Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie le Sénat et l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques d’avoir inscrit un tel débat à l’ordre du jour de la Haute Assemblée.
Le rapport de M. Cléach nous offre une vision renouvelée du débat sur la gestion des ressources halieutiques et de la pêche, à ce moment clef que constitue le lancement du Grenelle de la mer. Daniel Pauly sera d’ailleurs ici demain pour éclairer nos échanges sur la pêche.
L’organisation d’un Grenelle de la mer a été décidée parce que le premier Grenelle avait surtout consacré ses travaux aux problèmes de la terre. Or la France possède le deuxième espace maritime mondial et ses eaux se caractérisent par une forte biodiversité, notamment dans les territoires ultramarins : cela confère une responsabilité particulière à notre pays dans ce domaine. Il était donc indispensable qu’un Grenelle de la mer soit mis en place, et le présent débat permettra d’éclairer ses travaux.
Les ressources halieutiques sont essentielles, car elles représentent 20 % de l’apport en protéines animales de la population mondiale : il s’agit de la principale source protéique pour près d’un milliard d’individus.
Les prévisions contenues dans les rapports de la FAO que vous avez cités, monsieur Cléach, sont assez alarmantes : de 75 % à 80 % des ressources halieutiques mondiales sont surexploitées ou exploitées au maximum. En d’autres termes, si une crise écologique devait survenir, elle affecterait probablement, en tout premier lieu, non pas le climat, dont il est beaucoup question actuellement, mais la biodiversité, et elle serait liée à l’épuisement des ressources halieutiques.
En effet, comme vous l’avez rappelé, ces ressources naturelles sont spécifiques et fragiles. Certes, elles sont renouvelables – elles nous semblent même l’être indéfiniment –, mais ce sont aussi des ressources communes, et donc totalement partagées. Quant à leur extrême fragilité, elle tient à leur sensibilité aux pollutions, aux changements climatiques et à des évolutions des écosystèmes qui n’avaient pas été anticipées par les scientifiques.
Nous assistons donc aujourd’hui, comme l’ont rappelé les différents orateurs, à une sorte de « course au poisson », chaque pêcheur ayant individuellement intérêt, pour augmenter sa production et sa rémunération, à mobiliser un maximum de moyens de capture.
Nous sommes à un tournant majeur. Nous partageons tous, tant sur les travées du Sénat qu’au sein du Gouvernement, l’objectif de sauvegarder la pêche. Je souhaite vraiment que l’on cesse d’opposer préservation de l’environnement et pratique de la pêche, car cette vision des choses est totalement erronée : au contraire, l’une ne va pas sans l’autre ! La préservation de l’environnement permettra de sauvegarder les ressources halieutiques, et donc l’avenir des pêcheurs. Michel Barnier et moi-même sommes d’ailleurs parfaitement d’accord sur ce point.
La politique du Gouvernement s’oriente donc selon deux axes : agir pour adapter et moderniser le secteur de la pêche, d’une part ; agir pour préserver et améliorer la qualité de l’environnement marin, d’autre part.
En ce qui concerne l’action en faveur du secteur de la pêche, le plan pour une pêche durable et responsable, annoncé par le Président de la République le 16 janvier 2008 dans un contexte de crise dû à la forte hausse du prix du gazole, comprend quinze mesures et est doté de 310 millions d’euros.
Au-delà d’une réponse conjoncturelle, ce plan comporte de nombreuses mesures structurelles, visant en particulier à encourager le remplacement des bateaux anciens par des unités plus économes en énergie et moins polluantes.
À cet égard, il a été souligné à juste titre que la recherche sur les bateaux économes en énergie et sur l’utilisation de nouvelles sources d’énergie était actuellement un peu à l’abandon. Nous vous rendrons compte, bien évidemment, de l’avancement des recherches engagées dans ce domaine.
Comme l’ont indiqué MM. Étienne et Cléach, la première priorité est de renforcer la connaissance scientifique de l’état des ressources halieutiques, en incitant pêcheurs et scientifiques à travailler main dans la main.
Sur ce plan, deux axes de recherche doivent être privilégiés : l’intensification des observations en mer et l’augmentation de la capacité d’expertise scientifique en halieutique à l’échelon national. C’est dans cet esprit que nous travaillons avec l’IFREMER, dont nous révisons actuellement le contrat quadriennal. Une enveloppe supplémentaire de 8 millions d’euros a été mobilisée ; elle servira notamment à la création de seize postes supplémentaires, en CDI ou en CDD, au sein de l’IFREMER.
À partir de 2009, nous augmenterons de 300 % les observations en mer servant de base à l’élaboration des avis scientifiques : le nombre de jours d’observation passera ainsi de 1 400 en 2008 à plus de 4 500 en 2009.
Nous renforcerons également le rôle d’autres organismes scientifiques, comme l’Institut de recherche pour le développement, l’IRD, ou le Muséum national d’histoire naturelle, dans le traitement de questions particulières concernant les professionnels. Il s’agit donc bien de rapprocher le monde de la pêche de celui de la science. Scientifiques et pêcheurs doivent travailler de concert, car ils partagent les mêmes intérêts et les mêmes interrogations.
La deuxième priorité est de développer de nouveaux outils.
Vous avez évoqué, madame Herviaux, les « contrats bleus », démarche très innovante qui consiste à rémunérer les pêcheurs pour des activités telles que la récupération de déchets en mer ou l’accueil de scientifiques sur les bateaux. Cette mesure a été dotée de 30 millions d’euros pour les années 2008 et 2009, et le bilan de son application est extrêmement positif. Michel Barnier et moi-même sommes très favorables à la poursuite de la mise en œuvre de ces « contrats bleus ».
La troisième priorité est de valoriser l’offre française de produits de la mer au travers des écolabels, conformément aux conclusions du Grenelle de l’environnement. France Agrimer étudie également la création d’une marque collective nationale pour différencier l’offre française.
La réforme de la politique commune de la pêche constitue bien évidemment un autre grand chantier.
Ce n’est pas un secret : le bilan économique, social et environnemental de cette politique est assez mitigé. Si le dispositif a connu des améliorations depuis 2002, avec la mise en place de plans de gestion pluriannuels et la mise en œuvre de plans de reconstitution du stock de certaines espèces, son bilan est jusqu’à présent assez médiocre, en particulier sur deux points.
Tout d’abord, les mesures structurelles de réduction de la flotte ont échoué : la baisse du nombre de navires a été compensée par un accroissement de la puissance, et donc de l’effort de pêche, des unités restant en flotte.
Ensuite, si le principe de stabilité relative des quotas est favorable à la France, il ne permet pas une gestion durable des stocks. Là encore, je ne trahis aucun secret en disant cela !
Les réponses présentées dans le Livre vert de la Commission comportent des éléments positifs.
Premièrement, la Commission propose de fonder la gestion des rejets sur l’effort de pêche, et non plus sur les seuls TAC et quotas. Cela me semble positif.
Deuxièmement, il est envisagé de faire évoluer le système de stabilité relative des quotas, en assortissant son maintien de l’instauration de mécanismes de flexibilité. Il s’agit d’ouvrir le débat sur l’allocation de droits de pêche transférables, en écartant une financiarisation et une concentration à outrance du secteur de la pêche. Dans cet esprit, le principe serait de mettre en œuvre des systèmes spécifiques selon les types de pêche : des quotas individuels transférables pour les navires hauturiers et un système fondé sur le principe de stabilité pour la pêche côtière, avec les adaptations nécessaires. Deux systèmes différents pourraient donc coexister, des garde-fous devant être prévus, notamment pour les quotas individuels transférables.
Troisièmement, le Livre vert de la Commission préconise de soutenir la pêche artisanale et côtière. M. Muller a eu raison d’insister sur l’importance, dans notre pays, de cette pêche qui, outre sa dimension économique, joue un véritable rôle social. Il faut envisager la mise en place d’un traitement différencié pour la pêche côtière, d’une part, et la pêche hauturière, d’autre part, et faire bénéficier les flottes artisanales d’un soutien public en vue de leur adaptation à la politique commune de la pêche réformée.
Quatrièmement, le Livre vert propose la mise en place de systèmes de gestion régionaux. Nous y sommes très favorables, car il est nécessaire de fixer des règles adaptées aux différentes zones de pêche, selon leurs caractéristiques. Je fais mienne, sur ce point, la position de M. Merceron. Nous nous félicitons de ce que la Commission reconnaisse la spécificité de chaque zone de pêche. Il faudrait, par ailleurs, laisser jouer le principe de subsidiarité. En ce qui concerne la France, par exemple, l’outre-mer et la mer du Nord présentent des caractéristiques très différentes, qui doivent être prises en compte de façon distincte.
Globalement, il nous faut réfléchir à l’amélioration de « notre » modèle, en responsabilisant les entreprises, notamment les pêcheurs, et en améliorant la qualité des produits. Le pêcheur doit tirer profit du fait qu’il pratique une pêche durable. S’agissant des aides, la réforme de la politique commune de la pêche offre un cadre idéal pour les réformer : elles doivent être moins conjoncturelles et plus structurelles.
En ce qui concerne maintenant les mesures de contrôle, elles doivent être renforcées, qu’il s’agisse de la pollution ou des pêches.
Comme l’ont souligné plusieurs d’entre vous, les profits tirés de la pêche illicite s’élèvent à 10 milliards d’euros à l’échelle mondiale, ce qui en fait le deuxième fournisseur de produits halieutiques au monde. C’est là un véritable scandale, M. Le Cam a eu raison de le souligner. Le règlement INN, destiné à combattre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée, a été adopté en juin 2008. Il entrera en vigueur le 1er janvier 2010 et permettra d’intensifier la lutte contre ces pratiques.
S’agissant de l’aquaculture durable, s’il n’est pas envisageable qu’elle se substitue à terme à la pêche, monsieur Le Cam, elle n’en connaît pas moins une forte croissance dans de nombreuses zones et fournit près de la moitié du poisson consommé dans le monde. L’Union européenne importe de plus en plus de produits issus de l’aquaculture et provenant parfois de pays où les conditions sociales et environnementales de cette production sont plutôt opaques.
À propos de la question spécifique de la pisciculture, soulevée par M. Bailly, j’indique qu’un système de prélèvement donnant lieu à l’établissement d’un bilan annuel doit permettre de contrôler l’ampleur des dégâts causés par les cormorans. Il ne s’agit nullement de protéger ces oiseaux au détriment des pisciculteurs !
Par ailleurs, certains SDAGE envisageaient en effet de ne pas permettre le repeuplement piscicole dans les rivières dont les eaux sont en très bon état écologique. Cela ne me paraît pas justifié, et nous allons donc demander aux SDAGE, en concertation avec les acteurs de la filière, de laisser aux pisciculteurs la possibilité de procéder à des repeuplements piscicoles dans de telles rivières, l’objectif de parvenir en 2015 au bon état écologique des eaux, fixé par la directive-cadre sur l’eau, continuant néanmoins à s’imposer à nous.
En vue de promouvoir le développement de l’aquaculture, la France a confié à Mme Hélène Tanguy une mission qui a débouché sur l’élaboration, en juin 2008, d’un mémorandum. Signé par dix-huit États membres de l’Union européenne, ce document sur le développement de l’aquaculture s’articule selon quatre axes : mise en place d’une politique communautaire intégrée, promotion de l’image de l’aquaculture à l’échelle européenne, respect de normes sanitaires et environnementales, mesures de soutien économique à ce secteur.
Ce mémorandum a été à l’origine d’une communication de la Commission sur l’avenir de l’aquaculture en Europe, qui fera l’objet d’un débat au Conseil des ministres de juin 2009. La plupart des États sont assez favorables à un soutien au développement de l’aquaculture dans des conditions environnementales et sociales satisfaisantes.
L’Union pour la Méditerranée, particulièrement chère à M. Vestri, doit permettre à la France d’améliorer la gestion de la ressource halieutique dans cet espace extraordinaire, mais si fragile, qu’est la Méditerranée.
Je partage votre diagnostic, messieurs Vestri et Cléach : la coopération entre États riverains est indispensable pour parer au risque de surexploitation des ressources et d’effondrement des stocks. Sur ce point, nous ne partons pas de rien et nous pouvons nous inspirer, par exemple, du cas du thon rouge. Cependant, il faut aller plus loin et développer, dans le cadre de l’UPM, une gestion coordonnée de la pêche, à l’instar du système expérimental de surveillance conjointe des pollutions mis en place avec la plupart des États riverains et piloté par la France.
Bien entendu, on ne peut parler de la pêche et des ressources halieutiques sans évoquer la qualité de l’environnement marin, qui repose sur deux piliers : la mise en œuvre d’une approche écosystémique et la construction d’un réseau d’aires marines protégées.
Jusqu’à présent, les écosystèmes marins étaient assujettis à des politiques très différenciées répondant chacune à des problématiques spécifiques – la pêche, le transport maritime, la pollution des mers, le tourisme et les loisirs, etc. Or, parallèlement, les pêcheurs s’estimaient victimes des pollutions marines, qui sont d’ailleurs le plus souvent d’origine terrestre, de la destruction des zones de frai, des incidences du changement climatique…
Il est évident que la viabilité économique et sociale du secteur de la pêche repose sur une gestion intégrée de l’espace maritime. Telle est la logique qui sous-tend la directive-cadre portant stratégie pour le milieu marin, ainsi que le Grenelle I, en particulier son article 30, lequel développe une vision stratégique globale, fondée sur une gestion intégrée et concertée de la mer et du littoral. Le Grenelle de la mer reprendra cette même logique : il s’agit désormais de traiter conjointement les différentes problématiques.
Par ailleurs, l’article 60 du Grenelle II, dont vous aurez bientôt à débattre, met en œuvre cette approche écosystémique à l’échelle de chaque façade maritime.
Le cadre juridique nécessaire à la pratique de cette nouvelle approche des activités maritimes est donc déjà en place. Le Grenelle de la mer doit nous permettre d’élaborer des propositions concrètes dans cette perspective. L’un des enjeux majeurs, qui a d’ailleurs été rappelé par M. Vestri, est bien l’instauration de cette nouvelle gouvernance, qui fait l’objet de la quatrième table ronde du Grenelle de la mer.
En ce qui concerne maintenant la construction d’un réseau d’aires marines protégées, la France s’emploie à rattraper rapidement le retard qu’elle connaît dans ce domaine. Notre objectif est de parvenir à 10 % d’aires protégées. Monsieur Cléach, vous avez absolument raison d’affirmer que nous devons consentir un effort de pédagogie pour bien faire comprendre que les aires marines protégées n’interdisent pas toute activité. La constitution de ces zones ne s’inscrit nullement dans un tel esprit : l’activité de pêche, en particulier, y a toute sa place dès lors qu’elle est durable. Je tiens à le dire, car je m’entends souvent opposer que créer des aires marines protégées aboutirait à une « mise sous cloche ». Ce n’est pas de cela qu’il s’agit, au contraire ! Si tel était le cas, nous n’aurions aucune chance de développer les aires marines protégées en France.
La construction du réseau d’aires marines protégées, qui doit être l’une des pierres angulaires de la politique nationale de protection de la biodiversité marine, répond à deux objectifs.
Il s’agit, en premier lieu, d’établir des zones Natura 2000 en mer. Aujourd’hui, une centaine de sites sont en cours de notification auprès des autorités communautaires. Ils ont été choisis sur la base de considérations purement scientifiques, conformément aux préconisations de la Commission.
Il s’agit, en second lieu, de créer, d’ici à 2012, dix parcs naturels marins. Un premier parc, celui d’Iroise, existe d’ores et déjà, quatre autres verront bientôt le jour : ceux de la côte de Vermeille, de la baie de Somme, de Gironde-Pertuis-Charentais et de Mayotte.
Je prendrai l’exemple du parc naturel marin d’Iroise. Trois des dix orientations retenues pour l’élaboration du plan de gestion de ce territoire concernent les activités de pêche. Adoptées à la demande des structures professionnelles bretonnes, elles concernent le soutien au développement durable de la pêche côtière, l’exploitation durable des ressources halieutiques et l’exploitation durable des champs d’algues.
La création des parcs naturels marins s’inscrit donc bien dans une logique de concertation et de contractualisation.
En ce qui concerne les sites Natura 2000, nous sommes également sortis du « tout-réglementaire ». Natura 2000 obéit aujourd’hui à une logique contractuelle : on installe des comités de pilotage qui élaborent des documents d’objectifs. Les acteurs locaux édictent leurs propres règles de gestion durable de ces zones. Tout n’est plus imposé d’en haut, il me semble important de le souligner.
En conclusion sur ce point, il faudra faire preuve de pédagogie pour convaincre l’ensemble de nos partenaires, notamment les professionnels, que les aires marines protégées permettront aussi de préserver les ressources.
Parmi les objectifs du sommet mondial du développement durable figuraient le développement d’un réseau d’aires marines protégées d’ici à 2012 et la reconstitution générale des stocks à l’horizon de 2015.
Atteindrons-nous ce second objectif en 2015 ? J’avoue avoir encore quelques doutes à ce sujet – en 2010, nous serons d’ailleurs amenés, hélas, à constater que la dégradation de la biodiversité n’aura pas été enrayée.
Cela étant, nous sommes vraiment à un tournant : l’ensemble de nos partenaires internationaux se rendent compte que la situation actuelle n’est pas soutenable à terme et, au sein de l’Europe, on perçoit une évolution des attitudes.
En France, Michel Barnier et moi-même voulons sortir du coup par coup pour promouvoir une vraie politique structurelle. Notre objectif est de réconcilier la pêche, l’écologie et la science, notamment dans le cadre des aires marines protégées, et de redonner toute leur place aux pêcheurs, dans une logique de responsabilité et de responsabilisation.