Intervention de Myriam El Khomri

Réunion du 11 janvier 2017 à 14h30
Abrogation de la « loi travail » — Rejet d'une proposition de loi

Myriam El Khomri, ministre :

Allez expliquer que la garantie jeunes n’apporte rien à des jeunes à qui l’on tend enfin la main et qu’on ne laisse pas au bord du chemin ! Il faut poser certains diagnostics avec lucidité.

Par ailleurs, pour ce qui concerne la médecine du travail, je veux encore parler du réel. J’entends bien qu’il y a une incompréhension. J’entends l’attente que les services de santé portent l’essentiel de la réforme de la médecine du travail, la question de la santé au travail étant primordiale. La réalité, c’est que, dans notre pays, la médecine du travail connaît un problème d’attractivité depuis de nombreuses années – les postes ouverts ne sont pas pourvus. Comment renforcer cette attractivité ? Telle est la question centrale qui est posée.

Sur ce point, je m’étais engagée auprès de vous à demander, avec mes collègues ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche et ministre des affaires sociales et de la santé, un rapport à l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS. Nous venons de signer la lettre de mission en ce sens. Pour ma part, j’attends beaucoup de ce document.

Dans un communiqué, le Centre interservices de santé et de médecine au travail en entreprise, le CISME, soutient, comme les partenaires sociaux au sein du Conseil d’orientation des conditions de travail, le COCT, cette réforme de la médecine du travail.

Je crois qu’il faut toujours en revenir au réel. De ce point de vue, il me semble essentiel de rappeler quelques éléments.

Cette réforme a été engagée notamment à la suite du rapport de Michel Issindou, qui montrait clairement, au-delà de la question de la qualité de l’emploi, qui, bien évidemment, nous importe, que, en raison du grand nombre de contrats courts, le nombre de visites médicales s’établit à 3 millions par an, pour 20 millions d’embauches. Dans ces conditions, pouvons-nous dire que la visite médicale d’embauche était un droit effectif ? Non !

Cela signifie concrètement que des personnes occupant des postes à risques n’ont jamais vu de médecin du travail : bien souvent, elles ne rencontraient un médecin que tous les sept ou huit ans, comme le rapport Issindou l’a montré. Il me semblait important de rappeler cette réalité.

La loi Travail rend ce droit plus effectif, puisque tous les salariés devront être vus par des professionnels de santé sous le contrôle du médecin dès l’embauche ou dans les trois mois suivant celle-ci, puis, au plus tard, tous les cinq ans. Je tiens à dire avec force qu’il s’agit d’une durée maximale, qui pourra être raccourcie par le médecin du travail pour tenir compte de l’état de santé du travailleur et du poste occupé. Bien évidemment, le salarié pourra aussi demander lui-même à rencontrer un médecin du travail.

Dans leur intervention, certains ont évoqué le principe d’universalité : ce principe est sanctuarisé dans la loi et s’accompagne d’un principe d’individualisation du suivi, pour coller au mieux à la situation du salarié.

Nous avons également harmonisé le contentieux. Nous en avons longuement débattu. Nous avons notamment renvoyé la contestation devant la seule instance compétente en matière de contrat de travail, à savoir le conseil de prud’hommes, avec la désignation d’un médecin expert, dont l’avis se substituera à celui du médecin du travail. Je rappelle que le système n’était pas satisfaisant, l’inspecteur du travail devant prendre une décision de nature médicale sur laquelle il n’a pas de compétence et sans avoir accès au dossier médical. C’est aussi cette réalité que nous devons prendre en compte.

Bien évidemment, si le droit à la visite médicale avait été effectif, nous n’aurions pas engagé la réforme de la médecine du travail. Ce droit est-il effectif ou pas ? Telle est la question qui se pose aujourd'hui. Si ce droit n’est pas effectif, il faut refuser le statu quo et améliorer les choses. Au reste, si cette réforme n’est que transitoire, si l’attractivité de la médecine du travail se renforce, je pense que nous serons tous ravis !

Avec cette réforme, les collaborateurs du CISME pourront aussi se rendre plus souvent dans les entreprises, ce qu’ils ne peuvent pas toujours faire aujourd'hui, compte tenu des difficultés auxquelles ils sont confrontés dans l’exercice de leur mission. C’est un enjeu essentiel, et c’est aussi ce qui explique l’accueil réservé par le CISME à la réforme.

Pour ce qui concerne le télétravail, les discussions sont en cours du côté des partenaires sociaux. Bien évidemment, la balle est dans leur camp. Nous avons encore encouragé les différentes parties à aboutir. La négociation devrait être lancée dans les plus brefs délais.

J’en viens au travail détaché. La loi Savary, la loi Macron, la loi Travail se sont emparées de ce sujet. Cependant, nous n’avons pas fait que légiférer. Nous avons multiplié les contrôles, dont le nombre mensuel est passé de 500 à 1 500, et même à 2 000 au mois de juin dernier. Par ailleurs, 880 amendes ont été prononcées – pour un tiers, à l’encontre des donneurs d’ordre – et 5 millions d’euros ont été récupérés. Nous agissons au plan national. Aujourd'hui, il faut impérativement réviser la directive Détachement de 1996, pour tenir compte à la fois du dumping social et de l’indignité à laquelle sont confrontés les travailleurs dans l’espace européen. Nous travaillons sur plusieurs propositions, défendues en lien avec la députée européenne Élisabeth Morin-Chartier, corapporteur pour la révision de la directive. Ainsi, nous avons demandé l’interdiction des entreprises boîtes aux lettres et l’intégration de l’hébergement – la question est essentielle – dans le noyau dur des droits. Nous renforçons également les moyens de lutte en interne, notamment avec la carte professionnelle dans le BTP qui a été citée tout à l'heure.

Je veux évoquer la situation préoccupante des salariés de La Voix du Nord. J’y suis bien évidemment sensible, mais rendre l’adoption de la loi Travail responsable de la préparation du plan de sauvegarde de l’emploi, ou PSE, à l’encontre de ces salariés me paraît infondé. Cette loi n’introduit aucune disposition nouvelle en matière de PSE. Elle ne donne aucune nouvelle compétence aux directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, les DIRECCTE, pour se prononcer sur le motif économique d’un PSE dans le cadre des procédures d’homologation. Cette appréciation, dont vous avez débattu lors de l’examen de la loi relative à la sécurisation de l’emploi, relève strictement du juge, si celui-ci est saisi.

L’homologation d’un PSE par une DIRECCTE, qui a pour rôle de vérifier si la procédure et le contenu du plan sont conformes, n’a donc aucun rapport avec la loi Travail, dont je rappelle qu’elle n’introduit aucun nouveau motif de licenciement économique : elle se contente de codifier la jurisprudence existante.

Le critère de sauvegarde de la compétitivité n’est que la reprise d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation depuis 1995.

La mise en œuvre de l’éventuel PSE projeté par le groupe belge Rossel, propriétaire du quotidien susvisé, peut être imputée non pas à la loi Travail, mais, plus globalement, aux difficultés économiques que connaît le secteur de la presse. Nous accompagnons d’ailleurs certaines situations. Je pense, par exemple à Nice-Matin, à L’Obs ou au groupe Lagardère. De nombreux plans sociaux fleurissent dans ce secteur depuis des années. Nous cherchons à soutenir ces réorganisations, ces mutations, à travers les aides à la presse que mobilise Audrey Azoulay.

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