La séance est ouverte à quatorze heures trente-cinq.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
Mes chers collègues, j’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Robert Parenty, qui fut sénateur des Hauts-de-Seine de 1975 à 1977.
M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d’un sénateur appelé à siéger au sein du conseil d’administration du Centre scientifique et technique du bâtiment.
La commission des affaires économiques propose la candidature de M. Philippe Dallier.
La candidature a été publiée et sera ratifiée, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.
J’informe le Sénat que la commission des affaires économiques a procédé à la désignation des candidats qu’elle présente à la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi ratifiant les ordonnances n° 2016-301 du 14 mars 2016 relative à la partie législative du code de la consommation et n° 2016-351 du 25 mars 2016 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage d’habitation et simplifiant le dispositif de mise en œuvre des obligations en matière de conformité et de sécurité des produits et services.
Cette liste a été publiée conformément à l’article 12, article 4, du règlement et sera ratifiée si aucune opposition n’est faite dans le délai d’une heure.
J’informe le Sénat que la commission des affaires sociales a procédé à la désignation des candidats qu’elle présente :
- d’une part, à la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2016-462 du 14 avril 2016 portant création de l’Agence nationale de santé publique et modifiant l’article 166 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé ;
- d’autre part, à la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2016-966 du 15 juillet 2016 portant simplification de procédures mises en œuvre par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et comportant diverses dispositions relatives aux produits de santé.
Cette liste a été publiée conformément à l’article 12, aliéna 4, du règlement et sera ratifiée si aucune opposition n’est faite dans le délai d’une heure.
L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe communiste républicain et citoyen, de la proposition de loi visant à abroger la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite « loi Travail », présentée par Mme Éliane Assassi et plusieurs de ses collègues (proposition n° 155, résultat des travaux de la commission n° 260, rapport n° 259).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Éliane Assassi, auteur de la proposition de loi.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, dix jours après l’entrée en vigueur de la loi dite « loi Travail », le groupe CRC et moi-même demandons l’abrogation de ce texte.
Notre attitude est sans ambiguïté ; elle se fonde sur l’illégitimité de cette loi, sur sa profonde nocivité pour les salariés et, à terme, pour notre économie.
Oui, madame la ministre, cette loi, votre loi, est illégitime. Elle n’a pas été négociée, et elle a été imposée à l’Assemblée nationale à trois reprises par le biais du 49.3. Votre texte n’y a donc pas recueilli de majorité. Il a été voté par défaut grâce à l’habituel chantage à la dissolution. Ce recours au 49.3, l’ancien Premier ministre Manuel Valls tente aujourd’hui vainement, et maladroitement, de s’en débarrasser, comme il le ferait d’un sparadrap qui lui colle à la peau.
Qui peut croire que cet article a été dégainé « à l’insu de votre plein gré » ? Pas grand monde ! C’est en toute connaissance de cause qu’il a été utilisé pour imposer à votre majorité un texte de casse du droit du travail qui ne figurait pas dans le programme de François Hollande, un texte qui tourne le dos à l’histoire de la gauche fondée, pour une large part, sur les conquêtes des salariés et l’élaboration dudit code.
Nous vous rappelons donc, madame la ministre, que ce texte est minoritaire. Le respect de la démocratie exige par conséquent son abrogation. Non seulement votre majorité ne vous a-t-elle pas suivie à l’Assemblée nationale, mais, enquête après enquête, notre peuple reste très massivement opposé à cette loi. C’est pour cela que vous n’avez pas pu tourner la page de la loi Travail ; c’est pour cela que le livre du quinquennat reste bloqué sur ces lignes : les lignes du renoncement, les lignes d’une politique contre nature qui a surpris la droite sur son propre terrain, les lignes du libéralisme, de la soumission sans frein, ou si peu, des salariés aux exigences patronales.
Dès lors, comment s’étonner, madame la ministre, que la droite exige désormais le démantèlement du code du travail, puisque vous en avez sapé les fondations ?
C’est donc l’illégitimité profonde de ce texte qui explique la vivacité et la force de la demande en faveur de son abrogation, y compris au sein de vos propres rangs.
C’est également son contenu même.
C’est avec colère, voire un certain effarement, que nous avons en effet redécouvert les principaux chapitres de votre texte à l’occasion de son entrée en application, le 1er janvier dernier.
Je pense évidemment à l’inversion de la hiérarchie des normes. Le résultat de décennies de luttes, d’affrontements souvent durs, meurtriers parfois, avec le patronat tout-puissant et ses représentants politiques, pour gagner l’assurance d’une loi protectrice de tous les salariés est en grande partie annihilé par la loi Travail, au nom des dogmes libéraux.
C’est maintenant à l’échelle de l’entreprise que l’essentiel des dispositions relatives au temps de travail sera négocié, la loi, celle des 35 heures par exemple, pouvant à cette occasion être largement remise en cause.
Hormis l’historique 1er mai, auquel vous n’avez heureusement pas osé toucher, l’ensemble des congés payés pourra être supprimé par accord d’entreprise. Certes, cette inversion avait déjà été engagée par vos prédécesseurs de droite, comme M. Xavier Bertrand. Mais est-ce à votre honneur d’avoir eu recours à des recettes que vos électeurs avaient clairement rejetées le 6 mai 2012 ? Vous constatez aujourd’hui le résultat politique de ce ralliement aux thèses libérales les plus éculées.
À force de dire que le code du travail est trop épais – il l’est pourtant bien moins que le code de commerce – ou trop vieux, qu’il est un obstacle à la libre entreprise, vous avez permis à François Fillon et consorts d’en exiger la fin. Vous avez permis à Emmanuel Macron, votre ancien collègue, de proposer de le rendre transparent, translucide, évanescent.
Mais cette loi de casse du droit du travail, ce n’est pas que l’inversion de la hiérarchie des normes.
Les nouveaux accords de préservation et de développement de l’emploi s’appliquent depuis le 1er janvier. Ces fameux « accords offensifs » le sont surtout contre les droits des salariés, quand ils autorisent, par exemple, une entreprise en difficulté à faire travailler plus ses employés sans augmentation de salaire. Les salariés qui refuseraient cet oukase s’exposent dorénavant à un licenciement facilité pour « motif spécifique ».
L’application de cette loi au 1er janvier implique aussi la fin de la visite obligatoire d’embauche par la médecine du travail, à l’exception des emplois exposés.
Madame la ministre, vous pouvez tourner les choses dans tous les sens, mais comment ne pas constater un recul d’un droit social essentiel dans l’entreprise ? Vous pourrez avancer que, bien souvent, cette visite n’existait plus dans les faits, faute de médecin ou de volonté de l’entreprise. Mais l’honneur d’un gouvernement de gauche n’eût-il pas été de pleinement restaurer ce droit à la santé au travail plutôt que de le piétiner ?
Alors qu’une caissière a récemment été privée de son travail pour avoir fait une fausse couche dans son entreprise, sans assistance et livrée à son sort ; alors qu’une postière a fait un AVC en plein labeur, sans aide ni prise en charge ; alors que nous connaissons des cas de suicide de salariés, dont nous savons l'angoisse au quotidien et la souffrance dans les transports, vous imposez par le 49.3 un recul majeur dans ce domaine crucial de la gestion de la santé au travail.
Oui, nous proposons d’abroger cette mesure inique pour replacer la médecine du travail au centre des préoccupations.
Cela étant, j’ai constaté une tentative de vos services de médiatiser l’émergence d’un droit à la déconnexion pour tenter de positiver la réforme. Cet essai est dérisoire, car ce droit à la déconnexion n’est pas imposé par la loi. Là encore, c’est la négociation dans l’entreprise, et donc le bon vouloir patronal, qui primera. Cette mesure, comme quelques autres, ne fait pas le poids face à la déstructuration du droit du travail que vous avez engagée, accélérée, imposée.
Une question me taraude, madame la ministre, comme elle taraude sans doute des millions d’électeurs et d’électeurs de gauche : pourquoi avoir fait cela ? La réponse se trouve sans doute dans l’engrenage libéral dont le Président de la République et ses soutiens n’ont pas voulu sortir, contrairement aux engagements pris.
Mme Nicole Bricq proteste.
Vouloir affronter la finance pour permettre une relance économique en injectant l’argent gaspillé dans les circuits financiers, dans l’économie réelle, c’est-à-dire l’investissement productif et scientifique pour la croissance et pour l’emploi, exigeait une rupture avec les dogmes libéraux qui fondent, en particulier, la construction européenne actuelle.
Or il n’y a pas eu le moindre début de commencement non pas d’une rupture, mais d’une renégociation du traité budgétaire Merkel-Sarkozy qui impose l’austérité à l’Europe, cette austérité qui détruit la dépense publique faite au service de l’intérêt général pour protéger les intérêts capitalistes, ceux des actionnaires.
Mme Nicole Bricq s’exclame.
Le résultat de ce renoncement de l’automne 2012 ne s’est pas fait attendre : le pacte de compétitivité, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le fameux CICE, la loi Macron et son florilège de mesures libérales, et, pour finir, cette ultime réponse aux exigences de Bruxelles, sous peine de sanctions, la loi Travail.
Votre loi, madame la ministre, c’est en effet une réponse à la Commission européenne, qui depuis des années demandait aux États, notamment à la France, de décentraliser le dialogue social à l’échelon des entreprises pour flexibiliser le travail. Dès février 2015, la Commission européenne regrettait explicitement que « le principe de faveur continue de s’appliquer pour tout ce qui concerne les salaires minima ».
L’abrogation de cette loi est donc nécessaire pour construire un code du travail du XXIe siècle et élaborer de nouveaux rapports sociaux entre le patronat et les salariés.
Le code du travail du XXIe siècle doit élargir le droit du travail aux enjeux d’aujourd’hui : la précarisation du salariat, l’ubérisation de l’économie, l’automatisation du travail. L’évolution du droit du travail doit faire entrer la citoyenneté dans l’entreprise pour encourager la moindre subordination des salariés et leur plus grande autonomie, pour sécuriser leur vie professionnelle. Cela requiert d’inscrire le droit à l’emploi dans une vision nouvelle du travail, impliquant la reconnaissance du droit à l’évolution, à la progression professionnelle et à une mobilité professionnelle positive.
C’est pourquoi nous soutenons le projet d’une sécurisation de l’emploi et de la formation permettant d’alterner période d’emploi et période de formation choisie, sans perte de salaire et sans chômage.
Les 32 heures, pour partager le travail sans perte de salaire, l’encadrement strict des heures supplémentaires et le rétablissement de la suprématie de la loi sont des piliers de ce projet, tout comme les nouveaux droits des salariés en matière de contrôle des aides publiques ou des licenciements collectifs infondés.
Nous défendons également l’interdiction des licenciements boursiers. Comment accepter la suppression de 175 postes à La Voix du Nord, alors que l’entreprise est bénéficiaire ? Cette entreprise est l’une des premières à utiliser une disposition de votre loi, madame la ministre, pour licencier.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
Pour un tel projet, il faut de l’argent. Croyez-moi, madame la ministre, notre pays est riche. Il suffit de constater l’indécent progrès des dividendes du CAC 40. Une nouvelle répartition des richesses fonde nos propositions de rupture avec les choix libéraux.
Ces combats pour l’abrogation de la loi Travail et pour de nouveaux droits, la lutte quotidienne contre les licenciements sont difficiles. Je tiens aujourd’hui d’ailleurs à apporter notre soutien aux salariés de Goodyear qui ont été poursuivis pour leur action revendicatrice.
Si l’un d’entre eux a été relaxé par la cour d’appel d’Amiens, les autres ont été condamnés à des peines avec sursis ou de mise à l’épreuve. Nous les avons soutenus, nous les soutenons et nous les soutiendrons encore.
Notre proposition de loi visant à abroger la loi Travail est un appel à refuser la résignation, à poursuivre la lutte pour encourager, à l’occasion des élections présidentielle et législatives, le rassemblement en faveur d’une société plaçant l’humain au cœur de son destin : l’humain d’abord, face à la violence du marché et à la violence libérale.
Le droit du travail, le droit des salariés à vivre dignement, sereinement est au centre de ce projet. Défaire la loi Travail est donc un passage obligé dans cette bataille. C’est pourquoi, mes chers collègues, nous vous proposons d’adopter la présente proposition de loi.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, je voudrais avant toutes choses remercier les fonctionnaires du Sénat qui m’ont grandement aidé dans mon travail de rapporteur.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, déposée par le groupe CRC, vise à abroger la loi Travail du 8 août 2016.
La position des auteurs de ce texte est claire. Tout en reconnaissant quelques avancées limitées, je pense notamment au compte personnel d’activité ou à la généralisation de la garantie jeunes, ils considèrent que la loi Travail comprend un si grand nombre de régressions sociales que son abrogation pure et simple est une nécessité.
Sur la forme, le Gouvernement a eu une lecture très contestable des dispositions de l’article L. 1 du code du travail, en élaborant son projet de loi sans véritable concertation avec l’ensemble des partenaires sociaux ni document d’orientation, et en sélectionnant soigneusement ses interlocuteurs. Le Conseil d’État, dans son avis, a tenté autant que faire se peut de valider la procédure suivie, au terme d’un raisonnement casuistique qui ne trompe personne. Alors que la loi Travail est censée revigorer le dialogue social, la consultation des partenaires sociaux lors de son élaboration n’a pas été exemplaire, tant s’en faut.
Et que dire de l’engagement à trois reprises de la responsabilité du Gouvernement sur ce texte ? L’ancien Premier ministre Manuel Valls a beau jeu aujourd’hui de se poser en victime du 49.3, qui lui aurait été « imposé » par une majorité indocile. Qui a imposé aux parlementaires un texte aussi antisocial ?
Vous-même, madame la ministre, avez vécu le recours au 49.3, selon vos propres aveux, comme une « immense blessure ». Sans remettre en cause vos propos, j’estime que les premières victimes de cette procédure sont les salariés, qui voient disparaître des protections majeures que leur offrait jusqu’à présent le code du travail.
Cette loi engage d’abord la refonte du code du travail, consacrant l’inversion de la hiérarchie des normes et la suppression du principe de faveur qui était pourtant l’un des fondements de notre droit du travail. Une commission d’experts devrait prochainement être mise en place pour généraliser à l’ensemble du code sa nouvelle architecture, qui repose sur le triptyque ordre public, champ de la négociation collective, dispositions supplétives, déjà appliqué par la loi Travail aux dispositions relatives au temps de travail et aux congés. Soulignons d’ailleurs que ni les parlementaires ni les acteurs sociaux n’y seront représentés.
Les travaux de cette commission devraient aboutir, d’ici à 2018, à un code du travail faisant prévaloir la négociation d’entreprise sur le rôle de la branche et sur les prérogatives du législateur. L’article 8 de la loi Travail prévoit déjà que le cadre protecteur et harmonisé de la branche ne s’applique plus, en cas d’accord d’entreprise, au taux de majoration des heures supplémentaires, lequel peut être abaissé à 10 %.
Ce sont désormais vingt-trois domaines – pas moins ! - dans lesquels la branche ne peut plus interdire les accords d’entreprise dérogatoires, qui pourront donc affaiblir le niveau de protection des salariés.
La philosophie générale de la loi Travail est très largement contestée non seulement par la majorité des syndicats, mais également par le patronat, à l’exception, sans surprise, du MEDEF, qui s’accordent à reconnaître à la branche un rôle essentiel pour lutter contre la concurrence sociale déloyale entre toutes les entreprises d’un secteur d’activité, quelle que soit leur taille.
À rebours de cette analyse, que je partage pleinement, la loi Travail offre aux grandes entreprises une boîte à outils pour faciliter le dumping social et économique. De plus, l’inversion de la hiérarchie des normes ne peut pas être favorable aux salariés quand on connaît la réalité des relations sociales dans la plupart des entreprises françaises et les discriminations subies par les représentants des salariés.
En un sens, ce texte dénature la finalité même du code du travail, qui doit d’abord protéger le salarié dans le rapport de subordination qui le lie à son employeur et non déterminer le niveau de flexibilité, de précarité ou d’éjectabilité de son contrat de travail.
Dans le même temps, la légitimité de l’action syndicale sera affaiblie par la possibilité pour des organisations minoritaires d’obtenir l’organisation d’un référendum d’entreprise pour valider un accord rejeté par les syndicats majoritaires.
Par ailleurs, la loi Travail facilite grandement les licenciements. Le développement des accords de compétitivité dits « offensifs » va permettre aux employeurs d’exiger de leurs salariés de nouveaux sacrifices, même quand leur entreprise est en bonne santé, comme cela est maintenant le cas chez Renault. Pour cet exemple, je vous renvoie, mes chers collègues, à la lecture de mon rapport. Les salariés qui refuseront ces accords pourront même être licenciés sans bénéficier des protections accordées aux victimes d’un licenciement économique.
De plus, les règles du licenciement économique ont été considérablement assouplies, satisfaisant ainsi d’anciennes revendications patronales. Dans les grandes entreprises, un employeur pourra licencier dès lors qu’il constate une baisse significative de son carnet de commandes ou de son chiffre d’affaires pendant un an. Nous en avons malheureusement un exemple vivant dans ma région, à La Voix du Nord, dont le quart des effectifs doit être supprimé, alors que l’entreprise réalise cinq millions d’euros de bénéfice net.
Avec cette permissivité, comment éviter aussi que des groupes n’organisent artificiellement des difficultés économiques pour rentrer dans ces critères et privilégier les intérêts des actionnaires ?
Enfin, la loi Travail dénature les missions de la médecine du travail. C’est un point important. Ainsi, depuis le 1er janvier dernier, les salariés ne bénéficient plus que d’une simple visite d’information et de prévention effectuée après leur embauche par un professionnel de santé membre de l’équipe pluridisciplinaire, le plus souvent un infirmier. Le principe de visites périodiques tous les vingt-quatre mois est lui aussi supprimé.
Le décret du 27 décembre 2016 a confirmé nos craintes, en entérinant le principe d’un suivi médical à géométrie variable et en portant à cinq ans la périodicité maximale des visites de contrôle pour la majorité des salariés. Pour, d’une part, ceux qui font l’objet d’un suivi individuel renforcé et pour, d’autre part, les travailleurs mineurs, les travailleurs de nuit et les travailleurs handicapés, ce délai est respectivement fixé à quatre ans et à trois ans. Tout cela, pour ne prendre qu’un exemple, alors que des études médicales établissent un lien entre travail de nuit et développement du cancer du sein.
De plus, peu ont noté que la loi Travail modifie la procédure de recours contre les avis d’aptitude ou d’inaptitude, recours qui doit désormais être porté devant le conseil de prud’hommes et non plus devant l’inspecteur du travail. En cas de contestation de cet avis par le salarié, la contre-expertise est maintenant à ses frais, alors qu’elle était auparavant réalisée gratuitement par le médecin inspecteur du travail. Cette réforme me paraît particulièrement choquante, car elle affectera surtout les salariés connaissant les situations personnelles les plus dramatiques.
Plus globalement, je déplore, madame la ministre, la méthode suivie par votre gouvernement pour réformer la médecine du travail. Avant d’envisager la modification des règles du suivi médical, il aurait peut-être fallu lancer un ambitieux plan national pour renforcer l’attractivité de cette filière auprès des étudiants en médecine. Faute d’une telle initiative, la réforme apparaît comme un aveu d’échec face au déclin réel du nombre de professionnels. Pis, cette mesure entre en contradiction avec le troisième plan santé au travail qui érige comme priorité les actions de prévention et de reclassement.
En conclusion, je regrette que la commission des affaires sociales ait repoussé la présente proposition de loi d’abrogation le 21 décembre dernier. Depuis cette date, en effet, l’abrogation de la loi Travail est devenue, vous l’avez certainement noté, mes chers collègues, un thème incontournable du débat politique, car elle est proposée par plusieurs candidats à l’élection présidentielle.
Certes, j’en suis convaincu, cette abrogation n’est pas suffisante, mais elle est selon moi nécessaire pour dessiner les contours d’un nouveau code du travail, rénové et simplifié, répondant aux évolutions technologiques, économiques et sociales, tout en rétablissant et étendant les protections des salariés et leur pouvoir d’intervention. C’est pourquoi je forme le vœu que le Sénat adopte cette proposition de loi, afin d’envoyer un message fort à l’attention de nos concitoyens soucieux de la préservation de notre modèle social.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’il me soit permis en préambule de mon propos, et avant d’entrer dans le vif du sujet, de vous adresser à toutes et à tous, ainsi qu’à vos proches et à l’ensemble des collaborateurs de la Haute Assemblée, mes vœux les plus chaleureux et les plus amicaux pour cette nouvelle année.
L’année électorale qui s’ouvre ne doit pas nous faire perdre de vue le bien le plus précieux que nous avons en commun : l’attachement à notre pays et à la République.
Précisément, la loi Travail est désormais loi de la République. Depuis le 1er janvier dernier, la très grande majorité de ses dispositions est entrée en vigueur. En effet, 80 % des décrets qui devaient être pris l’ont été à la fin de l’année 2016. Les 20 % restant le seront avant la fin du quinquennat.
Quel sens y aurait-il à abroger aujourd’hui une loi qui vient tout juste d’entrer en vigueur ? Aucun.
La commission des affaires sociales ne s’y est d’ailleurs pas trompée, en refusant d’adopter la présente proposition de loi qui vise, au fond, à tenter de relancer le débat que nous avons eu durant quinze jours au sein de la Haute Assemblée. Mais je reconnais au groupe CRC sa très grande constance sur le sujet. À l’issue de cette discussion générale, je vous apporterai, comme j’ai eu l’occasion de le faire au cours de nos échanges sur la loi susvisée, des réponses très précises aux questions que vous avez posées, qu’il s’agisse de la réforme de la médecine du travail ou de la situation des salariés de La Voix du Nord.
Vous le savez, le texte a été l’otage de considérations fort éloignées de son objet. C’est ainsi. On ne légifère pas pour soi, ni même pour le temps présent. On légifère pour ouvrir de nouvelles perspectives, …
C’est ce qui nous inquiète… Il ne fallait pas utiliser le 49.3 dans ce cas !
… pour redresser son pays, pour créer les conditions de nouveaux progrès sociaux adaptés au monde qui vient.
Au moment où elle entre en vigueur, je veux rappeler que nous croyons plus que jamais au bien-fondé et à l’utilité de la loi Travail.
Ce texte renforcera nos syndicats, les protections des salariés et nos entreprises. Son contenu repose sur le point d’équilibre le plus juste : nous avons respecté le compromis passé avec les syndicats réformistes et intégré aussi le point de vue de ceux qui ont notamment souhaité voir réaffirmer le poids des branches.
Avec cette loi, nous portons une ambition qui puise dans l’histoire longue de notre histoire sociale, de la gauche de gouvernement, de la gauche réformatrice. Elle est d’ailleurs farouchement combattue par la droite, et ce n’est pas sans raison.
La droite a déjà tenté, au Sénat, de réécrire l’intégralité du texte – comme un écho avant l’heure au programme de François Fillon –, avec des amendements visant notamment à supprimer les 35 heures, la garantie jeunes ou le compte personnel d’activité…
Comment, en sortant des postures, nier les avancées sociales considérables que contient la loi Travail et qui vont bientôt être une réalité pour des millions de salariés ?
Malheureusement ! Même au parti socialiste, on ne veut pas de cette loi !
Nous créons un droit à la déconnexion pour protéger la vie personnelle à l’heure du tout-numérique. Tout le monde aujourd’hui, y compris dans la presse étrangère, remarque et salue cette avancée.
Nous créons le compte personnel d’activité pour que chacun bénéficie de sécurités renforcées et puisse être acteur de son parcours professionnel.
Nous créons aussi un compte engagement citoyen, valorisant ainsi l’activité associative de millions de Français. Croyez-vous que les salariés vont dénoncer cette mesure ou, au contraire, y voir un progrès en phase avec leurs aspirations et leurs pratiques ?
Nous sanctuarisons les 35 heures comme durée légale hebdomadaire, car, contrairement à d’autres, nous ne croyons pas que la vie d’un homme se résume à une vie de labeur.
Contrairement à ce que vous dites, madame Assassi, nous préservons totalement et améliorons les congés qu’un salarié peut prendre à l’occasion d’un mariage, d’une naissance ou d’un décès, et nous créons un congé nouveau pour ceux qui apprennent le handicap de leur enfant.
Nous améliorons considérablement le congé de proche aidant, ce qui était une attente forte des associations œuvrant dans ce domaine, ainsi que le dispositif d’emploi accompagné pour les personnes en situation de handicap.
Nous sanctuarisons le compte personnel de prévention de la pénibilité pour que ceux qui ont eu les carrières les plus difficiles puissent, s’ils le désirent, partir plus tôt à la retraite parce que, n’en déplaise à ceux qui en freinent aujourd’hui l’application, c’est là une mesure de justice sociale profonde : comment pourrions-nous aujourd’hui, en hommes et femmes de gauche que nous sommes, accepter cette inégalité sociale, sans doute parmi les plus choquantes, à savoir l’inégalité devant la vie et devant la mort ?
Nous généralisons la garantie jeunes, un dispositif qui rencontre un franc succès sur le terrain – interrogez les jeunes qui en ont bénéficié ! –…
C’est notre réponse à ces jeunes les plus éloignés du retour vers l’emploi.
Nous soutenons les syndicats et augmentons de 20 % leurs moyens.
Nous jetons les bases d’un droit universel à la formation.
Nous créons des droits nouveaux pour les collaborateurs de plateformes numériques, quand certains semblent encore n’être qu’au stade de la découverte des conséquences sociales de l’ubérisation de notre économie…
Entre le statu quo espéré par les uns et les vieilles lunes libérales des autres, il existe une autre voie, celle d’un progrès négocié qui fait confiance aux acteurs du terrain et aux partenaires sociaux pour trouver les compromis les plus efficaces et les plus justes.
Permettez-moi à cet instant de mon propos d’avoir une pensée pour François Chérèque, inlassable défenseur d’une certaine culture de la négociation et qui a démontré, s’il le fallait, qu’on pouvait être un homme de dialogue et de compromis, et un grand syndicaliste.
Au cœur de nos discussions, depuis des semaines, il y a la place que nous souhaitons accorder à la négociation d’entreprise. Ce débat, nous le savons, dépasse d’ailleurs le cadre du Parlement et traverse aussi le champ syndical.
En réalité, cette loi s’inscrit dans un mouvement long, dans la continuité des lois votées depuis 1982, 1998 et 2012, qui donnent la priorité à la proximité, à la démocratie dans l’entreprise, aux salariés et à leurs représentants !
La loi doit protéger, évidemment, mais la loi venue d’en haut ne sait pas, ne sait plus, traiter de chaque situation particulière de façon juste et efficace. Pour changer la société, il faut agir par le haut et par le bas. C’est évidemment le logiciel de la gauche réformiste et, d’ailleurs, de nombreux républicains, au-delà de la seule gauche.
Nous avons décentralisé la République, avec succès ; à nous de décentraliser aussi la démocratie sociale !
La loi renforce d’abord les branches, en réaffirmant leur rôle de régulation et en procédant à leur rationalisation. Le nombre de celles-ci passera ainsi de 700 à 200 en trois ans. Les deux décrets sur la restructuration des branches ont d’ores et déjà été pris, signe de notre volonté d’avancer sur ce chantier décisif pour la qualité et la modernisation du dialogue social dans notre pays.
Aujourd’hui, dans certains domaines, les accords de branche priment et, dans d’autres, ce sont, au contraire, les accords d’entreprise qui l’emportent ; il en existe d’autres dans lesquels aucun principe n’est fixé : pour ceux-là, les partenaires sociaux devront se prononcer et définir les thèmes pour lesquels il ne sera pas possible de déroger aux accords de branche.
Nous avons aussi conforté les branches dans deux domaines : l’égalité professionnelle et la pénibilité.
Enfin, je le rappelle, car c’est un élément décisif, la validité d’un accord d’entreprise est toujours conditionnée au soutien de syndicats représentant au moins 50 % des voix exprimées lors des élections professionnelles, contre 30 % auparavant.
Je souligne, pour terminer, que nous avons garanti dans la loi l’étroite association des partenaires sociaux pour la suite, puisqu’il reviendra au Haut Conseil du dialogue social de formuler des propositions à la commission de refondation du code du travail.
Répétons-le avec force, il est totalement contre-productif d’opposer les différents niveaux de négociation : les accords d’entreprise, les conventions collectives et le code du travail sont les piliers d’une démocratie sociale moderne, dynamique et génératrice de progrès.
La loi Travail entre aujourd’hui dans le quotidien des entreprises, de nos concitoyens. C’est là, au contact de la réalité du quotidien des salariés, qu’elle va véritablement entrer dans la vie des Français. Ces derniers pourront apprécier, mesure par mesure, ce que ce texte recouvre de progrès. Notre ambition, nous l’assumons, aura été de faire progresser notre pays vers une culture du compromis telle que la pratiquent depuis des décennies certaines social-démocraties européennes.
Pourquoi notre pays ne pourrait-il pas s’inspirer parfois de certains succès de ses voisins en matière de dialogue social ? La France, c’est vrai, est marquée par une histoire sociale et syndicale faite de radicalités, et n’est pas toujours encline à mener un dialogue apaisé et respectueux des parties.
Je crois pourtant, sincèrement, que se dessine là une véritable voie de progrès pour notre démocratie sociale.
Cette loi est d’abord porteuse de progrès pour les jeunes, les précaires, les travailleurs saisonniers ou ceux des plateformes numériques, les salariés qui peinent parfois à concilier leurs vies personnelle et professionnelle.
Elle est aussi porteuse de progrès pour des millions de Français grâce, par exemple, au compte personnel d’activité – j’aurais l’honneur de le lancer demain avec certains de mes collègues ministres et le Premier ministre –, qui pose les premières bases d’une véritable protection permettant à chacun de maîtriser son parcours professionnel.
Elle est ensuite un pari, celui de faire confiance aux partenaires sociaux, celui de croire qu’il est possible de réformer notre pays par le compromis. Car la France doit renouer avec la confiance : confiance en soi-même et en nos concitoyens.
Mme Myriam El Khomri, ministre. C’est aussi et surtout un choix que le Gouvernement assume pleinement, celui d’avancées sociales réelles inscrites dans le temps long, plutôt que la défense du statu quo et le vacarme, parfois vain, du temps présent.
Applaudissementssur les travées du groupe socialiste et républicain.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Madame la ministre, vous avez évoqué la mémoire de François Chérèque. Je m’associe à cet hommage. Je veux aussi avoir une pensée pour Danièle Karniewicz, qui vient de nous quitter, et qui avait beaucoup œuvré pour défendre la protection sociale.
Mme Nicole Bricq opine.
Cela étant, cinq mois après la promulgation de la loi du 8 août 2016, dite « loi Travail », le groupe CRC nous propose d’ores et déjà de revenir sur ce texte dont l’encre est à peine sèche et qui, c’est vrai, en fit couler beaucoup.
Abroger une loi antérieure est d’ordinaire un classique de nos alternances démocratiques. Rappelons-le, François Hollande, ses ministres, comme Manuel Valls ou Arnaud Montebourg, ses conseillers, comme Emmanuel Macron, ont, par exemple, abrogé derechef en 2012 la fiscalité anti-délocalisation votée quelques mois auparavant.
Je constate que M. Hollande, rattrapé par la réalité, a reconnu ses erreurs en rétablissant – mais après combien d’emplois détruits ? – une forme de fiscalité anti-délocalisation en augmentant les taux de TVA et en instaurant un crédit d’impôt dit « compétitivité entreprises ».
Pour les autres, c’est avec gourmandise que nous pouvons observer le match des idées dans le cadre de la primaire PS-PRG-UDE.
Ainsi, Arnaud Montebourg s’est déclaré, hier, partisan de l’abrogation de la loi Travail « dans sa totalité », …
« Abrogation » n’est d’ailleurs pas un gros mot. Nous, à droite et au centre, si les Français nous font confiance, nous abrogerons les dispositifs mal nés que vous léguez, comme celui du tiers payant généralisé.
S’agissant de la loi Travail, on se souvient combien le débat fut pour le Sénat un rendez-vous manqué, après avoir été un rendez-vous tronqué à l’Assemblée nationale, où le texte ne fut adopté que par le « recours brutal », pour citer Dominique Watrin, au 49.3.
Aussi, peut-être François Hollande parlait-il, hier, de lui-même – il aime beaucoup le faire ! – lorsqu’il évoquait, lors de ses vœux au monde économique, le risque de blocage qui produit « face à la brutalité […] une autre brutalité ».
Au total, la méthode employée à l’occasion de la loi Travail constitue « une rupture avec la culture du dialogue social qui s’était ancrée dans le paysage politique ces dernières années à la suite de la loi Larcher ». Cet hommage au précédent quinquennat figure en ces termes dans le rapport de Dominique Watrin, et je veux l’en remercier.
Si le travail accompli dans cet hémicycle, de nombreuses heures durant, fut riche de l’unique examen complet du projet de loi, peu des apports du Sénat – 358 amendements issus de toutes les travées – furent conservés dans la version définitive de la loi.
Exit une simplification ambitieuse !
Exit les accords d’entreprise pour définir un temps de travail adapté à la diversité des situations !
Exit le doublement des seuils sociaux !
Exit la possibilité de recentrer le compte pénibilité sur les quatre premiers critères !
Exit la baisse du forfait social pour renforcer l’épargne salariale !
Exit le développement de l’apprentissage !
Exit donc, hélas, le reflux massif du chômage !
Alors, certes, il y a la consécration du mouvement de décentralisation du dialogue social que François Fillon et Xavier Bertrand avaient largement engagé comme ministres du travail.
Parce que nous croyons profondément au dialogue social et au fait qu’il permet d’accroître la performance des salariés comme la performance sociale des entreprises, nous pensons qu’il doit être rénové.
Le taux de participation catastrophique aux élections professionnelles dans les très petites entreprises – 5 % ! – est un indicateur de plus, s’il le fallait, de l’impératif de rénovation du dialogue social.
Ce dialogue doit être rénové au plan local, dans l’entreprise, en parachevant ce mouvement qui redonne à la base, aux salariés dans l’entreprise, confrontés au réel, le pouvoir de dire oui ou non.
Je signale, s’agissant des accords d’entreprise, que même un syndicat contestataire comme la CGT signe 85 % des accords depuis près de vingt-cinq ans.
Quant au pouvoir de dire oui ou non par consultation, par référendum, c’est non pas la négation du dialogue social, mais bien la prise en compte de l’aspiration croissante des citoyens, notamment des salariés, à donner directement leur avis.
Bref, il s’agit de faire en sorte que l’entreprise soit vraiment un bien commun à tous, salariés et entrepreneurs, comme le revendique régulièrement François Asselin.
Ce n’est pas une lubie – Jean-Marc Gabouty nous en a d’ailleurs parfaitement parlé. J’en veux pour preuve la transmission de l’entreprise La Générale de Bureautique, à Nantes, par son dirigeant Éric Bélile à ses quarante-cinq salariés.
Ce dialogue social doit aussi être rénové au plan national, interprofessionnel, pour être créateur de solutions face aux problématiques économiques et sociales que nous rencontrons. Les partenaires sociaux savent parfaitement en leur for intérieur que ne pas conclure une négociation sur l’assurance chômage revient à remettre en cause leur capacité à incarner une forme d’intérêt commun et supérieur.
Face à cet impératif de rénovation, certains menacent déjà d’un « troisième tour social ». Ce serait nier l’expression démocratique des Françaises et des Français !
Qu’il y ait un affrontement entre une majorité de syndicats et le Gouvernement lorsque celui-ci propose à neuf mois de la fin de son mandat une réforme qui n’était pas inscrite au programme présidentiel, au pacte fondateur, on peut le comprendre. Mais pas lorsqu’il faut prendre des mesures d’urgence sociale au lendemain d’un scrutin présidentiel qui mobilise huit électeurs sur dix !
Dans sa sagesse, le législateur a d’ailleurs prévu un tel cas de figure. L’article L. 1 du code du travail, issu de la loi Larcher, vise ainsi une procédure d’urgence. Dans ce cas-là, « lorsque le Gouvernement décide de mettre en œuvre un projet de réforme en l’absence de procédure de concertation, il fait connaître cette décision aux organisations […] en la motivant dans un document qu’il transmet à ces organisations avant de prendre toute mesure nécessitée par l’urgence. »
C’est pourquoi le chef de l’État, je le dis comme je le pense, a manqué d’un peu de hauteur de vue en évoquant hier d’imaginaires « voix [qui] puissent réclamer de mettre un terme au dialogue social ». Il y a seulement un état d’urgence économique et social auquel il faut répondre ! Et il y a bien urgence, car les défis à relever sont nombreux.
Nous pourrons ainsi en finir avec cette fatalité très française d’un chômage structurellement plus élevé que chez nos voisins – 500 000 chômeurs supplémentaires en catégorie A depuis 2012 ! –, et aborder avec les bonnes lunettes et les bons outils l’économie transformée par le numérique. De ce point de vue, le compte personnel d’activité est un concept intéressant, mais quelque peu vicié par ce fameux compte pénibilité rejeté pour sa complexité. Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas traiter ce sujet. Mais il faut le faire en partant de la réalité des entreprises, et non en imposant du haut une formule condamnée à l’échec.
Il faudra également travailler sur le chantier urgent du statut de l’indépendant et de sa protection sociale.
Au total, la loi Travail ne mérite ni excès d’honneur ni excès d’indignité. La révolution copernicienne de l’article 8, ex-article 2, ne fait pas oublier les verrous qui ont été posés sur de nombreux dispositifs – barème prud’homal indicatif, référendum… –, en raison desquels de nombreuses mesures ont l’apparence de la réforme, mais n’en auront pas l’efficacité.
Au moment où nous sommes tous tendus vers les Français, à leur écoute et à leur rencontre pour préparer la France de demain et construire un nouveau contrat social qui table sur l’alliance du capital et du travail et ne les oppose pas, le groupe Les Républicains laissera les différentes composantes de la gauche face à leurs contradictions et ne prendra pas part à ce vote.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Si nos vies valent mieux que leurs profits, nos voix valent mieux que vos conflits !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.
Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le groupe communiste républicain et citoyen nous propose aujourd’hui d’abroger la loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, appelée plus communément « loi Travail ».
Nos collègues nous ont rappelé que cette loi avait été marquée par une absence de concertation préalable avec les partenaires sociaux, qu’elle avait été imposée par le Gouvernement et qu’elle exprimait un recul social inacceptable.
Certes, la méthode employée par le Gouvernement – concertation avec les partenaires sociaux intervenant après la présentation du texte en conseil des ministres et recours systématique au 49.3 – est pour le moins contestable. Nous sommes bien loin des promesses du candidat Hollande « de clarifier la responsabilité de chacun, de respecter les acteurs sociaux et de promouvoir la culture de la négociation et du compromis » et de « modifier la Constitution pour qu’elle reconnaisse et garantisse cette nouvelle forme de démocratie sociale. »
Le Président de la République avait confirmé au début de son quinquennat qu’il n’y aurait « pas de loi dans le domaine de la vie économique et sociale qui pourrait être votée par le Parlement sans qu’il y ait eu une phase de dialogue et de concertation », faisant ainsi du dialogue social la pierre angulaire de sa méthode de gouvernance !
S’agissant de la philosophie générale de la loi, j’entends les inquiétudes de mes collègues du groupe CRC. Nous devons toutefois avoir conscience que la France connaît depuis trente-cinq ans un chômage de masse lié à un environnement inadapté et à un droit du travail rigide, qui freine la compétitivité de nos entreprises.
Gardons à l’esprit, mes chers collègues, que notre pays a besoin d’entreprises, d’entrepreneurs et de salariés, et que la mission de l’État, comme celle du législateur, est de les accompagner au mieux en adaptant le droit du travail aux nécessités de notre époque, imposées par une concurrence internationale forte, que l’on ne saurait oublier. C’est le seul chemin possible pour lutter efficacement contre le chômage.
Un certain nombre de nos partenaires européens ont entrepris ces réformes et bénéficient aujourd’hui d’une reprise manifeste de leur activité économique.
C’est la raison pour laquelle le Sénat, lors des débats sur le projet de loi Travail, avait proposé un texte ambitieux qui permettait de libérer et de décomplexifier notre marché du travail. Ce texte, madame la ministre, reprenait du reste bon nombre de dispositions formulées dans votre avant-projet de loi et présentes dans le rapport Combrexelle : plafonnement des dommages et intérêts accordés aux prud’hommes en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, ou prise en compte du périmètre national en matière de licenciement économique, notamment.
Malheureusement, face aux pressions, le Gouvernement a reculé sur ces points et a intégré dans la précipitation certaines dispositions pour adoucir, semble-t-il, la contestation sociale. La loi Travail, adoptée aux forceps, n’est pas la réforme d’ampleur annoncée et tant attendue qui devait déverrouiller le marché du travail et faciliter l’embauche.
Pour autant, la proposition de loi du groupe CRC me semble pour le moins radicale. Parce que vous contestez la primauté des accords d’entreprise, le licenciement économique, les accords de préservation et de développement de l’emploi, ou encore le démantèlement de la médecine du travail, vous nous demandez, mes chers collègues, d’abroger purement et simplement la loi Travail, sans formuler d’autres propositions, …
… faisant fi des avancées que contient le texte. Cette loi a, par exemple, augmenté les congés pour événements familiaux, renforcé la protection des parents contre le licenciement à la suite de la naissance d’un enfant, renforcé la lutte contre les discriminations, le harcèlement sexuel et les agissements sexistes en entreprise, facilité l’intégration des personnes handicapées dans le monde du travail, permis la conclusion de contrats intermittents pour l’emploi des saisonniers sans qu’un accord de branche le prévoie, ou encore renforcé la lutte contre le détachement illégal.
Vous voulez abroger purement et simplement cette loi, sans proposer d’autre dispositif.
Mme Éliane Assassi et M. Jean-Pierre Bosino protestent.
Nous avons entendu certains candidats à l’élection présidentielle, comme François Fillon, présenter leur projet. Pour notre part, nous proposons également autre chose. Aussi, la très grande majorité du groupe du RDSE ne pourra soutenir cette proposition de loi.
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.
Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs, dont les membres du groupe CRC nous proposent aujourd’hui l’abrogation, nous ne l’avions finalement pas votée, car elle était bien trop éloignée du texte approuvé par la majorité sénatoriale.
Nous avons au moins eu la possibilité d’en débattre. Vous avez été à cette occasion, madame la ministre, très attentive, mais bien peu réceptive. Quant à l’Assemblée nationale, elle devait subir la frustration du 49.3. Et nous avons dû supporter la même intransigeance au moment de la commission mixte paritaire, au cours de laquelle nos propositions ont reçu une fin de non-recevoir, y compris d’ailleurs celles qui paraissaient plus satisfaisantes aux yeux des partenaires sociaux.
La commission des affaires sociales du Sénat a fondé sa démarche sur une approche essentiellement pragmatique visant à réformer en profondeur le droit du travail, de manière à instaurer de nouvelles règles mieux adaptées au contexte économique et culturel de notre époque.
Le code du travail n’est pas une bible immuable. Il doit être avant tout un outil au service des entreprises et des salariés, tendant à définir des règles de fonctionnement équilibrées, parce que respectueuses des intérêts des parties dans le cadre d’un contrat librement négocié au niveau de l’entreprise ou de la branche professionnelle.
L’approche sociétale de la fonction travail ne doit pas être négligée, mais elle ne doit pas être non plus un prétexte pour rigidifier les rapports entre les entreprises et les salariés dont les destins professionnels sont souvent intimement liés.
Notre objectif était de rechercher l’efficacité et la simplicité, afin de faciliter, sur le terrain, les relations entre les partenaires sociaux et de permettre aux entreprises de s’adapter à une concurrence mondialisée plus âpre. Cette démarche est indispensable pour mettre notre économie en situation de produire plus de richesses et d’emplois dans un environnement à la fois plus exigeant et plus instable en termes de compétition internationale. Préserver le travail de ceux qui en ont et surtout permettre aux millions de chômeurs d’accéder à l’emploi passe obligatoirement par une économie performante avec des approches sociale et économique cohérentes, car indissociables l’une de l’autre.
Le texte adopté par le Sénat, plus sobre sur le plan rédactionnel, évitait les mesures trop complexes, inutiles ou inapplicables, comme celles qui ont été retenues à propos de l’instauration d’instances de dialogue social dans les réseaux de franchise, de l’ébauche de responsabilité sociale des plateformes électroniques, du compte personnel d’activité, ou encore des modalités de négociation en matière d’emploi saisonnier. De récents événements ont eu tendance à prouver, pour ce qui concerne les plateformes, que le dispositif retenu n’éviterait ni les ambiguïtés ni les abus et que, sur ce sujet, une réflexion beaucoup plus large devra être engagée pour l’ensemble des travailleurs non salariés, indépendants ou auto-entrepreneurs.
Nous avions également souhaité sur le principe, à l’instar du Gouvernement, favoriser un dialogue direct au niveau de l’entreprise en élargissant le champ des possibilités dans la manière de fixer le temps de travail ou les modalités de négociation au sein des entreprises. Il est dommage que le texte final ait plombé cette liberté par un dispositif de mandatement très dissuasif à l’échelon des dirigeants, mais aussi des salariés dans les PME et TPE. On prive en effet celles-ci de la possibilité d’accords de proximité, y compris par l’intermédiaire d’une consultation directe des salariés.
Il s’agit là d’une contradiction majeure dans l’optique retenue par le Gouvernement. La contrepartie de cette souplesse aurait pu être de redonner, certes à titre supplétif, un caractère plus équilibrant aux branches professionnelles, ou du moins à celles qui fonctionnent de manière satisfaisante depuis de nombreuses années. La réforme de celles-ci qui est envisagée dans ce texte est une bonne chose.
À cet égard, je reconnais que les accords types de branche représentent une mesure intéressante.
Nous avions aussi eu la préoccupation de prévoir une réactivité qui se traduirait par la réduction de délais de mise en œuvre, de recours ou de jugement. L’instauration d’un rescrit social, élaboré par la délégation aux entreprises du Sénat, s’inscrivait dans la même démarche innovante permettant de mieux sécuriser les initiatives et les projets dans le cadre de relations sociales plus apaisées.
Ce souci de rapidité, de sécurisation et d’équité, nous avions voulu l’introduire dans une formulation différente du licenciement économique consécutif aux difficultés rencontrées par les entreprises.
Pour ce qui concerne la médecine du travail, nous aurions souhaité maintenir l’universalité de la visite d’aptitude à l’embauche, en désengorgeant un flux encombré par une majorité de visites liées à des contrats courts. On ne peut pas non plus se résigner à une diminution perpétuelle du nombre de médecins du travail, sans avoir fait auparavant les efforts nécessaires pour rendre ce métier plus accessible et plus attractif. Si nous n’allons pas dans cette direction, il faut alors envisager d’abandonner la médecine du travail ou de la privatiser ! Il faut fournir les efforts nécessaires et prévoir les moyens indispensables pour la maintenir.
Enfin, le travail détaché, qui est souvent dénigré, est aujourd’hui indispensable au développement de notre économie. Il est souhaitable qu’une nouvelle directive européenne encadre mieux les risques de dumping social, en particulier du point de vue des charges, et que les moyens de contrôle de la régularité de la situation des travailleurs détachés et de leurs employeurs soient renforcés. Même sur ce point, notre proposition d’étendre les sanctions à l’égard des entreprises ayant des pratiques frauduleuses n’a pas été retenue.
Dans ce projet de loi, l’apprentissage, essentiel à l’insertion des jeunes et à la préservation des savoir-faire, aurait dû trouver une place plus significative, comme l’avait proposé mon collègue rapporteur Michel Forissier.
L’essence de notre texte reposait au final, malgré les critiques qui en ont été faites, sur un équilibre entre la recherche de la performance des entreprises et l’aspiration légitime des salariés à disposer d’une formation, d’un emploi, et à mieux bénéficier des résultats financiers dans le cadre de l’amélioration des dispositifs d’intéressement que nous avions proposés, en particulier dans les PME et TPE.
Face à ce texte, nous ne pouvons aujourd’hui formuler que des regrets, ceux du temps perdu, des contradictions et de la complexité, bien éloignés de la démarche révolutionnaire qu’avait claironnée en son temps le Premier ministre.
Inévitablement, ce sujet sera remis en discussion, peut-être dès cette année, et nous aurons déjà les uns et les autres l’expérience de réflexions et d’échanges très argumentés.
Mais le débat de ce jour n’est pas le nôtre, car il oppose toujours – calendrier électoral oblige – la gauche de la gauche aux socialistes, les frondeurs au Gouvernement, et la France insoumise à la France du surplace. C’est la raison pour laquelle, dans sa grande majorité, mon groupe ne prendra pas part au vote.
Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains.
Chers collègues du groupe CRC, avec cette proposition de loi insolite, vous nous proposez aujourd’hui l’abrogation d’une loi récente par un article unique.
Parce que les écologistes n’ont pas voté la loi Travail, parce que texte a été promulgué après usage du 49.3, que renie aujourd’hui celui qui l’utilisa, …
M. Jean Desessard. … parce que le vote se fit dans un contexte social conflictuel, avec l’opposition de nombreux syndicats, nous pourrions voter en faveur de cette proposition de loi.
Exclamations sur les travées du groupe CRC.
Mes chers collègues, veuillez laisser parler M. Desessard, car vos interruptions lui laissent moins de temps pour s’exprimer !
D’ailleurs, le groupe socialiste, avec notre soutien, utilisa cette méthode et abrogea au mois de janvier 2013 la loi Ciotti, …
… qui permettait de suspendre le versement des allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire des enfants ; sept articles, déjà mis en œuvre, étaient concernés.
Avec cette proposition de loi, l’innovation législative vient du fait que l’on touche à 123 articles, soit près de 250 pages de code, un texte entré en vigueur, dont les trois quarts des décrets d’application ont été pris.
Rires sur les travées du groupe Les Républicains.
Mais nous comprenons que la brutalité de cette proposition de loi répond à la brutalité avec laquelle la loi Travail a été adoptée.
Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.
Sur le plan social, comment expliquer aux salariés, aux employeurs, et plus généralement à l’ensemble de nos concitoyens, que l’on adopte une loi dans le but de promouvoir le dialogue social sans consulter, en amont, les partenaires sociaux ? Comment justifier une telle entorse à l’article L. 1 du code du travail qui pose le principe d’une telle consultation dès lors qu’un projet de loi porte sur les relations du travail, l’emploi et la formation professionnelle ?
Sur le plan politique, je n’ai pas besoin d’en rajouter sur le caractère antidémocratique du 49.3, puisque vous-même, madame la ministre, ainsi que l’ancien Premier ministre, en avez reconnu la brutalité.
Nous rappellerons que la diversité des sujets traités et des dispositifs proposés par cette loi rend son analyse complexe.
Le groupe écologiste est ainsi favorable à certaines dispositions. Le compte personnel d’activité, qui entérine l’individualisation des droits sociaux, peut représenter la première étape vers le revenu universel. Si nous souhaitions l’ouverture du RSA aux jeunes âgés de 18 à 25 ans, la garantie jeunes, sans aller si loin, constitue tout de même un premier minimum social à destination des jeunes précaires. D’ailleurs, le compte personnel d’activité entre en vigueur demain.
D’autres dispositions, en revanche, nous posent fortement problème. C’est le cas de l’inversion de la hiérarchie des normes…
… qui permet désormais la signature d’accords d’entreprise moins favorables que la loi aux droits des travailleurs. S’il peut être pertinent de favoriser la démocratie d’entreprise, nous considérons néanmoins que dans la situation économique actuelle d’adaptation à la mondialisation, avec le chômage et la précarité que nous connaissons, le rapport de forces cantonné à l’entreprise ne peut pas être favorable aux salariés.
Par ailleurs, alors que nous défendons le principe d’une harmonisation sociale à l’échelle européenne, dessaisir l’État au profit des entreprises nous semble aller dans le sens exactement contraire.
Les nouvelles règles applicables aux licenciements pour motif économique permettent aux entreprises de licencier trop facilement. Le plan de sauvegarde de l’emploi engagé hier par le quotidien La Voix du Nord – l’exemple a été cité par M. le rapporteur – en est le triste exemple. Ainsi, une entreprise bénéficiaire peut désormais, en justifiant une légère baisse de son activité, licencier le quart de ses salariés….
Nous regrettons également l’affaiblissement structurel de la médecine du travail qu’entraîne cette loi en supprimant l’universalité de la visite d’aptitude à l’embauche.
Le principe de cette proposition de loi d’abrogation est pourtant source de difficultés. D’un côté, elle a notre sympathie puisqu’elle remet en cause une loi dont nous n’approuvions ni les principales dispositions ni les conditions d’adoption.
Si, justement !
D’un autre côté, il n’est pas évident de voter en faveur d’un texte qui supprime des dispositifs déjà en application.
Face à ce constat, nous considérons qu’il sera nécessaire de revenir sur cette loi Travail. Trois des candidats de la primaire socialiste, le candidat écologiste et le candidat de la France insoumise…
… se sont prononcés pour abroger ou modifier en profondeur ce texte. Voilà des éléments qui permettraient de construire bientôt ensemble, avec les partenaires sociaux et les citoyens, une nouvelle réforme du droit du travail.
Dans cette réforme, il faudra aussi s’attaquer à la future protection sociale des travailleurs de l’économie « ubérisée ».
Cette volonté de reconstruire le code du travail ne se limite pas à l’abrogation d’un texte déjà en application, mais nécessite un travail prospectif, que cette proposition de loi n’engage pas.
Aussi, le groupe écologiste s’abstiendra.
Exclamations sur les travées du groupe CRC. – Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.
Chers collègues du groupe CRC, vous proposez une solution radicale à l’encontre d’une loi que vous avez ardemment combattue, ici, au Sénat, et dans la rue.
Vous le faites avec le sérieux, le calme et la conviction que nous vous connaissons dans cet hémicycle.
Il revient à Mme la ministre de faire le bilan de cette loi au moment même où celle-ci entre en application. Ne l’oublions pas, elle « marche » maintenant !
Protestations sur les travées du groupe CRC.
Vous voulez refaire le débat. Pour ma part, je ne le souhaite pas, même au prétexte que le 49.3 a été utilisé à trois reprises à l’Assemblée nationale. En effet, ici, au Sénat, nous avons débattu pleinement et nous avons voté librement. Pour ce qui est du groupe socialiste et républicain, dont je suis l’oratrice, la liberté a été totale : nous n’avons pas été d’accord sur certains points, notamment le fameux article 2 devenu article 8. Nous observerons cette même liberté aujourd’hui lors du vote final de cette proposition de loi.
S’agissant du 49.3, je considère qu’il est un symptôme : il est préférable d’avoir une bonne majorité dès le début. Or très tôt, dès 2013 – à l’époque, il n’était pas question de la loi Travail ! –, sont apparues des failles dans la majorité qui soutenait l’action du premier gouvernement du Président de la République.
L’argument du recours au 49.3 ne suffit pas pour abroger le texte en cause. Il faut aussi s’interroger sur la construction de la loi, surtout celle dont nous parlons aujourd’hui, qui n’a pas été élaborée de façon…
Voilà !
Je n’ose pas évoquer un autre texte, qui, lui, a donné lieu à une construction, à une discussion et à une application exemplaires. Vous m’accuseriez de partialité !
Le groupe CRC a trouvé le bon moment : il a bien remarqué, comme moi et d’autres dans cet hémicycle, que des candidats à la primaire élargie du parti socialiste prônaient l’abrogation de la loi Travail. Deux d’entre eux l’ont annoncé et un troisième a évoqué une abrogation partielle, sans dire précisément ce qu’il comptait faire. Nous attendons ses propositions. C’est le débat démocratique.
Il n’y a pas de suspense, le groupe socialiste et républicain, dans son immense majorité, exprimera une ferme opposition à la remise en cause que veulent opérer les auteurs de cette proposition de loi.
Sans refaire le débat, je m’arrêterai un instant sur la fameuse hiérarchie des normes, qui a capté, et même vampirisé, le débat. Elle a fait oublier des parties extrêmement intéressantes de la loi. Madame la ministre, vous en avez évoqué certaines ; je reviendrai, pour ma part, sur les plus novatrices, qui sont des promesses pour l’avenir. C’est ce qui m’intéresse : que fait-on après ?
Juridiquement, on peut s’interroger sur la portée de l’inversion de la hiérarchie des normes. Il ne faut pas oublier que l’accord d’entreprise nécessite aussi un accord majoritaire. S’il y a une grande novation dans la loi, c’est bien le principe de l’accord majoritaire.
Du reste, tous les accords conclus – accords compétitivité ancienne formule, accord de branche dans la métallurgie, accord chez PSA l’année dernière et chez Renault – sont majoritaires. Ce sont de bons exemples du fait que l’on peut négocier de la souplesse et, dans le même temps, des protections, des priorités à l’investissement et au maintien en France de l’industrie, en l’occurrence métallurgique et automobile.
Ce qui compte, ce sont les faits, le réel !
De la même manière, on voit – certes, cela a pris du temps puisque la loi Macron a été votée depuis bientôt deux ans, avec un débat sérieux mené tant dans l’hémicycle qu’à l’extérieur sur le travail le dimanche – que le principe majoritaire permet de conclure des accords.
La branche du commerce était défavorable à l’ouverture du travail le dimanche. Cela s’est fait concrètement dans les grandes entreprises et dans les grands magasins. C’est bien la preuve que le réel n’est pas conforme à ce que vous auriez souhaité voir figurer dans la loi. Et c’est bien le réel qui compte !
Il est vrai que ces accords concernent des grandes entreprises. La culture du compromis n’a pas encore passé la barrière des entreprises de taille plus modeste, mais je crois que ce texte va permettre d’y contribuer très fortement !
La loi confie aux branches une mission essentielle : construire des référentiels de branche pour permettre aux chefs de PME de négocier. Constatant les difficultés à conclure ces référentiels, je me demande si le niveau de la branche est le meilleur. Les branches ont un rôle à jouer, et elles ne le font pas. Il faut le reconnaître, c’est le patronat qui traîne les pieds. Tous les acteurs ne jouent pas forcément le même jeu…
Je veux maintenant revenir sur quelques éléments très novateurs de la loi, et qui sont des promesses.
Je pense d’abord à la responsabilité sociale des plateformes. C’est un point extrêmement important, au moment même où les travailleurs de certaines d’entre elles luttent, à bon droit du reste, pour leurs conditions de travail et leur rémunération. Vous ne pouvez pas le nier, la responsabilité sociale leur fournit un point d’appui.
Je veux aussi évoquer la négociation interprofessionnelle lancée sur le travail saisonnier. Nous en avons reparlé au moment de la discussion de la loi Montagne. Il est aussi très important que l’on facilite la reconduction des contrats…
C’est vrai, mais la loi permet d’avancer, notamment par la prise en compte de l’ancienneté. C’est une avancée majeure, ne le niez pas !
La lutte contre le détachement illégal a progressé – ma collègue Anne Émery-Dumas a contribué à améliorer la loi par ses amendements. Avec le Premier ministre, vous avez, madame la ministre, lancé ce qui avait été voté dans le cadre de la loi Macron : la carte professionnelle dans le BTP. J’ai lu une statistique effrayante : 40 % du travail dans ce secteur serait du travail détaché illégal. Dès lors que les contrôles sont renforcés, y compris le week-end et le soir – c’est, me semble-t-il, la volonté du Gouvernement –, la carte professionnelle constitue un outil qui nous permet de mieux nous battre contre la directive européenne.
Sur la question du détachement, il n’y a pas de débat entre nous : nous sommes tous d’accord pour dire qu’il faut modifier la directive.
Je veux aussi parler, bien sûr, du droit à la déconnexion qui fait partie de la négociation annuelle obligatoire. L’absence de sanction en cas d’échec de la négociation fait dire à certains éminents juristes que ce n’est pas un droit. Il s’agit néanmoins d’un principe de droit qui fixe, pour la première fois, une frontière entre la vie personnelle et familiale et la vie au travail.
Une autre proposition avait été formulée dans le rapport Mettling, le devoir de déconnexion du salarié. C’est le choix du droit à la déconnexion qui a été fait. Nous verrons ce qu’il en adviendra, mais je relève que l’Association nationale des directeurs des ressources humaines – je m’attache toujours à la réalité – a déjà mis en place une charte de référence pour les entreprises.
Dans le droit fil du droit à la déconnexion, j’évoquerai l’article 57, qui prévoit des négociations interprofessionnelles sur le télétravail. Madame la ministre, pouvez-vous nous confirmer qu’elles seront bientôt engagées ?
Une disposition est passée complètement inaperçue : celle de l’article 23 sur l’accord de groupe. La loi donne à ce dernier plus d’importance en permettant qu’une négociation à ce niveau qui aboutit à un accord majoritaire dispense de la négociation d’entreprise. C’est essentiel pour les droits des salariés, car au niveau des groupes, les organisations représentatives disposent des meilleurs experts et conseils, et de la meilleure formation possible. Si l’accord de groupe permet de se dispenser d’un accord d’entreprise et s’applique directement, cela constituera un progrès pour l’ensemble des salariés.
Les orateurs qui m’ont précédée ont évoqué la garantie jeunes visée à l’article 46 et qui devient universelle. Elle est assortie d’un parcours d’accompagnement vers l’emploi, ce qui est encore plus important que le revenu dont peuvent bénéficier les jeunes. En effet, un jeune sans ressource, sorti de tous les systèmes, a besoin de cet accompagnement pour sa santé, son logement, ses déplacements. Sinon, il ne peut exercer réellement son droit à la garantie jeunes. C’est un symbole fort.
Madame la ministre, je veux aussi vous dire que le groupe socialiste et républicain n’est pas satisfait de tout, et n’a notamment pas été convaincu – vous le savez – par la réforme de la médecine du travail. Nous avons noté la logique de prévention. Avec vos collègues Najat Vallaud-Belkacem et Marisol Touraine, vous avez confié à l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, une mission sur l’attractivité du métier de médecin du travail. Cela ne me semble toutefois pas être le problème essentiel.
Un individu ne se découpe pas en tranches de vie, vie personnelle et vie au travail. Si une personne qui rencontre des problèmes familiaux importants se suicide sur son lieu de travail, c’est un signal. De la même manière, si un salarié subit un harcèlement sur son lieu de travail ou s’il est confiné à une activité insatisfaisante, il peut en arriver à se suicider chez lui. Une personne est un tout, et elle n’est pas différente au travail et dans sa vie privée. Nous avons regretté que ce type de texte ne soit pas également défendu par le ministre chargé de la santé. Néanmoins, je note que vous vous étiez engagée à lancer cette mission, ce qui était un point positif ; vous avez tenu parole.
J’achèverai mon propos en évoquant le contexte de la mise en œuvre de la loi. Voilà à peine une semaine, à quelques pas d’ici, à l’église Saint-Sulpice, lors de la cérémonie d’adieu et d’hommages à François Chérèque, 2 500 personnes ont acclamé le leader syndical qu’il fut. Sa méthode, qui reposait sur la négociation, le compromis et les résultats, doit nous inspirer. C’est la même qui est prônée par son successeur Laurent Berger, que je veux saluer. Il aura été un défenseur de la loi. Sa parole n’en a eu que plus de poids lorsqu’il s’est ému d’une disposition qui n’avait pas fait l’objet d’un accord. Sa voix a été entendue par le Gouvernement. Après le vote de la loi, il a donné à l’automne 2016 une longue interview à un magazine : « L’idée que c’est au plus près des salariés, donc dans l’entreprise, que l’on répond le mieux à leurs préoccupations et aspirations. […] Cette idée, c’est déjà celle de la création de la section syndicale en 1968 ; des lois Auroux en 1982 ; de la représentativité [reposant] sur le vote des salariés en 2008 ; de la modernisation du dialogue social en 2015 ; et maintenant du renvoi à la négociation d’entreprise sur les questions d’organisation du travail. »
Il faut s’inspirer de cette méthode. Je ne saurais mieux dire au regard des progrès qu’il nous reste à accomplir pour rehausser la démocratie sociale. Encore faut-il qu’ils soient recherchés par les parties prenantes à la négociation.
Le patronat rechigne encore à la mise en œuvre complète du compte pénibilité, pourtant introduit en 2003 sur l’initiative du même François Chérèque, dont vous applaudissiez la mémoire voilà quelques jours.
Chers collègues de la droite, jouer la montre en attendant une victoire au mois de mai prochain de François Fillon, c’est prendre un risque, …
Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.
Pour une socialiste, pour une femme de gauche, comme d’ailleurs pour mes collègues de droite, il faut se poser trois questions face à un texte de cette nature.
Mme la présidente. Le temps qui vous était imparti est écoulé, madame Bricq !
Marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains.
Mme Nicole Bricq. Va-t-il dans le sens de l’émancipation des travailleurs ? Favorise-t-il la démocratie sociale ? Y a-t-il un équilibre entre la souplesse accordée aux entreprises et les protections nécessaires pour ces dernières ?
Protestations sur les mêmes travées.
À ces trois questions, je réponds et nous répondons, dans notre immense majorité : oui !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, près de 56 milliards d’euros versés en dividendes et en rachats d’actions : il en est pour qui les effets de la crise financière ne sont pas synonymes de sacrifices ! Et ce sont justement ceux-là que vous avez décidé d’aider, madame la ministre, avec votre loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.
Imposée par le 49.3, car elle n’a trouvé aucune majorité, ni dans le pays ni à l’Assemblée nationale, cette loi entraîne les salariés dans une précarité généralisée et la remise en cause des 35 heures, facilite les licenciements par l’élargissement du motif économique et affaiblit le code du travail avec l’inversion de la hiérarchie des normes et l’abandon du principe de faveur.
De plus, elle s’est faite sans concertation avec les organisations syndicales. J’ai moi aussi, à cet instant, une pensée particulière pour les présents comme pour ceux qui nous ont quittés, notamment pour Georges Séguy, inlassable défenseur des travailleurs et des travailleuses et de la négociation, et qui fut secrétaire général de la CGT, premier syndicat dans notre pays.
Mmes Éliane Assassi et Laurence Cohen et M. Jean-Pierre Godefroy applaudissent.
En outre, ce texte s’est fait sans concertation avec les organisations de jeunesse. §Pourtant, les jeunes n’ont jamais été autant mobilisés depuis le contrat premier embauche, le CPE, en 2006. Cette mobilisation n’a pas faibli pendant cinq mois et dénonçait l’attaque portée à leur projet de vie. En effet, pour pouvoir entrer dans la vie professionnelle dans des conditions optimales, nos jeunes doivent pouvoir bénéficier d’une bonne protection salariale. Or non seulement cette loi organise la casse du code du travail, mais elle les plonge dans une grande précarité, les poussant à accepter des conditions de travail de plus en plus pénibles.
Preuve de cette précarité croissante, le chômage des 15-24 ans grimpe cette année à 25, 1 %, son plus haut niveau depuis 2012. Pendant ce temps, madame la ministre, vous multipliez les dispositifs d’accompagnement vers l’emploi. Mais ces derniers ne font pas baisser le chômage ; ils en diminuent simplement les chiffres officiels ! Même le rapport de la Cour des comptes, du mois d’octobre 2016, relatif à l’accès des jeunes à l’emploi est frileux à propos de leur efficacité.
Quant à la garantie jeunes, bien que son objectif puisse paraître louable, elle a raté sa cible : les jeunes les plus en difficulté et qui auraient le plus besoin d’accompagnement professionnel sont minoritaires parmi ses bénéficiaires. Ainsi, seuls 4, 9 % des jeunes inscrits sont issus de quartiers prioritaires de la politique de la ville et non titulaires du baccalauréat. Finalement, madame Bricq, cette garantie jeunes se traduira surtout par un contrat précaire supplémentaire pour faire de la jeunesse une main-d’œuvre corvéable aux besoins des employeurs.
Or ce dont nos jeunes ont urgemment besoin, c’est d’emplois stables. Nous devons en recréer en France, en réindustrialisant nos territoires et en réinvestissant dans les services publics. Aussi, il faut pénaliser les contrats courts et l’intérim, pour que le CDI redevienne la norme. De plus, nous devons adopter une loi de sécurisation de l’emploi et de la formation, permettant aux salariés d’alterner emploi et formation choisie, sans perte de salaire et sans passer par le chômage. Alors, nos jeunes seront mieux préparés à affronter le monde du travail et à faire valoir leurs droits, notamment leurs droits à la santé et à la sécurité.
Vous le constatez, mes chers collègues, nous avons des propositions à formuler ! Et nous en avons encore beaucoup d’autres.
Je crois que le travail peut et doit être facteur de santé. Mais votre loi, madame la ministre, ne s’en soucie guère, comme en témoigne le sort qu’elle réserve à la médecine du travail – le groupe socialiste et républicain fait apparemment le même constat, ce qui n’est pas peu dire – et à l’inspection du travail.
Auparavant, la visite médicale à l’embauche permettait d’identifier les risques auxquels les nouveaux salariés pouvaient être exposés et d’agir en amont, en adaptant le poste. Elle constituera dorénavant un simple rendez-vous d’information et de sensibilisation.
Cette mesure, dite « de prévention », est absurde, car une prévention efficace ne peut se faire que sur le lieu de travail. De plus, les rendez-vous de suivi avec la médecine du travail seront espacés : ils auront lieu tous les cinq ans, intervalle réduit à trois ans pour les travailleurs mineurs ou handicapés.
Dans ces conditions, comment pouvez-vous croire que les visites garderont une quelconque utilité ? Qu’elles permettront de détecter le mal-être, les mauvaises postures ou le développement de maladies professionnelles ? Tout cela sous prétexte d’un manque de médecins du travail !
Malgré des visites plus rares, du fait de la multiplication des contrats courts et précaires, le nombre de visites est en constante augmentation, entre visites d’embauche, visites d’aptitude pour les postes à risques, visites périodiques et de suivi. Les médecins du travail que nous avons auditionnés doutent eux-mêmes de pouvoir toutes les réaliser… Comme le souligne le rapport Aptitude et médecine du travail rédigé en 2015 par le député socialiste Michel Issindou, il n’y a plus d’adéquation entre les obligations réglementaires et les réels besoins de santé.
Selon le Centre interservices de santé et de médecine du travail en entreprise, le CISME, 30 millions de visites devront être réalisées chaque année à la suite de l’adoption de votre texte. De plus, 15 des 22 millions de visites d’embauche concernent des contrats de moins d’un mois et devront donc être renouvelées. Dans le même temps, on compte 17 millions de salariés… Dans ces conditions, combien de visites passeront à la trappe ? Combien de salariés ne seront pas suivis par manque de temps pour les médecins, à qui vous demandez de faire toujours plus sans aucun moyen supplémentaire ?
Votre volonté de mettre fin à l’obligation de reclassement en cas d’inaptitude constatée par la médecine du travail va, de plus, favoriser les licenciements. Comment contester les conditions de travail et la hiérarchie quand plane la menace du licenciement et du chômage ? En outre, fragiliser la relation de confiance qui existait entre médecins et salariés est contraire à toute logique de prévention.
L’inspection du travail constitue une autre facette de la santé au travail. Ses agents, malgré leur sous-effectif, voient leurs moyens d’action et d’alerte encadrés et contrôlés par un code déontologique. Sont-ce vraiment nos inspectrices et inspecteurs du travail qui ont besoin de plus de déontologie ?
Or les jeunes représentent justement la population la plus à risques : ils sont victimes de trois fois plus d’accidents. Chez les intérimaires, les accidents sont deux fois plus nombreux.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous contestons la logique de la loi Travail. Il faut, de notre point de vue, adapter le travail à l’homme. Engageons une véritable réflexion sur la santé physique et psychique au travail, dont nombre des facettes et besoins ne sont aujourd’hui que survolés. Il faut rétablir l’obligation de reclassement et d’adaptation des postes, mettre en œuvre un pilotage régional des agences de médecine du travail, un suivi médical par bassin d’emploi, et non par entreprise.
Bien sûr, certains décrets d’application sont déjà en vigueur et des accords en découlent ! Pour autant, nous pouvons demander l’abrogation de la loi Travail et ensuite, au cas par cas, aborder chaque situation et ses conséquences, à l’instar de l’accord intervenu chez Renault ou du plan en cours à La Voix du Nord. Dans mon département, c’est l’entreprise MikroPul, du groupe Nederman, une multinationale suédoise, qui vient de licencier vingt et un salariés, sous prétexte de problèmes économiques.
L’ordre de publication de ces décrets est, par ailleurs, révélateur de vos objectifs : vous avez donné la priorité aux aspects les plus contestés, …
… alors que d’autres décrets n’ont toujours pas été publiés, notamment ceux relatifs à l’égalité professionnelle. Vous êtes pourtant sensible à cette question, madame la ministre !
Vous l’aurez compris, nous sommes farouchement opposés à la loi Travail et souhaitons l’abroger, à défaut de pouvoir la réécrire. Et ce n’est pas le droit à la déconnexion ou le compte personnel d’activité, si importants soient-ils, qui nous feront changer d’avis.
Mme Annie David. Nous voulons proposer un autre code du travail, répondant aux besoins du monde du travail du XXIe siècle, un code qui ne promet pas comme seul avenir de perdre sa vie à la gagner.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi visant à abroger la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite « loi Travail », n’a pas été adoptée par la commission des affaires sociales du Sénat. C’est donc de sa version initiale que nous débattons aujourd’hui.
Cette proposition de loi est l’occasion de revenir sur un texte qui a focalisé le débat public pendant plusieurs mois et mobilisé des milliers de Français dans la rue. Ce mécontentement a paralysé tout notre pays, accentué les difficultés de notre économie, découragé les touristes étrangers de visiter la France et dissuadé les investisseurs de s’y installer.
Et je ne parle pas des difficultés quotidiennes, notamment dans les transports… Chaque déplacement devenait une véritable aventure !
Ce texte, au fond, ne satisfait personne, puisque le Gouvernement a fait le choix du passage en force, en recourant à trois reprises à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution.
Est-ce, pour autant, mes chers collègues, un motif suffisant pour abroger aujourd’hui cette loi ?
Comme cela a été souligné, un important travail législatif a été réalisé au Sénat sur ce texte. Je rappelle, d'ailleurs, que le groupe Les Républicains avait formulé des propositions très précises, notamment sur l’apprentissage et la formation en alternance, le franchissement des seuils, l’intéressement et la participation.
Si, dans un premier temps, on pouvait espérer une refondation du code du travail, le résultat final en est bien éloigné.
À cet égard, la séquence électorale de 2017 va permettre d’ouvrir un large débat autour de la question du travail en France. En effet, il s’agit bien, au final, de notre rapport au travail, des règles qui le régissent, de la place que nous souhaitons lui donner au sein de notre société.
Il est vrai que nous ne partageons pas tous la même vision économique et sociétale. Notre rapport au travail dépend de nos territoires, de notre histoire collective ou individuelle, de notre place sur l’échiquier politique.
Mais, il faut bien le reconnaître, loin de simplifier le droit du travail ou de fluidifier le marché de l’emploi, la loi Travail complexifie encore davantage une législation déjà trop abondante, véritable frein à l’embauche.
Bien sûr, il faut protéger les salariés, car de bonnes conditions de travail et de santé sont indispensables à un marché du travail dynamique. Mais le code du travail n’a pas vocation à s’épaissir au gré de nos séances ou en fonction des spécificités de tel ou tel secteur d’activité. Le droit du travail doit revenir à l’essentiel. Il doit répertorier ce qui relève des normes sociales fondamentales.
Nos collègues qui ont pris l’initiative de cette proposition de loi ont dénoncé l’absence de dialogue social et le fait que les principes de la loi Larcher aient été ignorés par le Gouvernement – exemple, si besoin était, que le dialogue social, pour être plus proche de son objectif, doit être simplifié, s’appuyant sur des organisations représentatives moins nombreuses et plus cohérentes…
En tant que membre de la délégation sénatoriale aux entreprises, je porte une attention particulière au marché de l’emploi et je suis en contact régulier avec le monde du travail. Ce sont souvent les mêmes requêtes qui remontent des territoires : « oui, les besoins existent ; laissez-nous travailler ! »
Vous avez raison, chers collègues du groupe communiste républicain et citoyen, la loi Travail ne représente pas une avancée. Elle ne favorise ni la compétitivité ni l’emploi. Mais pas pour les raisons que vous évoquez !
Mes collègues du groupe Les Républicains et moi-même sommes convaincus qu’il faut rendre le marché du travail plus fluide. Il faut redonner de la compétitivité à notre appareil productif. Il faut abaisser les charges fiscales et sociales pesant sur nos entreprises. Il faut simplifier le droit du travail.
Vous le savez, à l’heure de la mondialisation, l’utopie des 35 heures est restée une exception française. Je ne crois pas qu’abaisser encore le temps de travail en le faisant passer à 32 heures soit synonyme d’embauches en nombre et de réduction du chômage de masse.
Ce n’est pas en facilitant les licenciements que l’on aggrave la précarité des salariés. C’est en laissant des millions de Français sans emploi que l’on augmente la pauvreté ! La majorité des entreprises présentes sur le territoire national comprend un faible nombre de salariés. La flexibilité est une condition indispensable à l’embauche !
(Mme Éliane Assassi s’exclame.) Vous comprendrez donc aisément que mon groupe ne prenne pas part au vote de la présente proposition de loi ! Nous laissons aux Français le choix de trancher cette question.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC. – M. Gilbert Barbier applaudit également.
L’abrogation de loi Travail est un axe majeur du programme du candidat à l’élection présidentielle de 2017 qu’est Jean-Luc Mélenchon. §
Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux vous apporter quelques réponses, en complément du débat que nous avons eu dans cette enceinte même pendant quinze jours.
Nicole Bricq a indiqué que c’est « le réel qui compte ». Je suis bien évidemment attentive à la manière dont les acteurs du dialogue social s’approprieront les nouvelles règles en matière d’accords d’entreprise. Je constate que même des organisations syndicales qui étaient opposées à la loi Travail – je pense par exemple à Force ouvrière ou à la CFE-CGC – ont signé – par exemple, le 26 septembre dernier, dans la métallurgie – des accords permettant de moduler le temps de travail sur trois ans, en échange de contreparties.
Je considère que nous n’avons pas à juger si ces accords sont bons ou mauvais. Pour ma part, je ne connais que des accords signés ou non. Ce n’est pas à la démocratie politique de remplacer la démocratie sociale : les acteurs de terrain sont les plus à même de voir si ces accords correspondent à la réalité du quotidien de l’entreprise et si les contreparties sont suffisantes – je le dis d'autant plus volontiers qu’il s’agit d’accords majoritaires. J’y insiste, je n’ai pas à juger si l’accord concernant Renault est bon ou mauvais : des organisations syndicales représentant plus de 50 % des salariés ont estimé que l’accord prévoyait des contreparties suffisantes. C’est tout l’intérêt du dialogue social.
Par ailleurs, madame Morhet-Richaud, je considère, pour ce qui concerne l’ordre public social, que nous devons conserver la durée légale du travail. Je l’ai souvent dit dans cette enceinte ! Le débat que nous avons eu dans cet hémicycle portait sur la possibilité de se mettre d’accord sur des adaptations. En l’absence d’accord, c’est le droit actuel qui s’applique. Je n’estime donc pas que le temps de travail doive faire l’objet d’une discussion entreprise par entreprise : en la matière, la loi doit protéger.
Comme je l’indiquais précédemment, il ne faut pas opposer les différents niveaux de négociation.
S’agissant, par exemple, du travail saisonnier, vous ne pouvez pas, madame David, d’un côté, déclarer que nous ne nous sommes pas suffisamment engagés dans la concertation, alors même que nous avons pris nos responsabilités en la matière, en évoquant la possibilité d’une ordonnance au cas où les négociations n’aboutiraient pas au niveau des branches, et, de l’autre, nous reprocher aujourd'hui de permettre aux acteurs de se mettre d’accord ! En la matière, le secteur des remontées mécaniques est, de fait, un cas spécifique.
Pour ce qui concerne la pénibilité, qui relève des branches professionnelles, j’ai moi-même dénoncé la loi portant réforme des retraites de 2003, qui, à la suite d’un amendement de Xavier Bertrand, prévoyait des négociations sur cette question au niveau de chaque branche. Treize ans plus tard, il n'y a toujours pas de référentiel de branche dans certains secteurs, parfois importants : je pense notamment à celui du bâtiment et des travaux publics.
Cependant, les chefs d’entreprise sont obligés, aujourd'hui, d’appliquer le compte personnel de prévention de la pénibilité, même s’ils ont la possibilité de revenir sur leur déclaration jusqu’au mois de septembre.
Les chefs des plus petites entreprises attendent d’être soutenus par la branche. Les organisations patronales auxquelles ils adhèrent devraient les aider à mettre en place des référentiels de branche. Notre objectif, sur ce plan, était de simplifier. La branche doit notamment soutenir les plus petites entreprises et leur faciliter l’élaboration du compte personnel de prévention de la pénibilité. Bien évidemment, les grands groupes, qui disposent d’experts, pourront définir leur propre référentiel, mais les petites entreprises, elles, seront en difficulté, en raison de l’incapacité des branches. Telle est la réalité !
Madame David, vous avez évoqué la politique que nous avons mise en œuvre en direction de la jeunesse. Je m’étonne que vous repreniez, sur la question des emplois aidés, les arguments de la Cour des comptes, auxquels le ministère du travail, le collectif Alerte, la Fédération des acteurs de la solidarité – la FNARS – ont répondu. Je rappelle que la garantie jeunes, qui concerne 96 % de jeunes en situation de grande précarité qui ne suivent pas d’études, ne sont pas en formation ou ne bénéficient pas d’un emploi, permet à ceux-ci de toucher une allocation de 461 euros et, ainsi, de s’habiller et de payer leurs frais de transport pour se rendre à un entretien d’embauche. §Elle permet de leur donner une nouvelle chance !
Pour ma part, je suis fière que 100 000 jeunes en aient bénéficié en 2016. Je suis fière que la loi Travail propose ce droit universel, qui est, d'ailleurs, salué dans de nombreux rapports. Le comité scientifique d’évaluation de la garantie jeunes a montré que ce dispositif augmentait de 10 points la chance, pour les jeunes concernés, de trouver un emploi.
Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste et républicain.
Dès lors, on ne peut tenir deux discours selon que l’on est dans cet hémicycle ou dans mon bureau, pour me demander de mettre en place des dispositifs attendus par les acteurs sur le terrain !
Il m’arrive bien souvent de recevoir des parlementaires qui sollicitent davantage de contrats aidés pour leur territoire…
Je suis étonnée que l’on se réfère dans cet hémicycle au rapport de la Cour des comptes, notamment sur les contrats aidés en direction des jeunes, alors même que nous avons renforcé la formation, que les emplois d’avenir permettent de former trois jeunes sur quatre et que les contrats sont plus longs. Non, les emplois créés ne sont pas fictifs ! Non, ces dispositifs ne sont pas inefficaces !
Mme Myriam El Khomri, ministre. Offrir une première expérience professionnelle à des jeunes qui sont parfois discriminés n’est jamais une politique inefficace.
Applaudissementssur les travées du groupe socialiste et républicain.
D'ailleurs, les chiffres de Pôle emploi, auxquels un rapport sénatorial, au contenu excellent
Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.
… a redonné de la véracité, écartant toute manipulation statistique, montrent que le chômage des jeunes a diminué, avec 30 000 jeunes chômeurs de moins qu’au mois de mai 2012. Voilà aussi la réalité des politiques de l’emploi que nous avons menées en direction des jeunes, même si ces derniers sont encore bien évidemment beaucoup trop nombreux à être au chômage !
Allez expliquer que la garantie jeunes n’apporte rien à des jeunes à qui l’on tend enfin la main et qu’on ne laisse pas au bord du chemin ! Il faut poser certains diagnostics avec lucidité.
Par ailleurs, pour ce qui concerne la médecine du travail, je veux encore parler du réel. J’entends bien qu’il y a une incompréhension. J’entends l’attente que les services de santé portent l’essentiel de la réforme de la médecine du travail, la question de la santé au travail étant primordiale. La réalité, c’est que, dans notre pays, la médecine du travail connaît un problème d’attractivité depuis de nombreuses années – les postes ouverts ne sont pas pourvus. Comment renforcer cette attractivité ? Telle est la question centrale qui est posée.
Sur ce point, je m’étais engagée auprès de vous à demander, avec mes collègues ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche et ministre des affaires sociales et de la santé, un rapport à l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS. Nous venons de signer la lettre de mission en ce sens. Pour ma part, j’attends beaucoup de ce document.
Dans un communiqué, le Centre interservices de santé et de médecine au travail en entreprise, le CISME, soutient, comme les partenaires sociaux au sein du Conseil d’orientation des conditions de travail, le COCT, cette réforme de la médecine du travail.
Je crois qu’il faut toujours en revenir au réel. De ce point de vue, il me semble essentiel de rappeler quelques éléments.
Cette réforme a été engagée notamment à la suite du rapport de Michel Issindou, qui montrait clairement, au-delà de la question de la qualité de l’emploi, qui, bien évidemment, nous importe, que, en raison du grand nombre de contrats courts, le nombre de visites médicales s’établit à 3 millions par an, pour 20 millions d’embauches. Dans ces conditions, pouvons-nous dire que la visite médicale d’embauche était un droit effectif ? Non !
Cela signifie concrètement que des personnes occupant des postes à risques n’ont jamais vu de médecin du travail : bien souvent, elles ne rencontraient un médecin que tous les sept ou huit ans, comme le rapport Issindou l’a montré. Il me semblait important de rappeler cette réalité.
La loi Travail rend ce droit plus effectif, puisque tous les salariés devront être vus par des professionnels de santé sous le contrôle du médecin dès l’embauche ou dans les trois mois suivant celle-ci, puis, au plus tard, tous les cinq ans. Je tiens à dire avec force qu’il s’agit d’une durée maximale, qui pourra être raccourcie par le médecin du travail pour tenir compte de l’état de santé du travailleur et du poste occupé. Bien évidemment, le salarié pourra aussi demander lui-même à rencontrer un médecin du travail.
Dans leur intervention, certains ont évoqué le principe d’universalité : ce principe est sanctuarisé dans la loi et s’accompagne d’un principe d’individualisation du suivi, pour coller au mieux à la situation du salarié.
Nous avons également harmonisé le contentieux. Nous en avons longuement débattu. Nous avons notamment renvoyé la contestation devant la seule instance compétente en matière de contrat de travail, à savoir le conseil de prud’hommes, avec la désignation d’un médecin expert, dont l’avis se substituera à celui du médecin du travail. Je rappelle que le système n’était pas satisfaisant, l’inspecteur du travail devant prendre une décision de nature médicale sur laquelle il n’a pas de compétence et sans avoir accès au dossier médical. C’est aussi cette réalité que nous devons prendre en compte.
Bien évidemment, si le droit à la visite médicale avait été effectif, nous n’aurions pas engagé la réforme de la médecine du travail. Ce droit est-il effectif ou pas ? Telle est la question qui se pose aujourd'hui. Si ce droit n’est pas effectif, il faut refuser le statu quo et améliorer les choses. Au reste, si cette réforme n’est que transitoire, si l’attractivité de la médecine du travail se renforce, je pense que nous serons tous ravis !
Avec cette réforme, les collaborateurs du CISME pourront aussi se rendre plus souvent dans les entreprises, ce qu’ils ne peuvent pas toujours faire aujourd'hui, compte tenu des difficultés auxquelles ils sont confrontés dans l’exercice de leur mission. C’est un enjeu essentiel, et c’est aussi ce qui explique l’accueil réservé par le CISME à la réforme.
Pour ce qui concerne le télétravail, les discussions sont en cours du côté des partenaires sociaux. Bien évidemment, la balle est dans leur camp. Nous avons encore encouragé les différentes parties à aboutir. La négociation devrait être lancée dans les plus brefs délais.
J’en viens au travail détaché. La loi Savary, la loi Macron, la loi Travail se sont emparées de ce sujet. Cependant, nous n’avons pas fait que légiférer. Nous avons multiplié les contrôles, dont le nombre mensuel est passé de 500 à 1 500, et même à 2 000 au mois de juin dernier. Par ailleurs, 880 amendes ont été prononcées – pour un tiers, à l’encontre des donneurs d’ordre – et 5 millions d’euros ont été récupérés. Nous agissons au plan national. Aujourd'hui, il faut impérativement réviser la directive Détachement de 1996, pour tenir compte à la fois du dumping social et de l’indignité à laquelle sont confrontés les travailleurs dans l’espace européen. Nous travaillons sur plusieurs propositions, défendues en lien avec la députée européenne Élisabeth Morin-Chartier, corapporteur pour la révision de la directive. Ainsi, nous avons demandé l’interdiction des entreprises boîtes aux lettres et l’intégration de l’hébergement – la question est essentielle – dans le noyau dur des droits. Nous renforçons également les moyens de lutte en interne, notamment avec la carte professionnelle dans le BTP qui a été citée tout à l'heure.
Je veux évoquer la situation préoccupante des salariés de La Voix du Nord. J’y suis bien évidemment sensible, mais rendre l’adoption de la loi Travail responsable de la préparation du plan de sauvegarde de l’emploi, ou PSE, à l’encontre de ces salariés me paraît infondé. Cette loi n’introduit aucune disposition nouvelle en matière de PSE. Elle ne donne aucune nouvelle compétence aux directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, les DIRECCTE, pour se prononcer sur le motif économique d’un PSE dans le cadre des procédures d’homologation. Cette appréciation, dont vous avez débattu lors de l’examen de la loi relative à la sécurisation de l’emploi, relève strictement du juge, si celui-ci est saisi.
L’homologation d’un PSE par une DIRECCTE, qui a pour rôle de vérifier si la procédure et le contenu du plan sont conformes, n’a donc aucun rapport avec la loi Travail, dont je rappelle qu’elle n’introduit aucun nouveau motif de licenciement économique : elle se contente de codifier la jurisprudence existante.
Le critère de sauvegarde de la compétitivité n’est que la reprise d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation depuis 1995.
La mise en œuvre de l’éventuel PSE projeté par le groupe belge Rossel, propriétaire du quotidien susvisé, peut être imputée non pas à la loi Travail, mais, plus globalement, aux difficultés économiques que connaît le secteur de la presse. Nous accompagnons d’ailleurs certaines situations. Je pense, par exemple à Nice-Matin, à L’Obs ou au groupe Lagardère. De nombreux plans sociaux fleurissent dans ce secteur depuis des années. Nous cherchons à soutenir ces réorganisations, ces mutations, à travers les aides à la presse que mobilise Audrey Azoulay.
Les entreprises de presse ne sont pas des entreprises privées comme les autres, car c’est la qualité de l’information qui est en jeu. C’est la raison d’être des aides à la presse que j’évoquais.
Certains groupes de presse connaissent des difficultés économiques depuis de nombreuses années, …
… dans un contexte de révolution numérique bien connu.
Les PSE existent depuis longtemps dans ce secteur, malheureusement pour les salariés qui en sont victimes. Le même PSE aurait très bien pu être mis en œuvre voilà six mois, avant l’adoption de la loi Travail.
Certaines entreprises, bien que bénéficiaires, anticipent des évolutions moins favorables de leur activité. C’est dans ce cadre qu’elles décident de recourir à un PSE. Le rôle de l’administration du travail n’est pas de regarder le bien-fondé du PSE – vous avez déjà eu ce débat lors de la discussion de la loi relative à la sécurisation de l’emploi…
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.
La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion de l’article unique de la proposition de loi initiale.
La loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels est abrogée.
M. Serge Dassault. La loi de Mme El Khomri comporte un grand nombre d’articles très favorables aux salariés et à l’emploi. Je ne comprends pas l’agressivité des syndicats à l’égard de ce texte qu’ils veulent à tout prix supprimer. Les syndicats ne seraient-ils plus les défenseurs des salariés ?
Protestations sur les travées du groupe CRC.
La loi Travail a inséré un article L. 3121-44 dans le code du travail extrêmement favorable aux salariés et aux entreprises en ce qu’il permet, grâce à une certaine flexibilité des horaires, de conserver un personnel surabondant en cas de baisse de commandes dans l’attente d’une amélioration de l’activité.
Si la présente proposition de loi était adoptée, cet article serait supprimé, ce que je ne comprends pas. À titre personnel, je suis tout à fait opposé à l’abrogation de la loi Travail, même s’il ne reste plus grand-chose du texte initial.
Je veux maintenant dire un mot du problème des jeunes qui n’ont pas de travail, qui ne sont pas formés, qui sortent du collège sans savoir rien faire – ils sont 150 000 dans ce cas chaque année ! La responsabilité en revient à l’instauration du collège unique, qui empêche la formation professionnelle des jeunes, …
… lesquels feraient mieux d’apprendre un métier plutôt que de perdre leur temps dans les collèges.
Je veux revenir sur les nouvelles règles applicables en matière de santé des salariés.
Comme l’a souligné Mme David, la visite médicale d’embauche n’est désormais plus obligatoire. Surtout, et je le déplore, le suivi médical des salariés se fait non plus tous les deux ans, mais tous les cinq ans, ce qui pourrait avoir de graves conséquences sur l’état de santé des salariés et donc rejaillir, à terme, sur notre économie.
Je prendrai l’exemple du secteur aérien, que connaît bien M. Dassault, fleuron de notre économie, pilier de l’attractivité du Val-de-Marne où 175 000 emplois directs et indirects dépendent de l’aéroport d’Orly.
Une expertise commandée par les représentants syndicaux indique que, à Orly, dans les professions de la sûreté et de l’assistance portuaire, allant du nettoyage au chargement des bagages, le nombre de maladies professionnelles est aujourd’hui quatre fois plus fort que dans l’ensemble du monde du travail. On ne compte plus les traumatismes physiques dus aux levées de charges lourdes et aux mouvements répétitifs. La situation ne fera qu’empirer avec une médecine du travail qui n’est plus en capacité de protéger les salariés tout au long de leur carrière.
De même, et alors que plus d’un million de salariés en France se voient chaque année notifier des restrictions d’aptitude, principalement en raison des effets de l’augmentation continue du temps de travail, un sous-traitant de l’aérien, anticipant les décrets de la loi Travail, a déjà diminué le taux horaire des heures supplémentaires.
Toujours plus d’heures supplémentaires, c’est toujours plus de fatigue pour les salariés et donc plus de risques de burn-out, de dégradation de la santé, de dysfonctionnements au travail, dans un secteur qui demande pourtant une attention permanente.
Madame la ministre, une économie du XXIe siècle devrait, selon nous, allier progrès social et réussite économique. La régression de l’un entraîne la récession de l’autre. Sur la question de la santé au travail comme sur d’autres, votre loi va à l’encontre des besoins de notre temps. C'est la raison pour laquelle nous demandons son abrogation.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
Je veux revenir sur l’objectif du débat du jour.
Certains de mes collègues voient dans la présente proposition de loi une opération politique. C’est une opération politique, dans un calendrier politique. Il est d’ailleurs peu probable que la majorité des parlementaires de cette assemblée choisisse de soutenir ce texte. Je crois pourtant que le débat sur la loi Travail n’est pas clos et qu’il est même devant nous.
Personne n’a oublié, et certainement pas vous, madame la ministre, que l’hostilité à l’égard de ce texte a atteint des niveaux considérables. La France a pu constater l’importance de cette opposition : des manifestations d’envergure, il y en a eu ; des déceptions de la part des partenaires sociaux, il y en a eu ; des pétitions, il y en a eu – Caroline de Haas, à l’origine de la plus importante d’entre elles, a ainsi réuni plus de 1, 3 million de signatures pour s’opposer au texte ; des difficultés parlementaires, il y en a eu, à tel point que le Gouvernement a perdu sa majorité lors des lectures du projet de loi au Parlement.
L’engagement de sa responsabilité par le Gouvernement a constitué, pour beaucoup, le signe irréfutable que ce texte n’était pas suffisamment accepté pour être efficace.
Comment s’en étonner ? Cette loi, dont les dispositions ne figuraient pas parmi les engagements de l’actuel Président de la République, a pourtant été imposée par la procédure du 49.3. Certains semblent penser aujourd’hui que l’adoption définitive de cette loi et sa promulgation au Journal officiel ont mis fin au débat. Il existe pourtant une réalité politique, qui doit s’imposer aux décideurs.
Le Premier ministre de l’époque déclare maintenant que le recours au 49.3 n’est pas une bonne méthode. Il a le droit d’avoir changé d’avis, la réalité n’est jamais figée.
Mes chers collègues, à certains moments, un minimum de cohérence s’impose. À titre personnel, je voterai en faveur de cette proposition de loi visant à abroger la loi Travail, car le candidat que je soutiens à la primaire de la gauche – Arnaud Montebourg – a pris le même engagement, tout comme d’autres candidats à cette primaire ou à l’élection présidentielle.
Cette loi, dont on ne peut pas dire qu’elle bénéficie d’un consensus syndical ou populaire, mérite d’être reprise depuis le début. Cela ne signifie pas une opposition aux progrès sociaux qu’elle a permis – je pense notamment au compte personnel d’activité ou au droit à la déconnexion.
S’il faut conserver ces éléments, je ne doute pas qu’une consultation large des partenaires sociaux permettra de les définir sereinement. L’essentiel est de prévenir en amont les électeurs de ce que l’on va faire pour prendre le temps de construire un vrai compromis.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC – M. Alain Néri applaudit également.
En tant que sénateur du Nord, je ne pouvais manquer l’occasion d’intervenir sur la situation de La Voix du Nord, évoquée à plusieurs reprises au cours du débat.
Aux termes de la loi Travail, les conditions du licenciement économique sont désormais clarifiées de sorte qu’un licenciement économique puisse être prononcé si l’entreprise est confrontée à une baisse des commandes ou de son chiffre d’affaires, à des pertes d’exploitation ou à une importante dégradation de sa trésorerie. Or M. Gabriel d’Harcourt, directeur délégué général de La Voix du Nord, indiquait hier, sur le plateau de France 3 Régions : « Nous gagnons de l’argent actuellement. Nous sommes une entreprise rentable. » En effet, le chiffre d’affaires du groupe Rossel La Voix s’est élevé, en 2015, à 253, 9 millions d’euros et, en 2016, à 256 millions. Le groupe a dégagé des bénéfices.
Dans votre intervention liminaire, madame la ministre, vous avez dit que votre loi renforçait les droits des salariés. Je me demande comment les salariés confrontés à ce PSE qui leur tombe sur la tête vont entendre vos propos. Ils sont sous le choc et ont exprimé aujourd’hui, par le biais d’un communiqué intersyndical unanime, leur opposition radicale à ce plan social d’une ampleur inégalée.
Le cas de La Voix du Nord est un cas d’école : que vous le vouliez ou non, il existe un lien entre cette situation et votre loi. Mon groupe exprime en cet instant son soutien total aux salariés concernés.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
Ce débat pourrait laisser penser que nous vivons dans deux mondes différents…
À l’aube de cette nouvelle année, nous aurions pu espérer, madame la ministre, au regard des conséquences qu’entraînent les décrets d’application de votre loi et que M. Bocquet vient d’évoquer à travers un exemple précis, que vous ayez réfléchi davantage.
Las, vous brandissez toujours les mêmes arguments pour défendre votre loi : l’inversion de la hiérarchie des normes n’emporterait, selon vous, aucune conséquence négative ; la suppression du principe de faveur n’aurait aucun effet dévastateur… Vous restez sur les mêmes positions.
Pour notre part, nous nous appuyons pourtant sur des auditions, entre autres, d’inspecteurs du travail qui révèlent les effets néfastes de votre loi.
Plusieurs de nos collègues nous reprochent d’être un peu trop radicaux en demandant l’abrogation de ce texte dont certaines mesures sont positives.
Toutefois, la conquête des acquis sociaux repose sur la convergence de luttes et de lois progressistes. On peut donc toujours faire bouger les choses et modifier les textes en vigueur.
Si le droit à la déconnexion, évoqué par certains dans cet hémicycle, répond à un réel problème, la loi Travail ne l’a encadré d’aucune obligation, d’aucune contrainte à la charge des employeurs. Il s’agit d’une coquille vide, dont l’inscription dans une charte dépend du bon vouloir des employeurs.
Ce droit illusoire ne permet pas de garantir les revendications des salariés, notamment des cadres. Vous n’avez pas entendu les organisations syndicales qui vous ont fait des propositions – je pense, par exemple, à l’Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens, l’UGICT-CGT.
Ce que vous considérez comme une avancée majeure ne répond pas réellement à l’enjeu de la santé au travail et du développement du travail numérique et ne règle aucunement la question de la charge de travail ni celle de la réduction du temps de travail.
Alors qu’il était question d’inscrire une garantie positive pour les travailleurs dans le marbre de la loi, nous nous retrouvons avec un dispositif optionnel qui n’est plus, au final, qu’une coquille vide. C'est la raison pour laquelle il est important d’abroger la loi Travail.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
L’un des arguments sur lequel repose notre proposition de loi tient à la légitimité de la loi Travail.
Juridiquement, celle-ci est légitime. Politiquement, l’usage du 49.3 permet d’en douter. Nous avions déjà fortement soulevé cette interrogation lors de l’adoption de la loi : le Gouvernement, qui n’avait aucune majorité parlementaire, avait alors préféré passer en force.
Or, depuis, le Premier ministre de l’époque a lui-même rouvert le débat sur le 49.3. Dans les rangs de la majorité présidentielle, plusieurs responsables politiques d’importance, dont certains sont candidats à l’élection présidentielle, ont également insisté sur cette question.
S’agit-il de paroles de campagne qui seront mises au rancart dans quelques mois ? Je ne le crois pas. J’y vois plutôt des engagements politiques.
Puisque le débat persiste dans le pays, notre proposition de loi est l’occasion de rouvrir le chantier. M. Desessard nous reproche d’être trop radicaux, mais à entendre Mme la ministre, les plages de débat éventuelles ne sont pas très nombreuses dans la mesure où elle continue de défendre, point par point, l’intégralité de la loi. Alors que la question de la médecine du travail, par exemple, inquiète tous les parlementaires de gauche, aucune ouverture n’est faite.
Cette proposition de loi d’abrogation est le moyen, mis à la disposition de la représentation parlementaire, de rouvrir l’ensemble de ce chantier.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi visant à abroger la loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite « loi Travail ».
J'ai été saisie de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe CRC, l’autre, du groupe socialiste et républicain.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 86 :
Le Sénat n'a pas adopté.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à seize heures cinquante-cinq, est reprise à dix-sept heures.
L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe communiste républicain et citoyen, de la proposition de résolution européenne sur la reconnaissance de l’enseignement supérieur comme un investissement nécessaire à l’avenir, présentée, en application de l’article 73 quinquies du règlement, par Mme Brigitte Gonthier-Maurin et plusieurs de ses collègues (proposition n° 104, rapport de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication n° 258, rapport de la commission des affaires européennes n° 179).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, auteur de la proposition de résolution européenne.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de résolution européenne s’inscrit dans la continuité des propositions que le groupe communiste républicain et citoyen soutient en faveur d’une réelle démocratisation de l’enseignement supérieur. Enjeu d’importance, tant l’enseignement supérieur et l’enseignement scolaire sont confrontés à une complexification croissante des savoirs. C'est pourquoi nous militons pour que le service public de l’éducation dans sa globalité permette une élévation des connaissances et des qualifications pour toutes et tous.
Voilà près de dix-sept ans, les États européens s’étaient engagés, au travers de la stratégie dite de Lisbonne, à faire de l’Union européenne, d’ici à 2010, « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ».
Cette stratégie a échoué. Pour ne citer qu’un chiffre, je rappellerai que l’Union européenne avait prévu d’affecter au budget de la recherche 3 % de son produit intérieur brut. Elle n’y consacre, dans son ensemble, que 1, 9 %.
Parmi les raisons de cet échec, il en est une qui est peu invoquée, mais qui figure pourtant au cœur de la problématique : la stratégie de Lisbonne n’a pas été dotée de moyens financiers spécifiques !
En France, si la dépense intérieure d’éducation a progressé, la part de l’État, elle, n’a cessé de diminuer depuis 2000.
Ainsi les États membres qui ont fixé les objectifs de la stratégie de Lisbonne se sont-ils heurtés à leurs propres politiques de déconstruction des services publics d’éducation.
Dans le cadre de la stratégie Europe 2020 ont été fixés, par ailleurs, cinq objectifs.
Un seul concerne l’éducation : « améliorer les niveaux d’éducation, en particulier en s’attachant à réduire le taux de décrochage scolaire à moins de 10 % et en portant à 40 % au moins la proportion de personnes âgées de 30 à 34 ans ayant obtenu un diplôme de l’enseignement supérieur ou atteint un niveau d’études équivalent. »
Cet objectif est étroitement inspiré des conclusions du Conseil Éducation de mai 2009, lequel a donc, à juste titre, considéré développement de l’enseignement supérieur comme un enjeu « prioritaire ».
Les États membres ont bien pris conscience que la croissance des emplois à forte intensité de connaissances justifie plus que jamais une politique de démocratisation de l’enseignement supérieur.
Cette dernière est également indispensable pour répondre à un autre grand objectif de la stratégie Europe 2020, objectif déjà contenu dans la stratégie de Lisbonne, consistant à porter à 3 % du PIB l’effort en matière de recherche, objectif qui suppose lui aussi une importante augmentation de l’emploi dans ce secteur.
De la même façon, renforcer la capacité d’innovation des économies européennes passe par un élargissement de l’accès aux études supérieures.
Or l’examen de la situation à mi-parcours fait apparaître des résultats contrastés.
Certes, la part des diplômés dans la population âgée de 30 à 34 ans a progressé, passant de 34 % en 2010 à plus de 38 % en 2015. L’objectif de 40 % en 2020 semble donc atteignable.
Toutefois, les écarts entre les pays membres s’agissant des conditions d’accès à l’enseignement supérieur restent considérables.
Ainsi, les frais d’inscription en premier cycle vont de la gratuité à plus de 11 000 euros. Le montant des bourses sur critères sociaux varie lui aussi fortement d’un État membre à l’autre : inférieur à 1 000 euros dans la plupart des nouveaux pays membres, il dépasse 9 000 euros dans certains États membres plus anciens.
En réalité, l’augmentation du nombre de diplômés de l’enseignement supérieur s’est effectuée dans un contexte global de stagnation ou de diminution des dépenses publiques en faveur de l’enseignement supérieur, même si, là encore, les situations sont contrastées.
Depuis 2010, ces dépenses ont en effet augmenté dans certains États membres, mais elles ont stagné ou diminué dans la plupart d’entre eux, en lien direct avec ce que certains nomment avec pudeur « le resserrement de la discipline budgétaire ».
Reste un constat : la dépense publique moyenne pour l’enseignement supérieur au sein de l’Union demeure inférieure à 1, 3 % du PIB.
Les conditions d’une réelle démocratisation de l’enseignement supérieur à l’échelle de l’Union ne sont donc pas réunies. Sortons du double langage, et parlons clair ! On ne peut pas, d’un côté, prôner la démocratisation de l’enseignement supérieur, sans l’asseoir, de l’autre, sur des moyens publics pérennes.
Dans un contexte de plus en plus concurrentiel, illustré par l’importance des « classements » des universités, le développement d’un enseignement supérieur dont le financement repose de plus en plus sur les étudiants et leurs familles va s’accélérer et devenir source de davantage d’inégalités.
L’exemple des États-Unis montre pourtant les effets néfastes d’une telle évolution. Certes, la dépense totale en faveur de l’enseignement supérieur, qui représente 2, 8 % du PIB, est élevée, mais les conséquences sociales d’un tel modèle sont extrêmement lourdes : fortes inégalités entre les établissements, logique financière et concurrentielle, endettement considérable des étudiants lors de leur entrée dans la vie professionnelle. Aujourd’hui, la dette cumulée des étudiants américains atteint 1 160 milliards de dollars, soit plus de 6 % du PIB des États-Unis ; elle dépasse désormais celle des ménages américains !
L’Union européenne et les États membres doivent donc rompre avec cette logique inacceptable qui assimile l’enseignement supérieur à un marché.
Seul un financement essentiellement public, en effet, peut garantir, d’une part, une véritable autonomie intellectuelle des universités, incompatible avec une logique marchande, et, d’autre part, la poursuite d’une réelle démocratisation de l’enseignement supérieur, incompatible, elle, avec des droits d’inscription élevés et des bourses sur critères sociaux ne couvrant qu’une part réduite des dépenses incompressibles d’un étudiant.
Ce constat a été parfaitement dressé dans le rapport du comité pour une stratégie nationale de l’enseignement supérieur, la STRANES, prévue par la loi Fioraso de 2013, dont nous avons débattu ici, mes chers collègues, en mai dernier.
Pour rappel, les auteurs de ce rapport, s’ils évoquent des pistes possibles de financement complémentaire, au nombre desquelles le mécénat, le recours aux fondations ou la formation continue, se prononcent pour le maintien d’un financement essentiellement public de l’enseignement supérieur.
À cette fin, la STRANES fixe deux objectifs, ceux-là mêmes qui figurent dans la présente proposition de résolution européenne : porter à l’échelon européen un objectif de 2 % du PIB consacré à l’enseignement supérieur d’ici à 2025 ; exclure du calcul des déficits publics les dépenses publiques d’enseignement supérieur.
Ce sont ces deux propositions que nous défendons – nous ne sommes pas les seuls, si j’en crois les messages de soutien que je reçois depuis quelques jours.
C’est dans ce contexte, monsieur le secrétaire d’État, que l’amendement déposé en dernière minute par le Gouvernement, tendant à supprimer de cette proposition de résolution européenne la disposition prévoyant d’exclure les dépenses publiques d’enseignement supérieur du calcul des déficits publics, prend toute sa « saveur ».
Cela confirme, hélas ! le choix de ce gouvernement, déniant au passage sa propre STRANES, d’assimiler l’enseignement supérieur à un marché. Votre argument est le même que celui des deux corapporteurs de la commission des affaires européennes : il s’agit de ne pas donner « un nouveau coup de canif dans le pacte de stabilité ».
Mon collègue Éric Bocquet reviendra longuement sur ce point, et ce débat est loin d’être clos, soyez-en sûrs, mes chers collègues !
C’est pour cette raison que le groupe CRC a inscrit cette proposition de résolution européenne à l’ordre du jour de sa niche parlementaire, tant ces revendications sont consubstantielles à un projet d’émancipation humaine pour lequel nous sommes mobilisés tous azimuts : à l’instant pour l’abrogation de la loi Travail, maintenant pour un financement pérenne de l’enseignement supérieur, demain sur la situation de l’hôpital public.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
adame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de résolution européenne sur la reconnaissance de l’enseignement supérieur comme un investissement nécessaire à l’avenir soulève des questions fondamentales pour notre société : d’une part, quels sont les besoins de financement, à l’horizon 2025, de l’enseignement supérieur européen, dans un contexte de massification des effectifs et de concurrence internationale accrue, d’autre part, comment doivent se répartir financement public et financement privé ?
Je me réjouis que, grâce à cette initiative de Mme Brigitte Gonthier-Maurin et de nos collègues communistes, nous ayons l’occasion, une nouvelle fois, de débattre de ces enjeux au sein de notre hémicycle.
En dépit d’une communauté de préoccupations, notre commission de la culture, comme la commission des affaires européennes avant elle, a choisi de ne pas adopter ce texte. Je tiens à m’en expliquer devant vous, ce rejet n’étant évidemment pas la marque d’une quelconque indifférence à l’égard des enjeux de l’enseignement supérieur, bien au contraire !
Reprenant très directement l’une des propositions du comité pour la STRANES en matière de financement de l’enseignement supérieur, la présente proposition a pour objet, en premier lieu, de reconnaître l’enseignement supérieur comme « un investissement nécessaire à l’avenir » ; en deuxième lieu, d’amener les dépenses d’enseignement supérieur à 2 % du PIB européen à l’horizon 2025 ; en troisième lieu, d’exclure les dépenses d’enseignement supérieur et de recherche du calcul des déficits publics.
S’agissant du premier point – reconnaître l’enseignement supérieur comme un investissement nécessaire à l’avenir –, je pense que nous sommes, sur toutes les travées de cet hémicycle, unanimement d’accord ; nous avons conscience du rôle et des fonctions de l’enseignement supérieur. C’est là, bien évidemment, un objectif de l’Union européenne et de ses États membres, à commencer par la France. La reconnaissance par l’Union et par les États membres de l’enseignement supérieur comme un investissement nécessaire à leur avenir n’est donc pas, me semble-t-il, un sujet nécessitant l’adoption d’une résolution européenne.
S’agissant du deuxième point – amener les dépenses d’enseignement supérieur à 2 % du PIB européen à l’horizon 2025 –, nous sommes également tous d’accord pour reconnaître que les besoins de financement de l’enseignement supérieur, en France comme en Europe, sont majeurs, puisqu’il s’agit de faire face à la fois à la massification des effectifs et aux besoins d’amélioration et de modernisation continue des prestations offertes par les établissements, dans un contexte de vive concurrence internationale.
Mais l’objectif des 2 % du PIB est encore loin : la France est en dessous de 1, 5 %, et l’Union européenne dans son ensemble n’atteint pas les 1, 3 % ; nous sommes loin, très loin, derrière les États-Unis et le Canada, qui dépassent les 2, 5 %. Il s’agit donc d’un objectif certes souhaitable, mais très ambitieux.
Les auteurs de la proposition de résolution estiment par ailleurs que « les dépenses d’enseignement supérieur doivent être essentiellement couvertes par un financement public ».
Pour ma part, s’agissant de la France, je considère que l’État ne peut supporter à lui seul la charge de l’investissement dans l’enseignement supérieur : les étudiants et leurs familles, ainsi que les entreprises, doivent aussi participer à cet investissement dont ils seront bénéficiaires.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, si je partage l’ambition des auteurs de la proposition de résolution s’agissant des besoins de financement de l’enseignement supérieur, je considère que la répartition qu’ils préconisent entre financements public et privé est malheureusement irréaliste.
Le troisième point, à savoir l’exclusion des dépenses d’enseignement supérieur et de recherche du calcul des déficits publics, est plus financier et technique.
Depuis son entrée en vigueur en 1997, le pacte de stabilité et de croissance fixe respectivement à 3 % et à 60 % du PIB les valeurs de référence pour le déficit budgétaire annuel et l’endettement public. Le pacte laisse cependant à la Commission et au Conseil une marge d’appréciation pour évaluer la viabilité des finances publiques à la lumière des circonstances spécifiques à chaque pays.
C’est ainsi que la Commission a pu réserver un traitement particulier, en 2015, aux dépenses liées à l’accueil des réfugiés, aux dépenses de sécurité de la France ou encore aux dépenses liées aux tremblements de terre en Italie.
Ces dérogations à l’application des règles du pacte sont cependant très loin de faire l’unanimité, parmi les États membres comme parmi les experts internationaux, et le Conseil les a fortement encadrées depuis fin 2015.
La commission des affaires européennes du Sénat a, pour sa part, adopté récemment une proposition de résolution européenne pour déplorer la multiplication, depuis 2015, de ces clauses de flexibilité qui renforcent, selon elle, l’opacité autour du pacte.
À la suite de la commission des affaires européennes, la commission de la culture n’a pas estimé souhaitable de demander la création d’une nouvelle dérogation à l’application des règles du pacte de stabilité et de croissance.
C’est pourquoi la commission de la culture vous propose de ne pas adopter la proposition de résolution européenne qui nous est soumise, même si nos préoccupations sont en partie convergentes avec celles de ses auteurs.
Le Gouvernement a déposé hier soir un amendement – je le rappelle pour mémoire, même s’il s’agit d’un fait récent
Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.
Cette initiative, qui a reçu un avis défavorable de la commission, n’infléchit pas notre position de rejet global de ce texte.
Applaudissements sur certaines travées du groupe Les Républicains.
Je reconnais à Mme Gonthier-Maurin, qui connaît bien ces sujets, une constance dans la défense de ses positions.
Ce qu’elle a dit est tout à fait juste : l’Europe ne s’est pas dotée d’objectifs chiffrés s’agissant de ses dépenses en matière d’enseignement supérieur. La conférence de Lisbonne a bien fixé un objectif – 3 % du produit intérieur brut – pour les dépenses de recherche-développement, mais elle ne l’a pas fait pour les dépenses d’enseignement supérieur, non plus d’ailleurs que pour la répartition, en la matière, entre financement public et financement privé.
C’est dans le cadre de la STRANES que, pour des raisons tenant principalement à la nécessité d’élever le niveau des compétences et des connaissances au regard de grandes mutations que votre assemblée connaît bien, la France a choisi de se doter d’une perspective qui, au terme d’une trajectoire sur dix années, l’amènerait à consacrer 2 % du PIB au financement de l’enseignement supérieur.
Madame la sénatrice, votre texte contient deux propositions : premièrement, que la France défende l’application au niveau de l’Union européenne de cet objectif fixé au niveau national par la STRANES ; deuxièmement, que la part publique dans ce financement soit exclue du calcul du déficit budgétaire.
Il peut être intéressant de faire un point précis sur la situation en Europe s’agissant de ces deux questions : combien les pays dépensent-ils en matière d’enseignement supérieur – la réponse à cette question permettra de mesurer le chemin qui reste à parcourir ? Et quelle est la structure de financement, c’est-à-dire la part respective du public et du privé ?
Les dépenses d’enseignement supérieur s’élèvent en moyenne aujourd’hui pour les vingt-deux pays de l’Union européenne étudiés dans le rapport le plus récent de l’Organisation de coopération et de développement économiques – les chiffres sur lesquels vous avez raisonné, madame la sénatrice, sont peut-être un petit peu datés – à 1, 6 % du PIB, et à 1, 4 % du PIB pour l’ensemble des pays de l’OCDE. La France se situe entre les deux, puisque les dépenses d’enseignement supérieur y représentent 1, 5 % du PIB.
Existe-t-il dans l’Union européenne des pays se situant à 2 % du PIB ? Il y en a un seul ! C’est l’Estonie. Quelques pays nordiques n’en sont pas très loin – la Finlande et le Danemark sont à 1, 9 % – ; d’autres pays, en particulier le Royaume-Uni, sont à 1, 8 % du PIB. L’Allemagne est à 1, 3 %.
La fixation d’un tel objectif conduirait donc l’ensemble des pays européens, à une exception près, l’Estonie, à faire un petit ou un gros effort, et plutôt un gros effort, de l’équivalent d’un demi-point de PIB.
Par ailleurs, quelle est la part de ces dépenses qui est respectivement financée par le public et par le privé ?
En la matière, les situations sont radicalement divergentes.
Il y a un bloc de pays, à savoir les pays nordiques, auxquels j’ajoute la France et l’Allemagne, dans lesquels la charge, en matière de dépenses d’enseignement supérieur, repose presque exclusivement, en tout cas en très grande partie, sur le public : à 95 % pour les pays nordiques – le financement privé y est presque inexistant –, 82 % pour la France et un taux similaire pour l’Allemagne.
Dans certains pays, à l’inverse, les dépenses publiques sont minoritaires par rapport aux dépenses privées. Au Royaume-Uni, auquel je pense en particulier, elles représentent environ 45 % du total. Le bon résultat de ce pays tient donc principalement aux efforts des familles – c’est en effet essentiellement cela, le financement privé… –, qui assument environ 47 % ou 48 % de la dépense, le financement étant un peu complété par des partenariats avec les entreprises.
La position du Gouvernement figure, je l’ai dit, dans la STRANES : nous estimons qu’atteindre 2 % du PIB est souhaitable, mais cet objectif ne doit pas masquer la grande disparité des réalités nationales et mériterait d’être affiné.
Figure également dans la STRANES la nécessité d’ouvrir la réflexion sur la prise en compte des sommes consacrées à la préparation de l’avenir, qu’il s’agisse d’ailleurs de l’enseignement supérieur ou de la recherche, dans le déficit public.
C’est ici que les difficultés commencent, et c’est la raison pour laquelle le Gouvernement a déposé un amendement : il partage l’objectif préconisé, mais, à ce stade, il ne souhaite pas arbitrer entre les différentes possibilités susceptibles d’être défendues à l’échelle européenne. Faut-il, comme vous le demandez, madame la sénatrice, exclure du calcul du déficit les dépenses d’enseignement supérieur ou, autre proposition, les dépenses de recherche du calcul du déficit ? Faut-il plutôt privilégier les dépenses liées à la défense ou à la conduite de certaines opérations extérieures ?…
Des arbitrages doivent être effectués entre les différentes réflexions amorcées au niveau européen et qui doivent encore trouver leur chemin. Nous ne pouvons donc pas souscrire à une proposition de résolution selon laquelle ce sont les dépenses d’enseignement supérieur qui doivent sortir du calcul du déficit – sous-entendu : pas les autres. Peut-être s’avérera-t-il plus judicieux, par exemple, d’en exclure les dépenses de recherche, et c’est ce qui me gêne dans la proposition de résolution.
Si son amendement était adopté, le Gouvernement ne verrait en revanche que des avantages au vote de celle-ci ; s’il ne l’était pas, nous nous en remettrions, mesdames, messieurs les sénateurs, à la sagesse de votre assemblée.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le développement de l’enseignement supérieur, chacun en convient, est un enjeu prioritaire, dans un contexte global qui est à la stagnation ou à la diminution des dépenses publiques, et qui n’épargne malheureusement aucun pays de l’Union européenne.
Le dynamisme économique dépend en effet de l’investissement dans la formation, à tous les niveaux. À ce titre, la croissance des emplois à forte intensité de connaissance et le renforcement de la capacité d’innovation des économies sont nécessaires dans une Europe qui tend à s’essouffler.
Cela passe non seulement par la mise en œuvre de politiques publiques en faveur d’une large démocratisation de l’enseignement supérieur, mais aussi par un effort accru dans le domaine de la recherche. Nous le savons, la recherche, l’innovation, la connaissance permettent la croissance économique.
Nous proposons, avec mes collègues du groupe CRC, une résolution européenne en ce sens.
Celle-ci correspond bien au sens de la stratégie Europe 2020, qui compte l’éducation parmi ses cinq grands objectifs et prévoit, d’une part, l’abaissement du taux de décrochage scolaire à moins de 10 % et, d’autre part, que 40 % au moins de la population âgée de 30 à 34 ans soit diplômée de l’enseignement supérieur.
En fixant à 2 % du PIB, pour les États membres de l’Union, le niveau des dépenses d’enseignement supérieur en 2025, la proposition de résolution européenne sur la reconnaissance de l’enseignement supérieur comme un investissement nécessaire à l’avenir vise donc à permettre l’accomplissement de ces objectifs. Nous proposons, pour ce faire, que la hausse des dépenses publiques en faveur de l’enseignement supérieur ne soit pas prise en compte dans le calcul du déficit public au sens du traité de Maastricht.
Cette mesure dérogatoire, que peut décider le Parlement européen, nous apparaît nécessaire afin d’éviter le recours à la privatisation du financement de l’enseignement supérieur et de la recherche, laquelle irait dans le sens d’une moindre démocratisation, et afin d’encourager le maintien du modèle d’accès à l’enseignement porté par notre pays, notamment, au sein de l’Union européenne.
Rappelons que le Parlement européen a par ailleurs adopté, en 2012, une résolution sur la modernisation des systèmes d’enseignement supérieur en Europe. Cette résolution invitait les établissements d’enseignement supérieur à intégrer dans leurs programmes l’apprentissage tout au long de la vie, à s’adapter aux nouveaux défis en créant des cursus d’études reflétant les besoins du marché du travail et à promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes dans le domaine de l’enseignement supérieur.
Il se trouve que dans cette même résolution le Parlement insistait pour que les États membres atteignent l’objectif d’investir 2 % du PIB dans l’enseignement supérieur. Nous nous inscrivons donc en totale cohérence avec ses objectifs.
Pourtant, si l’on s’intéresse de près aux écarts qui existent entre les États membres en matière de conditions d’accès à l’enseignement supérieur, on constate qu’ils demeurent considérables. Ainsi, les frais d’inscription en premier cycle vont de la gratuité à plus de 11 000 euros dans certains pays. Le montant des bourses sur critères sociaux varie lui aussi fortement d’un État membre à l’autre : inférieur à 1 000 euros dans la plupart des nouveaux pays membres, il dépasse 9 000 euros dans certains États membres plus anciens.
Les conditions d’une réelle démocratisation de l’enseignement supérieur à l’échelle de l’Union ne sont donc pas encore tout à fait réunies. Et cela, chacun le comprend, pose une vraie question !
Le risque est grand, en effet, dans un contexte de concurrence accrue entre les universités et de contraction des dépenses publiques imposée dans tous les pays, de voir le développement de l’enseignement supérieur reposer de plus en plus sur les étudiants et leurs familles.
L’exemple des États-Unis, qui a été cité, montre les effets que l’on peut attendre d’une telle évolution. Certes, la dépense totale en faveur de l’enseignement supérieur y est élevée, puisqu’elle est d’environ 2, 8 % du PIB, mais les conséquences sociales du recours à des frais de scolarité élevés et à l’endettement des étudiants sont lourdes. Les inégalités sont fortes entre les établissements universitaires ; la logique qui prévaut est une logique financière et concurrentielle, et, je le disais à l’instant, l’endettement des étudiants lors de leur entrée dans la vie professionnelle est considérable.
Comme l’a souligné Brigitte Gonthier-Maurin, la dette cumulée des étudiants américains dépasse le chiffre effarant de 1 000 milliards de dollars. C’est plus de 6 % du PIB des États-Unis et de nombreuses banques américaines sont exposées à ce risque bien réel. Imaginez, mes chers collègues, que le président Barack Obama, qui quittera ses fonctions dans quelques jours, a lui-même fini de rembourser son prêt étudiant au cours de l’année 2004 seulement !
Il serait inacceptable que l’Union européenne et les États membres s’engagent eux aussi peu à peu dans l’assimilation de l’enseignement supérieur à une forme de marché et dans un système qui « préempte » l’entrée dans la vie active de jeunes diplômés surendettés.
L’enseignement supérieur ne doit pas non plus se réduire à la formation d’une élite. Il doit offrir de réelles chances de réussite à tous, dans les études d’abord, puis dans la carrière professionnelle, et permettre une véritable mobilité sociale.
Par ailleurs, seul un financement essentiellement public peut garantir une authentique autonomie intellectuelle des universités – autonomie incompatible avec une logique marchande – et la poursuite d’une réelle démocratisation de l’enseignement supérieur – démocratisation incompatible avec des droits d’inscription élevés et des bourses sur critères sociaux ne couvrant qu’une part réduite des dépenses incompressibles d’un étudiant.
Dans ce contexte, il nous paraît nécessaire d’ouvrir largement le débat et de le porter devant le Parlement européen. Refuser, au nom d’objectifs budgétaires immédiats, de soutenir le développement de l’investissement public dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche serait une erreur stratégique fondamentale pour les États membres de l’Union européenne, en particulier pour la France.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, lors de la conférence mondiale sur l’enseignement supérieur au XXIe siècle, organisée en 1998 à Paris, l’UNESCO défendait ce qui devrait être l’un des cadres prioritaires de toute action en la matière : « Le soutien public à l’enseignement supérieur et à la recherche reste essentiel pour que les missions éducatives et sociales soient assurées de manière équilibrée. »
Près de vingt ans plus tard, ce soutien public ne s’est pas démenti, mais, alors que la dépense publique moyenne en matière d’enseignement supérieur, au sein de l’Union européenne, demeure inférieure à 1, 3 % du PIB, la stagnation, voire, pour certains États membres, la diminution des crédits, tend à l’emporter dans le choix des politiques publiques.
Depuis 1975, le nombre d’étudiants inscrit dans l’enseignement supérieur a pourtant plus que doublé dans les principaux pays de l’OCDE, notamment en France.
Mieux, selon l’UNESCO, à l’échelle mondiale, le nombre d’étudiants devrait s’élever à 262 millions en 2025, contre seulement 97 millions en l’an 2000. Face au défi que représentent l’intégration et la formation de ces étudiants, notre collègue Brigitte Gonthier-Maurin et l’ensemble des membres du groupe CRC nous invitent à une réflexion salutaire sur l’avenir de l’enseignement supérieur au sein de l’Union européenne et sur les moyens d’en assurer un financement et une démocratisation durables. C’est ce qui ressort de l’examen de cette proposition de résolution européenne visant à reconnaître l’enseignement supérieur comme un investissement d’avenir.
Garantir un financement pérenne de l’enseignement supérieur, c’est assurer la recherche, l’innovation et l’intelligence de demain ; chacun s’accorde là-dessus. Et ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’éducation fait partie des cinq objectifs de la stratégie Europe 2020, adoptée le 17 juin 2010 par le Conseil européen, « en portant à 40 % au moins la proportion de personnes âgées de 30 à 34 ans ayant obtenu un diplôme de l’enseignement supérieur ». Dont acte à mi-parcours. Il est probable que l’objectif de 40 % soit atteint en 2020 malgré des disparités de genre et des écarts au sein des pays membres. Mais comment maintenir cet objectif sur le long terme quand l’afflux d’étudiants ne cesse de croître ?
Nos collègues du groupe CRC proposent deux mesures de nature largement incitatives qui devraient susciter un débat plus large que la stricte discussion autour du pacte de stabilité et de croissance.
La première vise à reconnaître l’enseignement supérieur comme un investissement nécessaire à l’avenir et, ce faisant, à lui octroyer un objectif de 2 % du PIB des États membres à l’horizon 2025. Certes, l’action de l’Union européenne en matière d’éducation ne relève que d’une compétence d’appui, ainsi que l’ont rappelé nos rapporteurs, mais le processus de Bologne, initié en 1998, a montré que l’Union pouvait tout de même œuvrer à l’harmonisation et au rapprochement des systèmes d’enseignement supérieur, par exemple à travers la réforme licence-master-doctorat, ou LMD. Par ailleurs – faut-il le rappeler ? –, à l’heure où l’Union européenne essuie des critiques de toutes parts, le programme Erasmus concentre, lui, les louanges et demeure le seul à incarner cette notion de citoyenneté européenne, qui fait tant défaut à l’Europe. Voilà quelques jours, Le Monde y consacrait un dossier, rappelant que près de 4 millions d’étudiants européens sont partis à l’étranger, en université ou en stage depuis 1987, conférant à ce programme une réputation largement enviable au sein de l’Union européenne.
En outre, cet objectif de 2 % du PIB n’est pas une illusion, puisqu’il fait partie des préconisations issues de la stratégie nationale pour l’enseignement supérieur prévue par la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche. Ce document est également pour le maintien d’un financement essentiellement public de l’enseignement, afin de garantir une offre plurielle et un accès pour tous. Nous qui sommes si prompts à ériger les pays scandinaves et nordiques en modèle, ayons bien à l’esprit que trois d’entre eux, la Norvège, la Finlande et le Danemark, ont un financement presque entièrement public de l’enseignement supérieur, de l’ordre de 95 % ou plus, quand la France oscille autour de 82 %.
La seconde mesure consisterait à extraire les dépenses d’enseignement et de recherche du calcul des déficits publics. C’est le cas – mais de manière circonstancielle, à la faveur de dérogations octroyées par la Commission européenne – des dépenses de sécurité de la France pour 2015 et 2016 ou des dépenses liées aux tremblements de terre en Italie. J’entends bien les questionnements que suscite la multiplication des dérogations au pacte de stabilité et de croissance, dont notre commission des affaires européennes s’est d’ailleurs saisie voilà peu. L’amendement du Gouvernement s’en fait également l’écho.
Mais peut-on tout de même – et c’est peut-être l’un des mérites de cette résolution – s’interroger sur ce qui n’est plus, aujourd’hui, un totem ? N’oublions pas que, du Fonds monétaire international à l’OCDE, en passant par l’Observatoire français des conjonctures économiques ou du G20, de plus en plus nombreux sont ceux qui plaident pour une adaptation du pacte de stabilité et de croissance à l’aune de politiques de relance des investissements publics afin de favoriser la croissance.
En ce sens, le soutien public à l’enseignement supérieur, préparant de surcroît l’avenir des pays européens, ne pourrait-il pas gagner à faire partie d’une nouvelle génération de réformes structurelles soutenant l’investissement ?
Vous l’aurez compris, parce que cette proposition de résolution nous exhorte à soutenir un domaine crucial, elle aura le soutien de la grande majorité des membres du RDSE.
Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe CRC.
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Kern, pour le groupe UDI-UC.
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la présente proposition de résolution européenne invite le Gouvernement à soutenir deux mesures.
Elle préconise, d’une part, que l’Union européenne et les États membres retiennent un objectif de 2 % du PIB pour les dépenses d’enseignement supérieur à l’horizon 2025 et, d’autre part, que les dépenses publiques d’enseignement supérieur ne soient pas prises en compte dans le calcul des déficits publics des États membres.
Le texte exprime la crainte de voir le développement de l’enseignement supérieur reposer de plus en plus sur les étudiants et leurs familles. Il en conclut que seul un financement essentiellement public pourrait garantir une véritable autonomie intellectuelle des universités et la poursuite d’une réelle démocratisation de l’enseignement supérieur.
Assurément, ce texte est rempli de bons sentiments, avec lesquels il serait difficile d’être en désaccord. L’enseignement supérieur est, bien entendu, fondamental pour l’avenir de l’Union européenne. Il est certain que l’enseignement supérieur rencontre actuellement un fort besoin de financement, dans le contexte de l’augmentation du nombre d’étudiants et de la course mondiale aux talents. Il est tout aussi certain que le financement de l’enseignement supérieur en Europe évolue vers une participation privée croissante.
Cependant, s’il est légitime de s’interroger sur de tels changements, ceux-ci mériteraient tout de même une réflexion plus profonde.
D’abord, il ne faut pas oublier la diversité des situations européennes, qui résultent de choix politiques souverains.
Comme l’a souligné notre rapporteur, que je salue ici pour son travail de qualité – même s’il fut bref…
Sourires.
Parallèlement à ce constat, rappelons que l’éducation n’est qu’une compétence d’appui de l’Union européenne. Faire prévaloir un financement public quasi exclusif éloignerait donc l’Union du cadre de son intervention légitime.
Ensuite, sur l’application du pacte de stabilité et de croissance, le rapporteur s’oppose à une absence de prise en compte des dépenses publiques d’enseignement supérieur dans le calcul des déficits publics.
C’est également le cas du Gouvernement, qui a déposé un amendement en ce sens pour retirer de la proposition de résolution la disposition en vertu de laquelle les dépenses publiques d’enseignement supérieur ne seraient plus prises en compte dans le calcul des déficits publics des États membres au sens du traité de Maastricht. En effet, l’effort budgétaire en faveur de l’enseignement supérieur peut d’ores et déjà être relevé par la Commission européenne dans le cadre de son application flexible du pacte.
Depuis la communication du 13 janvier 2015, la Commission européenne a décidé de prendre en compte de nouveaux facteurs pouvant permettre aux États de s’affranchir relativement des objectifs du pacte.
De fait, on a depuis assisté à la multiplication des clauses de flexibilité au pacte, ce qui contribue indirectement à renforcer l’opacité autour de ce dispositif sans pour autant que ces clauses apparaissent toujours efficaces. La multiplication de ces dérogations ne suscite d’ailleurs pas l’adhésion unanime du Conseil.
Sur la base d’un rapport du Conseil économique et financier de 2015, les États ont décidé d’imposer des limites claires aux clauses de flexibilité intégrées au « volet préventif » du pacte, c’est-à-dire applicables aux États dont le déficit public est en deçà de 3 % du PIB. Le Conseil a préconisé que l’écart temporaire et cumulatif des objectifs ne doive pas dépasser 0, 75 % du PIB. Par ailleurs, les clauses de flexibilité ne peuvent être utilisées qu’une fois durant la période d’ajustement destinée à équilibrer les comptes publics.
Proposer une nouvelle dérogation apparaît dans le contexte actuel irréaliste et pourrait rajouter à la confusion actuelle entourant l’application du pacte de stabilité et de croissance. Plusieurs observateurs jugent que les clauses sont déjà trop nombreuses, inefficaces et opaques en l’état.
Or c’est justement vers plus de clarté que nous devons tendre. Pour autant, et même si nous partageons sur le fond l’analyse du Gouvernement, nous préférerons ne pas prendre part au vote sur son amendement.
M. Claude Kern. En effet, il ne nous semblerait pas très cohérent d’amender un texte que le groupe UDI-UC entend rejeter dans son ensemble.
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.
La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour le groupe écologiste.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de résolution européenne examinée aujourd’hui à la demande de nos collègues du groupe CRC nous invite à reconnaître l’enseignement supérieur comme un investissement nécessaire à notre avenir.
Nous trouvons utile le symbole de cette reconnaissance, à laquelle nous devons prendre notre part, et de bon sens le souhait d’un financement accru. Sans formation de sa jeunesse, sans production de savoir, l’humanité ne grandit pas.
Les profondes mutations qui s’imposent à notre société nécessiteront de plus en plus de connaissances et de compétences. La transition énergétique, par exemple, ne se fera pas sans former les nouvelles générations.
Impossible aussi d’être contre une augmentation du financement face à la massification des effectifs d’étudiants et à l’ambition de diplômer de l’enseignement supérieur 60 % d’une classe d’âge. Nos universités, dont certaines restent sous-dotées, ne peuvent pas assurer les mêmes tâches à moyens constants avec des effectifs qui vont exploser.
À l’instar de la STRANES, comme des auteurs de ce texte, nous appelons à un financement public à hauteur de 2 % du PIB. À l’heure où un chef d’état-major de l’armée française sort de sa réserve pour réclamer un budget de la défense de 2 % du PIB non seulement pour la sécurité contre le terrorisme, mais également pour des achats d’armes et la dissuasion nucléaire, notre proposition de résolution est la bienvenue pour faire contrepoint.
Certes, nos engagements européens nous invitent à la rigueur du pacte de stabilité et de croissance, mais il y a aussi la stratégie de Lisbonne, où le mot « connaissance », que l’on oublie trop souvent, résonnait avec le mot « croissance », croissance sur laquelle les incantations multiples restent sans effet…
La proposition du groupe CRC d’une nouvelle dérogation au pacte de stabilité et de croissance a interpellé la commission des affaires européennes, qui désapprouve une complexification du dispositif et une altération du périmètre des dérogations possibles.
L’ensemble du Sénat doit comprendre que, demain, l’Europe sera cultivée, solidaire et intelligente, ou bien ne sera plus, au risque du chaos !
Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.
Nous savons que la droite est plutôt tentée par l’autofinancement des établissements et par la hausse des droits d’inscription.
L’autofinancement additionnel, c’est bien, et ce ne serait qu’un juste retour des sommes englouties par le crédit d’impôt recherche, le CIR. Mais l’autofinancement conditionnel, qui ne permet que des recherches rentables, des productions brevetables ou la sélection des meilleurs aux dépens de la démocratisation et du partage désintéressé des connaissances, c’est non !
Nous en connaissons les risques : abandon des disciplines sans profits rapides, comme la botanique, les sciences sociales, l’expertise sanitaire.
Nous en connaissons aussi les conséquences sur la dépendance des formations médicales par rapport aux laboratoires pharmaceutiques. Saluons au passage les neuf facultés françaises qui forment les futurs médecins et pharmaciens à garder leur indépendance : Lyon arrive en tête, suivi d’Angers.
Enfin, nous en connaissons les dérives ultimes, comme les apports de ces mécènes créationnistes aux États-Unis, qui interdisent d’enseigner Darwin et corrompent la notion de savoir au profit de la notion de croyance.
L’augmentation des droits d’inscription, elle deviendrait vite un mécanisme sélectif, voire dissuasif. Le budget d’un étudiant, c’est aussi le coût du logement, des fournitures, des transports, des soins… Nous ne voulons pas du modèle américain des études à crédit – d’ailleurs ouvertes seulement à ceux qui peuvent emprunter –, modèle que certains économistes désignent déjà comme le prochain danger de bulle explosive, à la manière des subprimes.
Certains verraient aussi d’un bon œil une lourde augmentation des frais pour les étudiants étrangers. Cette erreur nous priverait de la richesse qu’apportent les croisements d’intelligence et cantonnerait l’accès au savoir de la jeunesse des pays en développement aux fils – je dis bien aux « fils », et pas aux « filles » – de leurs notables.
Parce que l’enseignement supérieur constitue un enjeu d’avenir pour France, parce qu’il doit constituer un levier de développement économique et social pour tous, parce qu’il doit rester indépendant, il est juste que l’investissement soit public et ambitieux. C’est d’ailleurs un vrai choix, adossé à des valeurs, qui méritera d’être clarifié dans la bouche de chaque candidat.
Vous l’aurez compris, les écologistes souscrivent à la philosophie de la proposition de résolution européenne sur la reconnaissance de l’enseignement supérieur comme un investissement nécessaire à l’avenir, dont le choix ne saurait être pénalisant pour les pays qui s’y engageront. C’est pourquoi nous voterons avec enthousiasme cette révolution, …
Sourires.
Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.
La parole est à Mme Dominique Gillot, pour le groupe socialiste et républicain.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie tout d’abord Brigitte Gonthier-Maurin d’avoir déposé, avec ses collègues du groupe CRC, cette proposition de résolution européenne sur la reconnaissance de l’enseignement supérieur comme un investissement nécessaire à l’avenir.
Le comité STRANES, dont je fais partie, qui a conduit des travaux de réflexion, de comparaison et d’évaluation très fructueux avec la communauté universitaire, avec les leaders d’opinion et les partenaires européens, avait conclu que les dépenses d’enseignement supérieur et de recherche n’étaient pas des charges, mais bien des investissements.
La proposition de résolution européenne reprend la proposition 36 du rapport de la stratégie nationale pour l’enseignement supérieur prévue par la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche. Ce rapport a été remis le 8 septembre 2015 au Président de la République, qui en a fait la ligne de conduite de son gouvernement. Le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche a validé la stratégie retenue à une très large majorité, ce qui mérite d’être souligné s’agissant de cette instance un peu difficile…
Le 4 mai dernier, à la demande de mon groupe, nous avons débattu de la STRANES en votre présence, monsieur le secrétaire d’État. Considérant que la constance est une qualité dans la responsabilité politique, je soutiens cette proposition de résolution, avec l’espoir de vous convaincre de faire de même, chers collègues.
Lors de ce débat du 4 mai, la majorité sénatoriale avait exprimé son mépris pour une stratégie qualifiée de « démagogique », expliquant par exemple qu’il était « complètement impossible » de supprimer la sélection entre les deux années de master, cette proposition 15 de la STRANES n’apparaissant pour elle que comme une « préconisation pour flatter certains syndicats étudiants ».
Voilà quelques semaines, les mêmes ont changé d’avis sur ce sujet, en votant la proposition de loi de Jean-Léonce Dupont, amendée par mes soins avec son accord, pour y introduire les conclusions de la concertation conduite par le ministère.
Serait-il déraisonnable qu’ils fassent de même pour cette proposition de résolution européenne, qui pose la question fondamentale de la place de l’enseignement supérieur dans notre société, de son financement, et de l’effort conjugué à obtenir de l’ensemble des pays de l’Union européenne ?
Pourquoi financer plus l’enseignement supérieur ? Parce qu’il y a un impératif démographique ; parce que le monde change et, avec lui, le rapport à la connaissance et au travail ; parce que les métiers eux-mêmes changent ! Nous devons être collectivement mieux armés pour appréhender ces évolutions, afin qu’elles bénéficient au plus grand nombre et contribuent à réduire les inégalités.
La robotisation de nos industries, qui s’accélère, le développement exponentiel de l’intelligence dite artificielle et de ses usages, l’utilisation des mégadonnées sont source de développement et de progrès pour notre pays, pour autant que nous nous donnions les moyens de nous en saisir ! Pour autant que l’intelligence humaine accompagne, maîtrise ces évolutions de la science et de la technologie !
Les diplômes de l’enseignement supérieur, du brevet de technicien supérieur, ou BTS, au doctorat, sont un rempart contre le chômage.
Élever le niveau de qualification est donc une ambition et une protection. Nous devons viser l’égalité des chances dans l’accès aux diplômes du supérieur.
Les analyses de la STRANES attestent que l’investissement public est l’une des garanties de cet objectif de démocratisation, en maintenant des frais d’inscriptions réduits et un système d’aides sociales qui permette à tous ceux qui le souhaitent de poursuivre des études supérieures.
Les frais d’inscriptions cristallisent trop souvent le débat sur le financement de l’enseignement supérieur, notamment pour les ambassadeurs du sacro-saint « modèle anglo-saxon ».
Un système à financement privé, notamment par les familles, a peut-être des avantages. Il a surtout ses inconvénients : faibles mobilités sociales, creusement des inégalités entre établissements et territoires, problème macro-économique de la dette étudiante, reproduction des inégalités, attractivité restreinte des études supérieures par autocensure.
Au Royaume-Uni, l’augmentation des frais d’inscription a eu un effet de rétractation du nombre d’inscrits, donc du nombre d’étudiants et, par suite, de diplômés.
Ainsi, 40 % des étudiants sont dans l’incapacité de rembourser leurs emprunts. Comme cela a été souligné, aux États-Unis, les prêts étudiants représentent 6 % du PIB et font craindre une bulle spéculative, raison pour laquelle le Président Barack Obama proposait de réduire les droits d’inscriptions.
Après évaluations et comparaisons, la STRANES a fait le choix de conforter notre modèle de financement majoritairement public de l’enseignement supérieur, à un taux de 82 %, conformément au modèle européen. Le financement de l’enseignement supérieur allemand est à 85 % public, et cette participation peut monter jusqu’à 95 % dans certains pays scandinaves.
Ce choix serait-il le fruit d’une dérive idéologique ? Non ! Il est le résultat d’une stratégie raisonnée, basée sur la connaissance scientifique, qui constate que l’enseignement supérieur constitue un levier de croissance économique, une externalité positive.
Des travaux économétriques ont mesuré l’élasticité des dépenses d’enseignement supérieur sur le PIB. Elle est positive. Chaque année d’étude supplémentaire dans la population a un impact positif sur la croissance.
Selon l’étude de la Ligue des universités européennes de recherche sur la contribution économique des universités de recherche de 2015, chaque euro investi dans les universités françaises génère une valeur ajoutée à l’économie de près de 4 euros et, pour chaque emploi qu’elles créent directement, c’est 3, 2 de plus.
Il est donc indispensable de préparer les jeunes à de nouveaux métiers, que nous ne connaissons pas encore pour la plupart, et de permettre aux actifs d’actualiser leurs compétences, voire d’en acquérir d’autres pour être mobiles, épanouis dans leur emploi, coproducteurs de croissance.
Le Gouvernement a pris au sérieux cette question en renforçant la formation tout au long de la vie.
La loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite loi travail, dont tous les décrets s’appliquent depuis le 1er janvier dernier, aura permis de mettre en œuvre le compte personnel d’activité, outil de renforcement de la sécurisation des parcours professionnels et de développement du compte personnel de formation, pour lesquels la mobilisation des acteurs de l’enseignement supérieur est fortement requise.
Les établissements d’enseignement supérieur sont conscients de leur responsabilité sociétale dans cette étape de renforcement de la formation tout au long de la vie. Ils mesurent les enjeux qu’elle recèle pour leur propre développement.
Par ailleurs, je tiens à rappeler la part de responsabilité des entreprises dans le financement des formations utiles à leur activité, nécessaires à leur performance. Investir davantage dans l’enseignement supérieur est donc un moyen supplémentaire d’accroître la relance économique de notre pays.
La part du PIB consacré à l’enseignement supérieur est actuellement de 1, 49 % en France et de 1, 43 % en moyenne dans l’Union européenne. Viser 2 % à l’horizon 2025 est donc non seulement souhaitable, mais réaliste.
Considérant le modèle économique de l’enseignement supérieur, reconduit par la STRANES, qui postule que l’augmentation de l’investissement public est le meilleur moyen d’atteindre cet objectif à terme, la question du maintien du pacte de stabilité est posée.
Lors des travaux du comité STRANES, le directeur adjoint de l’éducation et de la culture à la Commission européenne avait lui-même évoqué l’intérêt de fixer un objectif chiffré aux pays de l’Union européenne en matière d’enseignement supérieur, évoquant même une sortie de ces dépenses du calcul des déficits publics.
C’est une question cruciale, qui convoque l’idée que nous nous faisons de l’Europe et du rôle qu’elle doit jouer au XXIe siècle.
Les principes, s’ils doivent être observés, ne sont pas intangibles. L’appartenance loyale et déterminée à l’Europe ne doit pas empêcher un État stratège qui veut investir dans l’innovation, dans la formation tout au long de la vie, pour permettre à ses travailleurs et à ses industries d’être à la hauteur, à la pointe des évolutions numériques et industrielles et d’imaginer les révolutions de demain. La compétitivité, c’est aussi cela. L’Europe ne doit plus nous décevoir ; elle ne doit plus avoir comme seule grille de lecture le marché et sa libre concurrence !
Il s’agit de protéger nos emplois, nos salariés et assurer une vraie politique de croissance, qui a un coût. Une politique de croissance ne se résume pas à réduire les déficits et les coûts salariaux. L’Europe doit investir et permettre l’investissement dans l’enseignement supérieur et la recherche. L’émergence de grands champions européens est à ce prix. On ne peut pas faire comme si le monde n’existait pas autour de nous ! Cela suppose de lutter contre les critères technocratiques, qui freinent les investissements, y compris immatériels. C’est aussi une question de souveraineté.
En conclusion, le groupe socialiste et républicain votera cette proposition de résolution européenne, dont la mise en œuvre contribuera au renforcement de l’Union, tout autant qu’à celui de notre pays et de ses établissements d’enseignement supérieur. Je pense que ce peut être un bon appui pour le Gouvernement dans ses discussions futures avec ses partenaires de l’Union européenne.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, estimant, à juste titre, que le développement de l’enseignement supérieur est un élément déterminant pour l’avenir de l’Union européenne et de ses États membres, le texte que nous examinons milite pour que les dépenses publiques afférentes ne soient pas prises en compte dans l’estimation par la Commission européenne du déficit public.
Les signataires de la proposition considèrent qu’une telle disposition devrait permettre à l’Union européenne de parvenir à l’objectif de 2 % de dépenses publiques en faveur de l’enseignement supérieur.
C’est un objectif de l’Union européenne plusieurs fois rappelé dans le cadre du processus de Bologne en 1999, de la stratégie de Lisbonne en 2000 et de la stratégie Europe 2020. C’est devenu un objectif des États membres, ce que la France a prouvé avec les travaux du comité STRANES, validés par le Gouvernement en 2015. J’ai salué le rapport lors de sa présentation devant la commission de la culture.
L’enseignement supérieur dans l’Union européenne compte 20 millions d’étudiants, dans environ 4 000 établissements, et emploie 1, 5 million de personnes. Les besoins de financement sont élevés, en raison d’une forte augmentation du nombre d’étudiants au sein des pays de l’OCDE. Selon les estimations, ce nombre devrait doubler en 2030.
L’action de l’Union européenne reste cependant limitée, l’éducation n’étant en effet qu’une de ses compétences d’appui. Elle s’est cependant traduite par de grands programmes d’appui, le plus connu étant Erasmus, qui fête ses trente ans. Pour la période 2014-2020, Erasmus + qui regroupe l’ensemble des anciens programmes de l’Union européenne en faveur de l’éducation, de la formation et de la jeunesse, est ainsi doté d’un budget de 14, 7 milliards d’euros, soit un montant en augmentation de 40 %, ce dont nous pouvons nous réjouir.
La dépense publique en matière d’enseignement supérieur dans l’Union européenne plafonne à 1, 6 % du PIB. Il est donc urgent de faire évoluer les modalités de financement de l’enseignement supérieur.
C’est la raison pour laquelle Patricia Schillinger et moi-même, corapporteurs de la proposition de résolution devant la commission des affaires européennes, avons souhaité ajouter la phrase suivante dans notre rapport : « En effet, même si la compétence éducation n’est pas une compétence principale de l’Union, compléter le cadre stratégique éducation et formation existant reste possible et même souhaitable. »
Je reste convaincue que les problématiques de l’enseignement supérieur méritent une analyse approfondie et une réflexion complémentaire.
Le rapport à mi-parcours d’Erasmus + devrait être présenté au début de l’année 2017 et pourrait donner lieu à un rapport parlementaire visant à définir une position prospective sur les enjeux, la commission des affaires européennes s’y étant engagée.
Les dépenses publiques en faveur de l’enseignement supérieur peuvent relever de deux logiques. Il s’agit en tout état de cause d’investissements et elles peuvent participer de la mise en œuvre de réformes structurelles. Aux termes de sa communication du 13 janvier 2015, la Commission européenne considère qu’un État peut déroger, dans une certaine mesure, à ses objectifs budgétaires dès lors que les dépenses constatées concourent à des investissements ou à des réformes structurelles.
Depuis la communication du 13 janvier 2015, la Commission européenne a décidé de prendre en compte de nouveaux facteurs pouvant permettre aux États de s’affranchir relativement des objectifs du pacte de stabilité et de croissance. Je pense à l’accueil des réfugiés. Les dépenses destinées à faire face à la crise des migrants ne devraient ainsi pas être intégrées à l’évaluation des soldes budgétaires pour les années 2015 et 2016 dans le cadre de la procédure du semestre européen.
Le président de la Commission européenne a estimé, de son côté, le 18 novembre 2015 que « les dépenses de sécurité de la France devraient être exclues des calculs entrant dans le champ des règles de l’Union européenne sur les déficits ». Plus récemment, la Commission européenne a pris en compte les dépenses liées aux tremblements de terre qui ont fragilisé l’Italie en octobre et en août derniers.
La multiplication de ces dérogations ne suscite pas l’adhésion unanime du Conseil.
Des interrogations subsistent également quant à la façon d’évaluer les réformes structurelles ou sur les limites à apporter à l’application répétée des clauses de flexibilité.
L’application de la clause d’investissement est plus encadrée : les gouvernements doivent désormais soumettre des informations détaillées sur les projets d’investissements au service de réformes structurelles.
Il apparaît dans ce contexte assez délicat de proposer une nouvelle dérogation. Il convient, en outre, de relever que plusieurs observateurs jugent que les clauses sont déjà, en l’état, trop nombreuses, inefficaces et opaques. Nos collègues Fabienne Keller et François Marc avaient déjà noté cet état de fait dans leur rapport sur la phase I de l’approfondissement de la gouvernance de l’Union économique et monétaire présenté début novembre.
La proposition de résolution européenne jointe au rapport que nous avons alors adoptée à l’unanimité relève la multiplication, depuis 2015, des clauses de flexibilité au pacte de stabilité et de croissance, cette multiplication contribuant indirectement à renforcer l’opacité autour de ce dispositif sans pour autant que ces clauses apparaissent toujours efficaces. Le texte appelait, de fait, à une clarification politique dans ce domaine.
Le débat qui nous occupe apparaît toutefois légitime et je rejoins Mme Gonthier-Maurin : il s’agit d’un investissement nécessaire à l’avenir.
Néanmoins, il importe de revenir sur certaines questions et de procéder à un examen plus approfondi sur les dépenses de l’enseignement supérieur. Il faut rechercher de nouveaux moyens pour financer cet enseignement. Certains établissements font déjà appel, avec succès, à des financements privés. Il conviendrait de mener une réflexion en ce sens et de réfléchir, notamment, à une participation des entreprises dans une perspective de formation et d’employabilité.
Pour conclure, compte tenu des réserves qui ont été émises tant par la commission des affaires européennes que par la commission de la culture, le groupe Les Républicains n’adoptera pas cette proposition de résolution européenne.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Yves Détraigne applaudit également.
La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour le groupe socialiste et républicain.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce débat sur la proposition de résolution de nos collègues du groupe CRC nous permet d’affirmer une même conviction sur toutes les travées, et c’est heureux : celle que l’enseignement supérieur est primordial pour l’avenir de l’Union européenne et des États membres. Il représente un élément clé pour construire une économie « durable, intelligente et inclusive » comme l’ambitionne la stratégie Europe 2020.
L’enseignement supérieur est en effet un levier incontesté de croissance, de recherche, d’innovation, de compétitivité et d’emploi à forte valeur ajoutée.
Tout aussi important, l’enseignement supérieur concourt au développement personnel des étudiants et les prépare à une citoyenneté active fondée sur la réflexion critique, confortant ainsi les bases d’une société ouverte et démocratique.
La coopération européenne en matière d’éducation et de formation se poursuit depuis 2010 à travers le cadre stratégique européen Éducation et formation 2020, avec, en matière d’enseignement supérieur, un objectif commun ambitieux fixé à 40 % au moins de diplômés parmi les personnes âgées de 30 à 34 ans. Selon le bilan d’étape de la Commission, le taux de diplômés de l’enseignement supérieur dans l’Union européenne est ainsi passé de 33, 5 % en 2010 à 38 % en 2015.
De tels objectifs nécessitent un effort de financement important et continu des États pour relever le défi, tout en préservant un accès équitable à l’enseignement supérieur.
En termes de PIB, la part des dépenses est en moyenne dans l’Union européenne de 1, 43 % du PIB. Elle s’élève en France à 1, 5 % et se situe dans les pays du nord de l’Europe entre 1, 5 % et 1, 7 %.
Pour la période de 2015 à 2020, la Commission et le Conseil ont appelé les États membres à intensifier l’investissement dans l’enseignement supérieur, d’autant que depuis le début de la crise plusieurs États membres ont réduit leurs dépenses.
On ne peut donc que souscrire à l’objectif légitime de la proposition de résolution de voir les dépenses publiques d’enseignement supérieur augmenter. Cette volonté est conforme au modèle européen basé sur un financement essentiellement public de l’enseignement supérieur, à l’exception du Royaume-Uni : selon l’étude Regards sur l’éducation 2014 de l’OCDE, le taux financement public de l’enseignement supérieur était en 2011 de 80, 8 % en France, de 84, 7 % en Allemagne, de 77, 5 % en Espagne. Il est encore plus important dans l’Europe du Nord, avec 89, 5 % en Suède et 94, 5% au Danemark.
Ce modèle européen tranche au sein de l’OCDE avec d’autres options plus orientées vers le financement privé reposant sur les ménages et les étudiants, comme aux États-Unis, en Australie et au Japon.
L’intensification du financement public de l’enseignement supérieur par les États membres est donc, à mes yeux, une nécessité et ne s’oppose d’ailleurs nullement à une part croissante du financement privé, à condition qu’il ne repose pas lourdement sur les frais d’inscription, mais s’appuie sur la participation des entreprises, notamment privées.
L’OCDE note que les pays où les dépenses privées ont le plus augmenté durant la période de référence 2000-2011 sont aussi les pays où les dépenses publiques ont également le plus augmenté.
Si je soutiens l’objectif d’un accroissement des dépenses publiques d’enseignement supérieur en France et dans l’Union européenne, je pense néanmoins qu’en l’état une extension spécifique de flexibilité dans l’interprétation du pacte de stabilité et de croissance ne pourra aboutir.
La volonté de s’affranchir des règles du pacte pour atteindre l’objectif de 2 % du PIB à l’horizon 2025, comme le prévoient les auteurs de la proposition de résolution, se heurte au cadre actuel défini par la Commission européenne le 13 janvier 2015. Les clauses « réformes structurelles » et « investissements » ne semblent pas correspondre, en l’état actuel, à l’ampleur des investissements nécessaires. Les dépenses d’enseignement supérieur, par leur importance et par leur nature, ne peuvent pas relever non plus de ces exceptions conjoncturelles.
Le débat doit en revanche se porter sur la nécessaire relance européenne, compte tenu de l’impact des dépenses d’enseignement supérieur sur la croissance, la compétitivité et l’emploi. Tous les sociaux-démocrates défendent en Europe une relance d’ailleurs également évoquée par le Fonds monétaire international, le FMI, le G20 et l’OCDE.
Ce débat implique une réflexion non pas tant sur l’interprétation que sur la modification du pacte de stabilité et de croissance en faveur des politiques de relance. Le think tank social-démocrate Progressive Economy et l’Observatoire français des conjectures économiques défendent l’application d’une règle d’or qui exclurait les investissements publics ayant un impact positif sur le PIB des critères de déficits européens.
C’est dans cette direction qu’il nous faut travailler plutôt que dans celle d’une très hypothétique application des clauses de flexibilité dans leur cadre actuel.
Pour ma part, je voterai l’amendement du Gouvernement et je m’abstiendrai sur le texte, car j’approuve les propos de Mme Mélot.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, en ce début d’année charnière, l’examen de cette proposition de résolution européenne présentée par nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen permet d’aborder un sujet crucial pour notre pays : celui de la formation supérieure des jeunes.
C’est donc évoquer ceux qui construiront le futur de notre pays, et y apporteront croissance économique et rayonnement culturel.
Sans tomber dans le pessimisme, les derniers chiffres du classement de Shanghai ne classent que cinq universités et grandes écoles françaises dans le top 200 mondial. À titre d’information, trente-cinq écoles et universités britanniques ainsi que cinquante-sept établissements américains figurent dans le classement.
Si les méthodes proposées par mes collègues pour renforcer l’enseignement supérieur sont louables, il est clair qu’elles sont, en cette période de contraintes budgétaires, peu réalistes. Pour autant, il est aujourd’hui impératif de consacrer l’enseignement supérieur comme une priorité.
À la croisée des politiques publiques, notre système d’enseignement supérieur et de recherche favorise la croissance de notre pays, l’insertion professionnelle des jeunes et la formation continue des salariés des entreprises françaises.
C’est donc un enjeu à la fois de rayonnement international et de dynamisme économique des territoires.
Toutefois, la volonté de porter plus de 80 % d’une classe d’âge au bac requiert une réflexion sur l’accueil et le devenir de ces jeunes après le bac.
En effet, les chiffres parlent d’eux-mêmes : 23 % des jeunes sortent de l’université sans aucun diplôme.
En outre, seuls 26 % des étudiants français obtiennent un diplôme supérieur contre 36 % en moyenne pour les pays de l’OCDE.
Il convient donc de s’interroger sur les raisons de ces faibles résultats, car le défi n’est pas simplement financier.
La question première est de savoir si l’orientation de ces jeunes est satisfaisante. De quel niveau d’information disposent-ils pour choisir une filière ? Comment favoriser leur engagement dans les filières d’avenir qui permettront leur intégration professionnelle ?
La question corollaire de la sélection se pose naturellement, notamment pour garantir la cohérence des parcours universitaires. La flexibilité et la fluidité des parcours me paraissent essentielles. Elles sont aujourd’hui encouragées et doivent être poursuivies.
L’intégration des jeunes diplômés dans le marché du travail doit être facilitée. Les liens entre l’entreprise et les établissements supérieurs doivent être étoffés de manière à garantir l’adaptation des formations au plus près des besoins des employeurs. Il convient de développer la logique des cofinancements.
L’apprentissage est un excellent moyen. Cependant, la rencontre entre apprentis et entreprises reste dans certains cas très difficile. Le secteur de l’apprentissage bénéficie toujours d’un déficit d’image, notamment pour ce qui concerne certaines filières.
Il est d’ailleurs très intéressant de voir l’essor de la formation par l’apprentissage et l’accroissement du nombre de diplômés de bac +4 et bac +5. Valorisé par les écoles, recherché par les jeunes et les entreprises, l’apprentissage est perçu comme un vecteur d’employabilité.
De même, le développement d’école de formation porté par les branches professionnelles permet de renforcer ce lien essentiel entre les emplois et les études. Il est aussi garant de la qualité et de la lisibilité des compétences des étudiants.
L’Union des industries et métiers de la métallurgie de Normandie a, par exemple, développé une école de formation intégrée. Les industriels jouent ici un rôle pivot. Il est intéressant de relever que cette connexion se fait à une échelle locale, avec l’engagement de la région.
Enfin, l’installation d’une université ou d’une école sur un territoire est un facteur d’attractivité et un moteur pour le développement économique.
Le rôle des collectivités territoriales est crucial pour mobiliser les ressources dont elles bénéficient, comme la mise à disposition du foncier, et encourager l’installation d’un établissement d’enseignement supérieur. Ce sont des leviers qui favorisent l’implantation et permettent l’attractivité et le rayonnement.
La démarche de la ville du Havre pour renforcer la diversité de l’offre d’enseignement supérieur sur le territoire a permis à de nombreux habitants du bassin de poursuivre leurs études supérieures alors qu’ils n’auraient jamais pu se rendre dans des universités ou des écoles situées dans d’autres villes éloignées du territoire.
La reconnaissance de cette démarche innovante porte dorénavant ses fruits puisque, après Sciences Po, l’ESSEC – l’École supérieure des sciences économiques et commerciales – projette de s’installer bientôt au Havre. Cela permettra aux jeunes Havrais de suivre leur cursus universitaire.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Ah, Le Havre !
Sourires.
Il est donc indiscutable que les élus doivent se fédérer autour de projet pour permettre aux étudiants de suivre leur cursus sur le territoire.
Pour conclure, la qualité de notre enseignement supérieur, certes, peut se mesurer par les sommes investies, mais aussi par la mise en œuvre de méthodes innovantes et pragmatiques, et par les politiques de soutien local.
C’est la raison pour laquelle je voterai contre cette proposition de résolution.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Yves Détraigne applaudit également.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il faut bien admettre que les généreux principes fondateurs de notre république en matière d’éducation et d’enseignement se sont étiolés au fil du temps.
Cette proposition reprend l’idée d’amener les dépenses d’enseignement supérieur à 2 % du PIB européen à l’horizon 2025 en privilégiant les financements publics.
D’abord, je note que la commission des affaires européennes et la commission de la culture considèrent que le budget de l’État ne peut supporter à lui seul la charge induite par un tel objectif. Je rappelle qu’il s’agit d’accorder chaque année 2, 5 milliards d’euros supplémentaires au budget de l’enseignement supérieur.
Par ailleurs, je regrette que la piste d’autres sources de financement n’ait pas été suffisamment exploitée. On parle d’égalité et de justice sociale, mais on refuse une augmentation des frais d’inscription alors que cela pourrait alimenter une hausse du nombre des étudiants boursiers. De même, la question du don via des fondations ou de la participation des entreprises n’est pas véritablement traitée.
Enfin, il est quelque peu sclérosant d’aborder la question de l’enseignement supérieur par une telle approche quantitative, car elle manque l’essentiel.
C’est parfois ce qui ressort de cette proposition de résolution. Réclamer « des sous, des sous » c’est, en l’espèce, bien réducteur par rapport à l’enjeu ! C’est un peu comme les médecins de Molière qui répètent : « Le poumon, le poumon » ! Il faut tout le bon sens de Toinette, la servante, pour ouvrir les yeux du vieil Argan, pétrifié.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. C’est donc vous la servante ! Vous n’êtes pas le grand capital !
Sourires sur les travées du groupe CRC.
C’est elle qui le sauvera de Diafoirus, le médecin charlatan, qui lui administre des saignées, des purges et toutes sortes de remèdes, dispensés par des médecins pédants et soucieux davantage de complaire à leur patient que de la santé de celui-ci !
J’ajoute que le principe même de multiplier les dérogations dans le calcul des déficits publics des États membres pour tel ou tel domaine fait perdre tout sens à force d’exception et laisse accroire qu’il y aurait une martingale budgétaire là où l’État a échoué !
D’ailleurs, l’ensemble des membres du Conseil européen nous mettent en garde contre ces dérogations et ces clauses de flexibilité qui se multiplient.
La proposition présente reprend aussi l’une des propositions du comité de la stratégie nationale de l’enseignement supérieur, la STRANES. Il s’agit de reconnaître l’enseignement supérieur comme « un investissement nécessaire à l’avenir ». Sic… Quelle nouveauté ! Quelle audace !
Voilà vingt, trente, pour ne pas dire cinquante ans que cette volonté est proclamée et réaffirmée, au point de devenir un sermon, une incantation un peu lancinante
D’ailleurs, je note que, sur cette même période, les crédits publics accordés à notre système d’enseignement supérieur sont en progression continue. Pourtant, force est de reconnaître que les résultats n’ont pas suivi !
Mme Dominique Gillot s’exclame.
Le classement de Shanghai a été évoqué précédemment. Il nous apprend qu’en 2016 la première université française arrive en trente-neuvième position, quand bien même les esprits réfractaires à ces classements détournent le regard face à la réalité ! Marcel Gauchet exposait récemment que les tentatives de réformes molles assorties de promesses n’ont finalement abouti qu’à discréditer encore la recherche française et à faire fuir les enseignants.
L’année 2016 est la première à voir le nombre de chercheurs décroître en France d’après la Commission permanente du Conseil national des universités.
Au-delà de la novlangue parfois exaspérante qui émaille ce rapport, je me demande si vous croyez véritablement qu’il pose les jalons d’une « refondation » à laquelle, pourtant, nous aspirons tous ?
Je dirai un dernier mot sur sa composition du comité ad hoc de la STRANES. Je le dis ici, monsieur le secrétaire d'État, parce que je vous reconnais par ailleurs un sérieux, une véritable vision et une connaissance du domaine qui vous a été confié depuis votre nomination. Ce comité, qui comprend vingt-cinq personnalités qualifiées, a été nommé par Benoît Hamon, du temps de son court passage au ministère de l’éducation nationale. Le rapport qu’il remet comprend des dizaines de pages, qui reprennent pour la plupart des objectifs généraux et déclamatoires, accompagnés parfois de propos aussi creux qu’emphatiques !
Certes, ce n’est pas le premier rapport de ce type, et, au pire, il ira finir sa vie au service des archives de la République, ce qui n’est pas bien grave. Mais, ce qui me choque le plus, monsieur le secrétaire d'État, c’est que ce comité se présente comme étant indépendant. (Mmes Brigitte Gonthier-Maurin et Dominique Gillot s’exclament.) Le rapport le souligne d’ailleurs à diverses reprises.
À propos précisément de cette indépendance maintes fois revendiquée, je voudrais quand même dire un mot des conditions de la désignation de la présidente du comité de la STRANES et de son rapporteur, particulièrement affligeantes. §La première s’avère être la belle-sœur de Benoît Hamon, son ministre de tutelle !
Quant au rapporteur, il a pour principale qualité d’avoir été le second de liste sur la liste socialiste aux dernières élections régionales en région Occitanie !
Benoît Hamon, candidat à la primaire socialiste, souhaite moraliser la vie publique et combattre les conflits d’intérêts.
Vous conviendrez, madame Gillot, que ces types de pratiques affaiblissent sensiblement toutes prétentions à l’indépendance ! J’ai la faiblesse de croire que le monde de l’enseignement supérieur compte suffisamment de talents et de compétences pour éviter ce genre d’écueil.
Ce n’est qu’une raison de plus pour ne pas voter une telle proposition, à l’instar de la commission des affaires européennes et de la commission de la culture.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Je ne reviendrai pas sur le fond du débat. Je respecte par définition tous les points de vue, mais je trouve les attaques ad hominem contre les responsables de la STRANES déplacées.
Je les mets sur le compte d’un enthousiasme inéluctable dans des débats sur l’enseignement supérieur.
Je rappelle que ce comité a déposé un rapport qui a été adopté par le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche à une très large majorité et qu’il a mené sa mission dans des conditions qui lui ont valu un satisfecit de la part de tous ceux qui ont participé à ses travaux. Les propos de M. Bonhomme me paraissent donc inopportuns.
M. Thierry Mandon, secrétaire d'État. Je respecte votre point de vue, mais je souhaitais exprimer également le mien devant votre assemblée !
Mme Dominique Gillot applaudit.
La discussion générale est close.
Je rappelle que cette proposition de résolution européenne est examinée dans le cadre d’un espace réservé au groupe CRC qui s’achève, en principe, à dix-huit heures trente. Je peux accepter de repousser cette limite à dix-huit heures trente-cinq, voire à dix-huit heures quarante, dans la mesure où la séance a commencé avec quelques minutes de retard, mais je ne pourrai aller au-delà. Il est dix-huit heures vingt, mes chers collègues, et je vous invite donc à être concis, si vous voulez terminer l’examen de ce texte.
Nous passons à la discussion du texte de la proposition de résolution européenne.
Le Sénat,
Vu l’article 88-4 de la Constitution,
Vu l’article 14 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,
Vu les conclusions du Conseil européen du 17 juin 2010 adoptant la stratégie « Europe 2020 »,
Vu la stratégie nationale de l’enseignement supérieur (STRANES) définie en application de la loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche,
Considérant que le développement de l’enseignement supérieur dans l’Union doit s’effectuer dans des conditions garantissant l’autonomie intellectuelle des universités et assurant une réelle démocratisation de l’accès aux études supérieures,
Considérant, en conséquence, que les dépenses d’enseignement supérieur doivent être essentiellement couvertes par un financement public,
Considérant que le développement de l’enseignement supérieur est déterminant pour l’avenir de l’Union et des États membres,
Invite le Gouvernement à proposer :
– que l’Union et les États membres s’engagent à reconnaître l’enseignement supérieur comme un investissement nécessaire à leur avenir et retiennent un objectif de 2 % du PIB pour les dépenses d’enseignement supérieur à l’horizon 2025 ;
– que les dépenses publiques d’enseignement supérieur ne soient pas prises en compte dans le calcul des déficits publics des États membres.
L'amendement n° 1, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 11
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. le secrétaire d'État.
J’ai défendu cet amendement lors de mon intervention dans la discussion générale.
Nous ne pouvons évidemment pas être favorables à l’amendement du Gouvernement, qui tend à vider de sens notre proposition de résolution.
M. le secrétaire d’État a dit qu’il existait plusieurs possibilités pour atteindre l’objectif et qu’il fallait encore les discuter, mais je constate que l’objet de l’amendement n° 1 est tout autre ! Il opère uniquement un rappel de l’orthodoxie budgétaire européenne actuelle, évidemment contraire à l’esprit de la résolution.
Pourtant, le débat sur le bien-fondé de cette orthodoxie budgétaire est ouvert dans toute l’Europe. Des discussions permanentes ont lieu entre différents gouvernements et l’Europe pour assouplir ou réviser les critères. Je pense à la Grèce, au Portugal, à l’Italie. On ne peut donc nous opposer l’impossibilité d’ouvrir en France un tel débat ; notre initiative serait au contraire une bonne occasion de le faire.
Pour les raisons de fond qui ont été exposées par Brigitte Gonthier-Maurin et pour le motif que je viens d’évoquer, nous voterons contre cet amendement.
Je mets aux voix l'amendement n° 1.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 87 :
Le Sénat n'a pas adopté.
La parole est à Mme la présidente de la commission.
À ce stade, je veux dire que je ne doute pas que l’ensemble des sénateurs présents sur ces travées portent un intérêt sincère et profond à l’enjeu que représente l’enseignement supérieur pour notre jeunesse : tous, nous souhaitons en faire une priorité.
Voilà pourquoi j’estime que travailler sur ces questions mérite à la fois du sérieux, de la rigueur et du temps. Autant sur la proposition de loi portant adaptation du deuxième cycle de l’enseignement supérieur français au système licence-master-doctorat, de notre collègue Jean-Léonce Dupont, nous avions pu engager un travail très partagé entre les groupes, approfondir le sujet et obtenir un texte rassemblant les uns et les autres, comme l’a rappelé Mme Gillot, autant cela n’a pas été le cas ici.
Je déplore les conditions dans lesquelles cette proposition de résolution européenne, qui avait été par ailleurs rejetée par la commission des affaires européennes, a été examinée en commission de la culture. De mémoire de sénatrice, je n’avais d’ailleurs jamais connu une telle situation, à n’en pas douter extrêmement rare. J’estime que les commissions doivent pouvoir débattre de façon mieux anticipée et plus approfondie.
Personnellement, j’aurais aimé que le groupe CRC nous saisisse de ces questions en amont. Du fait du délai imparti, j’ai dû désigner le rapporteur le jour même de l’examen du rapport !
Peut-être aurions-nous pu en parler un peu plus en amont, madame Assassi. En effet, cette proposition de résolution aborde des sujets aussi sérieux que l’enseignement supérieur, les moyens qu’on doit lui dédier, l’enjeu que cela représente dans le cadre de la mondialisation, le pacte de croissance et de stabilité, ou encore les déficits publics. Tout cela nécessite tout de même un travail approfondi ! Vous l’avez vous-même reconnu, monsieur le secrétaire d’État, lorsque vous avez évoqué les différentes hypothèses qui devaient être examinées dans le cadre de la STRANES.
Dès lors, engageons-nous, à l’instar du président de la commission des affaires européennes, Jean Bizet, à poursuivre le travail sur ces sujets.
D’ailleurs, comme Mme Schillinger et Mme Mélot l’ont toutes deux redit, nous sommes tout à fait d’accord pour continuer à travailler sur ce sujet.
Dans les conditions actuelles, je suivrai bien sûr l’avis de Mme Mélot, qui nous conseille de ne pas adopter cette proposition de résolution. Cette position me semble sage : loin de n’être pas intéressés par l’enseignement supérieur et la recherche, nous voulons leur consacrer un travail très approfondi pour nous donner toutes les chances de réussir.
Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de résolution européenne, je donne la parole à Mme Dominique Gillot, pour explication de vote.
Je ne reviendrai pas sur les explications du vote de mon groupe en faveur de cette proposition de résolution.
Je voudrais en revanche apporter un démenti, preuve à l’appui : ce qu’a insinué à la tribune notre collègue François Bonhomme est faux !
Le comité STRANES a été mis en place en février 2014. Geneviève Fioraso était ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche du 21 juillet 2012 au 5 mars 2015. Benoît Hamon a été ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche du 2 avril 2014 au 25 avril 2015. Je ne vois donc pas comment il aurait pu signer un décret de nomination en février 2014 !
La nomination a bien été faite ès qualités par Benoît Hamon comme ministre de l’éducation nationale. J’évoque d’autant plus facilement le sujet qu’il concerne quelqu’un qui revendique lui-même sa volonté de combattre les conflits d’intérêts ! Il est quand même fort que je me fasse houspiller pour avoir relevé que quelqu’un qui veut moraliser la vie politique fait exactement l’inverse lorsqu’il en a l’occasion ! Madame Gillot, excusez-moi, mais je confirme totalement mes propos !
Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix la proposition de résolution européenne.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 88 :
Le Sénat n’a pas adopté.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-huit heures trente-cinq, est reprise à dix-huit heures quarante-cinq.
La commission des affaires économiques a proposé une candidature pour un organisme extraparlementaire.
La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.
En conséquence, cette candidature est ratifiée et je proclame M. Philippe Dallier membre du conseil d’administration du Centre scientifique et technique du bâtiment.
Il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi ratifiant les ordonnances n° 2016-301 du 14 mars 2016 relative à la partie législative du code de la consommation et n° 2016-351 du 25 mars 2016 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage d’habitation et simplifiant le dispositif de mise en œuvre des obligations en matière de conformité et de sécurité des produits et services.
La liste des candidats établie par la commission des affaires économiques a été publiée conformément à l’article 12 du règlement.
Je n’ai reçu aucune opposition.
En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire :
Titulaires : M. Jean Claude Lenoir, Mme Élisabeth Lamure, MM. Daniel Gremillet, Henri Tandonnet, Martial Bourquin, Yannick Vaugrenard et Jean Pierre Bosino ;
Suppléants : Mme Delphine Bataille, MM. Joël Labbé, Daniel Laurent, Mmes Valérie Létard, Marie-Noëlle Lienemann, Sophie Primas et M. Bruno Sido.
Par ailleurs, il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants aux commissions mixtes paritaires chargées d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion, d’une part du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2016-462 du 14 avril 2016 portant création de l’Agence nationale de santé publique et modifiant l’article 166 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé et, d’autre part, du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2016-966 du 15 juillet 2016 portant simplification de procédures mises en œuvre par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et comportant diverses dispositions relatives aux produits de santé.
La liste des candidats établie par la commission des affaires sociales a été publiée conformément à l’article 12 du règlement.
Je n’ai reçu aucune opposition.
En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à ces commissions mixtes paritaires :
Titulaires : MM. Alain Milon, Gilbert Barbier, Mmes Corinne Imbert, Élisabeth Doineau, M. Yves Daudigny, Mmes Catherine Génisson et Laurence Cohen ;
Suppléants : Mmes Catherine Deroche, Colette Giudicelli, Michelle Meunier, Brigitte Micouleau, Patricia Morhet-Richaud, MM. Jean Louis Tourenne et Jean-Marie Vanlerenberghe.
J’informe le Sénat que le projet de loi (n° 263, 2016-2017) relatif à la sécurité publique, pour lequel a été engagée la procédure accélérée, dont la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale est saisie au fond, est renvoyé pour avis, à sa demande, à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et républicain, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, portant adaptation des territoires littoraux au changement climatique (proposition n° 176, texte de la commission n° 267, rapport n° 266, avis n° 246).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Madame la présidente, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi que nous examinons ce soir a pour objet de proposer des solutions concrètes à un problème qui touche progressivement les communes côtières françaises, à savoir l’érosion du trait de côte.
Les effets induits par le changement climatique vont encore accentuer ces phénomènes, dont il nous faut dès à présent anticiper les conséquences.
Avec 7 500 kilomètres de côtes, dont 1 650 kilomètres pour les départements et régions d’outre-mer, la France est particulièrement concernée par les risques littoraux.
Au total, 303 communes ont été identifiées sur le territoire métropolitain français comme prioritaires pour la mise en œuvre des plans de prévention des risques littoraux. Les risques que ces plans visent à prévenir se sont révélés de façon dramatique lors de la tempête Xynthia, en 2010.
La stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte a été élaborée en mars 2012. Au travers de son programme d’action portant sur les années 2012 à 2015, elle a permis une meilleure identification des aléas et du fonctionnement des écosystèmes côtiers dans leur état actuel, ainsi qu’une vision prospective de leur évolution à 10, 40 et 90 ans.
Je tiens à saluer les travaux menés par le comité national de gestion du trait de côte, que coprésident les députées Pascale Got et Chantal Berthelot, travaux qui ont conduit à cette proposition de loi, adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale en décembre dernier.
Ce texte vise à doter les communes concernées par l’érosion des côtes d’outils concrets et opérationnels. Ainsi, elles pourront à la fois maintenir une certaine activité humaine, essentielle pour le dynamisme social et économique des territoires, et assurer aux populations concernées une prévention des risques qui soit pragmatique et efficace.
Pour ce qui est des dispositifs liés à la gestion du trait de côte, les amendements introduits en commission au Sénat n’ont pas changé le fond de la mesure adoptée par l’Assemblée nationale.
Le dispositif ainsi proposé, qui vise à anticiper le recul inéluctable du trait de côte, donne aux communes la possibilité de maintenir des activités humaines, qu’il s’agisse de logements ou d’activités économiques – commerce, artisanat, entreprises –, dans des périmètres menacés à moyen terme par l’érosion.
Le préfet peut donc, sur l’initiative des communes concernées, utiliser les stratégies locales de gestion intégrée du trait de côte lors de l’élaboration des plans de prévention des risques littoraux.
Dès lors, les communes ont la possibilité de mettre en place des baux réels immobiliers littoraux, ce qui permettra d’indemniser les propriétaires installés dans des zones d’activités résilientes et temporaires en tenant compte de l’existence du risque d’érosion, tout en leur laissant la possibilité de continuer à occuper leur bien. La proposition de loi permettra ainsi, par exemple, d’apporter une solution concrète et équilibrée aux propriétaires de l’immeuble du Signal, à Soulac-sur-Mer, en Gironde, propriétaires dont la situation juridique se révèle particulièrement complexe.
Il est fondamental de ne pas perdre de vue l’objectif premier : bâtir des outils de gestion collégiale du risque, tout en offrant des mesures d’indemnisation et d’accompagnement par les pouvoirs publics qui soient efficaces et équilibrées.
En effet, je tiens à rappeler que, comme l’a précisé le Conseil constitutionnel, d’une part, la protection des biens par l’action publique ne constitue pas un droit, d’autre part, l’atteinte à l’intégrité physique de la propriété individuelle par les éléments naturels ne peut relever d’une responsabilité directe de l’État. À ce titre, contrairement à d’autres phénomènes naturels, l’évolution du trait de côte du fait de l’érosion est un phénomène à cinétique lente, que l’on peut donc anticiper.
Dès lors, les dispositifs de financement mis en place ne peuvent avoir pour seule origine les prélèvements sur les cotisations « habitation » des assurés, cotisations qui couvrent des phénomènes non prévisibles.
Nous en rediscuterons lors de l’examen des amendements sur l’article 13. En effet, si la mobilisation du Fonds Barnier pour financer une partie du dispositif de rachat des biens par la collectivité reste possible, la mobilisation d’autres sources par l’État comme les collectivités mérite d’être envisagée et discutée, d’une part, pour répondre à l’usage premier du Fonds Barnier et, d’autre part, pour permettre une adaptation locale plus efficace.
Lors de la discussion de ce texte à l’Assemblée nationale, j’avais déjà évoqué plusieurs mécanismes de soutien qui pourraient être utilisés pour une commune qui souhaiterait mettre en place des baux réels immobiliers. Il s’agit en premier lieu, à l’évidence, des contrats de plan État-régions – la dimension « risques naturels » a d’ailleurs déjà été intégrée dans plusieurs contrats de la dernière génération. L’Agence de financement des infrastructures de transports de France pourrait également apporter son concours. Enfin, une mobilisation de la redevance GEMAPI – gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations – peut également être envisagée.
Comme la gestion du trait de côte relève d’une problématique globale et nécessite une vision de long terme, le Gouvernement maintient cependant son souhait de voir mis en place un mécanisme de financement pérenne dans un contexte de nécessité d’adaptation au changement climatique.
Nous devrons évidemment discuter de la forme de ce mécanisme. En commission, vous avez finalement opté pour l’attribution au Fonds Barnier de ce rôle, alors que le Gouvernement a défendu jusqu’à présent le recours à un Fonds spécifique qui pourrait être alimenté, pour partie, par le Fonds Barnier. Nous partageons totalement l’objectif et la portée de la mesure, et je ne doute donc pas que les débats nous permettront d’aboutir au mécanisme le plus approprié.
Indépendamment du cœur de cible de cette proposition de loi, qui concerne la gestion du recul du trait de côté, j’ai pu constater, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous aviez déposé plusieurs amendements visant à modifier la loi relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, dite loi Littoral, sur divers points.
J’aborde ces sujets depuis plusieurs mois avec un grand nombre de parlementaires concernés. J’ai notamment reçu, avant l’été 2016, les parlementaires des territoires concernés par la question des dents creuses pour discuter avec eux des difficultés particulières que pose aujourd’hui l’interprétation de la loi et des multiples jurisprudences. J’ai eu l’occasion de m’entretenir avec eux des adaptations que je considère comme acceptables – voire nécessaire – parce qu’elles ne remettraient pas en cause l’esprit ou l’équilibre de la loi Littoral, tout en les sécurisant dans leur politique d’aménagement.
En effet, la loi Littoral est une loi majeure pour la protection, la valorisation et la gestion de nos espaces côtiers. Les auteurs de cette loi très moderne avaient une forte préoccupation de prise en compte du local, du terrain, et ont laissé une forte place à l’interprétation pour que le cadre juridique puisse être adapté avec souplesse aux évolutions dans le temps des territoires.
Or, il faut très honnêtement le reconnaître, l’administration française et les élus ont beaucoup de mal à agir dans un cadre basé sur l’interprétation et la jurisprudence, d’où les difficultés concrètes d’application que nous rencontrons.
À la suite d’un travail collégial de plus d’un an, des mesures de clarification ont été identifiées par le réseau Littoral, qui comprend élus et services de l’État. Un atelier de travail sur l’application de la loi Littoral s’est tenu le 3 novembre dernier dans les locaux de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement de Bretagne, à Rennes, en présence de plusieurs élus bretons et de représentants des tribunaux administratifs, pour tenter de définir un encadrement plus adapté sur la question spécifique des dents creuses.
Je soutiens un certain nombre de mesures techniques, simples et susceptibles d’apporter une réelle simplification et clarification dans la mise en œuvre de la loi Littoral, et je suis prête à leur donner suite. En revanche, comme j’ai déjà eu l’occasion de le rappeler lors de précédentes discussions, je ne reviendrai pas sur la portée et la philosophie de cette loi fondatrice en termes de préservation du patrimoine côtier français.
J’ai donc déposé un amendement visant à préciser les conditions dans lesquelles la densification par comblement des dents creuses est rendue possible dans des espaces qui ne peuvent pas être qualifiés de villages ou d’agglomérations, sans par ailleurs constituer des zones d’urbanisation diffuse à proprement parler.
De même, je suis favorable à l’extension de la dérogation au principe de continuité à l’ensemble des constructions nécessaires aux activités agricoles et forestières ou aux cultures marines, et non pas uniquement aux activités incompatibles au voisinage des zones habitées.
Néanmoins, je ne pourrais en aucun cas accepter des remises en cause trop larges qui dénatureraient le cadre et le fond de la loi Littoral, a fortiori dans le cadre d’une proposition de loi dont ce n’est pas le cœur et qui, je le rappelle, vise à apporter des solutions précises au problème du traitement de l’érosion du trait de côte.
Pour conclure, je tiens à souligner l’importance que le Gouvernement accorde à cette proposition de loi qui apporte des solutions concrètes à une problématique majeure qu’il convient de traiter dès maintenant.
Avec l’entrée en vigueur de l’accord de Paris et les événements qu’ont connus une partie de ces territoires, nul ne peut ignorer la nécessité d’anticiper les conséquences du réchauffement climatique sur l’évolution de nos côtes : nos concitoyens attendent des réponses rapides et solides.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’océan couvre plus de 70 % de la surface du globe. Il est particulièrement affecté par le changement climatique, qui entraîne un réchauffement de la température de l’eau, une acidification de sa composition et une dilatation de son volume.
Ce dernier effet entraîne une élévation du niveau des mers d’autant plus rapide qu’elle se combine avec la fonte des glaciers de montagne et, dans les zones polaires, des calottes glaciaires. Les experts redoutent une élévation du niveau moyen des mers de 25 à 82 centimètres d’ici à 2100, ce qui aura d’importantes conséquences pour la frange littorale, où sera concentrée 80 % de la population mondiale en 2050.
La France métropolitaine et d’outre-mer ne sera pas épargnée, même si notre pays n’est pas dans la situation de subsidence que connaissent les Pays-Bas, pour lesquels un relèvement même mineur du niveau de la mer peut entraîner la disparition d’une part conséquente de leur territoire national.
Cette élévation exposera davantage nos territoires aux risques de submersions marines et d’érosion côtière, risques dont nous devons dès aujourd’hui anticiper les conséquences.
Ainsi la politique de gestion du trait de côte a-t-elle progressivement évolué au cours des dernières années. Historiquement, on a tenté de maîtriser la nature par la construction d’ouvrages de défense contre la mer, de digues ou de brise-lames. Or ces ouvrages, qui recouvrent 20 % du linéaire côtier, se sont révélés coûteux et souvent peu efficaces, voire contre-productifs, car ils ont aggravé l’érosion à long terme ou l’ont déplacée.
Depuis les années quatre-vingt-dix, on est passé à une approche plus environnementale. On tente désormais de gérer les causes de l’érosion plutôt que ses effets en privilégiant l’anticipation, à travers, par exemple, le rechargement ou le drainage de plages et l’accompagnement de la mobilité des dunes.
En 2009, l’une des recommandations du Grenelle de la mer a été de doter la France d’une stratégie nationale et d’une méthodologie de gestion du trait de côte, du recul stratégique et de la défense contre la mer. À l’issue des travaux d’Alain Cousin, député de la Manche, cette stratégie nationale a été adoptée le 2 mars 2012, puis mise en œuvre dans le cadre d’un premier plan d’action pour les années 2012-2015. Cette stratégie est notamment à l’origine de l’appel à projets pour la relocalisation des activités et des biens lancé en 2012 dans cinq territoires fortement menacés par ces risques.
Depuis le 22 janvier 2015, cette stratégie fait l’objet d’un suivi par un comité national présidé par deux de nos collègues de l’Assemblée nationale, Pascale Got, députée de Gironde, et Chantal Berthelot, députée de Guyane, également coauteurs de la présente proposition de loi, que Pascale Got a rapportée à l’Assemblée nationale.
Le premier axe de travail du comité du suivi a porté sur l’amélioration de la connaissance de l’évolution du phénomène d’érosion et des dynamiques hydrosédimentaires. Ce volet a été en partie traduit dans la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages et a fait l’objet d’actions prioritaires. Ces dernières ont abouti à l’élaboration de la première cartographie nationale de l’évolution du trait de côte – une seconde carte, enrichie de données plus récentes, sera bientôt publiée – et à la mise en place progressive d’un réseau national des observatoires du trait de côte.
Le second axe de travail porte sur l’élaboration de stratégies territoriales et se concrétise dans la proposition de loi que nous examinons, laquelle prévoit la mise en place d’un cadre juridique et d’outils d’aménagement du territoire prenant en compte la temporalité propre au phénomène du recul du trait de côte.
Au-delà de la nécessaire intégration de ces stratégies nationales et territoriales dans la hiérarchie des normes d’urbanisme, ce texte prévoit deux mécanismes pour concilier risques littoraux et maintien des logements et des activités dans les territoires menacés.
Le premier mécanisme est un zonage intermédiaire entre les zones rouges et les zones bleues des plans de prévention des risques naturels prévisibles, les PPRNP : dans les nouvelles zones d’activité résiliente et temporaire, les ZART, des constructions, des aménagements et des exploitations pourront être implantés, utilisés et déplacés, pour une durée déterminée en fonction du risque. Les modalités de préemption et de délaissement des biens dans ces zones sont adaptées afin de faciliter leur acquisition par la puissance publique et d’éviter les friches.
Le second mécanisme est un nouveau type de bail, le bail réel immobilier littoral, dit « BRILI », lequel sera conclu dans les zones d’activité résiliente et temporaire. Ce bail permettra aux collectivités de céder la propriété temporaire d’un bien menacé à un preneur en lui concédant des droits réels.
La spécificité de ce contrat, conclu pour une durée comprise entre 5 et 99 ans, réside dans la mention du risque de recul du trait de côte et des obligations de démolition du bien en cas de réalisation de ce risque avant le terme du bail.
Ces dispositifs sont complexes, mais ils sont attendus. Ils apportent des premières réponses aux collectivités volontaires, aujourd’hui désarmées face au risque de recul du trait de côte.
Pour cette raison, notre commission a adopté une série d’amendements techniques visant à rendre plus opérationnels les mécanismes des ZART et des BRILI.
La commission s’est en revanche interrogée sur le volet financier, madame la ministre, en particulier sur la création d’un fonds d’adaptation au recul du trait de côte proposé par le Gouvernement. Le problème n’est pas tant la logique consistant à vouloir réserver le Fonds Barnier à des situations d’urgence causées par des risques naturels majeurs plutôt qu’au financement de mesures d’aménagement du littoral. Il tient davantage à l’absence de précisions sur les modalités de constitution de ce nouveau fonds, à quelques mois des prochaines échéances électorales.
Je le dis ici : il n’est pas question d’accepter une contribution des collectivités locales en substitution du Fonds Barnier sans un minimum d’échanges et de concertation avec les associations d’élus au préalable.
Dans l’attente de détails concrets sur ce nouveau fonds, sur le niveau et l’assiette de son financement, sa gestion quotidienne, son entrée en vigueur et les critères d’éligibilité, la commission a privilégié le recours au Fonds Barnier, qui présente l’avantage d’exister et dont la situation financière conduit à penser qu’il pourrait prendre en charge les dépenses induites par la gestion du risque lié au recul du trait de côte.
Madame la ministre, je m’étonne du double discours du Gouvernement. D’un côté, il souhaite limiter le recours au Fonds Barnier, s’agissant pourtant de la gestion d’un risque naturel, de l’autre, il prélève 125 millions d’euros sur les ressources de ce fonds en loi de finances afin de tenir ses objectifs en matière de déficit public !
De plus, notre commission regrette que le calendrier d’examen du texte conduise le législateur à se prononcer sur le financement d’un dispositif alors qu’il n’en mesure pas réellement l’ampleur. Le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement, le CEREMA, a déterminé un premier ordre de grandeur pour le bâti susceptible d’être affecté à différents horizons temporels – 2026, 2040 et 2100. Il estime que 800 bâtiments pourraient être impactés en 2040 et 4 000 à l’horizon 2100, soit 10 000 logements et 1 000 locaux d’activité. Des études plus fines étant en cours au CEREMA, il aurait été judicieux d’attendre leurs résultats.
Par ailleurs, je regrette que le calendrier d’examen de cette proposition de loi ne nous laisse pas le temps d’expertiser la situation outre-mer. En Guadeloupe et en Martinique, on dénombre toujours plusieurs milliers d’occupations sans titre de la zone des cinquante pas géométriques par des populations durablement installées, parfois depuis plus d’un siècle. Or, cette zone étant par définition la plus menacée par l’élévation du niveau de la mer, le BRILI pourrait être judicieusement utilisé pour accompagner la régularisation foncière. Qu’envisagez-vous à ce sujet, madame la ministre ?
Enfin, notre commission a estimé que cette proposition de loi ne saurait être complète sans évoquer la question de la loi Littoral. Vieille de plus de trente ans, celle-ci a été rédigée à une époque où les risques liés au changement climatique n’étaient pas pris en compte. Elle constitue aujourd’hui un frein à la relocalisation des activités menacées par le recul du trait de côte. On se retrouve dans la situation paradoxale où des collectivités ayant élaboré des stratégies locales pour faire face à l’érosion côtière sont actuellement bloquées pour les mettre en œuvre, alors qu’elles ont répondu aux appels à projets du Gouvernement sur la relocalisation ! C’est notamment le cas à Lacanau.
Nous avons par conséquent introduit une série de dérogations à la règle d’urbanisation en continuité afin de permettre le recul stratégique des activités en autorisant notamment l’urbanisation des dents creuses dans les hameaux, la création de ZART en discontinuité ou le recul des installations agricoles, forestières et des cultures marines.
Nous avons également procédé à un alignement sur la loi relative au développement et à la protection de la montagne, dite loi Montagne, afin de permettre la construction d’annexes de taille limitée.
Toutes ces dérogations sont encadrées par de nombreux garde-fous. Elles ne sont pas applicables dans les espaces proches du rivage, c’est-à-dire en covisibilité avec la mer. Il s’agit non pas de remettre en cause la loi Littoral, mais de l’adapter aux nouveaux enjeux des espaces littoraux et de prendre en compte les graves risques juridiques encourus par les maires et les collectivités du littoral.
Je tiens à remercier Philippe Bas, président de la commission des lois et rapporteur pour avis de ce texte, d’avoir accepté la rédaction par les deux commissions d’un amendement identique sur l’urbanisation des dents creuses.
Au total, notre commission a adopté trente et un amendements, dont quinze sont présentés par la commission des lois, signe d’une collaboration de qualité, et ce dans des délais extrêmement contraints.
Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, avant de rendre compte du travail de la commission des lois, je tiens à saluer celui, remarquable, qu’a effectué le rapporteur Michel Vaspart.
Nul n’en a été surpris, car nous connaissons tous ses compétences en matière de gestion du littoral. Nous avons travaillé en parfaite intelligence, ce qui n’est pas non plus surprenant.
La commission des lois s’est saisie pour avis de dix des seize articles de cette proposition de loi.
Le texte transmis au Sénat vise à répondre à un problème concret ayant tendance à s’aggraver année après année : le recul du trait de côte. Des incertitudes juridiques devaient être levées. Les difficultés d’aménagement des littoraux devaient être davantage prises en compte.
Quinze amendements ont été déposés lors de la réunion de la commission des lois ; quatorze ont été adoptés.
La commission des lois a d’abord souhaité lever un certain nombre d’incertitudes juridiques – c’est son rôle –, mais elle a aussi voulu, en tant que commission compétente en matière d’organisation territoriale, renforcer le rôle des élus locaux. À cet égard, je remercie la commission saisie au fond et son rapporteur d’avoir pris en compte l’ensemble de nos recommandations.
La commission des lois, là aussi en accord avec la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, a également souhaité revenir sur les aménagements à la loi Littoral déjà votés à de très larges majorités par le Sénat à plusieurs reprises, faisant ainsi preuve de persévérance.
Je rappelle que nos collègues Jean Bizet et Odette Herviaux avaient fait des propositions très ambitieuses sur ce sujet. Ils avaient notamment prévu la mise en place d’une charte d’application de la loi Littoral à l’échelon régional, laquelle aurait naturellement reçu toutes les garanties de conformité aux règles qu’une grande instance nationale est chargée de faire respecter.
Les dispositions que nous proposons aujourd'hui sont beaucoup moins ambitieuses, mais de bon sens ; elles sont simples, concrètes et pratiques.
Nous proposons ainsi qu’il ne soit plus possible, enfin, de s’opposer à une construction sur un terrain libre situé au milieu de deux terrains construits à l’intérieur d’un hameau si elle respecte toutes les prescriptions du plan local d’urbanisme ou, à défaut d’un tel plan, du règlement national d’urbanisme. Cette mesure est très attendue, non seulement par les familles désireuses de construire leur maison, mais aussi, bien sûr, par les maires qui veulent raisonnablement développer leur commune.
Ce n’est pas la première fois que nous aurons à nous prononcer en faveur de cette mesure. Nous espérons, si le Sénat venait à l’adopter de nouveau, que la majorité à l'Assemblée nationale voudra bien cette fois faire évoluer sa position afin que cette disposition prenne force de loi. Il est plus que temps. Je compte naturellement sur le concours plein et entier du Gouvernement à cet effet.
Nous devons légiférer non pas en fonction de fantasmes, mais pour régler des problèmes concrets. Si nous sommes tous profondément attachés à la loi Littoral, en particulier les élus des territoires littoraux, nous ne devons pas pour autant nous interdire jusqu’à la fin des temps de l’améliorer pour tenir compte d’évolutions jurisprudentielles que nos prédécesseurs n’avaient certainement pas à l’esprit lorsqu’ils ont voté cette loi en 1986. L’interdiction de construire dans ce qu’il est convenu d’appeler les dents creuses ne figure en effet nulle part dans la loi Littoral.
M. Philippe Bas, rapporteur pour avis. J’espère que cette solution, que je pense sage, pourra entrer en vigueur. Elle accroîtra l’intérêt de ce texte, qui règle par ailleurs beaucoup de questions, les territoires dont le trait de côte est menacé ne devant pas être privés de toute possibilité d’aménagement et d’activité.
Applaudissementssur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en préambule, je tiens à dire que nous regrettons l’absence d’avis du Conseil d’État et d’étude d’impact sur un texte de cette importance. Je suis d’accord avec le président de la commission des lois, M. Bas : nous ne sommes pas là pour faire du dogmatisme. Cela étant dit, il est nécessaire d’être guidé par des principes généraux. Même si nous comprenons bien sûr l’urgence d’agir, cet avis et cette étude manquent à notre réflexion.
Sur le fond, l’objectif de cette proposition de loi est légitime et juste. Il s’agit d’offrir à l’État et aux élus locaux de nouveaux instruments pour faire face au recul du trait de côte lié à l’avancée de la mer. Les anticipations réalisées par le CEREMA démontrent l’ampleur du phénomène. Le législateur doit donc se saisir de ces questions. C’est urgent.
La stratégie nationale mise en place nous semble cohérente – il s’agit d’observer et d’anticiper – et il est souhaitable de lui trouver des traductions législatives. D’ailleurs, comme cela est souligné dans cette proposition de loi, les plans locaux d’urbanisme et les plans de prévention des risques naturels sont des outils très importants d’anticipation et de connaissance. Ils doivent donc être confortés.
Cette proposition de loi a largement été remaniée par la commission au Sénat, souvent pour la rendre plus opérationnelle. Même si je n’ai pas toujours été d’accord avec ce qui s’est dit en commission lors des votes des amendements, force est de constater que ce texte contient globalement des améliorations.
L’objectif est non pas d’empêcher la construction ou le maintien de constructions dans les zones touchées par les phénomènes d’érosion et de montée des eaux, mais bien de créer les conditions de l’aménagement de ces zones de manière sécurisée d’un point de vue juridique, à la fois pour les habitants et pour les élus. Or, nous le savons tous, l’aménagement de ces territoires n’est que très provisoire. Les questions essentielles restent donc la relocalisation des activités et les conditions de départ des habitants.
Nous approuvons les dispositifs favorisant une meilleure information des habitants. À cet égard, nous regrettons la suppression par la commission de l’article 8 bis, qui concerne l’information donnée par les professionnels de l’immobilier. J’ai entendu les arguments du rapporteur sur ce point, mais, honnêtement, il aurait été préférable de le conserver.
Nous approuvons la modification effectuée par le Sénat : les nouvelles zones créées doivent l’être à la demande des collectivités concernées. Pourtant, il est important que le préfet conserve un rôle déterminant dans la procédure. C’est une question de cohérence nationale et de sécurité.
Au fond, l’équation restera cependant la même : le dispositif préconisé ne fonctionnera que si les collectivités s’engagent et préemptent les terrains concernés. Cela suppose des moyens. Or, loi de finances après loi de finances, les moyens des collectivités sont amputés. Cet outil est nécessaire, mais les collectivités auront sans doute les plus grandes difficultés à s’en saisir. Concrètement, les communes et les intercommunalités, aujourd’hui en charge de la gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations, dite la compétence GEMAPI, auront-elles la capacité de préempter des biens menacés et de les remettre à la disposition des particuliers via un bail réel immobilier littoral ?
Nous avons également des doutes sur les nouvelles responsabilités confiées au Fonds de prévention des risques naturels majeurs, dit Fonds Barnier, lequel aurait la charge du financement de l’ensemble de ces mesures.
À ce sujet, le rapporteur s’étonnait, avec raison, de la position du Gouvernement, qui, d’un côté, souhaite limiter le recours au Fonds Barnier, s’agissant pourtant de la gestion d’un risque naturel, et, de l’autre, prélève sur les ressources de ce fonds afin d’atteindre ses objectifs en matière de déficit public.
Plus globalement, nous notons que le budget consacré aux risques hydrauliques et naturels a été réduit entre 2012 et 2015. Le désengagement de l’État est réel. J’espère que, d’année en année, nous continuerons de dire qu’il ne faut pas puiser dans les fonds spécifiques dédiés, n’est-ce pas, monsieur le rapporteur ? Il y a donc un hiatus important entre les déclarations d’intention, les compétences données au Fonds Barnier et l’implication réelle du Gouvernement pour lutter contre les risques naturels.
Nous avions pour notre part proposé, sur la question du trait de côte, la création d’un établissement foncier permettant notamment l’intervention de la Caisse des dépôts et consignations pour gérer la problématique liée à la maîtrise foncière. Or l’État a refusé de s’engager plus avant. Nous le regrettons.
Par ailleurs, nous déplorons qu’au détour de ce texte, la commission ait ouvert la boîte de Pandore de la remise en cause de la loi Littoral, car c’est bien de cela qu’il s’agit.
L’objet de ce texte, comme je l’ai dit en commission, aurait dû rester circonscrit à la question du trait de côte, les dents creuses constituant une autre problématique. C’est la troisième fois au moins que ce sujet, qui concerne tout le territoire national et non pas seulement le littoral ou les zones de montagne, apparaît dans un texte.
Madame la ministre, vous vous êtes montrée à l’écoute. Nous verrons bien ce qu’il adviendra au cours du débat.
La loi Littoral a trente ans, certes, et mérite des adaptations, bien sûr, mais nous sommes convaincus que la lutte contre l’étalement urbain est impérieuse dans ces zones particulières. Le principe de l’urbanisation continue est un bon principe pour densifier en zone construite, mais la préservation de nos littoraux, ainsi que celle de tous les milieux naturels du reste, face au risque de défiguration architecturale reste d’actualité. Restons vigilants dans ce domaine. Les atteintes au littoral, lorsqu’elles sont perpétrées, sont irréversibles.
Nous serons donc vigilants concernant les dérogations proposées à la loi Littoral et nous ne voterons pas les amendements allant trop loin en ce sens. L’objectif de cette proposition de loi doit bien demeurer d’accompagner les territoires face aux phénomènes naturels qui modifient les conditions de vie autour du littoral, et non pas d’accroître la construction du littoral en question, ce qui constituerait un contresens regrettable.
Au final, cette proposition de loi est utile, car elle définit de nouveaux outils et permet un zonage spécifique prenant mieux en compte les risques d’érosion et de montée des eaux liés au changement climatique. Elle est attendue et contient des éléments positifs en matière d’information des élus et des riverains concernant la prise en compte et l’anticipation des risques, ainsi que l’adaptation des territoires au changement. Elle vise à protéger les riverains et les activités dans ces territoires.
Pour autant, des incertitudes demeurent sur le financement de ces mesures et sur la préservation de la loi Littoral. Les débats devront clarifier ces sujets en particulier.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je vous présente tout d’abord mes meilleurs vœux.
Je me félicite que le Sénat puisse débattre d’un texte spécifique aux territoires littoraux et au changement climatique.
Je ferai tout d’abord un constat. Nous assistons à une situation antagoniste : d’une part, la population vivant ou souhaitant vivre sur la côte est en augmentation ; d’autre part, l’érosion côtière a les conséquences que l’on connaît en termes de sécurité des populations et des biens, de développement économique et de l’environnement. Les enjeux pour les territoires côtiers sont donc considérables.
Nos territoires littoraux, comme vous l’avez rappelé, madame la ministre, représentent 5 800 kilomètres de côtes métropolitaines, mais aussi, côté ultramarin, 4 500 kilomètres de côtes en Polynésie, 3 300 kilomètres en Nouvelle-Calédonie, 1 380 kilomètres dans les Antilles et en Guyane et 460 kilomètres à La Réunion.
Mon collègue Guillaume Arnell a d’ailleurs souligné en commission qu’il était urgent de prendre en compte la diversité des problématiques des territoires d’outre-mer, lesquels sont soumis, par exemple, aux phénomènes cycloniques.
Il est donc de notre responsabilité, en métropole comme en outre-mer, d’anticiper sans excès – sans ouvrir le parapluie – une stratégie de développement durable pour notre littoral.
Dans les Pyrénées-Orientales, où nous subissons depuis plusieurs années des aléas météorologiques plus nombreux et plus intenses, les acteurs locaux prennent petit à petit la mesure des enjeux.
Ainsi, je salue les élus et les acteurs du littoral qui se sont engagés dans la réserve naturelle marine de Cerbère-Banyuls, gérée par le département, dans le Parc naturel marin du golfe du Lion, présidé par Michel Moly, et dans le Parlement de la mer, à l’échelon régional, lequel avait été mis en place par Christian Bourquin.
Les territoires littoraux sont à la fois dynamiques et vulnérables. Alors comment concilier un développement harmonieux de ces territoires attractifs avec l’inéluctable érosion côtière ?
La proposition de loi déposée par le groupe socialiste de l’Assemblée nationale vise à faire évoluer la loi Littoral de janvier 1986 sur le point précis du recul du trait de côte.
D’un point de vue réglementaire, tout d’abord, le texte introduit des avancées importantes : la reconnaissance juridique du recul du trait de côte, une meilleure anticipation et adaptation des territoires et des communes au repli stratégique, la reconnaissance des stratégies nationales, régionales et locales de gestion intégrée du trait de côte et leur nécessaire articulation avec les plans de prévention des risques naturels et les documents d’urbanisme.
Cette proposition de loi prévoit également la création de trois dispositifs.
Elle institue tout d’abord des zones d’activité résiliente et temporaire. En cas de risque de recul du trait de côte, une collectivité territoriale pourra proposer la création d’une ZART dans laquelle des constructions, des ouvrages, des aménagements ou des exploitations pourront être réalisés, utilisés, exploités ou déplacés durant une durée maximale.
La proposition de loi crée ensuite un bail réel immobilier littoral, le BRILI, pour les collectivités publiques et les particuliers. Ce bail permettra la jouissance temporaire des biens situés dans une ZART.
Enfin, le texte crée des zones de mobilité du trait de côte, des ZMTC, pour protéger les écosystèmes et réguler les ouvrages de défense contre la mer – pour ma part, je trouve l’expression « contre la mer » mal choisie… Dans ces zones, la procédure de création de zones de préemption propres est simplifiée au profit du Conservatoire du littoral.
D’un point de vue financier, le texte propose la création d’un fonds d’adaptation au recul du trait de côte alimenté par les collectivités territoriales, l’État et les assureurs ; la constitution d’une garantie financière par le preneur d’un bail pour permettre la démolition de nouvelles constructions ; une indemnisation des interdictions d’habitation dues au recul du trait de côte. Ces nouveaux outils sont les bienvenus. Ils permettront aux collectivités et aux particuliers de disposer de moyens plus efficaces pour anticiper le recul du trait de côte.
Permettez-moi toutefois, au nom du groupe du RDSE, de vous livrer quelques interrogations.
L’article 9A vise à supprimer les dents creuses. Prenons garde à l’urbanisation non contrôlée ! Il faut trouver le meilleur équilibre possible entre le déploiement d’activités, la sécurité des personnes et des biens et la protection de l’environnement. Quelques possibilités et perspectives intéressantes ont été évoquées à cet égard.
Le texte tel qu’il résultait des travaux de l'Assemblée nationale prévoyait la création d’un fonds d’adaptation au recul du trait de côte, lequel a été retiré du texte par le Sénat. Faut-il créer un fonds spécifique ou bien faut-il s’en remettre au Fonds Barnier ? Qui doit payer ? L’État, les collectivités ? Sous quelle forme ? Quelles sont les modalités d’éligibilité au fonds ? Ces réponses n’ont pour l’heure pas encore reçu de réponses précises.
Ne vaudrait-il pas mieux prendre le temps de réfléchir à l’élaboration d’un mécanisme pérenne, en s’appuyant sur des études d’impact qui nous permettraient de travailler plus sérieusement ?
Dans le même ordre d’idée, l’article 9B évoque expressément la notion de « submersion marine ». Sur quels critères juridiques va-t-on s’appuyer pour caractériser cette notion ?
Des zones d’ombre subsistent sur toutes ces questions. Il me semble important de les clarifier. Le RDSE a un a priori plutôt positif sur ce texte, mais il choisira de le voter ou non à la lumière des débats qui vont suivre.
Applaudissements sur les travées du RDSE.
La parole est à M. le vice-président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.
Je propose à mes collègues de la commission que nous nous retrouvions à vingt heures quarante-cinq en commission pour examiner les amendements du Gouvernement.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt-et-une heures cinq, sous la présidence de Mme Françoise Cartron.