Je reconnais à Mme Gonthier-Maurin, qui connaît bien ces sujets, une constance dans la défense de ses positions.
Ce qu’elle a dit est tout à fait juste : l’Europe ne s’est pas dotée d’objectifs chiffrés s’agissant de ses dépenses en matière d’enseignement supérieur. La conférence de Lisbonne a bien fixé un objectif – 3 % du produit intérieur brut – pour les dépenses de recherche-développement, mais elle ne l’a pas fait pour les dépenses d’enseignement supérieur, non plus d’ailleurs que pour la répartition, en la matière, entre financement public et financement privé.
C’est dans le cadre de la STRANES que, pour des raisons tenant principalement à la nécessité d’élever le niveau des compétences et des connaissances au regard de grandes mutations que votre assemblée connaît bien, la France a choisi de se doter d’une perspective qui, au terme d’une trajectoire sur dix années, l’amènerait à consacrer 2 % du PIB au financement de l’enseignement supérieur.
Madame la sénatrice, votre texte contient deux propositions : premièrement, que la France défende l’application au niveau de l’Union européenne de cet objectif fixé au niveau national par la STRANES ; deuxièmement, que la part publique dans ce financement soit exclue du calcul du déficit budgétaire.
Il peut être intéressant de faire un point précis sur la situation en Europe s’agissant de ces deux questions : combien les pays dépensent-ils en matière d’enseignement supérieur – la réponse à cette question permettra de mesurer le chemin qui reste à parcourir ? Et quelle est la structure de financement, c’est-à-dire la part respective du public et du privé ?
Les dépenses d’enseignement supérieur s’élèvent en moyenne aujourd’hui pour les vingt-deux pays de l’Union européenne étudiés dans le rapport le plus récent de l’Organisation de coopération et de développement économiques – les chiffres sur lesquels vous avez raisonné, madame la sénatrice, sont peut-être un petit peu datés – à 1, 6 % du PIB, et à 1, 4 % du PIB pour l’ensemble des pays de l’OCDE. La France se situe entre les deux, puisque les dépenses d’enseignement supérieur y représentent 1, 5 % du PIB.
Existe-t-il dans l’Union européenne des pays se situant à 2 % du PIB ? Il y en a un seul ! C’est l’Estonie. Quelques pays nordiques n’en sont pas très loin – la Finlande et le Danemark sont à 1, 9 % – ; d’autres pays, en particulier le Royaume-Uni, sont à 1, 8 % du PIB. L’Allemagne est à 1, 3 %.
La fixation d’un tel objectif conduirait donc l’ensemble des pays européens, à une exception près, l’Estonie, à faire un petit ou un gros effort, et plutôt un gros effort, de l’équivalent d’un demi-point de PIB.
Par ailleurs, quelle est la part de ces dépenses qui est respectivement financée par le public et par le privé ?
En la matière, les situations sont radicalement divergentes.
Il y a un bloc de pays, à savoir les pays nordiques, auxquels j’ajoute la France et l’Allemagne, dans lesquels la charge, en matière de dépenses d’enseignement supérieur, repose presque exclusivement, en tout cas en très grande partie, sur le public : à 95 % pour les pays nordiques – le financement privé y est presque inexistant –, 82 % pour la France et un taux similaire pour l’Allemagne.
Dans certains pays, à l’inverse, les dépenses publiques sont minoritaires par rapport aux dépenses privées. Au Royaume-Uni, auquel je pense en particulier, elles représentent environ 45 % du total. Le bon résultat de ce pays tient donc principalement aux efforts des familles – c’est en effet essentiellement cela, le financement privé… –, qui assument environ 47 % ou 48 % de la dépense, le financement étant un peu complété par des partenariats avec les entreprises.
La position du Gouvernement figure, je l’ai dit, dans la STRANES : nous estimons qu’atteindre 2 % du PIB est souhaitable, mais cet objectif ne doit pas masquer la grande disparité des réalités nationales et mériterait d’être affiné.
Figure également dans la STRANES la nécessité d’ouvrir la réflexion sur la prise en compte des sommes consacrées à la préparation de l’avenir, qu’il s’agisse d’ailleurs de l’enseignement supérieur ou de la recherche, dans le déficit public.
C’est ici que les difficultés commencent, et c’est la raison pour laquelle le Gouvernement a déposé un amendement : il partage l’objectif préconisé, mais, à ce stade, il ne souhaite pas arbitrer entre les différentes possibilités susceptibles d’être défendues à l’échelle européenne. Faut-il, comme vous le demandez, madame la sénatrice, exclure du calcul du déficit les dépenses d’enseignement supérieur ou, autre proposition, les dépenses de recherche du calcul du déficit ? Faut-il plutôt privilégier les dépenses liées à la défense ou à la conduite de certaines opérations extérieures ?…
Des arbitrages doivent être effectués entre les différentes réflexions amorcées au niveau européen et qui doivent encore trouver leur chemin. Nous ne pouvons donc pas souscrire à une proposition de résolution selon laquelle ce sont les dépenses d’enseignement supérieur qui doivent sortir du calcul du déficit – sous-entendu : pas les autres. Peut-être s’avérera-t-il plus judicieux, par exemple, d’en exclure les dépenses de recherche, et c’est ce qui me gêne dans la proposition de résolution.
Si son amendement était adopté, le Gouvernement ne verrait en revanche que des avantages au vote de celle-ci ; s’il ne l’était pas, nous nous en remettrions, mesdames, messieurs les sénateurs, à la sagesse de votre assemblée.