Mes chers collègues, notre commission d'enquête poursuit ses travaux avec l'audition de MM. David Skuli, directeur central de la police aux frontières, Fernand Gontier, directeur central adjoint, et Bernard Siffert, sous-directeur des affaires internationales, transfrontières et de la sûreté au ministère de l'intérieur.
La direction centrale de la police aux frontières (DCPAF) est une direction spécialisée de la police nationale créée en 1999. Son échelon central comporte notamment trois sous-directions, dont la sous-direction des affaires internationales, transfrontières et de la sûreté qui, parmi ses missions : coordonne et anime au plan national l'action conduite en matière de contrôle transfrontière en liaison avec les autres administrations compétentes ; contribue à la coopération institutionnelle européenne et internationale dans les domaines relevant de la police aux frontières et participe à la conduite de programmes et d'actions de coopération policière ; assure le suivi des relations avec FRONTEX ; contribue à la sûreté de l'ensemble des moyens de transports internationaux et à la sécurité générale mise en oeuvre sur les emprises portuaires, aéroportuaires et ferroviaires placées sous la responsabilité de la direction centrale.
La DCPAF assure aussi une coordination européenne au travers de centres de coopération policière et douanière et de commissariats communs mis en place avec l'Allemagne.
Avec cette audition, nous abordons des aspects très opérationnels. C'est dans cet objectif que notre commission d'enquête a souhaité vous entendre. En outre, la France a fait l'objet d'une récente évaluation Schengen : comment a-t-elle été conduite ? Sur quels aspects a-t-elle porté ? Comment la DCPAF y a-t-elle contribué ? Quelles sont ses conclusions ?
Nous vous avons adressé un questionnaire qui peut constituer le « fil conducteur » de votre intervention. Je vous propose de vous donner la parole pour un propos liminaire d'une quinzaine de minutes, puis j'inviterai mes collègues, en commençant par notre rapporteur, François-Noël Buffet, à vous poser des questions.
Cette audition fera l'objet d'un compte rendu publié.
Enfin, je rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite, chacun d'entre vous, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. David Skuli, Fernand Gontier et Bernard Siffert prêtent serment.
Je vous remercie de m'accueillir aujourd'hui devant votre commission d'enquête.
Je débuterai mon propos par une très brève présentation de la police aux frontières dont les effectifs sont aujourd'hui de 10 693 personnes et qui est présente sur le territoire métropolitain et en outremer.
Nos missions principales relèvent du contrôle transfrontière et nous sommes particulièrement investis en ce moment dans le cadre du rétablissement du contrôle intérieur. Nous intervenons dans le domaine de la sûreté aéroportuaire et sommes en charge du service national de police ferroviaire. Nous luttons principalement contre l'immigration irrégulière et procédons au démantèlement des filières. En ce sens, nous sommes à l'origine de 74 % du contentieux national. Nous procédons aux éloignements des migrants irréguliers et assurons également la gestion des vingt-trois centres de rétention administrative, placés sous notre compétence. La police aux frontières est organisée sous l'égide d'une direction centrale comprenant trois sous-directions. Le niveau territorial est organisé sur le principe d'une direction zonale pour le territoire métropolitain et pour l'outremer (direction zonale Antilles).
Notre organisation en métropole se décompose en six directions zonales, vingt-deux directions interdépartementales et cinquante-et-un services de la police aux frontières. Trois directions sont toutefois demeurées départementales, dans les Alpes-Maritimes, dans l'Oise et en Savoie, en raison de la spécificité du contentieux auquel elles sont confrontées. Cette réforme territoriale en directions interdépartementales ne concerne que la métropole, les territoires ultramarins étant restés dans leur cadre précédent, en raison de la faiblesse de leurs effectifs et de leur éloignement géographique.
Depuis le 26 mars 1995, l'espace Schengen est devenu une réalité et comprend aujourd'hui vingt-six pays, avec vingt-deux membres de l'Union, quatre pays associés - l'Islande, la Norvège, la Suisse et le Lichtenstein -, tandis que d'autres pays, le Royaume-Uni, l'Irlande, la Bulgarie, la Roumanie, la Croatie et Chypre, n'y appartiennent pas. Cet espace représente environ 400 millions de personnes et s'étend sur 42 600 kilomètres de côtes et 7 721 kilomètres terrestres. Il a constitué une grande avancée de la construction européenne. Il est symboliquement fort de pouvoir passer d'un pays à l'autre sans devoir acquitter des formalités relatives au passage des frontières. Plusieurs crises sont survenues : les « Printemps arabes », la vague migratoire sans précédent et les attaques terroristes. De ce fait, l'espace Schengen est questionné dans son efficacité et donc dans sa légitimité.
La création de l'espace Schengen reposait sur trois postulats : le premier était d'ordre géopolitique et visait à faciliter la circulation des citoyens dans un espace délimité et à ne s'occuper que du contrôle aux frontières extérieures.
Le second postulat était celui de la confiance et consistait à déléguer une partie de la souveraineté au pays de première entrée de l'étranger dans l'espace, en lui déléguant la responsabilité du contrôle frontière et en laissant à chaque État membre la possibilité de délivrer des visas de trois mois, pour le compte de tous dans la mesure où leur validité territoriale s'étend à l'ensemble de l'espace Schengen. De ce fait, on considérait que la menace ne pouvait qu'être extérieure et pouvait accueillir la migration de manière régulière, sans crise aucune.
Le troisième postulat reposait sur la mise en oeuvre de mesures compensatoires suite à la libéralisation de la circulation dans un espace donné. Or, ces mesures ont été prises progressivement : ainsi, la création des centres de coopération policière et douanière (CCPD) - la France étant impliquée dans dix centres sur les soixante-neuf existants au niveau européen -, le système d'information Schengen qui est désormais de seconde génération et comprend un fichier personnes et objets, le système d'information sur les visas, ainsi que les droits d'observation et de poursuite transfrontalière permis entre les différents États, la création d'une bande frontalière de vingt kilomètres ; cette dernière disposition relevant de l'article 78-2 alinéa 9 du code de procédure pénale, modifié après l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne Melki et Abdeli du 29 juin 2010. Enfin, parmi ces mesures figurait la création, tardive il est vrai, de l'agence Frontex en 2004, cette dernière agence ayant connu une montée en puissance en devenant l'agence des garde-frontières et des garde-côtes. Ces postulats ont tous été questionnés dans leur efficacité, à la suite des différentes menaces enregistrées ces dernières années. Plusieurs djihadistes ont pu ainsi circuler dans cet espace. D'autre part, le postulat que la menace ne pouvait être qu'extérieure a été infirmé par les attentats du 13 novembre 2015 qui ont démontré que la menace pouvait largement être intérieure à cet espace. En effet, nombre des personnes impliquées dans cet attentat venait de Belgique et des ressortissants européens sont partis faire la guerre en Syrie. En outre, la vague migratoire est en effet sans précédent : plus de 1 800 000 personnes ont franchi illégalement les frontières extérieures en 2015 et 505 000 personnes en 2016, chiffre qui reste très important au regard des années précédentes en dépit d'une baisse très forte de la pression migratoire liée à l'effet conjugué de l'accord entre l'Union européenne et la Turquie de mars 2016 et de la fermeture de la route des Balkans. Cette vague s'est déployée via trois routes principales : la première en Méditerranée orientale, à partir de la Turquie, la deuxième en Méditerranée centrale depuis la Libye. À celles-ci s'ajoute la route de la Méditerranée occidentale, dont l'Espagne est un point de passage depuis les pays d'Afrique du Nord. Cet espace devait soi-disant être sécurisé à l'intérieur et un tel phénomène migratoire interroge son efficacité.
La Grèce, avec ses 16 000 kilomètres de côtes et ses 4 000 îles, est confrontée à la difficulté de gérer ses frontières extérieures. J'ai moi-même été en poste en Grèce pendant quatre ans et j'ai pu constater que l'Europe avait dû mettre quelque six cents personnels de Frontex en 2016 pour assurer le fonctionnement des cinq hot spots qui y ont été implantés. Ainsi, ces hot spots se sont avérés poreux et quelque vingt-mille personnes se sont évaporées, faute de la capacité des Grecs de pouvoir traiter dans les délais impartis les demandes massives d'asiles.
La confiance a été érodée : certains pays, comme la Hongrie, ont proprio motu rétabli le contrôle frontalier intérieur, en érigeant, le cas échéant, des barrières. Les pays ont ainsi rétabli les contrôles d'initiative, par effet de domino, afin de répondre à une crise migratoire dont le pilotage n'a pas été globalement pris en compte par l'Europe.
L'espace Schengen présente également des problèmes d'ordre technique, à l'instar des mesures compensatoires. Il est illusoire de penser arrêter le terrorisme grâce à ces dernières. Toutes les installations dédiées aux contrôles aux frontières intérieures ont par ailleurs été démantelées et la libre circulation a été érigée au rang de principe supérieur. Pour preuve, l'article 9 du code frontières Schengen dispose que, pour tous les ressortissants, qu'ils viennent d'un État membre ou d'un État tiers, en cas d'engorgement des frontières extérieures, les contrôles peuvent être allégés. Ainsi, la fluidité pose problème, comme on peut le percevoir en France lors du renforcement des contrôles aux frontières qui suscite immédiatement les protestations des Aéroports de Paris, de l'Union des aéroports français (UAF), tant le citoyen est habitué à franchir les frontières de manière extrêmement rapide, sans contrôle aucun. Il faut donc trouver un juste équilibre entre sécurité et fluidité.
Le dispositif juridique est complexe. En effet, le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures ne peut, en tout état de cause, dépasser deux ans. Or, la crise peut excéder de beaucoup une telle durée. Quels mécanismes peut-on alors mettre en place dans de telles circonstances ?
Davantage, nous ne sommes toujours pas en Europe sur une base de contrôle systématique. Je rappellerai qu'un trilogue existe entre la Commission, le Conseil et le Parlement pour modifier l'article 8-2 du code frontières Schengen, révision que M. Bernard Cazeneuve, alors ministre de l'intérieur, avait proposée de manière à ce que l'ensemble des voyageurs soit contrôlé systématiquement, qu'ils soient bénéficiaires du droit à la libre circulation ou ressortissants de pays tiers. Aujourd'hui, en conformité avec le code frontières Schengen, les États membres, à l'exception de la France qui contrôle toutes les personnes, procèdent à des vérifications minimales sur les bénéficiaires du droit à la libre circulation qui consistent dans la plupart des cas à un contrôle visuel de concordance documentaire avec une possibilité de consulter systématiquement les bases de données d'Interpol sur les documents volés et perdus. Il n'y a pas de contrôle systématique - il doit être aléatoire et reste à la discrétion du garde-frontières - dans les bases de données sur les personnes (base personnes du SIS dans laquelle on retrouve les fameuses fiches « S »). Lorsqu'il s'agit d'un ressortissant d'un pays tiers, les vérifications doivent être approfondies et toutes les bases sur les documents et les personnes doivent être interrogées. Des questions sont également posées sur les conditions et l'objet du séjour.
Pour sauvegarder cet espace, qui connaît une crise d'efficacité et donc de légitimité, plusieurs voies ont été prises qui me paraissent constructives, quand bien même la durée de leur mise en oeuvre pose problème. Ainsi, à l'issue de onze ans de négociation, la publication de la directive sur les données des dossiers passagers de l'UE, dite directive PNR, de 2016 accorde un délai de deux ans aux États membres pour se doter d'un dispositif. En d'autres termes, il va falloir attendre 2018 pour voir le PNR européen fonctionner. On débat encore quant à la prise en compte uniquement des vols extra-communautaires ou si l'on inclut les vols intracommunautaires. Or, l'expérience montre qu'il est important de prendre en compte les vols intracommunautaires. En outre, les dispositions du PNR européen sont moins avancées que le contenu des préconisations françaises.
L'article 8-2 du code frontières Schengen va faire l'objet d'une modification afin de parvenir à un contrôle systématique de tous les voyageurs quel que soit le type de frontières. Toutefois, les États membres disposeront d'un délai de 6 mois, pouvant être prolongé pour une nouvelle période de 18 mois, pour mettre en place les contrôles systématiques aux frontières aériennes. Sur les frontières maritimes et terrestres, les États membres pourront demander une dispense des contrôles systématiques sur la base d'une analyse du risque réactualisée tous les 6 mois. On avance tout de même puisque la fluidité n'est plus le principe du contrôle qui devient progressivement systématique.
Deuxième aspect important : les travaux conduits sur l'Entry-Exit System (EES) qui devrait être mis en oeuvre en 2019-2020 et concerner les ressortissants extra-communautaires. La France, forte de son expérience, a souhaité que l'ensemble des voyageurs, y compris les bénéficiaires de la libre circulation, qui entrent par les frontières extérieures se soumettent à ce dispositif. La Commission demeure figée sur l'idée de ce système conçu en 2009 pour le contrôle des ressortissants extérieurs. Si l'on reste dans le système d'aujourd'hui, 60 % du flux demeureront extérieurs à ce système de traçabilité des entrées et des sorties. Ce système va également permettre de calculer automatiquement les durées de séjour et facilitera le travail des garde-frontières tout en améliorant la fluidité.
Enfin, l'ETIAS (European Union Travel Information and Authorisation System) - inspiré du système de l'ESTA (Electronic System for Travel Authorisation) américain - vise à mettre en place en amont via Internet un dispositif d'autorisation de voyage dans l'espace Schengen et permet d'obtenir une base de données sur les renseignements fournis.
En outre, le dispositif des hot spots est maintenu pour la prise en compte des flux de migrants. Il y a tout lieu de penser qu'avec 181 000 personnes arrivant de Libye en 2016 sur l'Italie - dont près de 37 000 personnes ont été interpellées sur le territoire national -, la voie de la Méditerranée centrale va rester extrêmement empruntée.
Enfin, le changement de statut de l'agence Frontex nous paraît également aller dans le bon sens. Jusqu'à présent, son fonctionnement relevait du volontariat des États et de l'entraide empirique. Son budget a été augmenté de manière significative et ses effectifs vont passer de 300 à plus de 700 personnes en trois ans. La création d'une force de réaction rapide et permanente, comprenant 1 500 garde-frontières, dont 170 Français, va pouvoir être déployée. De manière globale, l'agence va conduire des études de vulnérabilité, de manière à mesurer chaque mois ce que font les pays en matière de protection de leurs frontières. L'agence pourra ainsi engager des démarches vis-à-vis des pays dont elle estime que les flux de migrants ne sont pas assez maîtrisés. Par ailleurs, l'agence a aujourd'hui la possibilité d'organiser des vols retours, ce qui relevait précédemment des pays eux-mêmes. L'action de l'agence, à la place des États, dans ce domaine me paraît politiquement plus acceptable et techniquement plus efficace.
Enfin, une stratégie a été mise en place par l'UE impliquant la signature d'accords bilatéraux avec des pays-tiers, comme le Pakistan ou l'Afghanistan, afin d'obtenir plus facilement les titres de retour vers ces pays.
En guise de conclusion à mon propos, il me paraît important de faire une pause. Nous sommes dans un espace à vingt-six États avec des systèmes d'organisation policière très différente et une absence de vision commune de la gestion de la migration. Essayons de réfléchir ensemble comment rendre cet espace plus efficace et le rendre plus fidèle à ses principes et à son esprit constitutifs. Peut-être, la mise en oeuvre d'un espace à géométrie variable permettrait d'assurer le fonctionnement optimal de cet espace où l'économique a peut-être été trop privilégié au détriment de l'esprit de Schengen qui préconisait la fluidité de la circulation tout en se dotant de mesures compensatoires nécessaires pour garantir notre sécurité.
Certaines mesures me semblent devoir être envisagées pour renforcer l'espace Schengen. Il faudrait ainsi renforcer l'intégration européenne en créant une véritable police européenne des frontières, qui ne représente que l'un des aspects de la lutte antiterroriste. En effet, rétablir les frontières intérieures après un attentat terroriste me paraît une réponse quelque peu réductrice, même si elle est utile au regard de l'importance de l'échange d'informations entre les services de police et la constitution de bases communes.
Il faudrait aussi assurer l'interopérabilité des fichiers. Faut-il connecter l'ETIAS à l'EES, ou le système Schengen à EURODAC ? La France a déposé des propositions tout à fait sérieuses en ce sens.
Il faudrait moderniser et entrer dans une phase dans laquelle le système d'information Schengen puisse largement utiliser la biométrie. Or, ce système demeure balbutiant sur ce point : il est dépourvu de photos et d'empreintes génétiques. Il est également important que les Européens partagent une vision commune pour que le PNR soit efficace.
Il faut, à mon sens, pour que nous puissions fonctionner, que les garde-frontières européens projetés dans le cadre des actions rapides disposent des mêmes pouvoirs et capacités décisionnelles que leurs homologues des pays où ils sont déployés.
Enfin, je ne peux que saluer le travail accompli en interne avec le dispositif relatif aux interdictions administratives de territoire, les interdictions de sorties de territoire et le dispositif, en vigueur à compter du 15 janvier, rétablissant les autorisations de sortie de territoire pour les mineurs. Là aussi, ces dispositifs sont de nature à renforcer notre sécurité.
En outre, à l'aune des dernières évaluations Schengen de la France, en 2002, 2009 et 2016, la modernisation des outils de contrôle frontière doit être assurée. Il nous faut ainsi travailler sur la gouvernance en modernisant notamment le système COVADIS afin de pouvoir lire les contenus de la biométrie des puces des passeports.
Il faudrait également assurer l'accessibilité de la base des Titres Électroniques de Sécurité (TES) aux garde-frontières. Comment peut-on concevoir aujourd'hui qu'en cas de doute sur un document, ceux-ci doivent s'adresser à une préfecture, aux horaires des usagers, pour obtenir l'accès à cette base ? Il nous faut avoir l'historique d'un titre d'identité et les différentes photographies du dossier. Une telle démarche peut certes faire l'objet de débats d'ordre métaphysique sur la protection des libertés, mais je milite, pour ma part, en faveur de l'accès du garde-frontières à cette base.
Je vous remercie, Monsieur le Directeur, de votre présentation claire et précise. Une question me vient immédiatement à l'esprit lorsque vous vous prononcez en faveur de la stabilisation de l'espace Schengen à 26 et l'éventualité d'un système à géométrie variable. Or, un tel fonctionnement entraîne ipso facto une gestion distincte des différentes frontières internes entre les pays qui composent cet espace. Comment cela fonctionnerait-il ? Par ailleurs, il semble que le partage de l'information, de la connaissance et des fichiers pose problème. Pensez-vous que les Européens souhaitent avancer sur ce point ? Faute d'une volonté politique forte, cette démarche ne sera pas assurée. Enfin, en pratique, quelle est la réalité de ce rétablissement des frontières physiques conformément aux dispositions du code frontière relatives aux circonstances exceptionnelles ?
L'espace Schengen présente une dimension symbolique forte et sa fin entraînerait celle du projet européen. L'affirmation de son principe est déjà un succès. Pourquoi faut-il le stabiliser ? C'est un postulat géopolitique selon lequel la libre circulation à l'intérieur est le pendant du bon contrôle de l'extérieur. À la faveur de l'expérience, on s'aperçoit qu'on ne contrôle de manière optimale ni l'un ni l'autre ! Avant d'intégrer de nouveaux États, stabilisons l'espace et réduisons les failles que nous connaissons actuellement ! Tel est le sens de mon propos. Jamais le niveau de menace de notre pays n'a été aussi fort et je ne suis pas certain que les terroristes attendent 2018 pour commettre de nouveaux attentats. La confiance doit être constante entre les différents systèmes policiers, impliquant une réelle volonté d'échanger des informations, comme ce fut le cas entre la France et l'Espagne dans la lutte contre le terrorisme d'ETA. Éradiquer le terrorisme exige de coopérer à portes et services ouverts. Sans doute faudra-t-il promouvoir, davantage que par le passé, la confiance réelle et la capacité à réaliser en commun au sein de l'espace Schengen.
Le partage d'informations commence à être fructueux, même si cette évolution s'opère en raison d'événements tragiques. Ainsi, les Allemands ont toujours été réticents à partager leurs données, ce que, du reste, l'attentat de Berlin est de nature à faire évoluer. Le système d'information Schengen (SIS) demeure subordonné à ce que les fichiers contiennent. Or, les pays n'ont pas une pratique identique dans l'alimentation des fichiers de ce système. Certains échanges ont été opérés par les services de renseignement sur le terrorisme et le niveau des échanges me semble, pour l'heure, satisfaisant. La notion de « fiche S » est purement française et il serait important de connaître réellement et pratiquement toutes les personnes que les Allemands et l'ensemble de nos partenaires européens considèrent comme potentiellement très dangereuses. De telles informations vont de pair avec le contrôle des frontières. Nous n'avons toujours pas à ce jour de PNR européen et nous n'obtenons pas les données APIS (Advanced Passenger Information System) qui contiennent un grand nombre d'informations permettant d'inspecter les listes de passagers avant que ceux-ci n'arrivent sur notre territoire. Il faut décliner aux aspects maritime et ferroviaire une telle démarche, comme l'acte terroriste survenu dans le Thalys en souligne l'importance. Réduire la lutte contre le terrorisme au contrôle aux frontières s'avère illusoire, si celui-ci n'est pas accompagné par d'autres mesures.
Le contrôle aux frontières intérieures existe et s'avère efficace. Ainsi, plus de 61 000 non-admissions ont été prononcées depuis le 13 novembre dernier. En l'absence du contrôle aux frontières intérieures, ces personnes se trouveraient sur notre territoire national. Plus de 54 000 fiches de recherche, dont plus de 10 000 « fiches S », ont été détectées. Ce contrôle présente donc un certain intérêt. Quelle en est la réalité concrète ? Comment protéger 3 000 kilomètres de frontières terrestres ? Dans les installations aux frontières qui demeurent précaires, les fonctionnaires présents font preuve d'une très grande abnégation. Pour rétablir le contrôle aux frontières, il faut assurer sa conduite en mobilité. Disposons-nous des moyens informatiques pour le faire ? La réponse est négative. Il faut encore améliorer le système NEO en garantissant l'utilisation de la biométrie. En guise d'illustration, je prendrai un exemple concret. Si je procède à un contrôle dans le quartier de la Source à Orléans, il faut, qu'avec une tablette ou un smartphone, je puisse avoir accès aux bases de données Schengen et Eurodac et que je dispose d'un capteur multi-doigts me permettant de contacter la base des visas. Telle est la modernité du contrôle, qui repose sur l'interconnexion des fichiers, à laquelle il nous faut parvenir, si l'on ne souhaite pas rétablir des guérites à chaque kilomètre !
Cette réalité du rétablissement du contrôle des frontières intérieures est également fonction d'un contexte. Ainsi, près de 4 500 personnels sont postés aux frontières et ne peuvent par conséquent être déployés sur l'ensemble du territoire. Il nous a fallu fermer deux CRA - celui de Geispolsheim et celui d'Hendaye - afin de dégager des effectifs pour la frontière.
En outre, certains espaces traditionnels, dans les aéroports et les ports, doivent être modernisés en privilégiant les interfaces homme-machine. Nous n'aurons plus la possibilité de mettre en place les équivalents-temps-plein (ETP) suffisants pour faire face aux projections d'augmentation du trafic : près de 64 millions de passagers transitent aujourd'hui par Roissy et, dans trois ans, ils seront 80 millions. 1 600 de mes agents se trouvent déjà à Roissy. Comment pourrons-nous absorber le surplus de passagers avec un niveau de sécurité considéré comme bon ? Il faudra ainsi multiplier les dispositifs de contrôle automatique aux frontières, comme Parafe (Passage Automatisé Rapide aux Frontières Extérieures), en utilisant des technologies modernes comme la reconnaissance faciale, le pre-check, un système COVADIS aux performances améliorées. Il faudra affirmer le principe que l'on souhaite : soit la fluidité ou la sécurité. Allez aux États-Unis : l'attente dans les files y est bien supérieure à celle que l'on peut connaître dans nos aéroports et personne ne proteste ! Il manque à l'Europe une vision partagée de ce qu'il faut faire.
La commission d'enquête va effectuer un déplacement à Strasbourg, le lundi 6 février prochain. Serait-il possible de participer à des contrôles mobiles qui seront réalisés à la frontière avec l'Allemagne afin d'évaluer notamment l'état de la coopération avec nos voisins allemands ?
Oui, bien sûr. Un contrôle fixe est organisé sur le Pont de l'Europe avec nos voisins allemands, ainsi qu'à Ottmarsheim. Je vous invite à vous rapprocher de mon secrétariat pour organiser un tel déplacement. Vous comprendrez là tout l'intérêt du contrôle en mobilité et des modalités flexibles du rétablissement du contrôle aux frontières intérieures. Si l'on sauve l'espace Schengen, il faudra réfléchir à de nouvelles modalités qui permettent à un État de rétablir ses contrôles intérieurs. Doit-on encore considérer qu'une crise ne dure que deux ans, durée maximum autorisée du rétablissement du contrôle aux frontières intérieures quelle que soit l'option ? Comment doter les États des moyens nécessaires à l'organisation de contrôles intérieurs, malgré le démantèlement des implantations survenu en 1995 ? Ainsi, développons de manière forte la technologie qui nous permet d'assurer des contrôles en mobilité. C'est ce pour quoi je milite afin de nous doter des capacités de faire face à une crise de manière autonome.
J'aurai deux questions. Schengen est un espace de libre circulation des personnes et des marchandises. De quelle façon êtes-vous coordonné avec le service des douanes ? D'autre part, un grand débat a eu lieu sur la protection des données personnelles. Quels problèmes juridiques se poseraient si vos préconisations étaient mises en oeuvre ?
Schengen est un espace de libre circulation des personnes et des marchandises. Une circulaire du 6 novembre 1995 a réparti les compétences entre la douane et la police aux frontières qui est davantage spécialisée sur les contrôles aux personnes. Ainsi, sur les 118 points de passage frontaliers extérieurs où un contrôle transfrontalier est opéré, 74 incombent à la douane et 44 sont laissés à la police aux frontières. Dans le cadre du rétablissement du contrôle frontière intérieur, on parle désormais de points de passage autorisés (PPA) qui sont au nombre de 285 : 154 relèvent de la police aux frontières et 131 relèvent de la douane. Votre question m'amène à rebondir sur la création de ces points de passage autorisés. En France, aucune infraction n'est prévue si l'on contourne ces points de passage pour franchir la frontière. Quel est l'intérêt d'une mesure n'impliquant pas de sanction ? La circulaire de 1995 prévoit les répartitions territoriales et fonctionnelles entre la douane et la police. On a profité de l'implantation des douanes pour assurer la mutualisation. Historiquement, les douanes ont toujours été placées aux frontières et il n'était pas important que la police se trouve dans les points de passage où elles se trouvaient déjà. Désormais, dans le cadre du rétablissement des frontières intérieures, si nous avons une coordination avec la douane, force est de constater que celle-ci demeure très ancrée sur son corps de métier qui est de contrôler la marchandise, comme en témoigne le faible nombre de non-admissions qu'elle prononce. La logique du fonctionnement de la douane est distincte de celle de la police, puisque celle-ci, à l'inverse de la police, laisse d'abord entrer sur le territoire national avant de procéder à un contrôle. La police, quant à elle, en contrôlant sur la frontière, évite qu'on y pénètre. La police s'occupe ainsi des vingt-deux plus gros aéroports français et est compétente pour les points de passage frontaliers (PPF) qui sont créés par les préfets de départements. Sans doute faudrait-il une instance nationale régulant leur implantation. En effet, le préfet doit aujourd'hui répondre aux demandes d'ouverture de PPF, de manière locale, sans réelle coordination nationale. Comment est-il possible d'armer ces points de passage frontaliers, au risque de créer une vulnérabilité qui s'apparente à une passoire ? De l'« Europe forteresse », on passe ainsi à une forme d'« Europe passoire » ! Telle est la crise de légitimité de l'espace Schengen que j'évoquais précédemment.
La protection des données fait aujourd'hui débat, comme en témoigne la création du fichier TES, qui résulte de la fusion des fichiers des cartes d'identité et des passeports. Aujourd'hui, existe-t-il un obstacle juridique à permettre l'accès des services ? Cet obstacle me paraît davantage de nature politique : à la condition que l'on réponde aux exigences de la Commission nationale informatique et liberté et, plus largement de l'État de droit, il faut concilier la protection de l'État avec le juste équilibre entre la liberté et la sécurité. Je ne vois pas aujourd'hui d'obstacle particulier : à chaque fois que le droit communautaire intervient, nous modifions les textes. Ainsi, l'arrêt Melki nous indiquait l'impossibilité de conduire sans limite des contrôles sur la bande des vingt kilomètres, une telle démarche revenant à transposer les contrôles de la ligne frontière à l'intérieur du territoire national. Le code de procédure pénale a été dûment modifié et on a limité la durée du contrôle, dans la bande des vingt kilomètres, à six heures. Aujourd'hui, je ne vois pas ce qui empêche un policier ou un gendarme de consulter le fichier TES. Il me paraît anormal qu'il soit impossible d'obtenir des informations sur un ressortissant communautaire ; cette incapacité étant valable à l'ensemble de l'espace. En Europe, il existe la base iFADO (False and Authentic Documents Online) qui recense les fac-similés des différents documents d'identité délivrés par les pouvoirs publics de chaque Etat membre, mais il n'existe pas de dispositif en Europe pour contrôler la validité des titres à l'échelle communautaire ! Il faut ainsi permettre a priori le contrôle, car il est impossible de déléguer le contrôle à des policiers et à des douaniers sans leur donner les moyens d'exercer leur mission.
On ne peut, par ailleurs, faire reposer sur le contrôle aux frontières l'absence de consensus européen. Pour preuve, les pays européens sont en désaccord pour désigner quels sont les pays considérés comme sûrs, à l'instar de ce qui s'est produit pour le Kosovo. Aujourd'hui, les Allemands refusent les demandes d'asile des Albanais que nous acceptons ! Ce domaine dépasse ma responsabilité, mais illustre l'exigence d'une cohérence européenne en la matière. Il n'y a donc pas d'obstacle à conduire les contrôles, une fois assurés les garde-fous et accordée la confiance aux personnes auxquelles on a délégué notre sécurité.
- Présidence de M. Didier Marie, vice-président -
Merci pour votre exposé riche et pédagogique. Ma première question portera sur les hot spots. Faut-il les implanter à l'intérieur ou à l'extérieur de l'Union européenne ? Leur implantation extérieure repose sur la capacité des pays extérieurs qui les accueillent à faire fonctionner le système, à posséder un régime politique fiable et à ne pas rendre l'Union européenne par trop dépendante à un éventuel chantage sur ce thème. Ma seconde question portera sur la relocalisation à la suite du Règlement de Dublin. Une répartition doit s'opérer à l'échelle de l'Union, mais quels sont les moyens dont cette dernière dispose en la matière, c'est-à-dire pour s'assurer que les pays accueillent les migrants conformément à ce qui leur est demandé ?
Votre seconde question, qui concerne les relocalisations, ne relève pas de ma compétence. Le Règlement de Dublin figure parmi les seuls outils dont nous disposons pour nous adresser aux nationalités extérieures à l'Union européenne, comme le Pakistan ou encore l'Afghanistan. Il importe de mettre en oeuvre un mécanisme de régulation et d'évaluation, sans présager de la situation de certains pays qui, du fait du nombre conséquent de migrants qu'ils ont déjà accueillis, ne souhaitent plus en accueillir de nouveaux au titre de ces accords.
Les hot spots fonctionnent, bien que de manière imparfaite. En effet, dans les hot spots grecs situés dans le Dodécanèse, 2 000 migrants arrivaient quotidiennement. Depuis la signature de l'accord avec la Turquie, leur nombre a baissé à une centaine par jour. Comme vous l'avez évoqué, cet accord demeure soumis au bon vouloir des Turcs qui ont posé deux conditions très strictes : la libéralisation des visas pour leurs ressortissants et l'obtention d'un financement considérable par l'Union. Un tel accord demeure fragile.
Ces hot spots sont des centres de tri des migrants qui peuvent être, le cas échéant, renvoyés. Je n'ai pas connaissance, hormis les 821 personnes qui ont été renvoyées, conformément à l'accord entre l'Union et la Turquie, que de l'Italie ou de la Grèce, de nombreux migrants aient été renvoyés vers leur pays d'origine. C'est une vraie interrogation. Ne doit-on pas plutôt créer des centres dans les pays d'origine ? Ce débat est posé et doit faire appel à des considérations d'ordre diplomatique. L'absence de garanties relatives au respect des droits de l'Homme dans ces pays peut faire obstacle à la mise en oeuvre de cette formule. Comment l'Europe peut-elle aider ces pays ? Certes, le concept de hot spot est une réponse de l'Union européenne à cette crise migratoire sans précédent et à la désorganisation des pays d'origine. Il a également ramené un peu de sérénité dans l'espace Schengen. Il nous faut à présent travailler sur la notion du retour et la mise en oeuvre d'une politique cohérente. À l'intérieur de l'Union, le hot spot n'est concevable qu'à la condition de disposer d'un mécanisme de renvoi des personnes vers leur pays d'origine. Un tel mécanisme n'est pas, à proprement parler, efficace ni commun à l'ensemble des États membres, ne serait-ce qu'en matière de droit d'asile. Peu importe l'endroit où le hot spot se trouve, quand bien même sa situation en amont éviterait les décès lors des traversées. Cependant, les migrants sont avant tout renvoyés d'un pays européen à un autre.
Est-on revenu aux contrôles que l'on connaissait avant 1995 à la suite des attentats terroristes et dispose-t-on, le cas échéant, de moyens comparables à ceux de cette période ? Par ailleurs, les moyens à déployer contre le terrorisme me semblent différents de ceux de la lutte contre l'immigration illégale. Enfin, le système Parafe me paraît efficace lorsqu'il fonctionne. Comment développer un tel système ? Je crois, tout comme vous, aux outils numériques qui peuvent nous permettre de traiter deux questions connexes, à savoir la facilitation de l'activité transfrontalière et le développement du tourisme intra-zone. Ainsi, des solutions spécifiques peuvent-elles être mises en oeuvre, dans la durée, pour faciliter l'activité transfrontalière et aussi le tourisme à la journée qui sont tous deux une réussite de Schengen ?
Je vous remercie pour la précision de votre exposé. Vous avez évoqué que les accords avec les pays hors Schengen, comme le Pakistan qui présente des foyers terroristes et des attentats au moins aussi nombreux qu'en France. Je préside le groupe d'amitié France-Pakistan et nous avons connu une mini-crise avec un ressortissant pakistanais, à la fin juin. Comment analysez-vous cette défaillance, soit entre les deux pays, soit dans nos propres procédures ?
Je vous remercie de votre exposé très clair dans lequel vous avez évoqué le PNR. Or, celui-ci ne devrait pas voir le jour avant 2018, ce qui soulève notre interrogation sur la réactivité de l'espace européen face à des menaces qui sont immédiates. En tant que membre de la commission des affaires européennes, je proposerai à notre président que nous nous penchions sur les mesures à prendre pour améliorer la réactivité européenne dans ce domaine. Je crois, tout comme vous, en la valeur de l'espace Schengen auquel se réfèrent notamment les jeunes générations. Or, l'harmonisation des documents d'identité et des conditions de leur délivrance ne me paraît pas suffisamment assurée. Les politiques de sécurité et de défense étant désormais d'ampleur européenne, il me paraît difficile d'éluder une telle question.
Depuis le 13 novembre, nous avons mobilisé entre 4 000 et 4 500 personnes - ce nombre variant en fonction des événements comme l'Euro ou la COP-21 - pour le rétablissement du contrôle des frontières. Des douaniers se sont joints à nous, ainsi que des forces plus généralistes dans la bande des 20 kms. Le contrôle aux frontières n'est pas de même nature que celui de 1995. À l'époque, tous les pays étaient dans la logique de contrôler leurs frontières. La PAF comprenait alors 6 000 agents, dont 4 000 étaient déployés pour le contrôle aux frontières. Aujourd'hui, la logique qui a prévalu après Schengen était de s'orienter vers les territoires car les flux migratoires y sont d'installation ou de transit. Nous disposons également d'outils plus performants et intégrés aujourd'hui qu'en 1995.
Le contrôle d'aujourd'hui, s'il conjugue les aspects aléatoires et dynamiques avec les moyens de pouvoir accéder aux bases de données, s'avère sans doute plus efficace. Cependant, il ne saurait être infaillible, puisqu'un système de surveillance, par essence, ne saurait être totalement hermétique.
Certains accords transfrontaliers impliquent des démarches plus souples vis-à-vis de travailleurs transfrontaliers identifiés : entre la Sarre et l'Est notamment, on partage des espaces communs. Il faut développer ce type d'accord de petit trafic frontalier. Si je partage votre analyse économique sur l'espace Schengen, je dois reconnaître que notre vie a changé à la suite des attentats de 2015 et 2016. Le terrorisme modifie l'activité économique et les contrôles seront accrus. Il est impossible de concevoir un système partiellement renforcé pour lutter contre le terrorisme. Notre vie a profondément changé et les contrôles demeureront effectifs tant que durera la menace terroriste. Or, celle-ci va durer longtemps. Il faut limiter l'impact sur l'activité économique, mais je ne peux répondre positivement à la demande de faire transiter les personnes à l'Aéroport de Roissy-Charles de Gaulle en moins de trente minutes. Les contrôles vont ainsi être renforcés.
L'augmentation des dispositifs de contrôle automatisé aux frontières et l'utilisation des technologies à reconnaissance faciale plutôt que dactylaire permettent d'absorber des trafics passagers dans de bonnes conditions de sécurité. En effet, la reconnaissance faciale permet de prendre toutes les données des puces biométriques avec un niveau de fiabilité reconnu, sans devoir échanger des certificats pour obtenir l'accès aux bases. Aujourd'hui, 41 sas ont été déployés à Roissy, Orly et Marseille et nous devrions atteindre le chiffre de 81 sas dans les trois années qui viennent. D'après nos estimations, il faudrait en implanter près de 160, en intégrant l'ensemble des plateformes parisiennes. Nous avons ainsi créé la fonction de policier superviseur qui contrôle cinq sas, lesquels ne sont, pour le moment, destinés qu'aux ressortissants européens. Il faudrait les ouvrir aux ressortissants des pays tiers, en y ajoutant un capteur multi-doigts afin de consulter la base VIS et avant de les diriger vers une aubette où sont vérifiées par un garde-frontières les justificatifs liés aux conditions de leur séjour.
Aujourd'hui, nous sommes confrontés aux deux défis que sont les flux migratoires et le terrorisme. On ne peut exclure, avec l'état de délabrement de la Libye, que des terroristes se soient introduits dans le flux des migrants, à l'instar des deux terroristes du Stade de France ou des ressortissants tunisiens abattus à Milan après s'être rendus en Allemagne. Je n'irai pas jusqu'à dire que tout migrant est un terroriste, mais on ne peut exclure l'infiltration de certains d'entre eux parmi les 181 000 personnes qui ont traversé la Méditerranée depuis la Libye. L'interopérabilité des bases permettra de répondre à ces deux défis. Si le système d'information Schengen comportait de la biométrie et disposait d'un accès à EURODAC garantissant le croisement des données, la coordination avec les autorités étrangères en serait rendue plus aisée.
On passe des accords avec des pays comme le Pakistan qui prévoient notamment la durée de trente jours pour la délivrance de laisser-passez, sachant que la durée de rétention n'excède pas, en France, quarante-cinq jours. Or, le Pakistan ne respecte pas de tels délais afin de paralyser notre action. Tant au niveau européen, comme l'a souligné Mme Angela Merkel, qui a menacé de supprimer les aides bilatérales au développement à la Tunisie si elle refusait de reprendre leurs ressortissants déboutés du droit d'asile. Pacta sunt servanda. L'affaire du Pakistan a été réglée lorsque nous avons refusé le visa à vingt-huit personnes. Cette démarche me paraît tout à fait pertinente. En effet, quel est l'intérêt d'un accord sur lequel vous ne disposez d'aucun moyen de rétorsion ? De nombreux accords rencontrent cet écueil, comme celui avec le Mali qui nous refuse, en permanence, le retour de nombre de leurs ressortissants. Une telle réalité me dépasse et concerne à la fois la représentation nationale et le ministère des affaires étrangères. Vous n'êtes respecté dans un accord que si celui-ci est synallagmatique. Rétablissez le visa pour les Albanais et le nombre de demandes d'asile sera réduit ! Une telle démarche dépasse mes compétences, mais il importe de clarifier ce qu'attendent les pays. On peut renvoyer aujourd'hui à Kaboul et j'ai proposé que tous les Kurdes irakiens qui ont été pris dans des filières de traite d'êtres humains soient renvoyés dans leur pays d'origine. Il faudrait engager prioritairement des démarches en vue du retour de ces personnes condamnées par nos tribunaux vers leur pays d'origine.
Enfin, si le PNR ne sera opérationnel au niveau européen qu'en 2018, il est d'ores et déjà mis en oeuvre à l'échelle nationale, tout comme en Angleterre et en Espagne. Certes, tous ces dispositifs européens, que j'ai cités, vont dans le bon sens. Il y a là un effort de compréhension mutuel à conduire, qui implique notamment des capacités linguistiques dont est pourvue la PAF au-delà des autres unités de la police nationale. En outre, la temporalité peut poser problème. Il faut ainsi conduire une réflexion sur le temps d'application des mesures en fonction de la menace à laquelle on est confronté.
Enfin, un titre européen existe, conformément à un règlement de 2008 qui précise les éléments homogènes que doivent contenir les papiers d'identité délivrés dans l'espace Schengen. Notre carte nationale d'identité répond ainsi à des standards élaborés par l'Europe. En revanche, la capacité de vérifier entre États la véracité du titre est lacunaire. D'ailleurs, la base iFADO permet aux garde-frontières de vérifier la conformité des titres avec des fac-similés officiels. Le problème réside pour nous davantage dans l'accès aux bases des titres européens que dans la façon dont ils doivent être réalisés.
Merci beaucoup, Monsieur le Directeur, pour cette présentation et votre disponibilité à nous répondre. Chacun de nous a pu tirer profit de votre audition très intéressante. Je vous en remercie.
La réunion est close à 12 h 36.