Intervention de Serge Muller

Commission d'enquête Compensation des atteintes à la biodiversité — Réunion du 12 janvier 2017 à 14h05
Audition de M. Serge Muller vice-président du comité permanent et président de la commission « flore » de M. Michel Métais président de la commission « faune » et de M. Serge Urbano secrétaire du comité permanent du conseil national de la protection de la nature

Serge Muller, vice-président du comité permanent et président de la commission « Flore » du CNPN :

Nous vous remercions tout d'abord d'auditionner le Conseil national de la protection de la nature dans le cadre de votre commission d'enquête, laquelle examine un sujet qui nous tient à coeur. Le CNPN s'implique en effet beaucoup dans les avis relatifs à des infrastructures routières, eu égard aux dérogations demandées.

J'interviens en tant que président du comité permanent du CNPN et président de la commission « Flore ». Permettez-moi, au préalable, de vous demander de bien vouloir excuser le président du comité permanent, Vincent Boullet, en mission à La Réunion.

Le CNPN est une commission administrative à caractère consultatif ; elle donne des avis sur les politiques relatives à la protection de la nature ou de la biodiversité, ainsi que sur les demandes de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées, au titre de l'article L. 411-2 du code de l'environnement.

Vous le savez certainement, le CNPN, qui est actuellement une instance mixte regroupant des experts scientifiques - j'y siège en tant que personnalité qualifiée -, des représentants d'associations de protection de la nature - c'est le cas de mes deux collègues -, des gestionnaires d'espaces naturels, y compris des agriculteurs, des chasseurs, des pêcheurs, des forestiers et des représentants des parcs nationaux, de réserves naturelles, ainsi que des représentants des ministères, va évoluer vers une instance constituée exclusivement de personnes nommées intuitu personae, à l'image des conseils scientifiques régionaux du patrimoine naturel (CSRPN). Cela va constituer un bouleversement : le CNPN existe depuis 1946 et travaille donc depuis des décennies sur ces sujets. On espère qu'il pourra continuer à fournir un travail de même qualité. Pour l'heure, nous allons vous présenter le fonctionnement du CNPN dans sa configuration actuelle, avec différentes instances : un comité permanent, que nous représentons, un certain nombre de commissions et le CNPN plénier, qui se réunit en réunion plénière trois ou quatre fois par an.

Concernant les grandes infrastructures, nous ne donnons des avis que sur les espèces protégées ; nous intervenons, je le répète, sur les demandes de dérogation à l'interdiction de destruction relative aux espèces protégées. L'avis du CNPN ne porte que sur ce point : les espèces protégées dans leurs habitats. Pour ce faire, l'avis du CNPN est fondé sur l'examen d'un dossier de demande de dérogation dans lequel le pétitionnaire, avec l'aide d'un bureau d'étude, doit argumenter, en vertu de la réglementation, sur les raisons impératives d'intérêt public majeur du projet qui doivent présider à cette demande, envisager l'absence de solutions alternatives et étudier la séquence « éviter-réduire-compenser » pour chacune des espèces protégées impactées, en vue de garantir ou d'améliorer l'état de conservation de ces espèces et de leurs habitats, ainsi que leurs relations avec la fonctionnalité des écosystèmes dans lesquels celles-ci sont présentes. Nous recevons un grand nombre de dossiers. Les dossiers courants sont traités directement par l'expert délégué « Faune », c'est-à-dire Michel Métais, et l'expert délégué « Flore », c'est-à-dire moi-même, avec une délégation du comité permanent du CNPN. Quelque 300 avis sont rendus par an : plus de 200 pour la commission Faune et une centaine pour la commission Flore.

Les dossiers un peu plus complexes ou présentant un enjeu plus important, soit 10 à 20 % des dossiers, sont examinés en commission : la commission Faune se réunit dix fois par an, contre cinq fois pour la commission Flore. Nous auditionnons les pétitionnaires, avec leur bureau d'étude, en présence parfois de représentants de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) ou de la direction départementale des territoires (DDT). Sur la base de ces auditions, nous donnons un avis.

Nous pouvons également procéder à des expertises préalables ou nous référer à des analyses réalisées par un certain nombre d'organismes : les conservatoires botaniques nationaux concernant la flore, l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) ou l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA), qui fait maintenant partie de l'Agence française pour la biodiversité (AFB), pour ce qui concerne la faune. Par ailleurs, les conseils scientifiques régionaux du patrimoine naturel (CSRPN) peuvent d'une certaine manière donner des pré-avis sur certains dossiers. L'avis de cette instance n'est pas nécessaire pour les dossiers relatifs à l'aménagement, mais il peut éclairer l'avis du CNPN : une instance régionale peut souvent avoir une connaissance plus fine du contexte local.

Les dossiers les plus importants sont ensuite examinés par le comité permanent - nous en sommes tous les trois membres -, après une pré-analyse par les spécialistes siégeant dans les commissions faune et flore. Sur certains dossiers, il arrive même que le CNPN plénier donne l'avis sur une demande de dérogation. Ce fut notamment le cas, voilà quelques années, pour le fameux dossier de la route du littoral à La Réunion.

En cas d'avis favorable sous conditions, le maître d'ouvrage doit suivre les conditions de l'avis favorable, qui sont reprises dans l'arrêté préfectoral - voire, parfois, ministériel, pour une trentaine d'espèces animales à enjeu national - de dérogation. Il revient à l'administration, au préfet et à ses services, qui peuvent aussi missionner d'autres structures, telles que l'ONEMA ou l'ONCFS, de vérifier que les conditions ERC sont bien suivies.

En cas d'avis défavorable - environ 15 % des cas -, le pétitionnaire doit revoir son projet et le modifier de manière à le rendre satisfaisant, pour répondre aux critères ERC, en vue de permettre le maintien ou la restauration du bon état de conservation des espèces protégées impactées par le projet et de leurs habitats. Il arrive que le projet soit abandonné après un premier avis défavorable, voire un deuxième, mais c'est relativement rare. Il arrive aussi que le préfet passe outre l'avis défavorable du CNPN, ce qui nous plaît moins. Ce fut le cas concernant la route du littoral à La Réunion. L'avis avait été défavorable à l'unanimité des votes exprimés, une solution alternative n'ayant pas été prise en compte. Les impacts indirects sur les carrières, notamment, ne figuraient pas dans le dossier, ce qui avait justifié notre avis défavorable. Malgré tout, le projet a été lancé et est apparemment en cours de réalisation.

J'en viens au bilan de la mise en oeuvre de la séquence ERC depuis la loi du 10 juillet 1976, sur lequel vous m'avez interrogé.

Vous l'avez noté, même si elle n'était pas vraiment appliquée, cette séquence figurait déjà dans la loi de 1976. Pour siéger depuis plus de trente ans au sein du CNPN, j'évoquerai parmi les premiers dossiers celui du barrage de Petit-Saut en Guyane, à la fin des années quatre-vingt, jugé insatisfaisant par le CNPN au regard des mesures d'évitement, de réduction et de compensation. On a vu le résultat : plus de 30 000 hectares de forêt tropicale noyés, des déplacements de populations de flore et de faune, avec des résultats très limités, et un impact très fort sur la qualité de l'eau du fleuve Sinnamary.

Le nombre de dossiers examinés a augmenté : nous sommes passés de quelques dossiers par an dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix à quelques dizaines, pour atteindre quelques centaines actuellement.

Globalement, cela s'est amélioré, mes collègues vous le diront. Nous regrettons toutefois que la demande de dérogation soit faite souvent trop tardivement, lorsque la déclaration d'utilité publique est prise, ce qui ne laisse pas une grande marge de manoeuvre pour envisager de réelles possibilités d'évitement ou de réduction des impacts de grande ampleur.

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