Intervention de David Skuli

Commission d'enquête Frontières européennes et avenir espace Schengen — Réunion du 12 janvier 2017 à 11h00
Audition de Mm. David Skuli directeur central de la police aux frontières fernand gontier directeur central adjoint et bernard siffert sous-directeur des affaires internationales transfrontières et de la sûreté au ministère de l'intérieur

David Skuli, directeur central de la police aux frontières :

L'espace Schengen présente une dimension symbolique forte et sa fin entraînerait celle du projet européen. L'affirmation de son principe est déjà un succès. Pourquoi faut-il le stabiliser ? C'est un postulat géopolitique selon lequel la libre circulation à l'intérieur est le pendant du bon contrôle de l'extérieur. À la faveur de l'expérience, on s'aperçoit qu'on ne contrôle de manière optimale ni l'un ni l'autre ! Avant d'intégrer de nouveaux États, stabilisons l'espace et réduisons les failles que nous connaissons actuellement ! Tel est le sens de mon propos. Jamais le niveau de menace de notre pays n'a été aussi fort et je ne suis pas certain que les terroristes attendent 2018 pour commettre de nouveaux attentats. La confiance doit être constante entre les différents systèmes policiers, impliquant une réelle volonté d'échanger des informations, comme ce fut le cas entre la France et l'Espagne dans la lutte contre le terrorisme d'ETA. Éradiquer le terrorisme exige de coopérer à portes et services ouverts. Sans doute faudra-t-il promouvoir, davantage que par le passé, la confiance réelle et la capacité à réaliser en commun au sein de l'espace Schengen.

Le partage d'informations commence à être fructueux, même si cette évolution s'opère en raison d'événements tragiques. Ainsi, les Allemands ont toujours été réticents à partager leurs données, ce que, du reste, l'attentat de Berlin est de nature à faire évoluer. Le système d'information Schengen (SIS) demeure subordonné à ce que les fichiers contiennent. Or, les pays n'ont pas une pratique identique dans l'alimentation des fichiers de ce système. Certains échanges ont été opérés par les services de renseignement sur le terrorisme et le niveau des échanges me semble, pour l'heure, satisfaisant. La notion de « fiche S » est purement française et il serait important de connaître réellement et pratiquement toutes les personnes que les Allemands et l'ensemble de nos partenaires européens considèrent comme potentiellement très dangereuses. De telles informations vont de pair avec le contrôle des frontières. Nous n'avons toujours pas à ce jour de PNR européen et nous n'obtenons pas les données APIS (Advanced Passenger Information System) qui contiennent un grand nombre d'informations permettant d'inspecter les listes de passagers avant que ceux-ci n'arrivent sur notre territoire. Il faut décliner aux aspects maritime et ferroviaire une telle démarche, comme l'acte terroriste survenu dans le Thalys en souligne l'importance. Réduire la lutte contre le terrorisme au contrôle aux frontières s'avère illusoire, si celui-ci n'est pas accompagné par d'autres mesures.

Le contrôle aux frontières intérieures existe et s'avère efficace. Ainsi, plus de 61 000 non-admissions ont été prononcées depuis le 13 novembre dernier. En l'absence du contrôle aux frontières intérieures, ces personnes se trouveraient sur notre territoire national. Plus de 54 000 fiches de recherche, dont plus de 10 000 « fiches S », ont été détectées. Ce contrôle présente donc un certain intérêt. Quelle en est la réalité concrète ? Comment protéger 3 000 kilomètres de frontières terrestres ? Dans les installations aux frontières qui demeurent précaires, les fonctionnaires présents font preuve d'une très grande abnégation. Pour rétablir le contrôle aux frontières, il faut assurer sa conduite en mobilité. Disposons-nous des moyens informatiques pour le faire ? La réponse est négative. Il faut encore améliorer le système NEO en garantissant l'utilisation de la biométrie. En guise d'illustration, je prendrai un exemple concret. Si je procède à un contrôle dans le quartier de la Source à Orléans, il faut, qu'avec une tablette ou un smartphone, je puisse avoir accès aux bases de données Schengen et Eurodac et que je dispose d'un capteur multi-doigts me permettant de contacter la base des visas. Telle est la modernité du contrôle, qui repose sur l'interconnexion des fichiers, à laquelle il nous faut parvenir, si l'on ne souhaite pas rétablir des guérites à chaque kilomètre !

Cette réalité du rétablissement du contrôle des frontières intérieures est également fonction d'un contexte. Ainsi, près de 4 500 personnels sont postés aux frontières et ne peuvent par conséquent être déployés sur l'ensemble du territoire. Il nous a fallu fermer deux CRA - celui de Geispolsheim et celui d'Hendaye - afin de dégager des effectifs pour la frontière.

En outre, certains espaces traditionnels, dans les aéroports et les ports, doivent être modernisés en privilégiant les interfaces homme-machine. Nous n'aurons plus la possibilité de mettre en place les équivalents-temps-plein (ETP) suffisants pour faire face aux projections d'augmentation du trafic : près de 64 millions de passagers transitent aujourd'hui par Roissy et, dans trois ans, ils seront 80 millions. 1 600 de mes agents se trouvent déjà à Roissy. Comment pourrons-nous absorber le surplus de passagers avec un niveau de sécurité considéré comme bon ? Il faudra ainsi multiplier les dispositifs de contrôle automatique aux frontières, comme Parafe (Passage Automatisé Rapide aux Frontières Extérieures), en utilisant des technologies modernes comme la reconnaissance faciale, le pre-check, un système COVADIS aux performances améliorées. Il faudra affirmer le principe que l'on souhaite : soit la fluidité ou la sécurité. Allez aux États-Unis : l'attente dans les files y est bien supérieure à celle que l'on peut connaître dans nos aéroports et personne ne proteste ! Il manque à l'Europe une vision partagée de ce qu'il faut faire.

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