Commission d'enquête Frontières européennes et avenir espace Schengen

Réunion du 11 janvier 2017 à 15h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • asile
  • espagne
  • frontex
  • frontière
  • immigration
  • migratoire
  • schengen

La réunion

Source

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

Notre commission d'enquête a exprimé le souhait d'entendre les ambassadeurs de plusieurs États membres de l'Union européenne confrontés aux conséquences de la crise migratoire. Nous avons auditionné l'ambassadeur de Hongrie la semaine dernière. Aujourd'hui, nous avons la chance d'accueillir M. Ramon de Miguel, ambassadeur d'Espagne en France.

Quelle est la position de l'Espagne sur le fonctionnement de l'espace Schengen ? Comment votre pays a-t-il été touché par la crise migratoire ? L'Espagne a mis en oeuvre des accords de coopération avec différents pays de la rive Sud de la Méditerranée - je pense en particulier au Maroc - pour réguler les migrations. Pourriez-vous nous en parler ? Quelle est la situation spécifique des enclaves de Ceuta et Melilla ?

De même, pourriez-vous nous exposer la position de votre pays dans les négociations au Conseil sur les mesures préconisées, et pour certaines d'entre elles déjà entrées en application, pour améliorer le fonctionnement de l'espace Schengen ?

Telles sont quelques-unes des questions qui intéressent notre commission d'enquête.

Nous vous avons adressé un questionnaire qui peut constituer le « fil conducteur » de votre intervention. Je vous propose de vous donner la parole pour un propos liminaire de dix à quinze minutes, puis j'inviterai mes collègues, en commençant par notre rapporteur, François-Noël Buffet, à vous poser des questions.

Cette audition est ouverte à la presse et diffusée en direct sur le site Internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.

Debut de section - Permalien
Ramon de Miguel, ambassadeur d'Espagne en France

Je suis très heureux de coopérer avec le Sénat français, d'autant que ces questions très importantes me tiennent à coeur. La France et l'Espagne coïncident totalement sur le contrôle aux frontières. Cela a été mentionné hier matin place Beauvau par nos ministres de l'intérieur respectifs lors de leur entretien, dont plus de la moitié a été consacrée à l'immigration. Ils sont attachés à mener la politique communautaire dans un sens conforme à leurs voeux.

Cette coopération a donné de bons résultats. Elle concerne aussi les pays frontaliers, Sénégal, Mauritanie, Maroc et Mali. Le Gouvernement français est tout à fait d'accord pour partager ces efforts.

J'ai bien reçu votre questionnaire. Beaucoup de ces questions sont compliquées et certaines d'entre elles sont difficiles.

Sur la première, concernant l'espace Schengen, l'Espagne s'est fermement engagée pour la libre circulation des personnes et l'acquis Schengen, dont elle est membre depuis la première heure. J'étais secrétaire d'État aux affaires européennes lorsqu'il a été créé et j'étais alors, avant que l'on institue le Conseil Justice et affaires intérieures (JAI), le ministre en charge de Schengen pour mon pays. Je connais donc Schengen depuis l'origine, lorsque c'était une question intergouvernementale et que le ministère des affaires étrangères essayait d'établir cet apport nouveau qui a pris corps ensuite avec le traité d'Amsterdam et la création d'un espace de justice, de sécurité intérieure et de liberté commun à l'Union européenne, puis a fini avec le Conseil JAI et l'acquis qui s'est développé ensuite.

Dès la première heure, nous sommes acquis à Schengen et avons soutenu toutes les initiatives qui y sont liées. D'ailleurs, celles qui ont pris forme au conseil de Tampere, comme vous le savez, étaient espagnoles.

Nous sommes convaincus qu'il faut préserver un contrôle adéquat des frontières et qu'il est essentiel de garantir la libre circulation au sein de l'espace Schengen, mais pour cela, nous devons nous assurer que le système Schengen fonctionne comme il le doit, et il comporte beaucoup de « trous ».

Plusieurs initiatives sont en marche, que nous soutenons, comme le système EES (système d'entrée et de sortie), système de recueil des données d'entrée et de sortie de nationaux d'États tiers, avec accès de la police aux bases de données. Le système proposé contribuera à une gestion efficace des séjours de courte durée autorisés, à une plus grande automatisation des contrôles frontaliers, ainsi qu'à une meilleure détection des faux documents et des usurpations d'identité. Nous y travaillons, aux côtés de nos collègues français. Le Conseil européen de décembre 2016 a demandé aux colégislateurs d'arriver à un accord sur ce système EES pour juin 2017.

Ensuite, nous travaillons aussi à une modification du code de frontières Schengen. L'Espagne et la France soutiennent également que soient enregistrées l'entrée et la sortie par les frontières extérieures des nationaux des États membres, au travers de contrôles systématiques d'entrées et de sorties des personnes bénéficiant de la libre circulation. La définition de la base juridique de cette mesure est toujours en cours, mais une adoption formelle par le Parlement européen est attendue en février 2017. Encore une initiative pour laquelle nous avons la satisfaction de voir que les choses avancent !

J'en viens à l'objet d'un débat qui s'est prolongé longtemps : le PNR. Après trois ans de travaux et de négociations avec le Parlement européen, la directive PNR a finalement été approuvée en avril 2016. L'Espagne, avec la France, a fermement défendu sa nécessité depuis le début. Les travaux nécessaires à sa mise en route sont en cours.

L'ETIAS est une autre initiative. Il s'agit d'un système informatique basé sur le web et une application pour portables qui requiert une série de données de la part de tous les nationaux des pays tiers exemptés de visas qui souhaitent voyager dans l'espace Schengen. Une fois réalisées les opérations pertinentes, le système accorde, ou refuse, une autorisation de voyage, qui sera exigée au poste frontalier d'entrée, mais aussi par les transporteurs qui mèneront la personne concernée dans l'espace Schengen. Cependant, une autorisation de voyage par l'ETIAS ne se substitue pas aux contrôles frontaliers.

L'objectif de l'ETIAS est de compenser le nombre croissant de pays tiers dont les nationaux n'ont pas l'obligation de présenter un visa pour des séjours de longue durée. Ce sera particulièrement important pour les entrées par la frontière terrestre, étant donné que grâce à l'API (Advanced Passenger Information) et au PNR, on dispose déjà d'une information avancée sur la plupart des voyageurs qui accèdent par voie aérienne ou maritime. Il s'agit d'un système similaire à ceux qui fonctionnent dans d'autres pays, comme l'ESTA aux États-Unis ou les ETA au Canada et en Australie.

Nous avons toujours défendu la création de l'ETIAS. L'Espagne défend l'idée que l'ETIAS soit facilement accessible aux forces de sécurité chargées des enquêtes sur les délits graves et le terrorisme. Le groupe de travail sur les frontières commencera à examiner la proposition de l'ETIAS afin d'aboutir à une approche générale du Conseil au premier semestre 2017.

Le Système européen commun d'asile et de réforme (SECA) est très important. La crise des réfugiés et ses implications pratiques pour les États membres ont en effet mis en évidence la nécessité de modifier les normes qui régulent ce système. Sa réforme se compose de sept propositions législatives.

En résumé, l'importance du critère du premier pays d'entrée dans l'Union européenne comme État membre responsable s'accentue et s'applique désormais avec un caractère permanent - jusqu'à présent sa durée est de 12 mois -, ce qui implique une charge additionnelle significative pour les pays qui forment la frontière Sud de l'Union européenne avec les pays tiers. L'objectif est d'éviter les mouvements secondaires. Ainsi, l'État qui les reçoit le premier s'assure que les demandeurs d'asile ne partent pas dans la nature.

En contrepartie de la règle de la responsabilité permanente, il est prévu un mécanisme correcteur de solidarité, qui envisage la répartition/réimplantation des demandeurs, laquelle ne se limiterait pas aux situations de crise, mais agirait de manière permanente et automatique à partir d'un seuil déterminé : soit 150 % du quota correspondant à un État, en intégrant les demandes dont il est responsable, y compris les réinstallations qu'il a effectuées. Le quota de chaque État membre est établi à partir de deux critères, le PIB et la population (à parts égales). Il s'agit donc d'un mécanisme de répartition obligatoire des demandeurs d'asile.

L'objectif de réduire les mouvements secondaires entre les États membres de l'Union européenne devient prioritaire. Pour cela, en plus d'aspirer à une plus grande convergence entre systèmes d'asile, est prévue l'obligation de demeurer dans l'État membre responsable de la demande. Des pénalités sont prévues, y compris la possible révision des conditions d'accueil dont ils bénéficient pendant la procédure.

Nous devons aspirer à une plus grande surveillance des systèmes d'asile nationaux. Le monitoring et le contrôle s'intensifient, afin que les États membres respectent effectivement le SECA. À cette fin, le Bureau européen d'appui en matière d'asile (EASO) est doté du statut d'agence indépendante et son mandat est élargi aux fonctions de monitoring et d'évaluation des systèmes d'asile nationaux, comme cela a été fait avec Frontex.

Quant à votre deuxième question, portant sur les services compétents en matière de surveillance des frontières intérieures et extérieures, nous avons un système identique. Nous avons la chance de bénéficier, en plus de notre police nationale, de la Guardia Civil, identique à votre Gendarmerie nationale. Ce sont des corps de police à statut militaire, commandés par des militaires de carrière, qui coopèrent d'ailleurs, en France et en Espagne, sont sur la même longueur d'onde et travaillent ensemble. C'est l'une des actions dont je suis le plus fier en tant qu'ambassadeur d'Espagne en France : notre coopération dans ce domaine est un modèle inégalé au sein de l'Union européenne. Les généraux qui dirigent la Guardia Civil et la Gendarmerie se connaissent et sont en contact continu. Il en va de même des directeurs de la police. Les ministres de l'intérieur se sont vus, je vous l'ai dit, et vont encore se revoir pour un sommet bilatéral en février. Nous pouvons être très fiers de cette complémentarité et du travail en commun de nos deux corps de sécurité, avec nos services de renseignement qui sont toujours en appui, faute de quoi ces forces de sécurité rencontreraient des problèmes pour accomplir leurs tâches.

Nous devons être satisfaits de cette coopération. Quant aux frontières, notre police fait exactement la même chose que la vôtre, elle les contrôle et la Guardia Civil agit exactement de même que votre Gendarmerie, avec les moyens aériens, maritimes et terrestres qui sont les siens. Elle réalise également des contrôles, notamment d'identité sur l'ensemble du territoire. Elle est responsable du contrôle des aéroports, de la ligne de côte et des frontières extérieures. Les deux corps ont les mêmes compétences en matière d'enquêtes afin de lutter contre l'immigration irrégulière, ainsi que pour réprimer la délinquance, le trafic de drogues et le terrorisme.

Il est très compliqué de fournir des chiffres sur les effectifs affectés à la lutte contre l'immigration irrégulière et au contrôle aux frontières, En 2015, les effectifs qui ont travaillé sur ces questions se sont élevés à 6 600 policiers et 9 700 guardias civiles, même s'ils ont aussi effectué d'autres tâches, soit quelque 16 000 agents au total.

J'en viens à votre troisième point, sur les problèmes concrets et spécifiques auxquels l'Espagne est confrontée dans la mise en oeuvre de l'espace Schengen, et sur la façon dont elle a été touchée par la crise migratoire. Ces problèmes tiennent au fait que l'Espagne est une frontière extérieure de l'Union européenne, comme vous pouvez le voir sur la carte qui orne cette salle : nous sommes confrontés aux flux qui viennent de l'Atlantique, non seulement du Maroc, mais aussi de l'Amérique latine, et à ceux en provenance de la Méditerranée, en termes d'immigrants illégaux, mais aussi de cartels de drogues, etc. Cette pression migratoire a commencé dès les années 1990 et se poursuit. Peut-être cela nous donne-t-il une longueur d'avance car nous avons été confrontés au problème avant d'autres.

L'Espagne est peut-être un modèle en Europe, parce que nous avons beaucoup contrôlé, à cause des problèmes que nous avons rencontrés, en développant très tôt une politique dont nous croyons qu'elle doit maintenant se déployer à l'échelle de l'Union européenne.

Nos flux d'arrivants étaient composés essentiellement de ressortissants de pays du Maghreb, qui traversaient le détroit de Gibraltar dans des bateaux de fortune, faciles à arrêter. Depuis le début des années 2000, des ressortissants de pays de l'Afrique subsaharienne et sahélienne sont arrivés, en essayant d'entrer sur notre territoire, surtout par les îles Canaries, à quelque 100 milles des côtes africaines, et par les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla.

Dès le début, nous avons conclu des accords avec le Maroc, sur le retour de ceux qui ne sont pas demandeurs d'asile mais migrants économiques. C'est un point important. Ce n'est pas facile, mais il faut le faire. Il faut aussi développer une certaine connaissance, car comment savoir d'où viennent les gens qui se trouvent sur ces embarcations ? Nous avons surtout développé un dialogue avec les pays d'origine : nous conditionnons notre aide au développement à notre coopération avec eux dans ce domaine. Nous avons aussi rencontré dès le début les mafias, les organisations criminelles, qui s'enrichissent de l'immigration illégale. Dès les années 1990, nous avons identifié ces réseaux qui furent un temps marocains.

Les Marocains ont très bien agi et ont éliminé ces réseaux. Au début, ces trafiquants venaient en effet d'Afrique du Nord. Maintenant, grâce aux initiatives du gouvernement marocain, ils ont disparu. Bien sûr, il a fallu coopérer et les équiper de moyens appropriés pour obtenir ce résultat.

Les flux actuels sont dus à des causes multiples, dont la guerre en Syrie, la déstabilisation régionale en Afrique du Nord et au Sahel, en Afrique de l'Est ont affecté principalement la Méditerranée orientale, parce qu'ils savaient que notre côté était « blindé ».

En 2015, nous avons enregistré une forte progression des arrivées de migrants, surtout des demandeurs d'asile, qui sont presque tous Syriens. Par la mer, l'immigration a augmenté de 16 % par rapport à 2014, soit 5 000 personnes. Par voie terrestre, via Ceuta et Melilla, elle a augmenté de 55 % en 2015.

Nous avons eu 5 952 demandeurs d'asile en 2014, auxquels nous avons donné 1585 avis favorables, en 2015, nous en avons eu 14 887 pour 1 020 avis favorables ; en 2016, sur 16 435 demandes d'asile, nous en avons accordées 6 868.

Nous appliquons le même système à tout le monde. Ces demandeurs d'asile sont dans leur grande majorité Syriens. Il y a très peu d'Afghans et presque pas d'Erythréens. La plupart de ces Syriens arrivent par Ceuta et Melilla. Au début, en 2013-14, ils présentaient de faux documents, puis ils sont venus avec leurs documents légaux, on les accueille et l'on mène la procédure d'asile. Je précise que 85 % sont des Syriens. Le volume de ces flux a diminué considérablement après l'accord avec la Turquie du 18 mars 2016, qui nous satisfait et correspond aux cinq piliers de notre politique d'immigration : coopération avec les États tiers ; contrôle des frontières ; lutte contre le trafic de personnes ; projets de coopération sur le terrain avec les pays émetteurs ; politique de retour dans le pays d'origine, refoulement. Certains ne veulent pas parler de ce dernier point. Mais tous ces points sont liés. On ne peut refouler sans coopération avec les pays émetteurs, et ainsi de suite. Nous ne pouvons rien faire, dans la position géographique qui est la nôtre, France et Espagne, sans accord avec les pays du Sud. Nous avons une très bonne relation avec la partie occidentale de l'Afrique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

Vous pourrez nous transmettre la suite de vos réponses par écrit, nous avons aussi d'autres questions à vous poser...

Debut de section - Permalien
Ramon de Miguel, ambassadeur d'Espagne en France

Je suis à votre disposition.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Nous avons bien compris que l'Espagne a mis en place un dispositif très complet passant par Ceuta et Melilla, et qu'il n'y a pas de rapatriement sans accord avec les pays d'origine. À la suite de la crise migratoire que nous connaissons depuis juillet 2015, comment voyez-vous évoluer le dispositif Frontex ? Que pensez-vous de sa transformation en agence de garde-frontières ?

À l'échelle européenne, pourra-ton un jour avoir une politique migratoire commune, avec une organisation qui permette de traiter les situations « normales », mais aussi les situations exceptionnelles telle que celle que nous vivons depuis plusieurs mois.

Un collègue souhaitait vous poser cette question : « Nous avons entendu dire que certaines personnes essaient d'entrer dans l'espace Schengen en gagnant l'Espagne, en provenance des Balkans et de Serbie ; qu'en est-il ? »

Debut de section - Permalien
Ramon de Miguel, ambassadeur d'Espagne en France

Nous avons toujours soutenu Frontex. L'Espagne a été le seul pays qui a présenté un mémorandum pour proposer un renforcement de Frontex et le doter de nouvelles fonctions, lors de la première réunion de la task force pour la Méditerranée, le 20 octobre 2013. Nous pouvons nous satisfaire du fait que des aspects sensibles aient été réformés et que l'actuel règlement de la garde européenne aux frontières prenne en considération le rôle essentiel des États membres.

Frontex est opérationnelle depuis des années, et a connu un élargissement de ses compétences, en particulier dans le domaine du retour et de sa capacité à mobiliser des moyens humains et matériels. Le plus urgent est déjà en marche : opérations conjointes de contrôle frontalier (Poséidon, Triton) et vols conjoints de retour.

La coopération avec les pays voisins et tiers est une question fondamentale pour l'Espagne. Nous attendons que Frontex développe sa coopération avec les pays d'origine et de transit en matière de formation, d'échange d'informations, de coopération opérationnelle, etc.

Nos apports en 2016 ont été les plus importants d'Europe : nous avons mis à disposition 547 agents de police et « gardes civils » à l'étranger et 408 dans des opérations nationales, en plus d'autres moyens, tels que chiens, moyens techniques, etc.

De plus, nos déploiements permanents au Sénégal, en Mauritanie, au Mali, en Gambie, au Cap Vert, en Guinée Bissau, avec 511 agents, attestent de l'effort espagnol dans les opérations générales liées au contrôle des frontières.

Nous aspirons à une politique migratoire commune. Nous avons communautarisé Schengen, né d'une coopération intergouvernementale. Nous devons aspirer à une vraie politique commune. En tout cas, elle est déjà communautaire. Tout dépendra de la volonté des États membres. La liberté de circulation des personnes ne signifiera rien si nous ne savons pas contrôler nos frontières extérieures, nous le voyons tous les jours. L'Allemagne, l'Espagne, l'Italie sont confrontées quotidiennement à ces flux de migrants incontrôlés, avec comme première conséquence la faille du Brexit, même si les Anglais ne contestent pas l'immigration, mais la libre circulation des travailleurs, ce qui est beaucoup plus grave.

Le Gouvernement espagnol souhaite faire de cette politique communautaire une politique commune car elle touche aux droits fondamentaux, aux quatre libertés à la base de la construction européenne.

Quant aux Balkans, l'Espagne a eu une immigration assez importante d'Albanais il y a quelques années, peu de Yougoslaves, Serbes, Bosniaques et Croates. Il y a beaucoup de Bulgares et de Roumains en Espagne, mais je ne considère pas ces pays comme faisant partie des Balkans. Il y a près de 900 000 Roumains en Espagne, très bien intégrés dans le système, fondus dans le paysage.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

Les Roumains sont latins, mais nous avons besoin des Anglais en rugby ! (Sourires)

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Vaugrenard

Merci beaucoup, Monsieur l'Ambassadeur, pour la clarté de vos propos et leur cohérence. Les cinq piliers que vous avez cités résument tout, à court et moyen terme. Il est important de faire connaître le système d'entrée et de sortie, de même que la modification du code frontières Schengen. L'Espagne, porte de l'Afrique, est directement confrontée, et plus directement que nous, aux flux migratoires.

À moyen et long terme, se pose la question cruciale de l'aide au développement. On risque d'attendre un accord de l'ensemble des pays de l'Union européenne pour la renforcer, or c'est la clé de tout.

La coopération entre la France et l'Espagne en matière de sécurité et de terrorisme est extrêmement importante. Ne serait-il pas utile d'imaginer une aide au développement conjointe renforcée entre la France et l'Espagne qui aurait un effet d'entrainement au sein de l'Union européenne ? Je crois beaucoup à la théorie des cercles concentriques.

Vous avez évoqué Jacques Delors. L'Europe qu'il voulait construire n'a rien à voir, selon moi, avec celle qui est imaginée aujourd'hui par Jean-Claude Juncker.

Debut de section - Permalien
Ramon de Miguel, ambassadeur d'Espagne en France

Je ne vais pas me prononcer là-dessus car je suis encore nostalgique de l'Union européenne que j'ai connue à partir de 1986, quand l'Espagne est entrée dans les institutions européennes. Je fus le premier directeur espagnol à la Commission, directeur de cabinet de deux commissaires puis directeur général de l'énergie. J'ai passé dix ans extraordinaires, à Bruxelles, dans une atmosphère qui ne ressemble point à celle que nous connaissons actuellement.

Nous, États membres, avons gâché l'affaire...Nous n'avons eu de cesse d'éloigner la Commission, de la limiter, de gouvernementaliser : nous sommes en train d'en subir les conséquences, car les États membres ont eu peur d'un président de la Commission intelligent, doté de réels pouvoirs, tel que Delors. Après lui, ils se sont assuré que le prochain président de la Commission ne serait pas de son niveau. La Commission s'est affaiblie, ils ont créé le secrétariat général du Conseil. Maintenant, la Commission n'est plus ce qu'elle était. Nous avons perdu l'esprit de Jean Monnet et de Robert Schuman, qui consistait à la considérer comme un corps avec un pouvoir d'initiative, que nous ne lui reconnaissons plus. Le projet a changé. Je ne sais s'il est meilleur ou pire, mais il n'est plus le même. Je suis très nostalgique de ce temps-là.

Sur l'aide au développement, nous avons nous, France et Espagne, une approche commune sur l'Afrique du Nord et sur la sécurité. Nous sommes le seul pays européen à avoir des troupes de combat au Mali. Beaucoup coopèrent, mais sur le terrain, seuls des soldats espagnols et français s'exposent à mourir et à être blessés. Cela n'est pas encore très clairement dit en France. Évidemment, vous avez des partenaires qui apportent leur aide, mais ce n'est pas seulement une question d'argent ni de moyens. Je répète que l'Espagne est seule à avoir des soldats, sur le terrain.

En matière d'aide au développement, l'Espagne n'a pas les mêmes moyens que la France, nous ne pouvons mettre autant d'argent que vous dans les pays francophones. Nous avons aussi certaines préférences géographiques transatlantiques, aussi ne sommes-nous peut-être pas à la hauteur pour parler d'aide au même niveau que vous, mais une bonne coordination serait utile, d'autant que l'Espagne augmente ses fonds pour l'Afrique, puisque nous comprenons, comme vous, que l'Afrique est notre problème. Votre idée est très bonne et je la mentionnerai lors de mes entretiens avec le quai d'Orsay. Nous pourrions la mettre sur la table à l'occasion du prochain sommet bilatéral du 20 février. Comment mieux travailler ensemble pour utiliser l'aide au développement que nous avons ?

En ce sens, il est utile de les aider en matière de sécurité, de les équiper en matériel, hélicoptères, bateaux, etc. ce que nous avons fait, de les former aussi, comme le font les « gardes civils » et les gendarmes que nous y envoyons. C'est fondamental.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Vial

Nous avons beaucoup apprécié la clarté et l'aspect politique de votre présentation. Deux questions rapides, sur Frontex, d'abord, que vous semblez soutenir. Je n'arrive pas à comprendre que les cinq pays riverains de la Méditerranée, dont vous faites partie, qui disposent des marines et des garde-côtes parmi les plus puissantes du monde, n'arrivent pas à assurer une meilleure protection de nos côtes, dans ce domaine régalien, par rapport à Frontex dont les moyens sont tout de même limités.

Vous avez déclaré obtenir un grand succès en matière d'aide au développement, pouvez-vous nous en dire un peu plus ? L'échec relatif de l'Union pour la Méditerranée montre que ce qui marche, dans cet espace, c'est le bilatéral avant tout. Quelles actions menez-vous en ce sens ?

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Marie

Je me joins aux remerciements et félicitations de mes collègues pour la qualité de la coopération entre nos deux gouvernements, ainsi que pour votre intervention et votre engagement.

Dans le cadre de l'accord entre l'Union européenne et la Turquie, a été mis en place un principe de réinstallation, « un contre un ». Le Conseil européen a décidé d'affecter un quota d'accueil par pays. Quel est le nombre de réfugiés que l'Espagne était censée accueillir à ce titre ? Les quelque 6 000 accords d'asile que vous avez donnés en 2016, étaient-ils en-dessous, au-dessus ou au niveau de ce quota ?

L'Espagne a une position particulière en Europe, en raison de son histoire et de son partenariat transatlantique, que vous avez rappelés. Que représente l'immigration en provenance d'Amérique latine dans votre pays, que pèse-t-elle ?

Vous évoquiez la nécessité d'une politique migratoire commune en Europe. Nous y souscrivons. Quels sont les éléments à mettre sur la table, pour l'Espagne, afin que cette politique migratoire commune fonctionne ?

Debut de section - Permalien
Ramon de Miguel, ambassadeur d'Espagne en France

Si certaines associations n'ont pas bien fonctionné, ce n'est pas de la faute du côté européen.

Notre coopération avec les pays de ce côté de l'Atlantique, Maroc, Sénégal, Mali, a été menée de façon bilatérale, bien qu'ils partagent des frontières communes, ainsi que des intérêts communs et malgré les mouvements de populations entre ces pays ; ils préfèrent traiter et agir avec nous de façon bilatérale. Nous avons fourni d'énormes efforts à leur égard. Nous sommes passés en trois ans de 100 et quelques millions à près de 600 millions d'euros en coopération, en plus de la coopération policière et des autres moyens que nous avons mis à leur disposition.

Vous m'avez interrogé sur les moyens de Frontex, que nous soutenons. Évidemment, nous coopérons : chaque fois que les Italiens et les Grecs nous demandent des bateaux de guerre et d'autres moyens, nous les mettons à leur disposition. Mais chaque pays a sa propre politique. Les déploiements des marines italienne ou grecque répondent aux instructions qu'elles reçoivent de leur pays respectif. Notre marine et notre surveillance maritime ne ressemblent point à ce qui se passe en Italie. Dans notre Méditerranée occidentale, on débarque ceux qui sont désemparés, mais immédiatement on les retourne. Il faut une vraie politique communautaire, ce qui n'est pas une question de moyens, mais de décider ce qu'il faut faire, que chacun fasse la même chose et d'avoir la même idée des frontières extérieures.

J'ai mentionné que nous avons augmenté l'aide au développement.

L'Espagne a reçu beaucoup plus d'immigration en provenance d'Amérique latine que de n'importe quelle autre partie du monde. On ne sait guère que l'Espagne est passée de 38 millions d'habitants en 1986 à 44 millions en 2004 : en dix-huit ans, sa population a augmenté de plus de six millions d'habitants. Ce phénomène extraordinaire a coïncidé avec une période de prospérité, laquelle eut un effet d'appel, non seulement dans les pays voisins, méditerranéens et africains, mais surtout en Amérique latine, où tout le monde suit de très près ce qui se passe en Espagne. Les ressortissants de certains de ces pays n'ont pas besoin de visas pour venir chez nous. Nous avons ainsi reçu 700 000 Équatoriens, presque un demi-million de Colombiens...La majorité d'entre eux sont venus, non pas illégalement, mais de façon irrégulière. Or ils n'ont pour la plupart créé aucun problème. D'un point de vue culturel, religieux, ethnique, linguistique, ils se sont non pas même intégrés, mais tout à fait assimilés au système et n'ont provoqué aucune réaction de rejet, d'ailleurs inconnue en Espagne à l'égard de l'immigration.

Notre pays est probablement le seul d'Europe sans ghetto, sans quartier séparé. Des Équatoriens, des Marocains, des Espagnols, des Roumains, vivent ensemble, dans les mêmes blocs. Les immigrants latino-américains sont très à l'aise dans le pays, se portent très bien, et les gens les aiment beaucoup. On les connaît très bien. En Espagne, l'accent colombien ou dominicain est bien connu. La société les a très bien acceptés. Il y a eu un flux très important d'immigrants irréguliers. Beaucoup sont partis après la crise économique, mais ils sont en train de revenir maintenant. Beaucoup ont acquis la nationalité, deux ans de résidence suffisent pour cela, d'où énormément de naturalisations.

Nous ne trouvons rien à redire sur l'immigration, car ils ont considérablement aidé le pays lorsque nous avions besoin de beaucoup de main d'oeuvre. Ils ont fortement contribué à la société espagnole. Le seul problème que nous avons est le même que vous tous : il est vraiment dommage que l'islam ne permette pas au citoyen de religion musulmane de s'intégrer davantage dans notre système. C'est la seule faille. Pour le reste, nous n'avons aucun problème d'ordre public ou social avec les minorités ethniques ou les immigrants en Espagne. Jusqu'à présent, le phénomène migratoire est plus récent en Espagne qu'en France, nous n'avons pas encore de deuxième génération, nous verrons si s'y développent les mêmes phénomènes que ceux que vous connaissez. Nous ne savons pas ce qui se passera dans trente ou quarante ans, mais jusqu'à présent les choses vont bien.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

Merci, Monsieur l'Ambassadeur. L'Espagne est un pays d'accueil et d'intégration. La commission a été attentive à vos propos. Elle est à l'image du Sénat, chambre de réflexion et de proposition. Je vous remercie d'avoir retenu celle de Yannick Vaugrenard. Nous sommes là pour débattre au fond. Merci de votre venue et de votre franchise, nous aimons les diplomates qui parlent de façon carrée, loin de la langue de bois et du robinet d'eau tiède. Merci.

Debut de section - Permalien
Ramon de Miguel, ambassadeur d'Espagne en France

Je suis un diplomate, mais je ne suis pas un étranger en France. Je me sens ici chez moi et je vous prie de m'excuser si j'ai été très franc...

Debut de section - Permalien
Ramon de Miguel, ambassadeur d'Espagne en France

Je m'exprime ici comme je le ferais au Sénat espagnol, parce que nous avons en commun beaucoup de choses, nous partageons, entre autres, une même approche de ces questions. Ce fut un plaisir pour moi et vous savez que je suis toujours à votre disposition.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

Je vous remercie, vous feriez un bon sénateur ! (Rires et applaudissements)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

Notre commission d'enquête entend aujourd'hui M. Cyrille Baumgartner, secrétaire général adjoint des affaires européennes, chargé des secteurs relatifs à la libre circulation des personnes, à l'espace judiciaire européen et à la sécurité de l'espace européen.

Le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) est un service du Premier ministre principalement chargé de la coordination interministérielle pour les questions européennes. Il est le garant de la cohérence et de l'unité de la position française au sein de l'Union.

Notre commission d'enquête a auditionné, la semaine dernière, le directeur de l'Union européenne du ministère des affaires étrangères et du développement international qui lui a rappelé l'historique et les règles de fonctionnement de l'espace Schengen. Elle a souhaité vous entendre aujourd'hui afin de faire le point sur les négociations relatives aux récentes initiatives législatives prises pour pallier les lacunes mises en évidence à la fois par la crise migratoire et la menace terroriste, de lui rappeler la position de la France sur ces textes et de tracer des perspectives pour l'avenir.

Nous vous avons adressé un questionnaire qui peut constituer le « fil conducteur » de votre intervention. Je vous propose de vous donner la parole pour un propos liminaire d'une quinzaine de minutes, puis j'inviterai mes collègues, en commençant par notre rapporteur, François-Noël Buffet, à vous poser des questions.

Cette audition est ouverte à la presse et diffusée en direct sur le site Internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.

Enfin, je rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Cyrille Baumgartner prête serment.

Debut de section - Permalien
Cyrille Baumgartner, secrétaire général adjoint des affaires européennes

Je suis honoré et impressionné d'intervenir devant votre commission.

Un rappel préliminaire : l'espace Schengen répond au double objectif de la liberté et de la sécurité. Pour nombre de nos concitoyens, il signifie avant tout la liberté de circuler dans un espace sans contrôle aux frontières intérieures, mais c'est aussi un espace de sécurité, à la fois à l'extérieur où sont reportés les contrôles et à l'intérieur à travers les coopérations judiciaire et policière, ainsi que dans les domaines de la migration et de l'asile. Les fondements de l'espace européen de liberté, de sécurité et de justice trouvent leur origine dans la convention d'application de Schengen.

Cet espace a connu trois évolutions notables depuis la signature du traité. Institutionnelle d'abord, avec l'intégration progressive de ses dispositions dans le droit de l'Union à partir du traité d'Amsterdam. Le traité de Schengen était à l'origine un accord intergouvernemental. Deuxième évolution, une extension très importante, véritable changement d'échelle lié à l'élargissement : de 5 à 26 membres, dont 22 États membres de l'Union européenne. Troisième évolution, celle des défis auxquels cet espace est confronté : depuis deux ans, une menace terroriste à un niveau inégalé et un défi migratoire qui a atteint des proportions sans précédent.

L'espace Schengen s'est renforcé avec l'établissement de l'Office européen de police (Europol) et la création du mandat d'arrêt européen. Mais ces deux défis ont déterminé l'ouverture de chantiers très lourds auxquels la France a pris une part majeure, dans une mobilisation sans précédent. Les conclusions des réunions du Conseil européen et du Conseil Justice et affaires intérieures depuis 2015, que je vous ai transmises, en témoignent : toutes ont abordé ces sujets désormais au coeur de l'agenda européen.

Ces chantiers relèvent pour une part de la gouvernance Schengen, pour l'autre de la politique de sécurité, d'immigration et asile.

D'abord, la gouvernance : la coopération judiciaire et policière est désormais intégrée dans le droit de l'Union, alors qu'aux débuts de Schengen, elle s'inscrivait dans un format intergouvernemental et interministériel. Elle relève du Conseil de l'Union européenne en format spécifique, le comité mixte associant les États Schengen non membres de l'Union européenne (Liechtenstein, Suisse, Norvège et Islande). Ces derniers participent aux discussions mais n'ont pas de droit de vote. Les États membres bénéficiant d'une clause dérogatoire - le Royaume-Uni, l'Irlande et le Danemark - et les pays en voie d'intégration dans l'espace (Roumanie, Bulgarie, Chypre et Croatie) sont eux aussi soumis à des règles spécifiques.

La procédure d'adhésion se déroule dans le cadre d'un dispositif d'évaluation appelé mécanisme d'évaluation et de contrôle, associé à des critères techniques très exigeants. Sur la foi de ces critères, le comité mixte doit prendre une décision à l'unanimité. La Roumanie et la Bulgarie avaient ainsi atteint le niveau requis de préparation technique en 2011, ce qui a été validé par le Conseil européen en juin ; mais l'intégration a été reportée plusieurs fois faute d'unanimité, en raison de préoccupations relatives aux migrations illégales et à la criminalité organisée. L'intégration est par conséquent une décision éminemment politique entre les mains des États.

Le mécanisme d'évaluation s'applique également aux participants. À la demande, entre autres, de la France, l'évaluation par les pairs a été remplacée en 2013 par un rôle accru de la Commission européenne, chargée de conduire des évaluations programmées dans un calendrier à cinq ans ; à cela s'ajoutent des évaluations inopinées quand la situation le justifie.

Les évaluations régulières portent sur tous les domaines liés à l'acquis Schengen : mesures aux frontières extérieures, coopération consulaire et visas, retours, système d'information Schengen (SIS) et protection des données, coopération policière et judiciaire. Chacune donne lieu à un rapport discuté dans un groupe au sein du Conseil. Les points de difficulté soulevés font l'objet de recommandations adoptées par ce dernier. L'État membre évalué doit alors présenter un plan d'action pour y remédier. L'examen du plan ne prend fin qu'avec le constat que les difficultés ont été surmontées.

Depuis l'entrée en application de ce mécanisme, début 2015, treize pays ont été évalués, mais aucune procédure n'est encore arrivée à son terme. Cela appelle néanmoins deux observations. D'abord, les pays parvenus au stade des recommandations ont fait l'objet de remarques de non-conformité ou de non-conformité partielle, ce qui témoigne du niveau d'exigence de l'évaluation.

De plus, une visite inopinée en novembre 2015 a donné lieu au constat de graves manquements dans les contrôles aux frontières extérieures de la Grèce. Une recommandation de maintien des contrôles aux frontières de cinq États (Autriche, Allemagne, Danemark, Suède, Norvège) qui les avaient rétablis au vu des mouvements secondaires provoqués par la situation de la Grèce a ensuite été formulée par le Conseil.

Les modalités de réintroduction des contrôles aux frontières intérieures ont été réévaluées en 2013 puis à nouveau l'an dernier. Le nouveau dispositif est plus cohérent et efficace.

Second volet des chantiers en cours, la politique de sécurité, d'immigration et d'asile qui se déploie sur trois niveaux d'action : les frontières extérieures, l'intérieur de l'Union européenne et l'extérieur.

Dans le premier volet, sur le plan opérationnel, Frontex a été renforcé par la création d'un corps européen de garde-frontières et garde-côtes de 1 500 hommes, dont 170 fournis par la France. Ensuite, la surveillance des frontières extérieures fait l'objet d'une consolidation dans le sens d'un contrôle systématique des entrées et sorties grâce à la consultation de toutes les bases de données pertinentes. Ce dispositif a fait l'objet d'un accord entre le Conseil et le Parlement européen le mois dernier. En complément, le SES (système d'entrée/sortie) a vocation à recueillir les données de franchissement de tous les ressortissants de pays tiers, en entrée comme en sortie, pour identifier ceux qui dépassent la durée autorisée de leur séjour. Un accord sur ce point devrait être trouvé d'ici la fin du semestre.

La France, en première ligne sur ce dossier, souhaite aller plus loin avec l'enregistrement de tous les voyageurs, y compris les ressortissants de l'Union européenne dont peuvent malheureusement faire partie, comme nous le savons, certains terroristes.

Enfin, un système d'information et d'autorisation de voyage (Etias) est proposé dans le but de contrôler à l'avance les projets de déplacement de ressortissants de pays tiers et, le cas échéant, de s'y opposer. Inspiré du système américain, il porterait sur les voyageurs dispensés de visa pour accéder à l'espace Schengen, les autres relevant du Système d'information sur les visas (VIS). Ce dispositif complètera aussi le Passenger name record (PNR) adopté l'an dernier et en phase de transposition dans les États membres. Nous espérons un accord sur Etias avant la fin de l'année.

En matière de contrôle intérieur, l'échange d'informations, question centrale, repose sur le Système d'information Schengen (SIS) centralisé qui organise le partage à grande échelle des signalements de personnes et d'objets. Mis en place dix ans après le traité de Schengen, et après une première évolution en 2013, il fait l'objet de plusieurs révisions en cours, dont l'extension des modalités de recherche à partir des données biométriques (fonctionnalité AFIS). Par ailleurs, l'utilisation du SIS par les États est attentivement suivie par la Commission dans le cadre des évaluations Schengen. Le SIS a fait l'objet de 2,9 milliards de consultations en 2016, contre 1,9 milliard en 2015.

Il existe plusieurs autres outils policiers d'échange de données : la coopération Prüm, mise en oeuvre par treize États membres, consiste à donner accès aux autres États aux fichiers ADN, d'empreintes digitales et de plaques d'immatriculation nationaux ; « l'initiative suédoise », qui pose le principe de mise à disponibilité d'informations entre services répressifs, est très opérationnelle, mais inégalement appliquée, d'où un projet pilote d'optimisation à travers l'échange d'informations dédiées réunissant l'Espagne, la Finlande, l'Irlande, la Hongrie et Europol, qui devrait bientôt entrer en phase technique.

Le nouveau règlement d'Europol applicable à compter de mai 2017 renforcera ses capacités de traitement en posant le principe d'une obligation de transmission rapide des informations relevant de problèmes graves de criminalité. Un Centre européen de lutte contre le terrorisme, rattaché à Europol et chargé de l'échange d'informations, est opérationnel depuis le 1er janvier 2016.

Un chantier est également en cours dans le domaine de la veille et du signalement de contenus illicites. Europol s'est dotée en février d'un centre européen de lutte contre le trafic des migrants, dont une équipe opérationnelle a d'ores et déjà identifié cinquante navires suspects.

Le paquet « asile » adopté en 2013 définit un ensemble de grands principes relatifs à la responsabilité du pays de première entrée, aux conditions d'accueil et de qualification et à la procédure. À la suite de la crise migratoire, la Commission européenne a proposé un approfondissement du dispositif : les disparités entre systèmes nationaux peuvent entraîner une forme de course à l'asile, en anglais asylum shopping. La France pousse en faveur d'une efficacité et d'une sécurité renforcées, dans le respect du droit international et des principes de Dublin.

La Convention de Dublin a été longuement débattue au cours du dernier semestre. Aux termes de la convention, la demande d'asile repose sur l'État de première entrée du demandeur ; mais dans les crises migratoires exceptionnelles, la position des pays situés en première ligne est particulièrement difficile à supporter. C'est pourquoi la Commission européenne a proposé un mécanisme correcteur reposant sur la relocalisation de certains demandeurs entre les États membres. C'est un sujet qui divise, pour des raisons de géographie, d'attractivité relative des pays et aussi de politique, l'Europe centrale étant particulièrement réservée vis-à-vis de l'accueil des migrants.

La France promeut dans ce domaine une approche équilibrée : le mécanisme correcteur fait sens dans les situations exceptionnelles, mais ne doit pas se substituer au principe premier, celui de la responsabilité des pays de première entrée. Il convient d'apprécier, avant la mise en oeuvre de ce mécanisme, ce qui est prévu et appliqué en matière de contrôle, d'enregistrement et de retours. De plus, la solidarité doit concerner tous les États membres. Le sujet n'est pas clos ; il fait l'objet d'une coordination étroite entre la France et l'Allemagne.

Bras armé de Dublin, la base de données Eurodac, qui permet de déterminer le pays de première entrée, doit être renforcée par l'inclusion de nouvelles données relatives à la reconnaissance faciale, par celle des ressortissants de pays tiers en situation irrégulière et par un accès simplifié. La France soutient cette évolution qui a fait l'objet d'un premier accord le mois dernier.

Enfin, une transformation du Bureau européen d'appui en matière d'asile (EASO) en agence de l'Union européenne est proposée, afin de renforcer sa capacité de soutien opérationnel aux États en difficulté.

Dernier volet de la politique de sécurité, d'immigration et d'asile, la dimension externe, porteuse d'enjeux très importants : maîtrise des flux, sécurité des frontières, situation des pays accueillant des réfugiés, réponse aux causes profondes des migrations.

En matière de lutte contre les passeurs, l'Union européenne s'est dotée d'instruments juridiques, mais son action est surtout opérationnelle, notamment dans le cadre du plan d'action contre le trafic des migrants adopté en mai 2015. Ce plan prévoit la création du corps européen de garde-frontières et de garde-côtes, mais aussi le déploiement d'opérations maritimes, Triton et Poseidon, coordonnées par Frontex, et de Sophia, relevant de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Ces opérations sauvent des vies et orientent les secourus vers les dispositifs adaptés, mais leur mandat premier est la lutte contre le trafic de migrants. 680 navires ont été interceptés dans le cadre de Triton et Poseidon, 340 dans le cadre de Sophia ; 92 passeurs et trafiquants d'êtres humains ont été arrêtés.

La PSDC en direction de l'Afrique a abouti à la mise en place d'EUCAP Sahel-Niger, avec une antenne créée à Agadez, plaque tournante du trafic en Afrique de l'Ouest. Les résultats obtenus sont significatifs.

Dans le cadre de la lutte contre la fraude documentaire, la Commission européenne a identifié un nouveau chantier de sécurisation des documents source (actes, certificats de mariage) qui devrait perturber le modèle économique du trafic et éclairer les procédures de réadmission.

La réadmission est une priorité explicite de l'Union européenne : il a ainsi été souligné au sommet de La Valette de novembre 2015, avec les dirigeants africains, qu'il ne saurait y avoir de gestion des flux sans politique solide de réadmission - un domaine complexe et sensible, reposant sur le dialogue avec les pays concernés. Quelques mois avant le sommet, l'Union européenne a adopté un plan d'action sur les retours articulant renforcement de Frontex, usage du SIS et d'Eurodac et programme de retours volontaires. Ainsi, 6 000 retours ont d'ores et déjà été opérés en Grèce dans le cadre d'un programme de l'Office international des migrations.

Enfin, la politique européenne de visas est intrinsèquement liée à celle de Schengen, qui suppose une harmonisation des conditions d'entrée. Deux listes, établies par règlement, déterminent quels pays sont soumis à l'obligation de visa et lesquels en sont exemptés. L'outil opérationnel associé est le VIS qui prévient les demandes multiples de visa. La coopération consulaire permet aux États membres d'échanger toutes les informations de terrain utiles. La politique de visa est également utilisée en tant qu'élément du dialogue migratoire avec certains pays tiers : souvent, les accords de facilitation ou de libéralisation des visas sont liés à des accords de réadmission. Cela suppose la possibilité de suspendre, voire de dénoncer les accords signés en cas de mauvaise application.

Une clause de sauvegarde en ce sens a été adoptée en décembre 2013. Face au défi migratoire et terroriste, la France et l'Allemagne en ont demandé une révision dont l'entrée en vigueur constitue un préalable juridique à celle de toute nouvelle mesure de libéralisation. Elle sera applicable à tous les accords passés et à venir, prévoit un suivi plus pérenne des engagements pris dans la phase préparatoire et élargit les critères de déclenchement de la clause de sauvegarde, les demandes d'asile en faisant partie.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

La France a fait l'objet d'une évaluation Schengen en 2009. Est-il possible d'avoir communication du rapport qui a été remis ? Quelles suites ont été données par la France ? Quels ont été les commentaires des institutions européennes ?

Debut de section - Permalien
Cyrille Baumgartner, secrétaire général adjoint des affaires européennes

Nous n'avons pas fini de réunir l'information relative aux évaluations, la documentation afférente étant très volumineuse. L'évaluation de 2009 a été conduite dans le cadre du précédent régime d'évaluation par les pairs, donc avec un niveau d'exigence inférieur. Je puis toutefois y revenir par écrit.

Le dispositif révisé prévoit des missions inopinées, des rapports établis pour chacun des six domaines de la coopération Schengen identifiant les points de satisfaction et les critères de non-conformité, avant une itération au sein du Conseil. La procédure ne s'achève que quand tous les points identifiés ont été résolus.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Cigolotti

Europol est soumis à des obligations en matière de renseignement des fichiers de police. Le « fichier SIS » n'a de valeur que s'il est mis à jour et renseigné régulièrement par l'ensemble des États membres. Or il apparaît que certains d'entre eux ont une contribution faible ou nulle. Qu'en est-il ?

Debut de section - Permalien
Cyrille Baumgartner, secrétaire général adjoint des affaires européennes

Dans le cadre du mécanisme d'évaluation Schengen révisé, l'utilisation du SIS par le pays évalué est examinée. Trois des treize États membres évalués dans le nouveau régime se sont vu notifier des critères de non-conformité ; des recommandations ont été formulées et des plans d'action adoptés. La Commission européenne a jugé le sujet assez important pour faire l'objet d'une communication spécifique. Il est cependant évident qu'aucun État n'est en mesure d'utiliser le SIS à 100 %.

L'augmentation des consultations du SIS accroît également les risques de difficulté. La réforme conduite en 2013 a nécessité un temps d'adaptation, et compte tenu des enjeux, le dispositif est à nouveau l'objet de propositions pour renforcer son opérationnalité.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Marie

Une partie des migrations part des côtes de Libye où de nombreux passeurs se sont installés. Or les missions Poséidon et Triton ne peuvent pas les poursuivre en eaux territoriales libyennes sans mandat de l'ONU. Où en sont les démarches entreprises par la France pour son obtention ?

Debut de section - Permalien
Cyrille Baumgartner, secrétaire général adjoint des affaires européennes

Pour être pleinement opérationnelle, la mission Sophia doit en effet agir au plus près des côtes libyennes, ce qui implique un cadre juridique international clair passant notamment par une résolution du Conseil de sécurité ou une demande du gouvernement libyen. La situation ne semble pas avoir évolué, notamment en l'absence de consensus parmi les membres permanents. En revanche, le mandat de l'opération a été étendu à la fin de l'an dernier pour lui permettre de prendre sa part à l'embargo de l'ONU sur les armes en provenance de Libye et de mener des actions de formation en direction des garde-côtes et de la marine libyenne. Le changement de mandat étant récent, je possède peu d'éléments concrets ; mais a minima, les actions prévues devraient avoir un effet contre les passeurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Vial

Il est étonnant que les pays de la rive Nord de la Méditerranée, avec la puissance de feu dont ils disposent, ne puissent pas assurer ce qui est dévolu à Frontex avec des moyens beaucoup plus faibles. Il convient d'harmoniser les politiques militaires : à l'Ouest, les embarcations saisies étaient ramenées sur les rivages des pays de départ. À l'Est, ces moyens ne sont pas déployés ; les passages augmentent, parfois sur de véritables navires dont l'interception relève de la politique maritime de sauvetage.

Pouvez-vous nous communiquer les chiffres sur les passages ? Ce n'est pas neutre : concomitamment à l'accord entre l'Union européenne et la Turquie, un tarissement des flux sur cette route a été constaté. De toute évidence, les passeurs ont réorienté leurs flux vers la Libye, avec des chiffres inquiétants : un million de personnes seraient en attente en Libye. Au vu des conditions d'embarquement, Frontex semble plutôt relever désormais d'un traitement des passeurs que d'une politique à mettre en place en Méditerranée.

Debut de section - Permalien
Cyrille Baumgartner, secrétaire général adjoint des affaires européennes

Frontex s'exerce aux frontières extérieures. En Méditerranée centrale, les opérations dans la partie Nord sont coordonnées par Frontex ; plus près des côtes libyennes, elles relèvent de la PSDC, avec des missions parfois différentes. Cette dernière peut également être mobilisée à terre contre les passeurs.

La mission EUCAP Sahel-Niger donne des résultats opérationnels significatifs. Elle s'inscrit dans le cadre d'une action globale de l'Union européenne vis-à-vis de ce pays. Au cours des derniers mois, les mouvements à travers le Niger, auparavant le hub principal des migrations en Afrique de l'Ouest, ont été singulièrement réduits.

L'un des projets financés par l'Union européenne dans le cadre du fonds fiduciaire créé à La Valette est une équipe commune d'enquête associant l'Espagne et la France, et ouverte aux autres pays, menant un travail de terrain contre les filières en Libye. Il y a déjà des résultats policiers significatifs dans ce pays, qui marquent une rupture de situation. Le chiffre d'un million de personnes massées en Libye circule en effet, même s'il relève d'observations de terrain plus que d'une évaluation méthodique.

Plus en amont, la route principale des migrations, qui passait par la Turquie et la Grèce, a vu les flux être réduits considérablement à la suite de l'action européenne. Vous avez parlé de réorientation des flux ; je ne suis pas sûr que ce soit le bon terme. En effet, les flux en Méditerranée centrale ont une dynamique propre, impliquant presque exclusivement des ressortissants d'Afrique de l'Ouest et de l'Est.

Voici les chiffres consolidés pour 2016 : un peu plus de 180 000 arrivées par mer de Turquie ; un peu plus par la Méditerranée centrale. En Méditerranée centrale, l'augmentation de 20 % constatée depuis l'année précédente appelle la vigilance ; en revanche, les flux de transit par la Turquie ont significativement baissé, d'autant que la part la plus importante du chiffre a été réalisée avant la mise en place de l'accord. Enfin, les flux à travers la Méditerranée occidentale sont en augmentation, mais les niveaux restent modestes.