Intervention de Ramon de Miguel

Commission d'enquête Frontières européennes et avenir espace Schengen — Réunion du 11 janvier 2017 à 15h00
Audition de M. Ramon de Miguel ambassadeur d'espagne en france

Ramon de Miguel, ambassadeur d'Espagne en France :

Je suis très heureux de coopérer avec le Sénat français, d'autant que ces questions très importantes me tiennent à coeur. La France et l'Espagne coïncident totalement sur le contrôle aux frontières. Cela a été mentionné hier matin place Beauvau par nos ministres de l'intérieur respectifs lors de leur entretien, dont plus de la moitié a été consacrée à l'immigration. Ils sont attachés à mener la politique communautaire dans un sens conforme à leurs voeux.

Cette coopération a donné de bons résultats. Elle concerne aussi les pays frontaliers, Sénégal, Mauritanie, Maroc et Mali. Le Gouvernement français est tout à fait d'accord pour partager ces efforts.

J'ai bien reçu votre questionnaire. Beaucoup de ces questions sont compliquées et certaines d'entre elles sont difficiles.

Sur la première, concernant l'espace Schengen, l'Espagne s'est fermement engagée pour la libre circulation des personnes et l'acquis Schengen, dont elle est membre depuis la première heure. J'étais secrétaire d'État aux affaires européennes lorsqu'il a été créé et j'étais alors, avant que l'on institue le Conseil Justice et affaires intérieures (JAI), le ministre en charge de Schengen pour mon pays. Je connais donc Schengen depuis l'origine, lorsque c'était une question intergouvernementale et que le ministère des affaires étrangères essayait d'établir cet apport nouveau qui a pris corps ensuite avec le traité d'Amsterdam et la création d'un espace de justice, de sécurité intérieure et de liberté commun à l'Union européenne, puis a fini avec le Conseil JAI et l'acquis qui s'est développé ensuite.

Dès la première heure, nous sommes acquis à Schengen et avons soutenu toutes les initiatives qui y sont liées. D'ailleurs, celles qui ont pris forme au conseil de Tampere, comme vous le savez, étaient espagnoles.

Nous sommes convaincus qu'il faut préserver un contrôle adéquat des frontières et qu'il est essentiel de garantir la libre circulation au sein de l'espace Schengen, mais pour cela, nous devons nous assurer que le système Schengen fonctionne comme il le doit, et il comporte beaucoup de « trous ».

Plusieurs initiatives sont en marche, que nous soutenons, comme le système EES (système d'entrée et de sortie), système de recueil des données d'entrée et de sortie de nationaux d'États tiers, avec accès de la police aux bases de données. Le système proposé contribuera à une gestion efficace des séjours de courte durée autorisés, à une plus grande automatisation des contrôles frontaliers, ainsi qu'à une meilleure détection des faux documents et des usurpations d'identité. Nous y travaillons, aux côtés de nos collègues français. Le Conseil européen de décembre 2016 a demandé aux colégislateurs d'arriver à un accord sur ce système EES pour juin 2017.

Ensuite, nous travaillons aussi à une modification du code de frontières Schengen. L'Espagne et la France soutiennent également que soient enregistrées l'entrée et la sortie par les frontières extérieures des nationaux des États membres, au travers de contrôles systématiques d'entrées et de sorties des personnes bénéficiant de la libre circulation. La définition de la base juridique de cette mesure est toujours en cours, mais une adoption formelle par le Parlement européen est attendue en février 2017. Encore une initiative pour laquelle nous avons la satisfaction de voir que les choses avancent !

J'en viens à l'objet d'un débat qui s'est prolongé longtemps : le PNR. Après trois ans de travaux et de négociations avec le Parlement européen, la directive PNR a finalement été approuvée en avril 2016. L'Espagne, avec la France, a fermement défendu sa nécessité depuis le début. Les travaux nécessaires à sa mise en route sont en cours.

L'ETIAS est une autre initiative. Il s'agit d'un système informatique basé sur le web et une application pour portables qui requiert une série de données de la part de tous les nationaux des pays tiers exemptés de visas qui souhaitent voyager dans l'espace Schengen. Une fois réalisées les opérations pertinentes, le système accorde, ou refuse, une autorisation de voyage, qui sera exigée au poste frontalier d'entrée, mais aussi par les transporteurs qui mèneront la personne concernée dans l'espace Schengen. Cependant, une autorisation de voyage par l'ETIAS ne se substitue pas aux contrôles frontaliers.

L'objectif de l'ETIAS est de compenser le nombre croissant de pays tiers dont les nationaux n'ont pas l'obligation de présenter un visa pour des séjours de longue durée. Ce sera particulièrement important pour les entrées par la frontière terrestre, étant donné que grâce à l'API (Advanced Passenger Information) et au PNR, on dispose déjà d'une information avancée sur la plupart des voyageurs qui accèdent par voie aérienne ou maritime. Il s'agit d'un système similaire à ceux qui fonctionnent dans d'autres pays, comme l'ESTA aux États-Unis ou les ETA au Canada et en Australie.

Nous avons toujours défendu la création de l'ETIAS. L'Espagne défend l'idée que l'ETIAS soit facilement accessible aux forces de sécurité chargées des enquêtes sur les délits graves et le terrorisme. Le groupe de travail sur les frontières commencera à examiner la proposition de l'ETIAS afin d'aboutir à une approche générale du Conseil au premier semestre 2017.

Le Système européen commun d'asile et de réforme (SECA) est très important. La crise des réfugiés et ses implications pratiques pour les États membres ont en effet mis en évidence la nécessité de modifier les normes qui régulent ce système. Sa réforme se compose de sept propositions législatives.

En résumé, l'importance du critère du premier pays d'entrée dans l'Union européenne comme État membre responsable s'accentue et s'applique désormais avec un caractère permanent - jusqu'à présent sa durée est de 12 mois -, ce qui implique une charge additionnelle significative pour les pays qui forment la frontière Sud de l'Union européenne avec les pays tiers. L'objectif est d'éviter les mouvements secondaires. Ainsi, l'État qui les reçoit le premier s'assure que les demandeurs d'asile ne partent pas dans la nature.

En contrepartie de la règle de la responsabilité permanente, il est prévu un mécanisme correcteur de solidarité, qui envisage la répartition/réimplantation des demandeurs, laquelle ne se limiterait pas aux situations de crise, mais agirait de manière permanente et automatique à partir d'un seuil déterminé : soit 150 % du quota correspondant à un État, en intégrant les demandes dont il est responsable, y compris les réinstallations qu'il a effectuées. Le quota de chaque État membre est établi à partir de deux critères, le PIB et la population (à parts égales). Il s'agit donc d'un mécanisme de répartition obligatoire des demandeurs d'asile.

L'objectif de réduire les mouvements secondaires entre les États membres de l'Union européenne devient prioritaire. Pour cela, en plus d'aspirer à une plus grande convergence entre systèmes d'asile, est prévue l'obligation de demeurer dans l'État membre responsable de la demande. Des pénalités sont prévues, y compris la possible révision des conditions d'accueil dont ils bénéficient pendant la procédure.

Nous devons aspirer à une plus grande surveillance des systèmes d'asile nationaux. Le monitoring et le contrôle s'intensifient, afin que les États membres respectent effectivement le SECA. À cette fin, le Bureau européen d'appui en matière d'asile (EASO) est doté du statut d'agence indépendante et son mandat est élargi aux fonctions de monitoring et d'évaluation des systèmes d'asile nationaux, comme cela a été fait avec Frontex.

Quant à votre deuxième question, portant sur les services compétents en matière de surveillance des frontières intérieures et extérieures, nous avons un système identique. Nous avons la chance de bénéficier, en plus de notre police nationale, de la Guardia Civil, identique à votre Gendarmerie nationale. Ce sont des corps de police à statut militaire, commandés par des militaires de carrière, qui coopèrent d'ailleurs, en France et en Espagne, sont sur la même longueur d'onde et travaillent ensemble. C'est l'une des actions dont je suis le plus fier en tant qu'ambassadeur d'Espagne en France : notre coopération dans ce domaine est un modèle inégalé au sein de l'Union européenne. Les généraux qui dirigent la Guardia Civil et la Gendarmerie se connaissent et sont en contact continu. Il en va de même des directeurs de la police. Les ministres de l'intérieur se sont vus, je vous l'ai dit, et vont encore se revoir pour un sommet bilatéral en février. Nous pouvons être très fiers de cette complémentarité et du travail en commun de nos deux corps de sécurité, avec nos services de renseignement qui sont toujours en appui, faute de quoi ces forces de sécurité rencontreraient des problèmes pour accomplir leurs tâches.

Nous devons être satisfaits de cette coopération. Quant aux frontières, notre police fait exactement la même chose que la vôtre, elle les contrôle et la Guardia Civil agit exactement de même que votre Gendarmerie, avec les moyens aériens, maritimes et terrestres qui sont les siens. Elle réalise également des contrôles, notamment d'identité sur l'ensemble du territoire. Elle est responsable du contrôle des aéroports, de la ligne de côte et des frontières extérieures. Les deux corps ont les mêmes compétences en matière d'enquêtes afin de lutter contre l'immigration irrégulière, ainsi que pour réprimer la délinquance, le trafic de drogues et le terrorisme.

Il est très compliqué de fournir des chiffres sur les effectifs affectés à la lutte contre l'immigration irrégulière et au contrôle aux frontières, En 2015, les effectifs qui ont travaillé sur ces questions se sont élevés à 6 600 policiers et 9 700 guardias civiles, même s'ils ont aussi effectué d'autres tâches, soit quelque 16 000 agents au total.

J'en viens à votre troisième point, sur les problèmes concrets et spécifiques auxquels l'Espagne est confrontée dans la mise en oeuvre de l'espace Schengen, et sur la façon dont elle a été touchée par la crise migratoire. Ces problèmes tiennent au fait que l'Espagne est une frontière extérieure de l'Union européenne, comme vous pouvez le voir sur la carte qui orne cette salle : nous sommes confrontés aux flux qui viennent de l'Atlantique, non seulement du Maroc, mais aussi de l'Amérique latine, et à ceux en provenance de la Méditerranée, en termes d'immigrants illégaux, mais aussi de cartels de drogues, etc. Cette pression migratoire a commencé dès les années 1990 et se poursuit. Peut-être cela nous donne-t-il une longueur d'avance car nous avons été confrontés au problème avant d'autres.

L'Espagne est peut-être un modèle en Europe, parce que nous avons beaucoup contrôlé, à cause des problèmes que nous avons rencontrés, en développant très tôt une politique dont nous croyons qu'elle doit maintenant se déployer à l'échelle de l'Union européenne.

Nos flux d'arrivants étaient composés essentiellement de ressortissants de pays du Maghreb, qui traversaient le détroit de Gibraltar dans des bateaux de fortune, faciles à arrêter. Depuis le début des années 2000, des ressortissants de pays de l'Afrique subsaharienne et sahélienne sont arrivés, en essayant d'entrer sur notre territoire, surtout par les îles Canaries, à quelque 100 milles des côtes africaines, et par les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla.

Dès le début, nous avons conclu des accords avec le Maroc, sur le retour de ceux qui ne sont pas demandeurs d'asile mais migrants économiques. C'est un point important. Ce n'est pas facile, mais il faut le faire. Il faut aussi développer une certaine connaissance, car comment savoir d'où viennent les gens qui se trouvent sur ces embarcations ? Nous avons surtout développé un dialogue avec les pays d'origine : nous conditionnons notre aide au développement à notre coopération avec eux dans ce domaine. Nous avons aussi rencontré dès le début les mafias, les organisations criminelles, qui s'enrichissent de l'immigration illégale. Dès les années 1990, nous avons identifié ces réseaux qui furent un temps marocains.

Les Marocains ont très bien agi et ont éliminé ces réseaux. Au début, ces trafiquants venaient en effet d'Afrique du Nord. Maintenant, grâce aux initiatives du gouvernement marocain, ils ont disparu. Bien sûr, il a fallu coopérer et les équiper de moyens appropriés pour obtenir ce résultat.

Les flux actuels sont dus à des causes multiples, dont la guerre en Syrie, la déstabilisation régionale en Afrique du Nord et au Sahel, en Afrique de l'Est ont affecté principalement la Méditerranée orientale, parce qu'ils savaient que notre côté était « blindé ».

En 2015, nous avons enregistré une forte progression des arrivées de migrants, surtout des demandeurs d'asile, qui sont presque tous Syriens. Par la mer, l'immigration a augmenté de 16 % par rapport à 2014, soit 5 000 personnes. Par voie terrestre, via Ceuta et Melilla, elle a augmenté de 55 % en 2015.

Nous avons eu 5 952 demandeurs d'asile en 2014, auxquels nous avons donné 1585 avis favorables, en 2015, nous en avons eu 14 887 pour 1 020 avis favorables ; en 2016, sur 16 435 demandes d'asile, nous en avons accordées 6 868.

Nous appliquons le même système à tout le monde. Ces demandeurs d'asile sont dans leur grande majorité Syriens. Il y a très peu d'Afghans et presque pas d'Erythréens. La plupart de ces Syriens arrivent par Ceuta et Melilla. Au début, en 2013-14, ils présentaient de faux documents, puis ils sont venus avec leurs documents légaux, on les accueille et l'on mène la procédure d'asile. Je précise que 85 % sont des Syriens. Le volume de ces flux a diminué considérablement après l'accord avec la Turquie du 18 mars 2016, qui nous satisfait et correspond aux cinq piliers de notre politique d'immigration : coopération avec les États tiers ; contrôle des frontières ; lutte contre le trafic de personnes ; projets de coopération sur le terrain avec les pays émetteurs ; politique de retour dans le pays d'origine, refoulement. Certains ne veulent pas parler de ce dernier point. Mais tous ces points sont liés. On ne peut refouler sans coopération avec les pays émetteurs, et ainsi de suite. Nous ne pouvons rien faire, dans la position géographique qui est la nôtre, France et Espagne, sans accord avec les pays du Sud. Nous avons une très bonne relation avec la partie occidentale de l'Afrique.

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