Intervention de Mathieu Darnaud

Réunion du 17 janvier 2017 à 14h30
Égalité réelle outre-mer — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Mathieu DarnaudMathieu Darnaud, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur du Conseil économique, social et environnemental, mes chers collègues, dans leur rapport de 2014 rédigé au nom de la délégation sénatoriale à l’outre-mer sur les niveaux de vie dans les outre-mer, Éric Doligé et Michel Vergoz résumaient la situation actuelle des territoires ultramarins en ces termes : « Îlots de prospérité dans leurs environnements régionaux respectifs grâce aux politiques publiques menées depuis la Libération, les outre-mer, à des degrés divers, accusent cependant un net retard de développement par rapport à l’hexagone, retard qui se mesure parfois en dizaines d’années et dont la résorption se ralentit aujourd’hui, voire pour certains territoires tend à se creuser à nouveau. »

Ce constat est ancien et constant. Certes, au sein de leur environnement régional, nos territoires ultramarins, quels que soient leur statut institutionnel au sein de notre République et leur situation géographique, représentent un îlot de prospérité en comparaison de leurs voisins. Cependant, les écarts de niveaux de vie entre les populations ultramarines et la population hexagonale demeurent importants. Cette injustice est d’autant plus mal perçue que les Ultramarins bénéficient des mêmes droits que leurs concitoyens de l’Hexagone. Les événements sociaux dans les Antilles en 2008 et, plus récemment, à Mayotte en 2011 et à La Réunion en 2012 témoignent d’une certaine exaspération des populations ultramarines et de leur volonté de parvenir à un niveau de vie équivalent.

Pouvons-nous accepter qu’un peu moins de 3 millions de nos concitoyens ultramarins ne bénéficient pas des mêmes droits économiques et sociaux que ceux qui vivent dans l’Hexagone ? Bien sûr que non ! Il convient dès lors de fixer un socle juridique et économique opérationnel, afin d’aider les territoires ultramarins à définir les voies de leur développement qui leur paraissent les plus adaptées. Il convient d’être attentif aux propositions formulées par notre collègue rapporteur de la commission des lois de l’Assemblée nationale, M. Victorin Lurel, dans le cadre d’une mission destinée à réfléchir – vous y faisiez référence, madame la ministre – aux moyens de parvenir à une égalité réelle entre les territoires ultramarins et l’Hexagone. Ce projet de loi, que nous examinons à partir d’aujourd’hui, tente d’y apporter une réponse.

Cette recherche d’une égalité réelle entre territoires ultramarins et territoire hexagonal, que vous appelez de vos vœux, madame la ministre, est évidemment partagée par le Sénat. On peut cependant regretter que ce projet de loi arrive tardivement, en fin de législature, éveillant chez certains de nos collègues un soupçon d’affichage à la veille des prochaines échéances électorales.

Par ailleurs, le fort enrichissement de ce texte par l’Assemblée nationale a affaibli la portée initiale du projet de loi, en y intégrant des « cosmétiques » législatifs, souvent sans portée normative. D’autres ajouts sont satisfaits par le droit en vigueur. Enfin, plusieurs, sous couvert d’apporter à nos concitoyens ultramarins des dispositifs ambitieux, soulèvent d’importantes questions juridiques, souvent d’ordre constitutionnel.

Voilà pourquoi la commission des lois a souhaité redonner un souffle à ce projet de loi, qui en avait perdu à la suite de son adoption par l’Assemblée nationale. Elle a suivi deux directions.

La première a consisté à supprimer toutes les dispositions inutiles, non normatives ou déjà satisfaites par le droit en vigueur. La commission a également supprimé les dispositions qui soulèvent de nombreux risques d’inconstitutionnalité, à titre conservatoire, afin que le Gouvernement puisse déposer des amendements solides, ce que vous avez fait, madame la ministre.

Ainsi, à propos des dix-huit demandes de rapport du Gouvernement au Parlement, votre commission des lois a estimé que ces rapports ne sont pas toujours remis au Parlement, a fortiori dans les délais impartis. Le Gouvernement devrait plutôt se doter d’outils statistiques nécessaires pour suivre dans la durée l’évolution de la situation des collectivités ultramarines plutôt que d’encombrer l’administration centrale de demandes de rapports à remettre au Parlement au moment où les actions de convergence sont prioritaires. La commission a néanmoins conservé les deux rapports présentant un intérêt dans le cadre des plans de convergence prévus par le présent projet de loi, en matière de prospérité économique, d’une part, et de connectivité dans les domaines des transports et des déplacements, d’autre part. Elle a en revanche supprimé toutes les autres demandes de rapport.

Sa position a été identique à l’article 17, relatif à la discrimination en matière de domiciliation bancaire, qui remettrait en cause la récente harmonisation des critères de discrimination opérée dans les champs civil et pénal.

Votre commission a supprimé à titre conservatoire l’article 19, prévoyant un Small Business A ct, en ce qu’il soulevait un problème de constitutionnalité. Je remercie le Gouvernement des réponses qu’il a apportées à nos interrogations, et je me félicite du travail effectué par notre collègue Michel Magras ; nous soutenons son amendement.

Tout en partageant l’objectif de renforcement du dispositif de lutte contre le fléau de l’orpaillage illégal en Guyane, votre commission a supprimé à titre conservatoire l’article 29 bis, qui confère aux officiers de police judiciaire, ainsi qu’aux agents de police judiciaire, dans le seul cadre du dispositif de lutte contre l’orpaillage illégal en Guyane, le pouvoir de procéder à des confiscations et destructions de biens ayant servi à une exploitation minière illégale. Ces décisions relèvent exclusivement de la compétence des autorités judiciaires. Les dispositions retenues par l’Assemblée nationale se révèlent donc contraires à la Constitution. Or, pour combattre le fléau de l’orpaillage clandestin, on ne peut pas se contenter de dispositions d’affichage : il nous faut adopter des dispositifs pleinement opérationnels et solides juridiquement.

Enfin, la commission a supprimé l’article 48, estimant qu’une telle disposition était dénuée de portée juridique et que cadastrer l’ensemble du territoire guyanais, outre les moyens colossaux que cela nécessiterait, présentait un intérêt fiscal limité.

Le deuxième axe qui a irrigué les travaux de notre commission des lois a consisté à renforcer la cohérence juridique des dispositifs proposés.

Ainsi, à l’article 3 bis, la commission a supprimé la disposition selon laquelle la continuité territoriale devrait être assurée « indépendamment de l’obtention d’une quelconque autorisation préalable émanant d’un État tiers », estimant que cette précision portait atteinte à la souveraineté des États concernés.

À l’article 4, elle a simplifié l’architecture du dispositif des plans de convergence, en s’inspirant des propositions formulées par M. Lurel dans son rapport du mois de mars 2016. Les plans de convergence prévoiraient ainsi dès leur signature le choix du dispositif contractuel mis en œuvre et les actions à entreprendre, ainsi que leur programmation financière, à charge pour les signataires de les préciser dans des contrats de plus courte durée. Ce dispositif permet de concilier programmation à long terme et souplesse.

Enfin, à l’heure où nous parlons d’égalité réelle, je souhaite que soit aussi évoquée la différenciation territoriale, chère à notre collègue Michel Magras ; elle fait la richesse de notre pays, à condition qu’il se saisisse de cette chance. Notre défi est de prendre en compte les spécificités des territoires ultramarins pour, en fonction des situations, tirer chaque fois le meilleur parti de leurs atouts, tout en corrigeant leurs faiblesses. C’est à cette condition que nous parviendrons à réduire les différences et à avoir une convergence entre outre-mer et Hexagone.

Tels sont les principaux apports de la commission des lois du Sénat, qui clarifient un texte dont nos concitoyens d’outre-mer sont en droit d’attendre moins de postures que de dispositions efficaces et applicables.

Je tenais à remercier Mme la ministre de son écoute permanente. Je me félicite du travail que nous avons pu réaliser avec l’ensemble des rapporteurs pour avis. Mes remerciements s’adressent également à M. le rapporteur du Conseil économique, social et environnemental, ainsi qu’à M. le président de la commission des lois.

Enfin, je remercie M. le président du Sénat d’avoir permis la création de la délégation à l’outre-mer, donnant ainsi l’occasion aux sénatrices et aux sénateurs de l’Hexagone qui le souhaitent de travailler utilement sur ces dossiers.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion