avec Tyrone Jue, nommé par le maire de San Francisco Ed Lee, pour s'occuper de toutes les questions environnementales de la ville. Cette ville s'est en effet positionnée comme un leader de la gestion des déchets, surtout depuis 2002, lorsque la ville s'est fixé un objectif zéro déchet en 2020. Depuis, différentes législations ont été adoptées pour contraindre la ville, les résidents et les entrepreneurs à augmenter progressivement la part de déchets recyclés, notamment une ordonnance sur la récupération des déchets de construction et de démolition (2006), et l'obligation pour les fast-foods d'utiliser des emballages compostables ou recyclables (2007).

En 2009, après que les résidents et les entrepreneurs ont pris l'habitude du compostage sur une base volontaire, San Francisco a franchi une nouvelle étape réglementaire en rendant obligatoire le recyclage et le compostage pour tous les ménages et entreprises. La ville a imposé à tous l'usage de trois poubelles : verte pour les déchets organiques, bleue pour les déchets recyclables et noire pour les « indestructibles ». Chacun est imposé selon la taille de ses poubelles : plus elle est grande, plus on paie, et la noire est surtaxée. Les éboueurs, en sus de leur travail de collecte, sont censés vérifier que les déchets sont disposés dans les bonnes poubelles et sont habilités à délivrer des amendes dans le cas contraire, même si, dans les faits, on en reste aux avertissements. En 2012, la ville a adopté un texte demandant aux commerces de fournir des sacs en matériaux recyclables ou compostables. Toutes ces lois ont été échelonnées dans le temps de façon à mettre en place les infrastructures nécessaires et à sensibiliser progressivement les publics.

Pour la mise en oeuvre de cette politique, la ville travaille étroitement avec Recology, l'unique collecteur de déchets de San Francisco, dont nous avons visité une usine de compostage. La ville garde une influence sur les activités de Recology, au travers d'un conventionnement quinquennal et des rencontres hebdomadaires. Ce partenariat a permis de développer environ 3 000 emplois locaux, syndiqués et bien rémunérés. La compagnie est une coopérative détenue à 100 % par ses employés.

La deuxième partie de notre déplacement a été consacrée à la rencontre avec les acteurs économiques et des ONG. À l'occasion de plusieurs visites de terrain, accompagnés par l'ONG The Nature Conservancy ou le National Park Service, nous avons constaté les importants efforts déployés dans la région pour préserver des sanctuaires de biodiversité, souvent dans d'anciens sites militaires comme le parc Marine Headlands. Nous avons d'ailleurs appris que la politique de lutte contre les incendies avait fortement évolué au cours des dernières années. En effet, l'approche traditionnelle consistant à déployer d'importants moyens pour éteindre les flammes le plus rapidement possible a été revue. Les autorités ont compris que les incendies déclenchés par la foudre constituaient une forme de régulation naturelle dans cette région sèche. En voulant limiter à tout prix leur propagation, on préserve en réalité davantage de combustible pour l'incendie suivant, qui sera d'autant plus dévastateur. Désormais, la lutte contre les incendies consiste davantage à les contenir pour éviter tout risque humain ou économique grave, tout en laissant la nature faire son oeuvre.

Dans la Silicon Valley, nous avons visité le campus de Facebook et le laboratoire Google. Les échanges avec les équipes de ces deux géants du numérique ont essentiellement porté sur leurs efforts en matière de développement durable, dans toutes ses dimensions, de l'environnement au bien-être des employés avec, par exemple, l'aménagement d'une impressionnante toiture végétalisée de plusieurs hectares sur le bâtiment principal de Facebook pour limiter les besoins en climatisation et offrir un espace vert agréable aux employés. Le site propose aussi la fourniture de services gratuits comme la restauration et l'entretien de vélos. La firme propose, enfin, d'optimiser le trajet domicile-travail avec des Google Bus haut de gamme équipés du Wifi.

Nous avons abordé la question de la gestion énergétique des data centers, dont le marché progresse de 15 à 25 % par an avec l'essor du cloud computing. L'énergie représente 30 % à 50 % des coûts d'exploitation des data centers qui sont responsables au niveau mondial de 1,5 % de la consommation énergétique et de 2 % des émissions carbone. Un data center de 10 000 mètres carrés consommerait ainsi autant qu'une ville de 50 000 habitants. Aux États-Unis, certains data centers de Google et Facebook ont une consommation électrique comparable à celle de villes comme Strasbourg ou Bordeaux. L'un des points les plus épineux en la matière est le refroidissement de ces fermes de serveurs. Plusieurs solutions sont utilisées par ces entreprises, comme le recyclage de l'énergie thermique dans une pompe à chaleur ou la localisation de ces data centers dans des régions froides, par exemple l'Iowa, l'Oregon, l'Islande ou la Finlande pour Google. Microsoft envisage même le déploiement de data centers sous-marins. Nous avons beaucoup à apprendre dans ce domaine, car, en France, les 137 data centers, principalement situés en région parisienne, absorberaient aujourd'hui 9 % de l'électricité du pays, contre 1,8 % aux États-Unis.

Nous avons également évoqué le développement de la voiture autonome chez Google. Après plusieurs années de tests sur les routes de la Silicon Valley avec des ingénieurs prêts à reprendre le volant en cas de problème, Google a annoncé la prochaine mise à disposition de ces véhicules à l'ensemble des employés du groupe pour de courts trajets domicile-travail. Ces tests permettront de poursuivre l'apprentissage de l'algorithme d'intelligence artificielle qui pilote le véhicule en démultipliant le nombre des trajets et la variété des situations rencontrées.

Google n'est pas seul sur ce créneau et plusieurs constructeurs sont déjà en phase de commercialisation de véhicules semi-autonomes, comme Tesla, BMW ou Mercedes. Apple et Uber ont également annoncé qu'ils se lançaient sur ce marché. Pour autant, il reste encore de nombreux défis à relever avant de pouvoir commercialiser à grande échelle ces technologies. Sur le plan technique, la cohabitation avec des voitures classiques, la fiabilité de l'électronique et des caméras et leur sécurisation vis-à-vis de potentiels hackers s'améliorent, mais restent des sujets de préoccupation. En témoignent les récentes tentatives de prise du volant à distance ou l'accident, en février dernier, d'une Google Car. L'acceptabilité sociale de ce type de véhicule n'est pas encore acquise, même si l'accident d'une Tesla S qui a coûté la vie au conducteur reste une exception. D'un point de vue financier, si les coûts d'équipement des véhicules baissent, les voitures autopilotées pourraient cependant encore coûter d'ici à dix ans de 5? 000 à 10 000 euros de plus qu'un véhicule normal.

En outre, il reste à régler les questions d'assurance, de responsabilité en cas d'accident ou encore de réglementation. Sur ce dernier point, Google poursuit ses échanges avec les législateurs américains pour mettre en place un cadre adapté dans tous les États. Certains d'entre eux - Nevada, Floride, Californie, Michigan, District of Columbia - ont déjà autorisé la Google Car à circuler sur la voie publique. En France, le conseil des ministres du 3 août 2016 a autorisé, au travers d'une ordonnance dont l'habilitation figure dans la loi de transition énergétique, les expérimentations des « voitures à délégation de conduite » sur les routes françaises. Au fur et à mesure des retours d'expérience, cette ordonnance pourra servir à terme à la construction d'un cadre réglementaire pérenne. Il est important que nous ne prenions aucun retard dans ce domaine.

Enfin, nous avons profité de ce déplacement aux États-Unis pour resserrer les liens entre deux grandes nations aéronautiques autour d'un projet fondateur. Nous avons ainsi rencontré l'équipe chargée du projet Spirit of Saint Louis 2, dont l'objectif est de reproduire la célèbre traversée de Charles Lindbergh, en construisant avec les méthodes et matériaux de l'époque, une exacte réplique de son aéronef. La traversée de l'Atlantique est prévue le 20 mai 2017, à 7 heures au départ de New-York, pour une arrivée à Paris-Le Bourget le 21 mai 2017, soit exactement 90 ans après le vol de Lindbergh. Nous sommes en contact avec la communauté aéronautique française pour faciliter leur arrivée et accompagner cet événement qui permettra de promouvoir l'ensemble de la filière auprès du grand public.

Voici ce que je souhaitais vous restituer de ce déplacement qui fut intéressant. À bien des égards, San Francisco et la Silicon Valley constituent le coeur de l'économie mondiale aujourd'hui. On ne peut qu'être frappé par l'énergie qui s'en dégage, notamment la volonté de transformer tout problème en opportunité, particulièrement en matière de développement durable.

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