Intervention de Éric Bocquet

Réunion du 11 janvier 2017 à 14h30
Enseignement supérieur — Rejet d'une proposition de résolution européenne

Photo de Éric BocquetÉric Bocquet :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le développement de l’enseignement supérieur, chacun en convient, est un enjeu prioritaire, dans un contexte global qui est à la stagnation ou à la diminution des dépenses publiques, et qui n’épargne malheureusement aucun pays de l’Union européenne.

Le dynamisme économique dépend en effet de l’investissement dans la formation, à tous les niveaux. À ce titre, la croissance des emplois à forte intensité de connaissance et le renforcement de la capacité d’innovation des économies sont nécessaires dans une Europe qui tend à s’essouffler.

Cela passe non seulement par la mise en œuvre de politiques publiques en faveur d’une large démocratisation de l’enseignement supérieur, mais aussi par un effort accru dans le domaine de la recherche. Nous le savons, la recherche, l’innovation, la connaissance permettent la croissance économique.

Nous proposons, avec mes collègues du groupe CRC, une résolution européenne en ce sens.

Celle-ci correspond bien au sens de la stratégie Europe 2020, qui compte l’éducation parmi ses cinq grands objectifs et prévoit, d’une part, l’abaissement du taux de décrochage scolaire à moins de 10 % et, d’autre part, que 40 % au moins de la population âgée de 30 à 34 ans soit diplômée de l’enseignement supérieur.

En fixant à 2 % du PIB, pour les États membres de l’Union, le niveau des dépenses d’enseignement supérieur en 2025, la proposition de résolution européenne sur la reconnaissance de l’enseignement supérieur comme un investissement nécessaire à l’avenir vise donc à permettre l’accomplissement de ces objectifs. Nous proposons, pour ce faire, que la hausse des dépenses publiques en faveur de l’enseignement supérieur ne soit pas prise en compte dans le calcul du déficit public au sens du traité de Maastricht.

Cette mesure dérogatoire, que peut décider le Parlement européen, nous apparaît nécessaire afin d’éviter le recours à la privatisation du financement de l’enseignement supérieur et de la recherche, laquelle irait dans le sens d’une moindre démocratisation, et afin d’encourager le maintien du modèle d’accès à l’enseignement porté par notre pays, notamment, au sein de l’Union européenne.

Rappelons que le Parlement européen a par ailleurs adopté, en 2012, une résolution sur la modernisation des systèmes d’enseignement supérieur en Europe. Cette résolution invitait les établissements d’enseignement supérieur à intégrer dans leurs programmes l’apprentissage tout au long de la vie, à s’adapter aux nouveaux défis en créant des cursus d’études reflétant les besoins du marché du travail et à promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes dans le domaine de l’enseignement supérieur.

Il se trouve que dans cette même résolution le Parlement insistait pour que les États membres atteignent l’objectif d’investir 2 % du PIB dans l’enseignement supérieur. Nous nous inscrivons donc en totale cohérence avec ses objectifs.

Pourtant, si l’on s’intéresse de près aux écarts qui existent entre les États membres en matière de conditions d’accès à l’enseignement supérieur, on constate qu’ils demeurent considérables. Ainsi, les frais d’inscription en premier cycle vont de la gratuité à plus de 11 000 euros dans certains pays. Le montant des bourses sur critères sociaux varie lui aussi fortement d’un État membre à l’autre : inférieur à 1 000 euros dans la plupart des nouveaux pays membres, il dépasse 9 000 euros dans certains États membres plus anciens.

Les conditions d’une réelle démocratisation de l’enseignement supérieur à l’échelle de l’Union ne sont donc pas encore tout à fait réunies. Et cela, chacun le comprend, pose une vraie question !

Le risque est grand, en effet, dans un contexte de concurrence accrue entre les universités et de contraction des dépenses publiques imposée dans tous les pays, de voir le développement de l’enseignement supérieur reposer de plus en plus sur les étudiants et leurs familles.

L’exemple des États-Unis, qui a été cité, montre les effets que l’on peut attendre d’une telle évolution. Certes, la dépense totale en faveur de l’enseignement supérieur y est élevée, puisqu’elle est d’environ 2, 8 % du PIB, mais les conséquences sociales du recours à des frais de scolarité élevés et à l’endettement des étudiants sont lourdes. Les inégalités sont fortes entre les établissements universitaires ; la logique qui prévaut est une logique financière et concurrentielle, et, je le disais à l’instant, l’endettement des étudiants lors de leur entrée dans la vie professionnelle est considérable.

Comme l’a souligné Brigitte Gonthier-Maurin, la dette cumulée des étudiants américains dépasse le chiffre effarant de 1 000 milliards de dollars. C’est plus de 6 % du PIB des États-Unis et de nombreuses banques américaines sont exposées à ce risque bien réel. Imaginez, mes chers collègues, que le président Barack Obama, qui quittera ses fonctions dans quelques jours, a lui-même fini de rembourser son prêt étudiant au cours de l’année 2004 seulement !

Il serait inacceptable que l’Union européenne et les États membres s’engagent eux aussi peu à peu dans l’assimilation de l’enseignement supérieur à une forme de marché et dans un système qui « préempte » l’entrée dans la vie active de jeunes diplômés surendettés.

L’enseignement supérieur ne doit pas non plus se réduire à la formation d’une élite. Il doit offrir de réelles chances de réussite à tous, dans les études d’abord, puis dans la carrière professionnelle, et permettre une véritable mobilité sociale.

Par ailleurs, seul un financement essentiellement public peut garantir une authentique autonomie intellectuelle des universités – autonomie incompatible avec une logique marchande – et la poursuite d’une réelle démocratisation de l’enseignement supérieur – démocratisation incompatible avec des droits d’inscription élevés et des bourses sur critères sociaux ne couvrant qu’une part réduite des dépenses incompressibles d’un étudiant.

Dans ce contexte, il nous paraît nécessaire d’ouvrir largement le débat et de le porter devant le Parlement européen. Refuser, au nom d’objectifs budgétaires immédiats, de soutenir le développement de l’investissement public dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche serait une erreur stratégique fondamentale pour les États membres de l’Union européenne, en particulier pour la France.

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