Intervention de Serge Muller

Commission d'enquête Compensation des atteintes à la biodiversité — Réunion du 12 janvier 2017 à 14h05
Audition de M. Serge Muller vice-président du comité permanent et président de la commission « flore » de M. Michel Métais président de la commission « faune » et de M. Serge Urbano secrétaire du comité permanent du conseil national de la protection de la nature

Serge Muller, vice-président du comité permanent et président de la commission « Flore » du CNPN :

Le comité permanent a été saisi du projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes dans le courant de l'année 2012. Les commissions Faune et Flore ont examinés ces dossiers, puis le comité permanent a donné, avec un vote très partagé, en juillet 2012, un avis favorable sous conditions à la demande relative aux espèces protégées animales et végétales pour laquelle la dérogation avait été demandée à cette date. Ce n'est pas une autorisation de faire les travaux, c'est une dérogation par rapport à l'interdiction de destruction des espèces. Nous avions été assez incommodés, si je puis dire, en termes d'équivalences écologiques, par les unités de compensation qui nous ont été présentées.

Une dérogation a ensuite été demandée pour une autre espèce animale qui avait été découverte, le campagnol amphibie, pour lequel la commission Faune a donné un avis défavorable en avril 2014. S'agissant de la flore, une seule espèce figurait dans la liste initiale, mais il se trouve que trois autres espèces végétales protégées ont été découvertes depuis lors, qui n'ont pas encore fait l'objet de demandes de dérogation. Si le projet devait vraiment se poursuivre, il serait nécessaire de déposer une demande de dérogation, sinon cela constituerait un vice administratif.

J'ai également été impliqué dans ce dossier pour ce qui concerne l'impact sur les zones humides dans la mesure où j'appartenais au comité d'experts, composé de onze membres, nommé par le préfet de Loire-Atlantique pour examiner la dérogation relative aux zones humides. Après une dizaine de réunions et des visites sur le terrain pour rencontrer l'ensemble des parties prenantes, nous avons donné à l'unanimité un avis défavorable sur ce point. Un grand nombre de zones humides sont impactées. Or, du fait de l'évolution de ces milieux, où avait persisté une agriculture extensive à cause du projet d'aéroport, les habitats et les espèces protégées présents sont devenus relativement uniques. Il n'est pas possible de restaurer de tels milieux dans le contexte de changement global actuel, qu'il s'agisse du changement climatique, de l'intensification agricole ou du changement d'usage des terres : cela constituerait une perte de la biodiversité. Ces habitats, avec les espèces présentes dans les zones humides, sont devenus irremplaçables à l'identique. Ce point faisait partie des questions posées au niveau du schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), qui avait fixé comme condition d'acceptation du projet la création ou la restauration de zones humides équivalentes sur le plan fonctionnel et sur le plan de la qualité de la biodiversité. C'est pourquoi nous avons donné un avis défavorable à l'unanimité. Cet avis défavorable a été appuyé ensuite par une motion du comité permanent du CNPN en avril 2013.

Pour conclure, je voudrais insister sur les limites de l'exercice « éviter-réduire-compenser », qui ne constitue pas une solution miracle pour lutter contre les impacts sur le patrimoine naturel et la biodiversité. Je ne connais pas de projets actuels ne comportant pas un bilan en partie négatif sur un certain nombre d'espèces et sur leurs habitats, ne serait-ce que du fait de l'artificialisation de milieux. Ce n'est pas à partir d'anciennes routes que l'on recrée des milieux naturels. Mais ce n'est pas pour autant qu'il ne faut rien faire. L'objectif est de retenir la moins mauvaise solution après avoir évalué les raisons impératives d'intérêt public majeur, limité les impacts sur la biodiversité et essayé, autant que possible, de les compenser par des actions de restauration de milieux.

Mon collègue Thierry Dutoit que vous avez auditionné, au mois de décembre dernier, en tant que spécialiste des restaurations, vous a bien précisé que la restauration n'était pas satisfaisante dans la majorité des cas. Celle-ci est relativement facile pour la plaine de Crau parce qu'il s'agit d'agro-écosystèmes. On peut assez facilement restaurer ce milieu par le pâturage, même si la restauration n'est pas totale. Mais pour certains types de zones humides, il ne faut pas se leurrer : la restauration à l'identique, avec la même qualité de biodiversité, n'est pas possible.

Vous le voyez, on atteint là les limites de la démarche ERC. La nouvelle loi en tient compte : lorsqu'il n'est pas possible d'obtenir une compensation satisfaisante par rapport à nos critères, le projet ne doit pas être autorisé. L'ensemble des parties prenantes doivent mettre en balance les impacts sur la biodiversité et l'environnement, et l'intérêt public majeur que présente le projet. Les pouvoirs publics ont la responsabilité de prendre une décision en connaissance de cause.

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