Madame la présidente, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi que nous examinons ce soir a pour objet de proposer des solutions concrètes à un problème qui touche progressivement les communes côtières françaises, à savoir l’érosion du trait de côte.
Les effets induits par le changement climatique vont encore accentuer ces phénomènes, dont il nous faut dès à présent anticiper les conséquences.
Avec 7 500 kilomètres de côtes, dont 1 650 kilomètres pour les départements et régions d’outre-mer, la France est particulièrement concernée par les risques littoraux.
Au total, 303 communes ont été identifiées sur le territoire métropolitain français comme prioritaires pour la mise en œuvre des plans de prévention des risques littoraux. Les risques que ces plans visent à prévenir se sont révélés de façon dramatique lors de la tempête Xynthia, en 2010.
La stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte a été élaborée en mars 2012. Au travers de son programme d’action portant sur les années 2012 à 2015, elle a permis une meilleure identification des aléas et du fonctionnement des écosystèmes côtiers dans leur état actuel, ainsi qu’une vision prospective de leur évolution à 10, 40 et 90 ans.
Je tiens à saluer les travaux menés par le comité national de gestion du trait de côte, que coprésident les députées Pascale Got et Chantal Berthelot, travaux qui ont conduit à cette proposition de loi, adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale en décembre dernier.
Ce texte vise à doter les communes concernées par l’érosion des côtes d’outils concrets et opérationnels. Ainsi, elles pourront à la fois maintenir une certaine activité humaine, essentielle pour le dynamisme social et économique des territoires, et assurer aux populations concernées une prévention des risques qui soit pragmatique et efficace.
Pour ce qui est des dispositifs liés à la gestion du trait de côte, les amendements introduits en commission au Sénat n’ont pas changé le fond de la mesure adoptée par l’Assemblée nationale.
Le dispositif ainsi proposé, qui vise à anticiper le recul inéluctable du trait de côte, donne aux communes la possibilité de maintenir des activités humaines, qu’il s’agisse de logements ou d’activités économiques – commerce, artisanat, entreprises –, dans des périmètres menacés à moyen terme par l’érosion.
Le préfet peut donc, sur l’initiative des communes concernées, utiliser les stratégies locales de gestion intégrée du trait de côte lors de l’élaboration des plans de prévention des risques littoraux.
Dès lors, les communes ont la possibilité de mettre en place des baux réels immobiliers littoraux, ce qui permettra d’indemniser les propriétaires installés dans des zones d’activités résilientes et temporaires en tenant compte de l’existence du risque d’érosion, tout en leur laissant la possibilité de continuer à occuper leur bien. La proposition de loi permettra ainsi, par exemple, d’apporter une solution concrète et équilibrée aux propriétaires de l’immeuble du Signal, à Soulac-sur-Mer, en Gironde, propriétaires dont la situation juridique se révèle particulièrement complexe.
Il est fondamental de ne pas perdre de vue l’objectif premier : bâtir des outils de gestion collégiale du risque, tout en offrant des mesures d’indemnisation et d’accompagnement par les pouvoirs publics qui soient efficaces et équilibrées.
En effet, je tiens à rappeler que, comme l’a précisé le Conseil constitutionnel, d’une part, la protection des biens par l’action publique ne constitue pas un droit, d’autre part, l’atteinte à l’intégrité physique de la propriété individuelle par les éléments naturels ne peut relever d’une responsabilité directe de l’État. À ce titre, contrairement à d’autres phénomènes naturels, l’évolution du trait de côte du fait de l’érosion est un phénomène à cinétique lente, que l’on peut donc anticiper.
Dès lors, les dispositifs de financement mis en place ne peuvent avoir pour seule origine les prélèvements sur les cotisations « habitation » des assurés, cotisations qui couvrent des phénomènes non prévisibles.
Nous en rediscuterons lors de l’examen des amendements sur l’article 13. En effet, si la mobilisation du Fonds Barnier pour financer une partie du dispositif de rachat des biens par la collectivité reste possible, la mobilisation d’autres sources par l’État comme les collectivités mérite d’être envisagée et discutée, d’une part, pour répondre à l’usage premier du Fonds Barnier et, d’autre part, pour permettre une adaptation locale plus efficace.
Lors de la discussion de ce texte à l’Assemblée nationale, j’avais déjà évoqué plusieurs mécanismes de soutien qui pourraient être utilisés pour une commune qui souhaiterait mettre en place des baux réels immobiliers. Il s’agit en premier lieu, à l’évidence, des contrats de plan État-régions – la dimension « risques naturels » a d’ailleurs déjà été intégrée dans plusieurs contrats de la dernière génération. L’Agence de financement des infrastructures de transports de France pourrait également apporter son concours. Enfin, une mobilisation de la redevance GEMAPI – gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations – peut également être envisagée.
Comme la gestion du trait de côte relève d’une problématique globale et nécessite une vision de long terme, le Gouvernement maintient cependant son souhait de voir mis en place un mécanisme de financement pérenne dans un contexte de nécessité d’adaptation au changement climatique.
Nous devrons évidemment discuter de la forme de ce mécanisme. En commission, vous avez finalement opté pour l’attribution au Fonds Barnier de ce rôle, alors que le Gouvernement a défendu jusqu’à présent le recours à un Fonds spécifique qui pourrait être alimenté, pour partie, par le Fonds Barnier. Nous partageons totalement l’objectif et la portée de la mesure, et je ne doute donc pas que les débats nous permettront d’aboutir au mécanisme le plus approprié.
Indépendamment du cœur de cible de cette proposition de loi, qui concerne la gestion du recul du trait de côté, j’ai pu constater, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous aviez déposé plusieurs amendements visant à modifier la loi relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, dite loi Littoral, sur divers points.
J’aborde ces sujets depuis plusieurs mois avec un grand nombre de parlementaires concernés. J’ai notamment reçu, avant l’été 2016, les parlementaires des territoires concernés par la question des dents creuses pour discuter avec eux des difficultés particulières que pose aujourd’hui l’interprétation de la loi et des multiples jurisprudences. J’ai eu l’occasion de m’entretenir avec eux des adaptations que je considère comme acceptables – voire nécessaire – parce qu’elles ne remettraient pas en cause l’esprit ou l’équilibre de la loi Littoral, tout en les sécurisant dans leur politique d’aménagement.
En effet, la loi Littoral est une loi majeure pour la protection, la valorisation et la gestion de nos espaces côtiers. Les auteurs de cette loi très moderne avaient une forte préoccupation de prise en compte du local, du terrain, et ont laissé une forte place à l’interprétation pour que le cadre juridique puisse être adapté avec souplesse aux évolutions dans le temps des territoires.
Or, il faut très honnêtement le reconnaître, l’administration française et les élus ont beaucoup de mal à agir dans un cadre basé sur l’interprétation et la jurisprudence, d’où les difficultés concrètes d’application que nous rencontrons.
À la suite d’un travail collégial de plus d’un an, des mesures de clarification ont été identifiées par le réseau Littoral, qui comprend élus et services de l’État. Un atelier de travail sur l’application de la loi Littoral s’est tenu le 3 novembre dernier dans les locaux de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement de Bretagne, à Rennes, en présence de plusieurs élus bretons et de représentants des tribunaux administratifs, pour tenter de définir un encadrement plus adapté sur la question spécifique des dents creuses.
Je soutiens un certain nombre de mesures techniques, simples et susceptibles d’apporter une réelle simplification et clarification dans la mise en œuvre de la loi Littoral, et je suis prête à leur donner suite. En revanche, comme j’ai déjà eu l’occasion de le rappeler lors de précédentes discussions, je ne reviendrai pas sur la portée et la philosophie de cette loi fondatrice en termes de préservation du patrimoine côtier français.
J’ai donc déposé un amendement visant à préciser les conditions dans lesquelles la densification par comblement des dents creuses est rendue possible dans des espaces qui ne peuvent pas être qualifiés de villages ou d’agglomérations, sans par ailleurs constituer des zones d’urbanisation diffuse à proprement parler.
De même, je suis favorable à l’extension de la dérogation au principe de continuité à l’ensemble des constructions nécessaires aux activités agricoles et forestières ou aux cultures marines, et non pas uniquement aux activités incompatibles au voisinage des zones habitées.
Néanmoins, je ne pourrais en aucun cas accepter des remises en cause trop larges qui dénatureraient le cadre et le fond de la loi Littoral, a fortiori dans le cadre d’une proposition de loi dont ce n’est pas le cœur et qui, je le rappelle, vise à apporter des solutions précises au problème du traitement de l’érosion du trait de côte.
Pour conclure, je tiens à souligner l’importance que le Gouvernement accorde à cette proposition de loi qui apporte des solutions concrètes à une problématique majeure qu’il convient de traiter dès maintenant.
Avec l’entrée en vigueur de l’accord de Paris et les événements qu’ont connus une partie de ces territoires, nul ne peut ignorer la nécessité d’anticiper les conséquences du réchauffement climatique sur l’évolution de nos côtes : nos concitoyens attendent des réponses rapides et solides.