Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie tout d’abord Brigitte Gonthier-Maurin d’avoir déposé, avec ses collègues du groupe CRC, cette proposition de résolution européenne sur la reconnaissance de l’enseignement supérieur comme un investissement nécessaire à l’avenir.
Le comité STRANES, dont je fais partie, qui a conduit des travaux de réflexion, de comparaison et d’évaluation très fructueux avec la communauté universitaire, avec les leaders d’opinion et les partenaires européens, avait conclu que les dépenses d’enseignement supérieur et de recherche n’étaient pas des charges, mais bien des investissements.
La proposition de résolution européenne reprend la proposition 36 du rapport de la stratégie nationale pour l’enseignement supérieur prévue par la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche. Ce rapport a été remis le 8 septembre 2015 au Président de la République, qui en a fait la ligne de conduite de son gouvernement. Le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche a validé la stratégie retenue à une très large majorité, ce qui mérite d’être souligné s’agissant de cette instance un peu difficile…
Le 4 mai dernier, à la demande de mon groupe, nous avons débattu de la STRANES en votre présence, monsieur le secrétaire d’État. Considérant que la constance est une qualité dans la responsabilité politique, je soutiens cette proposition de résolution, avec l’espoir de vous convaincre de faire de même, chers collègues.
Lors de ce débat du 4 mai, la majorité sénatoriale avait exprimé son mépris pour une stratégie qualifiée de « démagogique », expliquant par exemple qu’il était « complètement impossible » de supprimer la sélection entre les deux années de master, cette proposition 15 de la STRANES n’apparaissant pour elle que comme une « préconisation pour flatter certains syndicats étudiants ».
Voilà quelques semaines, les mêmes ont changé d’avis sur ce sujet, en votant la proposition de loi de Jean-Léonce Dupont, amendée par mes soins avec son accord, pour y introduire les conclusions de la concertation conduite par le ministère.
Serait-il déraisonnable qu’ils fassent de même pour cette proposition de résolution européenne, qui pose la question fondamentale de la place de l’enseignement supérieur dans notre société, de son financement, et de l’effort conjugué à obtenir de l’ensemble des pays de l’Union européenne ?
Pourquoi financer plus l’enseignement supérieur ? Parce qu’il y a un impératif démographique ; parce que le monde change et, avec lui, le rapport à la connaissance et au travail ; parce que les métiers eux-mêmes changent ! Nous devons être collectivement mieux armés pour appréhender ces évolutions, afin qu’elles bénéficient au plus grand nombre et contribuent à réduire les inégalités.
La robotisation de nos industries, qui s’accélère, le développement exponentiel de l’intelligence dite artificielle et de ses usages, l’utilisation des mégadonnées sont source de développement et de progrès pour notre pays, pour autant que nous nous donnions les moyens de nous en saisir ! Pour autant que l’intelligence humaine accompagne, maîtrise ces évolutions de la science et de la technologie !
Les diplômes de l’enseignement supérieur, du brevet de technicien supérieur, ou BTS, au doctorat, sont un rempart contre le chômage.
Élever le niveau de qualification est donc une ambition et une protection. Nous devons viser l’égalité des chances dans l’accès aux diplômes du supérieur.
Les analyses de la STRANES attestent que l’investissement public est l’une des garanties de cet objectif de démocratisation, en maintenant des frais d’inscriptions réduits et un système d’aides sociales qui permette à tous ceux qui le souhaitent de poursuivre des études supérieures.
Les frais d’inscriptions cristallisent trop souvent le débat sur le financement de l’enseignement supérieur, notamment pour les ambassadeurs du sacro-saint « modèle anglo-saxon ».
Un système à financement privé, notamment par les familles, a peut-être des avantages. Il a surtout ses inconvénients : faibles mobilités sociales, creusement des inégalités entre établissements et territoires, problème macro-économique de la dette étudiante, reproduction des inégalités, attractivité restreinte des études supérieures par autocensure.
Au Royaume-Uni, l’augmentation des frais d’inscription a eu un effet de rétractation du nombre d’inscrits, donc du nombre d’étudiants et, par suite, de diplômés.
Ainsi, 40 % des étudiants sont dans l’incapacité de rembourser leurs emprunts. Comme cela a été souligné, aux États-Unis, les prêts étudiants représentent 6 % du PIB et font craindre une bulle spéculative, raison pour laquelle le Président Barack Obama proposait de réduire les droits d’inscriptions.
Après évaluations et comparaisons, la STRANES a fait le choix de conforter notre modèle de financement majoritairement public de l’enseignement supérieur, à un taux de 82 %, conformément au modèle européen. Le financement de l’enseignement supérieur allemand est à 85 % public, et cette participation peut monter jusqu’à 95 % dans certains pays scandinaves.
Ce choix serait-il le fruit d’une dérive idéologique ? Non ! Il est le résultat d’une stratégie raisonnée, basée sur la connaissance scientifique, qui constate que l’enseignement supérieur constitue un levier de croissance économique, une externalité positive.
Des travaux économétriques ont mesuré l’élasticité des dépenses d’enseignement supérieur sur le PIB. Elle est positive. Chaque année d’étude supplémentaire dans la population a un impact positif sur la croissance.
Selon l’étude de la Ligue des universités européennes de recherche sur la contribution économique des universités de recherche de 2015, chaque euro investi dans les universités françaises génère une valeur ajoutée à l’économie de près de 4 euros et, pour chaque emploi qu’elles créent directement, c’est 3, 2 de plus.
Il est donc indispensable de préparer les jeunes à de nouveaux métiers, que nous ne connaissons pas encore pour la plupart, et de permettre aux actifs d’actualiser leurs compétences, voire d’en acquérir d’autres pour être mobiles, épanouis dans leur emploi, coproducteurs de croissance.
Le Gouvernement a pris au sérieux cette question en renforçant la formation tout au long de la vie.
La loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite loi travail, dont tous les décrets s’appliquent depuis le 1er janvier dernier, aura permis de mettre en œuvre le compte personnel d’activité, outil de renforcement de la sécurisation des parcours professionnels et de développement du compte personnel de formation, pour lesquels la mobilisation des acteurs de l’enseignement supérieur est fortement requise.
Les établissements d’enseignement supérieur sont conscients de leur responsabilité sociétale dans cette étape de renforcement de la formation tout au long de la vie. Ils mesurent les enjeux qu’elle recèle pour leur propre développement.
Par ailleurs, je tiens à rappeler la part de responsabilité des entreprises dans le financement des formations utiles à leur activité, nécessaires à leur performance. Investir davantage dans l’enseignement supérieur est donc un moyen supplémentaire d’accroître la relance économique de notre pays.
La part du PIB consacré à l’enseignement supérieur est actuellement de 1, 49 % en France et de 1, 43 % en moyenne dans l’Union européenne. Viser 2 % à l’horizon 2025 est donc non seulement souhaitable, mais réaliste.
Considérant le modèle économique de l’enseignement supérieur, reconduit par la STRANES, qui postule que l’augmentation de l’investissement public est le meilleur moyen d’atteindre cet objectif à terme, la question du maintien du pacte de stabilité est posée.
Lors des travaux du comité STRANES, le directeur adjoint de l’éducation et de la culture à la Commission européenne avait lui-même évoqué l’intérêt de fixer un objectif chiffré aux pays de l’Union européenne en matière d’enseignement supérieur, évoquant même une sortie de ces dépenses du calcul des déficits publics.
C’est une question cruciale, qui convoque l’idée que nous nous faisons de l’Europe et du rôle qu’elle doit jouer au XXIe siècle.
Les principes, s’ils doivent être observés, ne sont pas intangibles. L’appartenance loyale et déterminée à l’Europe ne doit pas empêcher un État stratège qui veut investir dans l’innovation, dans la formation tout au long de la vie, pour permettre à ses travailleurs et à ses industries d’être à la hauteur, à la pointe des évolutions numériques et industrielles et d’imaginer les révolutions de demain. La compétitivité, c’est aussi cela. L’Europe ne doit plus nous décevoir ; elle ne doit plus avoir comme seule grille de lecture le marché et sa libre concurrence !
Il s’agit de protéger nos emplois, nos salariés et assurer une vraie politique de croissance, qui a un coût. Une politique de croissance ne se résume pas à réduire les déficits et les coûts salariaux. L’Europe doit investir et permettre l’investissement dans l’enseignement supérieur et la recherche. L’émergence de grands champions européens est à ce prix. On ne peut pas faire comme si le monde n’existait pas autour de nous ! Cela suppose de lutter contre les critères technocratiques, qui freinent les investissements, y compris immatériels. C’est aussi une question de souveraineté.
En conclusion, le groupe socialiste et républicain votera cette proposition de résolution européenne, dont la mise en œuvre contribuera au renforcement de l’Union, tout autant qu’à celui de notre pays et de ses établissements d’enseignement supérieur. Je pense que ce peut être un bon appui pour le Gouvernement dans ses discussions futures avec ses partenaires de l’Union européenne.