Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs, dont les membres du groupe CRC nous proposent aujourd’hui l’abrogation, nous ne l’avions finalement pas votée, car elle était bien trop éloignée du texte approuvé par la majorité sénatoriale.
Nous avons au moins eu la possibilité d’en débattre. Vous avez été à cette occasion, madame la ministre, très attentive, mais bien peu réceptive. Quant à l’Assemblée nationale, elle devait subir la frustration du 49.3. Et nous avons dû supporter la même intransigeance au moment de la commission mixte paritaire, au cours de laquelle nos propositions ont reçu une fin de non-recevoir, y compris d’ailleurs celles qui paraissaient plus satisfaisantes aux yeux des partenaires sociaux.
La commission des affaires sociales du Sénat a fondé sa démarche sur une approche essentiellement pragmatique visant à réformer en profondeur le droit du travail, de manière à instaurer de nouvelles règles mieux adaptées au contexte économique et culturel de notre époque.
Le code du travail n’est pas une bible immuable. Il doit être avant tout un outil au service des entreprises et des salariés, tendant à définir des règles de fonctionnement équilibrées, parce que respectueuses des intérêts des parties dans le cadre d’un contrat librement négocié au niveau de l’entreprise ou de la branche professionnelle.
L’approche sociétale de la fonction travail ne doit pas être négligée, mais elle ne doit pas être non plus un prétexte pour rigidifier les rapports entre les entreprises et les salariés dont les destins professionnels sont souvent intimement liés.
Notre objectif était de rechercher l’efficacité et la simplicité, afin de faciliter, sur le terrain, les relations entre les partenaires sociaux et de permettre aux entreprises de s’adapter à une concurrence mondialisée plus âpre. Cette démarche est indispensable pour mettre notre économie en situation de produire plus de richesses et d’emplois dans un environnement à la fois plus exigeant et plus instable en termes de compétition internationale. Préserver le travail de ceux qui en ont et surtout permettre aux millions de chômeurs d’accéder à l’emploi passe obligatoirement par une économie performante avec des approches sociale et économique cohérentes, car indissociables l’une de l’autre.
Le texte adopté par le Sénat, plus sobre sur le plan rédactionnel, évitait les mesures trop complexes, inutiles ou inapplicables, comme celles qui ont été retenues à propos de l’instauration d’instances de dialogue social dans les réseaux de franchise, de l’ébauche de responsabilité sociale des plateformes électroniques, du compte personnel d’activité, ou encore des modalités de négociation en matière d’emploi saisonnier. De récents événements ont eu tendance à prouver, pour ce qui concerne les plateformes, que le dispositif retenu n’éviterait ni les ambiguïtés ni les abus et que, sur ce sujet, une réflexion beaucoup plus large devra être engagée pour l’ensemble des travailleurs non salariés, indépendants ou auto-entrepreneurs.
Nous avions également souhaité sur le principe, à l’instar du Gouvernement, favoriser un dialogue direct au niveau de l’entreprise en élargissant le champ des possibilités dans la manière de fixer le temps de travail ou les modalités de négociation au sein des entreprises. Il est dommage que le texte final ait plombé cette liberté par un dispositif de mandatement très dissuasif à l’échelon des dirigeants, mais aussi des salariés dans les PME et TPE. On prive en effet celles-ci de la possibilité d’accords de proximité, y compris par l’intermédiaire d’une consultation directe des salariés.
Il s’agit là d’une contradiction majeure dans l’optique retenue par le Gouvernement. La contrepartie de cette souplesse aurait pu être de redonner, certes à titre supplétif, un caractère plus équilibrant aux branches professionnelles, ou du moins à celles qui fonctionnent de manière satisfaisante depuis de nombreuses années. La réforme de celles-ci qui est envisagée dans ce texte est une bonne chose.
À cet égard, je reconnais que les accords types de branche représentent une mesure intéressante.
Nous avions aussi eu la préoccupation de prévoir une réactivité qui se traduirait par la réduction de délais de mise en œuvre, de recours ou de jugement. L’instauration d’un rescrit social, élaboré par la délégation aux entreprises du Sénat, s’inscrivait dans la même démarche innovante permettant de mieux sécuriser les initiatives et les projets dans le cadre de relations sociales plus apaisées.
Ce souci de rapidité, de sécurisation et d’équité, nous avions voulu l’introduire dans une formulation différente du licenciement économique consécutif aux difficultés rencontrées par les entreprises.
Pour ce qui concerne la médecine du travail, nous aurions souhaité maintenir l’universalité de la visite d’aptitude à l’embauche, en désengorgeant un flux encombré par une majorité de visites liées à des contrats courts. On ne peut pas non plus se résigner à une diminution perpétuelle du nombre de médecins du travail, sans avoir fait auparavant les efforts nécessaires pour rendre ce métier plus accessible et plus attractif. Si nous n’allons pas dans cette direction, il faut alors envisager d’abandonner la médecine du travail ou de la privatiser ! Il faut fournir les efforts nécessaires et prévoir les moyens indispensables pour la maintenir.
Enfin, le travail détaché, qui est souvent dénigré, est aujourd’hui indispensable au développement de notre économie. Il est souhaitable qu’une nouvelle directive européenne encadre mieux les risques de dumping social, en particulier du point de vue des charges, et que les moyens de contrôle de la régularité de la situation des travailleurs détachés et de leurs employeurs soient renforcés. Même sur ce point, notre proposition d’étendre les sanctions à l’égard des entreprises ayant des pratiques frauduleuses n’a pas été retenue.
Dans ce projet de loi, l’apprentissage, essentiel à l’insertion des jeunes et à la préservation des savoir-faire, aurait dû trouver une place plus significative, comme l’avait proposé mon collègue rapporteur Michel Forissier.
L’essence de notre texte reposait au final, malgré les critiques qui en ont été faites, sur un équilibre entre la recherche de la performance des entreprises et l’aspiration légitime des salariés à disposer d’une formation, d’un emploi, et à mieux bénéficier des résultats financiers dans le cadre de l’amélioration des dispositifs d’intéressement que nous avions proposés, en particulier dans les PME et TPE.
Face à ce texte, nous ne pouvons aujourd’hui formuler que des regrets, ceux du temps perdu, des contradictions et de la complexité, bien éloignés de la démarche révolutionnaire qu’avait claironnée en son temps le Premier ministre.
Inévitablement, ce sujet sera remis en discussion, peut-être dès cette année, et nous aurons déjà les uns et les autres l’expérience de réflexions et d’échanges très argumentés.
Mais le débat de ce jour n’est pas le nôtre, car il oppose toujours – calendrier électoral oblige – la gauche de la gauche aux socialistes, les frondeurs au Gouvernement, et la France insoumise à la France du surplace. C’est la raison pour laquelle, dans sa grande majorité, mon groupe ne prendra pas part au vote.