Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les territoires d’outre-mer sont marqués depuis des décennies par des difficultés sociales et économiques, par des inégalités héritées de l’histoire coloniale que la République peine à résoudre. Les taux de chômage y sont deux fois plus élevés que dans l’Hexagone : 21, 3 % en Guyane en 2013, par exemple, et 29 % à La Réunion, selon l’Observatoire des inégalités. Les problèmes éducatifs, sanitaires, économiques, d’accès aux droits, d’accès aux services publics, d’accès à l’emploi sont régulièrement dénoncés par les habitants, les associations et les élus de ces territoires. Pourtant, les choses avancent peu.
Le projet de loi vise à répondre à une partie de ces problèmes. Il est donc attendu. Lorsque nous en avons pris connaissance, nous nous sommes d’abord interrogés sur le sens de son intitulé. Que pouvait bien vouloir dire le concept d’« égalité réelle » ? Serait-il possible d’imaginer que l’égalité soit autre chose que réelle ?
Dans la présentation du projet de loi, il est indiqué que l’égalité réelle est comprise dans le sens que lui donne Amartya Sen, qui a redéfini l’égalité à la fin des années quatre-vingt-dix. Elle s’étudie, selon lui, en regardant comment l’accès aux biens et aux services est converti en ce qu’il appelle des « capabilités », c'est-à-dire des possibilités d’action, des réalisations personnelles, des accomplissements. Lorsque l’on parle des outre-mer, on voit immédiatement que ces « capabilités » sont entravées, qu’elles ne sont pas les mêmes que dans l’Hexagone.
Cela fait écho à de nombreux exemples dont nous ont fait part les communautés amérindiennes que nous avons rencontrées en septembre dernier, la députée Marie-Anne Chapdelaine et moi-même, lors de notre mission en Guyane. Au cours de cette mission parlementaire sur l’épidémie extrêmement préoccupante de suicides des jeunes Amérindiens de Guyane, signe d’un mal profond, nous avons en effet rencontré des habitants de tous âges, beaucoup de jeunes et de femmes, des villages de l’intérieur. Ils sont volontaires, ils ont de nombreux projets, mais leurs actions et leur motivation ne trouvent que trop peu d’écho.
Pourquoi ne pas développer davantage les formations, les apprentissages et les emplois utiles sur place, au plus près des gens ? Lors de notre déplacement en Guyane – exemple représentatif –, la mission locale de Maripasoula était fermée depuis un an et demi, pour une durée indéterminée et sans raison explicite.
Les problèmes sont nombreux. Le projet de loi et les treize titres qui le composent montrent bien l’étendue de la tâche. Le plan de convergence qu’il propose est plein de bonnes intentions. Ce texte nous semble donc aller dans le bon sens, mais encore faut-il que les objectifs soient atteints. Il faut pour cela mettre en place les mécanismes nécessaires.
La République est unique et diverse, c’est son indubitable richesse. Mais c’est là que réside aussi la difficulté, par exemple lorsqu’il faut mettre en place des politiques publiques. Il n’est pas possible de calquer ce qui est mis en place dans l’Hexagone de façon indifférenciée en outre-mer. Vous venez d’insister sur ce point, madame la ministre. Vous avez également indiqué vouloir encourager des stratégies différenciées et coconstruites. Il nous semble que cette démarche va dans le bon sens.
Nous avons déposé des amendements s’inscrivant dans cette ligne et portant notamment sur l’accès à l’éducation en langue maternelle, sur l’information des jeunes en matière de santé, sur le renforcement de la représentation institutionnelle des populations autochtones, notamment sur la transformation du Conseil consultatif des populations amérindiennes et bushinenges en grand conseil coutumier, auquel nous proposons de donner un pouvoir et une capacité d’initiative beaucoup plus importants. Nous proposons également – nous insistons sur ce point – la création d’un observatoire du suicide en Guyane, pour s’attaquer enfin, de façon spécifique et au plus près du territoire, à ce problème grave, douloureux, insupportable. C’est tout à fait nécessaire pour créer rapidement les conditions d’un mieux-être pour tous ces jeunes qui n’ont plus d’espoir en l’avenir.
Nous souhaitons par ailleurs réintégrer l’article instaurant un jour de commémoration nationale de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions, ainsi qu’une journée en hommage aux victimes de l’esclavage colonial.
Enfin, nous proposons de réintégrer des mesures supprimées en commission au Sénat visant à lutter contre l’orpaillage illégal, dont nous avons vu les ravages en Guyane, tant sur la sécurité que sur la santé des habitants, le mercure utilisé par les orpailleurs illégaux étant rejeté dans les cours d’eau.
Pour aller plus encore au fond des choses, le groupe écologiste regrette que certaines mesures structurelles, dont nous avons demandé la mise en place à plusieurs reprises, ne soient toujours pas proposées sur plusieurs sujets majeurs.
Sur le plan énergétique, d’abord. Jean-François Mayet, rapporteur pour avis de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, a évoqué la question : comment se fait-il, alors que les ressources naturelles sont particulièrement favorables, qu’un plan ambitieux de promotion des énergies renouvelables ne soit pas encouragé ? Solaire, éolien, biomasse : dans tous ces territoires, il y a des possibilités énormes. Nous proposons donc de renforcer l’autonomie énergétique, de développer des filières modernes et d’offrir, à tous les niveaux, des formations et des emplois dans ces secteurs à une population dont vous avez relevé, madame la ministre, les atouts et le talent.
Sur le plan économique, ensuite : pourquoi ne pas encourager davantage les productions locales en agriculture et en aquaculture ? Pourquoi ne pas plus valoriser la pêche et toutes les industries de transformation ?
Sur le plan environnemental, enfin : des menaces graves pèsent sur la biodiversité, dans des régions où elle est souvent fragile, les territoires insulaires notamment. Je pense aux coraux en Nouvelle-Calédonie, à la forêt amazonienne, menacée par l’orpaillage, au mercure dans l’eau des fleuves en Guyane. Je pense aussi aux dangers de l’exploitation minière si elle est insuffisamment encadrée.
Il faut aborder ces enjeux immenses, structurels, si l’on veut renforcer la lutte contre le chômage, contre la pauvreté, contre la vie chère. De nombreux produits alimentaires ou industriels sont importés, à très haut prix, notamment de l’Hexagone, alors qu’un développement plus endogène permettrait d’avoir un impact environnemental moindre, des prix plus doux et une production locale au service de l’emploi et de l’initiative des habitants.