Vous nous demandez quel regard nous portons sur l'expérience de réserve d'actifs naturels menée dans la plaine de Crau.
D'un point de vue écologique, le CNPN estime qu'il s'agit d'une réussite dans la mesure où l'on a prévu une bonne trajectoire écologique en remplaçant un verger industriel, précédemment construit sur du « coussoul », par une steppe herbacée, en termes de mesure compensatoire. Si la compensation vise à restaurer ou recréer des milieux, l'expérience est ici très intéressante.
De plus, cette expérimentation s'est déroulée dans une zone à très fort enjeu écologique, le coussoul de Crau. On propose des mesures compensatoires pour des projets qui pourraient encore dénaturer ou détruire du coussoul. Le CNPN s'était alarmé de cette situation en 2009, en demandant un plan de sauvetage du coussoul de Crau.
Cela étant, du point de vue du génie écologique et de la démarche, cette expérimentation a toute sa valeur. Mais se pose, à l'arrière-plan, la question fondamentale du modèle économique de l'expérimentation de réserves d'actifs naturels. Actuellement, environ 50 % des actifs naturels ont été vendus dans la Crau.
L'initiative de la CDC Biodiversité a conduit l'État à réagir : un groupe de travail a été mis en place au sein du Commissariat général au développement durable, en vue de prévoir des expérimentations sur les actifs naturels, auquel le CNPN participe. Je formulerai deux observations.
D'une part, avec les trois expérimentations en cours, des questions se posent en termes de restauration écologique, de disponibilité du foncier et, surtout, de modèle économique eu égard aux investissements à faire au départ.
D'autre part, la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages s'est emparée de ce sujet, avec les projets d'agrément des sites naturels de compensation. Lors de la consultation du CNPN et de la consultation publique sur le projet de décret, il en ressort que ce décret devrait être affiné en traitant plus la question de la gouvernance - cela rejoint les questions que l'on se pose sur le suivi local et l'avis du CNPN. Quand on raisonne en termes de compensation, on raisonne à long terme - trente à cinquante ans. Se pose donc la question de la validité des actifs naturels sur une certaine période. Il faudrait également que le décret intègre beaucoup plus les considérations écologiques s'agissant des capacités à remettre des actifs correspondant aux besoins de compensation.
En ce qui concerne l'analyse du CNPN sur les autres projets que sont l'A65, la LGV Tours-Bordeaux et le projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes, nous n'avons pas tous les éléments, mais nous vous faisons part du regard que nous portons.
L'A65 est quasiment réalisée concernant les compensations. La LGV Tours-Bordeaux est en cours de réalisation. Concernant l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, mon collègue Serge Muller vous répondra.
S'agissant de l'A65, on était un peu dans l'euphorie du Grenelle de l'environnement. On essayait d'impulser une nouvelle dynamique sur la séquence ERC, avec des ambitions fortes en termes de mesures compensatoires, de surfaces et de réalisation. Globalement, le CNPN n'est pas impliqué dans le suivi de ce dossier et ne dispose pas de tous les éléments.
En revanche, le CNPN s'est impliqué dans le projet en cours de réalisation de la LGV Tours-Bordeaux : on a rendu pratiquement dix avis sur ce dossier. Lors de l'instruction du dossier, Réseau ferré de France (RFF) a demandé au CNPN de le conseiller dans la présentation du dossier de demande de dérogation, ce qu'il a fait. Au vu des dossiers déposés par la suite, il a donné un avis défavorable. Au titre de la législation relative aux espèces protégées, de la séquence ERC et de la loi sur l'eau et les milieux aquatiques, il nous semblait que le dossier aurait pu être plus abouti. Nous avons fait des recommandations pour le densifier.
L'autre élément fort, c'est que nous avions demandé dans notre avis de participer au comité de suivi. Ainsi, pour avoir pu assister régulièrement aux réunions du comité de suivi, nous avons listé différents éléments. Toutefois, il s'agit plus d'un constat - l'opération n'étant pas terminée - dont nous pouvons tirer des enseignements, en soulignant quelques points de vigilance.
Cette opération s'est déroulée à un rythme très rapide. Les arrêtés ont été pris en 2012 et la ligne sera fonctionnelle à la mi-2017. Nous nous interrogeons sur la capacité à disposer d'informations suffisantes en temps et en heure et sur la capacité qu'a le génie écologique à suivre le génie civil. Mettre en place des mesures compensatoires dans un territoire ne s'improvise pas ; cela se construit, c'est toute une approche qui est mise en place. Actuellement, on observe un décalage entre la réalisation progressive des mesures compensatoires et l'achèvement prochain des travaux de génie civil. Cela pose une question de fond, sur laquelle le CNPN a alerté l'État : comment les mesures prévues dans les arrêtés ministériels et interpréfectoraux vont-elles être appliquées, sachant que les mesures compensatoires devaient être mises en oeuvre au 31 décembre 2016 ?
Autre point important : comment évaluer une bonne mutualisation des mesures compensatoires entre espèces ?
Nous échangeons régulièrement sur ce sujet avec le pétitionnaire : il a imaginé un plafond théorique, sur lequel le CNPN ne se prononce absolument pas, et l'on connaîtra la surface et toutes les mutualisations lorsque le projet sera réalisé.
Il faut avoir à l'esprit les ordres de grandeur de ce dossier : 223 espèces protégées impactées, une surface de 25 000 hectares de mesures compensatoires, une emprise d'environ 5 400 hectares. On se demande à quelle hauteur les mesures compensatoires seront mises en place. Actuellement, le pétitionnaire évalue les mesures compensatoires à hauteur de 3 500 hectares environ, dans le cadre d'une mutualisation que nous estimons très forte et théorique ; mais, en l'état, nous ne pouvons pas encore l'examiner.
L'autre point important et révélateur, comme cela a déjà été souligné, concerne la capacité de l'État à assurer l'instruction, le suivi et le contrôle de tels dossiers, avec des compétences scientifiques, pour bien évaluer les équivalences écologiques et les mutualisations. Le CNPN a été quelque peu désemparé par la proposition du pétitionnaire de transformer des mesures surfaciques compensatoires en travaux de génie civil pour améliorer la transparence des ouvrages. Ce fut une première. On peut entendre la démarche, mais cela demande de construire un modèle fort et partagé.
Le CNPN rencontre aussi des difficultés sur un autre point : en fonction des dossiers, chaque pétitionnaire a sa méthode pour calculer les équivalences écologiques. Au titre d'une autre association, on avait alerté le ministère sur ce sujet, en demandant qu'une méthode claire et partagée par tous soit retenue.
La sécurisation foncière est également un point important. Cet exemple est également intéressant en la matière. La durée de la concession étant d'un demi-siècle, la durée des mesures compensatoires devrait correspondre au moins à cette durée. Mais on se heurte vite à des questions légitimes et compréhensibles, à savoir la capacité à opérer une maîtrise foncière qui soit durable dans le temps et l'espace. Un système de conventionnement est certes peut-être plus recevable et plus souple, mais on n'a aucune garantie en termes de durée. Se pose là une vraie question sur la sécurisation foncière des mesures compensatoires.
Je laisse la parole à mon collègue pour évoquer le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes.