Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur du CESE, mes chers collègues, l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen le proclame : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. » Or force est de constater que partout des inégalités demeurent. C’est le cas entre les territoires ultramarins, entre ces territoires et l’Hexagone, et parfois même au sein d’un même territoire.
Sans en faire un débat philosophique, comment appréhender ce concept d’« égalité réelle » ? Devons-nous, nous, Ultramarins, accepter ces inégalités comme une fatalité, essayer de tout aligner sur les indicateurs nationaux ou devons-nous concevoir qu’il est impératif de réduire les écarts là où c’est encore possible et accepter que nos territoires soient différents et évoluent dans des aires géographiques différentes ? Comme le disait très justement Aimé Césaire lors des débats relatifs à la loi de départementalisation de 1946, « il n’y a pas d’égalité “adaptée”, il n’y a pas d’égalité “globale”. L’égalité est ou n’est pas ».
Dès à présent, je tiens malgré tout à souligner que, pour un sujet de cette importance, la procédure accélérée ne me semble pas avoir sa place. Une réflexion d’ensemble sur les inégalités et les écarts de niveau de vie dans les outre-mer aurait mérité une discussion sereine et plus approfondie ; les remarques sur le calendrier de l’élection présidentielle à venir auraient ainsi été évitées.
Le défi à relever aujourd’hui est celui de la persistance de retards nombreux et divers, malgré un nombre important de politiques volontaristes engagées ces dernières décennies ; sans être exhaustif, je peux citer la loi de programme de 1986, la LOOM, la loi d’orientation pour l’outre-mer, ou encore la LODEOM, la loi pour le développement économique des outre-mer.
Ce projet de loi, présenté en conseil des ministres au cours de l’été 2016, fait suite au rapport du député et ancien ministre des outre-mer Victorin Lurel sur l’égalité réelle outre-mer, remis au Premier ministre le 18 mars 2016 et qui a largement inspiré le présent texte. Cependant, comme l’ont souligné tous les rapports des six commissions du Sénat saisies, le texte a fait l’objet d’évolutions substantielles lors des discussions à l’Assemblée nationale, passant de 15 à 116 articles.
Lors de son examen en commissions au Sénat, il a de nouveau fait l’objet de profondes modifications, soit parce qu’elles relevaient du domaine réglementaire et non de la loi, soit parce que le Sénat, fidèle à sa ligne de conduite, s’est prononcé afin de se recentrer sur l’essentiel, notamment en supprimant les trop nombreux rapports votés par l’Assemblée nationale.
La diversité des dispositions du texte reflète bien les différents domaines dans lesquels doit être donnée une dynamique nouvelle, qu’il s’agisse du logement, de la mobilité, de la continuité territoriale, de l’éducation, de la fiscalité, de l’environnement, de l’agriculture, et j’en passe. Dans la plupart de ces domaines, les inégalités et les écarts sont notables, et il y a même parfois urgence à agir. C’est le cas notamment en matière économique. Le PIB moyen par habitant est partout inférieur à celui de l’Hexagone : 31 % pour la Martinique, 38 % pour la Guadeloupe et jusqu’à 73 % pour Mayotte ; à Saint-Martin, en l’absence de statistiques récentes, il est de l’ordre de 45, 6 %. Idem pour ce qui concerne le taux de pauvreté, en moyenne deux fois plus important que dans l’Hexagone.
Le taux de chômage est trois fois supérieur dans la plupart des collectivités ultramarines. En matière socio-sanitaire, 24, 5 % des ménages perçoivent le RSA socle, contre 4, 4 % en métropole ! En matière de logement, d’après le rapport Letchimy, 13 % des logements sont insalubres. Le taux de mortalité infantile est compris entre 4, 5 ‰ en Nouvelle-Calédonie et 16, 1 ‰ à Mayotte, alors qu’il est de 3, 6 ‰ en France hexagonale.
En matière d’éducation, selon les chiffres de la journée défense et citoyenneté, 9, 9 % des jeunes sont en difficulté de lecture en France métropolitaine, alors que ce taux varie entre 27, 7 % à La Réunion et 74, 6 % à Mayotte. Le décrochage scolaire atteint également des sommets intolérables.
Tous ces chiffres constituent des indicateurs révélateurs de précarité. Quel élu accepterait sur son territoire de tels écarts de richesse, de santé ou d’éducation sans être révolté ?
Ainsi, même si ce texte n’est pas parfait et même si des inégalités persistent après son adoption, il constitue indiscutablement une avancée de plus. Toute amélioration est bonne à prendre ! D’ailleurs, notre rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, Mme Deseyne, a bien cerné la difficulté : « Il semble en effet que l’objectif n’est pas ici d’aboutir à une uniformité complète entre ces territoires et l’hexagone, qui serait de toute façon chimérique, tant ils font face à des enjeux et des situations de développement contrastées. »
C’est donc vers une dynamique de convergence qu’il faut tendre.
Lors des débats, chaque territoire trouvera donc un défenseur en son représentant, qui évoquera ses difficultés propres. Aussi, en ce qui me concerne, j’insisterai particulièrement sur la situation de la collectivité d’outre-mer de Saint-Martin, que j’ai l’honneur de représenter.
Sans revenir sur le passé et sans trahir la vérité, je peux dire, en présence de Jacques Gillot, ancien président du conseil départemental de la Guadeloupe, que des disparités existaient déjà entre la Guadeloupe et Saint-Martin. Malgré l’évolution institutionnelle que nous avons choisie, la compensation financière intégrale des charges liées au transfert de compétences n’existe toujours pas et, au final, des disparités se sont encore accrues si l’on tient compte des compétences nouvelles ajoutées depuis 2012, là encore sans compensation financière aucune.
De plus, Saint-Martin manque toujours d’équipements structurants, indispensables à son développement économique, tels qu’un port, un aéroport, des routes. Il n’existe pas de structure d’accueil pour les personnes âgées, pour les personnes privées de liberté, en situation de handicap, pour les femmes victimes de violence, il n’y a aucun cursus post-bac pour nos lycéens, et peu ou pas de continuité territoriale…
Le nombre de demandeurs d’emploi est sans cesse en augmentation. Le taux de chômage demeure situé à plus de 30 % ; les jeunes et les femmes sont les plus concernés sur mon territoire : ces dernières représentent près de 60 % des chômeurs.
L’IEDOM souligne également que le secteur du BTP est en difficulté depuis 2009 en raison de la carence de la commande publique, ce qui induit des conséquences sur l’offre de travail.
Pour toutes ces raisons, je prendrai une part active aux débats et je défendrai des amendements visant à améliorer le texte en ce qui concerne, notamment, mon territoire. Certains de ces amendements trouveront un écho favorable, d’autres peut-être moins. Je m’efforcerai de porter des revendications légitimes, tout en étant conscient que ce merveilleux territoire dispose également de réelles potentialités qui ne demandent qu’à s’exprimer, pour que Saint-Martin trouve sa juste place au sein de la République et contribue au rayonnement international de la France.
Il me semble utile de le souligner, je me rends compte avec joie que mes collègues sénateurs sont de plus en plus nombreux à s’intéresser et à connaître les problématiques ultramarines, peut-être aussi grâce au travail de notre délégation à l’outre-mer, sous les présidences de Serge Larcher, puis de Michel Magras.
Le groupe du RDSE, profondément attaché aux droits et libertés fondamentaux, approuvera ce texte en ce qu’il constitue une avancée supplémentaire vers une société davantage faite de justice et d’équilibre entre les territoires.