Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, dix jours après l’entrée en vigueur de la loi dite « loi Travail », le groupe CRC et moi-même demandons l’abrogation de ce texte.
Notre attitude est sans ambiguïté ; elle se fonde sur l’illégitimité de cette loi, sur sa profonde nocivité pour les salariés et, à terme, pour notre économie.
Oui, madame la ministre, cette loi, votre loi, est illégitime. Elle n’a pas été négociée, et elle a été imposée à l’Assemblée nationale à trois reprises par le biais du 49.3. Votre texte n’y a donc pas recueilli de majorité. Il a été voté par défaut grâce à l’habituel chantage à la dissolution. Ce recours au 49.3, l’ancien Premier ministre Manuel Valls tente aujourd’hui vainement, et maladroitement, de s’en débarrasser, comme il le ferait d’un sparadrap qui lui colle à la peau.
Qui peut croire que cet article a été dégainé « à l’insu de votre plein gré » ? Pas grand monde ! C’est en toute connaissance de cause qu’il a été utilisé pour imposer à votre majorité un texte de casse du droit du travail qui ne figurait pas dans le programme de François Hollande, un texte qui tourne le dos à l’histoire de la gauche fondée, pour une large part, sur les conquêtes des salariés et l’élaboration dudit code.
Nous vous rappelons donc, madame la ministre, que ce texte est minoritaire. Le respect de la démocratie exige par conséquent son abrogation. Non seulement votre majorité ne vous a-t-elle pas suivie à l’Assemblée nationale, mais, enquête après enquête, notre peuple reste très massivement opposé à cette loi. C’est pour cela que vous n’avez pas pu tourner la page de la loi Travail ; c’est pour cela que le livre du quinquennat reste bloqué sur ces lignes : les lignes du renoncement, les lignes d’une politique contre nature qui a surpris la droite sur son propre terrain, les lignes du libéralisme, de la soumission sans frein, ou si peu, des salariés aux exigences patronales.
Dès lors, comment s’étonner, madame la ministre, que la droite exige désormais le démantèlement du code du travail, puisque vous en avez sapé les fondations ?
C’est donc l’illégitimité profonde de ce texte qui explique la vivacité et la force de la demande en faveur de son abrogation, y compris au sein de vos propres rangs.
C’est également son contenu même.
C’est avec colère, voire un certain effarement, que nous avons en effet redécouvert les principaux chapitres de votre texte à l’occasion de son entrée en application, le 1er janvier dernier.
Je pense évidemment à l’inversion de la hiérarchie des normes. Le résultat de décennies de luttes, d’affrontements souvent durs, meurtriers parfois, avec le patronat tout-puissant et ses représentants politiques, pour gagner l’assurance d’une loi protectrice de tous les salariés est en grande partie annihilé par la loi Travail, au nom des dogmes libéraux.
C’est maintenant à l’échelle de l’entreprise que l’essentiel des dispositions relatives au temps de travail sera négocié, la loi, celle des 35 heures par exemple, pouvant à cette occasion être largement remise en cause.
Hormis l’historique 1er mai, auquel vous n’avez heureusement pas osé toucher, l’ensemble des congés payés pourra être supprimé par accord d’entreprise. Certes, cette inversion avait déjà été engagée par vos prédécesseurs de droite, comme M. Xavier Bertrand. Mais est-ce à votre honneur d’avoir eu recours à des recettes que vos électeurs avaient clairement rejetées le 6 mai 2012 ? Vous constatez aujourd’hui le résultat politique de ce ralliement aux thèses libérales les plus éculées.
À force de dire que le code du travail est trop épais – il l’est pourtant bien moins que le code de commerce – ou trop vieux, qu’il est un obstacle à la libre entreprise, vous avez permis à François Fillon et consorts d’en exiger la fin. Vous avez permis à Emmanuel Macron, votre ancien collègue, de proposer de le rendre transparent, translucide, évanescent.
Mais cette loi de casse du droit du travail, ce n’est pas que l’inversion de la hiérarchie des normes.
Les nouveaux accords de préservation et de développement de l’emploi s’appliquent depuis le 1er janvier. Ces fameux « accords offensifs » le sont surtout contre les droits des salariés, quand ils autorisent, par exemple, une entreprise en difficulté à faire travailler plus ses employés sans augmentation de salaire. Les salariés qui refuseraient cet oukase s’exposent dorénavant à un licenciement facilité pour « motif spécifique ».
L’application de cette loi au 1er janvier implique aussi la fin de la visite obligatoire d’embauche par la médecine du travail, à l’exception des emplois exposés.
Madame la ministre, vous pouvez tourner les choses dans tous les sens, mais comment ne pas constater un recul d’un droit social essentiel dans l’entreprise ? Vous pourrez avancer que, bien souvent, cette visite n’existait plus dans les faits, faute de médecin ou de volonté de l’entreprise. Mais l’honneur d’un gouvernement de gauche n’eût-il pas été de pleinement restaurer ce droit à la santé au travail plutôt que de le piétiner ?
Alors qu’une caissière a récemment été privée de son travail pour avoir fait une fausse couche dans son entreprise, sans assistance et livrée à son sort ; alors qu’une postière a fait un AVC en plein labeur, sans aide ni prise en charge ; alors que nous connaissons des cas de suicide de salariés, dont nous savons l'angoisse au quotidien et la souffrance dans les transports, vous imposez par le 49.3 un recul majeur dans ce domaine crucial de la gestion de la santé au travail.
Oui, nous proposons d’abroger cette mesure inique pour replacer la médecine du travail au centre des préoccupations.
Cela étant, j’ai constaté une tentative de vos services de médiatiser l’émergence d’un droit à la déconnexion pour tenter de positiver la réforme. Cet essai est dérisoire, car ce droit à la déconnexion n’est pas imposé par la loi. Là encore, c’est la négociation dans l’entreprise, et donc le bon vouloir patronal, qui primera. Cette mesure, comme quelques autres, ne fait pas le poids face à la déstructuration du droit du travail que vous avez engagée, accélérée, imposée.
Une question me taraude, madame la ministre, comme elle taraude sans doute des millions d’électeurs et d’électeurs de gauche : pourquoi avoir fait cela ? La réponse se trouve sans doute dans l’engrenage libéral dont le Président de la République et ses soutiens n’ont pas voulu sortir, contrairement aux engagements pris.