Intervention de Serge Larcher

Réunion du 17 janvier 2017 à 14h30
Égalité réelle outre-mer — Discussion générale

Photo de Serge LarcherSerge Larcher :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur du CESE, mes chers collègues, c’est avec une émotion particulière que je m’adresse à vous aujourd’hui. En effet, les hasards du calendrier ont voulu que ce soit sur ce texte, qui me tient particulièrement à cœur, que je prenne la parole, dans cet hémicycle, pour l’une des dernières fois peut-être.

Je salue l’opportunité et l’importance de ce projet de loi, très attendu, que nous discutons en cette fin de mandature. Il répond à l’un des soixante engagements de campagne du Président de la République, celui d’encourager un nouveau modèle de développement de l’outre-mer. En effet, nul développement n’est possible si la question des handicaps structurels des outre-mer n’est pas abordée sérieusement. Nos territoires ont certes des atouts, mais leurs potentiels ne pourront véritablement être mobilisés au sein de la République que si cette dernière est en mesure de donner les mêmes chances à l’ensemble de ses citoyens et acteurs économiques.

L’égalité des droits est une première étape. Les outre-mer l’ont patiemment conquise, comme en témoigne toute leur histoire. Pour autant, cette égalité formelle n’a pas mis fin aux écarts sociaux et économiques, considérables, entre les outre-mer et le reste de la France. Les solutions généralement imaginées pour y remédier n’ont jamais produit les effets escomptés. Elles s’apparentent plutôt à des cautères sur une jambe de bois.

De surcroît, cette situation alimente injustement le sentiment que les outre-mer vivent « sous perfusion » et qu’à cet égard ils ne sont pas en position d’exiger mieux et plus. Or le destin des Ultramarins est solidaire de celui de la France : chaque fois qu’il a fallu défendre les valeurs de la République, les Ultramarins ont répondu présent. Dans les tranchées de Verdun, ils étaient là ! Contre l’arbitraire du gouvernement pétainiste, ils étaient là ! Et nombre d’entre eux sont venus gonfler les rangs de l’armée de la France libre et de la Résistance, en partant en dissidence sur de frêles esquifs, au péril de leur vie. De tout temps, ils ont payé l’impôt du sang !

L’égalité réelle implique un changement de paradigme quant aux conditions du développement des outre-mer. C’est à la République de promouvoir une égalité des chances plutôt qu’un saupoudrage de dispositifs dérogatoires.

Il y a, dans l’égalité des droits, quelque chose de l’ordre du virtuel, d’un possible inachevé… Par prolongement de l’égalité des droits, l’égalité réelle suppose que ce principe politique soit rendu effectif par la mise en œuvre de politiques concrètes.

Condorcet évoque cette notion, au lendemain de la Révolution, dans son ouvrage Cinq mémoires sur l’instruction publique. Dès cette période, l’éducation est identifiée comme le premier levier d’une égalité de fait : « Les lois prononcent l’égalité dans les droits, les institutions pour l’instruction publique peuvent seules rendre cette égalité réelle. » Près d’un siècle plus tard, en 1870, Jules Ferry met en exergue la même idée : « Avec l’inégalité d’éducation, je vous défie d’avoir jamais l’égalité des droits, non l’égalité théorique, mais l’égalité réelle. » Très tôt, la notion d’égalité réelle est donc associée à l’idée d’une égalité des chances.

Ce concept a été développé et approfondi par John Rawls, puis par Amartya Sen à la fin du XXe siècle. Les apports de Sen, en particulier, ont ceci d’intéressant qu’ils démontrent que la redistribution ne suffit pas à assurer l’égalité. Pour atteindre véritablement l’égalité, il est également nécessaire de créer des conditions sociales et de savoirs permettant d’optimiser les ressources dont on dispose. L’égalité des chances suppose donc que l’État dépasse sa fonction providentielle de compensation des inégalités pour parvenir à un rôle de prévention du développement desdites inégalités, en agissant notamment sur les causes.

À ce titre, le projet de loi qui nous est présenté comporte des dispositions essentielles d’un point de vue non seulement économique, mais également historique. Ainsi, l’article 12 prévoit la création d’un « fonds de continuité » pour favoriser le retour des Ultramarins dans leur région d’origine. L’article 34 met également en place une expérimentation pour attirer de jeunes talents, jeunes diplômés susceptibles de créer des activités outre-mer.

Pour ceux qui sont restés « au pays », il est difficile de sortir du cycle de paupérisation constitué par l’absence de qualification permettant d’accéder aux emplois tertiaires, le chômage de masse et l’institutionnalisation des petits boulots, fréquemment non déclarés. À cet égard, le parcours progressif de formalisation des activités économiques, prévu à l’article 13, ainsi que la reconnaissance de la pluriactivité, à l’article 10 septies, sont des avancées notables de ce projet de loi, qui en compte bien d’autres.

L’un des plus grands défis que nous devons relever est celui de l’éducation et de la formation. Il n’y a pas de développement économique et social possible pour nos outre-mer sans un véritable « plan Marshall » en matière d’enseignement initial et de formation professionnelle. Certes, la question des savoirs et de leur transmission se pose au niveau national. Pour autant, cette préoccupation doit faire l’objet d’un examen et de moyens particuliers pour nos territoires, affectés par un niveau d’échec scolaire, un manque de qualifications et un taux de chômage insupportables, voire dangereux pour l’équilibre et le vivre ensemble au sein de la société ultramarine.

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