Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en mars 2016, une équipe de chercheurs en climatologie de l’université du Massachusetts a publié, dans la très sérieuse revue Nature, des chiffres extrêmement alarmants concernant la montée des eaux sur notre planète. Ils estiment que l’augmentation moyenne du niveau des océans devrait être de plus d’un mètre d’ici à la fin de ce siècle et atteindre jusqu’à une quinzaine de mètres dans les siècles suivants, du fait du début de la fonte des glaces de l’Antarctique, dans le cas où les émissions de gaz à effet de serre ne seraient pas réduites drastiquement dans les toutes prochaines années.
D’autres études, dont certaines établissent d'ailleurs à une cote plus élevée la montée des eaux au XXIe siècle, insistent, elles, sur l’accélération de cette montée des eaux –actuellement de trois à quatre millimètres par an – à partir de 2030 environ, du fait de la désagrégation des landes glacières qui bloquent encore, aujourd'hui, le glissement des glaciers du Groenland vers la mer.
À ce sujet, le rapport d’information sénatorial d’octobre 2015 sur les conséquences géostratégiques du changement climatique établi par nos collègues Cédric Perrin, Leila Aïchi et Éliane Giraud pointait, lui aussi, le phénomène d’érosion côtière, qui pourrait provoquer un recul d’un mètre par an, en moyenne, du trait de côte dans le monde, et donc également en France.
C’est pourquoi l’une des propositions énoncées dans ce rapport et adoptées à l’unanimité par la commission des affaires étrangères est le « développement des études de l’évolution du niveau de la mer au niveau local, y compris pour les côtes françaises, intégrant l’ensemble des processus, y compris ceux qui influencent la morphologie des côtes ». Par ailleurs, les auteurs du rapport préconisent la conduite d’un travail de « relocalisation des activités situées dans les zones les plus risquées ».
À l’appui de ces propositions, dans son rapport de 2015 intitulé Le littoral dans le contexte d’un changement climatique, l’Office national sur les effets du réchauffement climatique, l’ONERC, affirme que « l’anticipation doit guider toute stratégie de développement des territoires côtiers ».
L’intérêt de la présente proposition de loi n’est donc pas à démontrer. Il s’agit de prendre pleinement en considération un facteur de risque majeur, dont on ne mesure probablement pas encore totalement les incidences, y compris une dépréciation forte de la valeur des biens immobiliers qui seront menacés demain par la montée des eaux, l’échéance étant probablement assez rapprochée maintenant. Cette dépréciation n’attendra pas que l’eau arrive sur les perrons des immeubles : elle l’anticipera de plusieurs décennies. Cela veut dire que c’est toute l’économie immobilière qui peut se trouver, dès les prochaines années, totalement fragilisée par ce phénomène de montée des eaux.
En ce sens, la proposition de suppression de l’article 8 bis, qui prévoit l’information par les professionnels de l’immobilier des acquéreurs sur les risques de recul du trait de côte, suscite un léger doute quant à la réalité de la prise de conscience de ce facteur de risque extrêmement important. Adopter une telle mesure est pourtant un signal nécessaire ; nous devons, dès aujourd'hui, développer une stratégie d’anticipation économique, bien au-delà de la mise en œuvre du fonds Barnier, d’un phénomène malheureusement inéluctable, même si, à long terme, nous espérons toujours qu’une action internationale forte et résolue permettra de stabiliser le climat. Il conviendra aussi de se mettre d’accord sur le niveau prévisible de la montée des eaux au cours du XXIe siècle. C’est un exercice difficile que la France ne peut mener seule, mais on ne pourra pas en faire l’économie.
Ce sujet doit suffire à nous mobiliser totalement. Je regrette donc profondément que, ce soir, une part importante de nos débats tourne autour de l’avenir de la loi Littoral.
Toute remise en cause des dispositifs de cette loi fondamentale de préservation de nos espaces côtiers, de nos paysages et d’un de nos grands atouts touristiques devrait faire l’objet de débats approfondis et nécessite énormément de précautions.
Nous savons tous que tout assouplissement de la loi Littoral a toujours entraîné une surinterprétation de la règle, dont nous mesurons les conséquences négatives sur nos paysages. Il suffit de se promener sur nos côtes, dans le Sud comme en Bretagne, pour s’en convaincre.
De fait, l’accumulation d’amendements non accompagnés d’une réelle étude d’impact conduit à la fragilisation de certains grands principes de la loi Littoral, notamment le refus de toute discontinuité dans les aménagements.
Notre discussion de ce matin en commission a d'ailleurs montré que tous les sujets n’étaient pas mûrs. Je pense par exemple à la localisation des zones d’activités, qui ne peut plus être appréhendée à l’échelle communale depuis que la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, ou loi NOTRe, a confié aux intercommunalités la compétence en matière de développement économique. Sur un certain nombre de points qui vont être débattus ce soir, nous avons à mon sens fait preuve de précipitation.
Le groupe écologiste n’est pas opposé à des adaptations très limitées de la loi Littoral visant à remédier aux quelques situations ubuesques qui peuvent exister, mais remettre en cause de grands principes au motif de traiter un petit nombre de cas particuliers ne me semble pas de bonne politique. Cela reviendrait à altérer la substance de la loi Littoral, dont chacun reconnaît l’importance, au moins en paroles. Nous savons tous qu’une brèche dans une digue peut annoncer l’érosion d’un territoire entier : si nous ouvrons une brèche dans la loi Littoral, elle se trouvera balayée à la première tempête ; nous connaissons l’instabilité de notre météo politique !