Intervention de Brigitte Gonthier-Maurin

Réunion du 11 janvier 2017 à 14h30
Enseignement supérieur — Rejet d'une proposition de résolution européenne

Photo de Brigitte Gonthier-MaurinBrigitte Gonthier-Maurin, auteur de la proposition de résolution européenne :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de résolution européenne s’inscrit dans la continuité des propositions que le groupe communiste républicain et citoyen soutient en faveur d’une réelle démocratisation de l’enseignement supérieur. Enjeu d’importance, tant l’enseignement supérieur et l’enseignement scolaire sont confrontés à une complexification croissante des savoirs. C'est pourquoi nous militons pour que le service public de l’éducation dans sa globalité permette une élévation des connaissances et des qualifications pour toutes et tous.

Voilà près de dix-sept ans, les États européens s’étaient engagés, au travers de la stratégie dite de Lisbonne, à faire de l’Union européenne, d’ici à 2010, « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ».

Cette stratégie a échoué. Pour ne citer qu’un chiffre, je rappellerai que l’Union européenne avait prévu d’affecter au budget de la recherche 3 % de son produit intérieur brut. Elle n’y consacre, dans son ensemble, que 1, 9 %.

Parmi les raisons de cet échec, il en est une qui est peu invoquée, mais qui figure pourtant au cœur de la problématique : la stratégie de Lisbonne n’a pas été dotée de moyens financiers spécifiques !

En France, si la dépense intérieure d’éducation a progressé, la part de l’État, elle, n’a cessé de diminuer depuis 2000.

Ainsi les États membres qui ont fixé les objectifs de la stratégie de Lisbonne se sont-ils heurtés à leurs propres politiques de déconstruction des services publics d’éducation.

Dans le cadre de la stratégie Europe 2020 ont été fixés, par ailleurs, cinq objectifs.

Un seul concerne l’éducation : « améliorer les niveaux d’éducation, en particulier en s’attachant à réduire le taux de décrochage scolaire à moins de 10 % et en portant à 40 % au moins la proportion de personnes âgées de 30 à 34 ans ayant obtenu un diplôme de l’enseignement supérieur ou atteint un niveau d’études équivalent. »

Cet objectif est étroitement inspiré des conclusions du Conseil Éducation de mai 2009, lequel a donc, à juste titre, considéré développement de l’enseignement supérieur comme un enjeu « prioritaire ».

Les États membres ont bien pris conscience que la croissance des emplois à forte intensité de connaissances justifie plus que jamais une politique de démocratisation de l’enseignement supérieur.

Cette dernière est également indispensable pour répondre à un autre grand objectif de la stratégie Europe 2020, objectif déjà contenu dans la stratégie de Lisbonne, consistant à porter à 3 % du PIB l’effort en matière de recherche, objectif qui suppose lui aussi une importante augmentation de l’emploi dans ce secteur.

De la même façon, renforcer la capacité d’innovation des économies européennes passe par un élargissement de l’accès aux études supérieures.

Or l’examen de la situation à mi-parcours fait apparaître des résultats contrastés.

Certes, la part des diplômés dans la population âgée de 30 à 34 ans a progressé, passant de 34 % en 2010 à plus de 38 % en 2015. L’objectif de 40 % en 2020 semble donc atteignable.

Toutefois, les écarts entre les pays membres s’agissant des conditions d’accès à l’enseignement supérieur restent considérables.

Ainsi, les frais d’inscription en premier cycle vont de la gratuité à plus de 11 000 euros. Le montant des bourses sur critères sociaux varie lui aussi fortement d’un État membre à l’autre : inférieur à 1 000 euros dans la plupart des nouveaux pays membres, il dépasse 9 000 euros dans certains États membres plus anciens.

En réalité, l’augmentation du nombre de diplômés de l’enseignement supérieur s’est effectuée dans un contexte global de stagnation ou de diminution des dépenses publiques en faveur de l’enseignement supérieur, même si, là encore, les situations sont contrastées.

Depuis 2010, ces dépenses ont en effet augmenté dans certains États membres, mais elles ont stagné ou diminué dans la plupart d’entre eux, en lien direct avec ce que certains nomment avec pudeur « le resserrement de la discipline budgétaire ».

Reste un constat : la dépense publique moyenne pour l’enseignement supérieur au sein de l’Union demeure inférieure à 1, 3 % du PIB.

Les conditions d’une réelle démocratisation de l’enseignement supérieur à l’échelle de l’Union ne sont donc pas réunies. Sortons du double langage, et parlons clair ! On ne peut pas, d’un côté, prôner la démocratisation de l’enseignement supérieur, sans l’asseoir, de l’autre, sur des moyens publics pérennes.

Dans un contexte de plus en plus concurrentiel, illustré par l’importance des « classements » des universités, le développement d’un enseignement supérieur dont le financement repose de plus en plus sur les étudiants et leurs familles va s’accélérer et devenir source de davantage d’inégalités.

L’exemple des États-Unis montre pourtant les effets néfastes d’une telle évolution. Certes, la dépense totale en faveur de l’enseignement supérieur, qui représente 2, 8 % du PIB, est élevée, mais les conséquences sociales d’un tel modèle sont extrêmement lourdes : fortes inégalités entre les établissements, logique financière et concurrentielle, endettement considérable des étudiants lors de leur entrée dans la vie professionnelle. Aujourd’hui, la dette cumulée des étudiants américains atteint 1 160 milliards de dollars, soit plus de 6 % du PIB des États-Unis ; elle dépasse désormais celle des ménages américains !

L’Union européenne et les États membres doivent donc rompre avec cette logique inacceptable qui assimile l’enseignement supérieur à un marché.

Seul un financement essentiellement public, en effet, peut garantir, d’une part, une véritable autonomie intellectuelle des universités, incompatible avec une logique marchande, et, d’autre part, la poursuite d’une réelle démocratisation de l’enseignement supérieur, incompatible, elle, avec des droits d’inscription élevés et des bourses sur critères sociaux ne couvrant qu’une part réduite des dépenses incompressibles d’un étudiant.

Ce constat a été parfaitement dressé dans le rapport du comité pour une stratégie nationale de l’enseignement supérieur, la STRANES, prévue par la loi Fioraso de 2013, dont nous avons débattu ici, mes chers collègues, en mai dernier.

Pour rappel, les auteurs de ce rapport, s’ils évoquent des pistes possibles de financement complémentaire, au nombre desquelles le mécénat, le recours aux fondations ou la formation continue, se prononcent pour le maintien d’un financement essentiellement public de l’enseignement supérieur.

À cette fin, la STRANES fixe deux objectifs, ceux-là mêmes qui figurent dans la présente proposition de résolution européenne : porter à l’échelon européen un objectif de 2 % du PIB consacré à l’enseignement supérieur d’ici à 2025 ; exclure du calcul des déficits publics les dépenses publiques d’enseignement supérieur.

Ce sont ces deux propositions que nous défendons – nous ne sommes pas les seuls, si j’en crois les messages de soutien que je reçois depuis quelques jours.

C’est dans ce contexte, monsieur le secrétaire d’État, que l’amendement déposé en dernière minute par le Gouvernement, tendant à supprimer de cette proposition de résolution européenne la disposition prévoyant d’exclure les dépenses publiques d’enseignement supérieur du calcul des déficits publics, prend toute sa « saveur ».

Cela confirme, hélas ! le choix de ce gouvernement, déniant au passage sa propre STRANES, d’assimiler l’enseignement supérieur à un marché. Votre argument est le même que celui des deux corapporteurs de la commission des affaires européennes : il s’agit de ne pas donner « un nouveau coup de canif dans le pacte de stabilité ».

Mon collègue Éric Bocquet reviendra longuement sur ce point, et ce débat est loin d’être clos, soyez-en sûrs, mes chers collègues !

C’est pour cette raison que le groupe CRC a inscrit cette proposition de résolution européenne à l’ordre du jour de sa niche parlementaire, tant ces revendications sont consubstantielles à un projet d’émancipation humaine pour lequel nous sommes mobilisés tous azimuts : à l’instant pour l’abrogation de la loi Travail, maintenant pour un financement pérenne de l’enseignement supérieur, demain sur la situation de l’hôpital public.

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