Intervention de David Skuli

Commission d'enquête Frontières européennes et avenir espace Schengen — Réunion du 12 janvier 2017 à 11h00
Audition de Mm. David Skuli directeur central de la police aux frontières fernand gontier directeur central adjoint et bernard siffert sous-directeur des affaires internationales transfrontières et de la sûreté au ministère de l'intérieur

David Skuli, directeur central de la police aux frontières :

Schengen est un espace de libre circulation des personnes et des marchandises. Une circulaire du 6 novembre 1995 a réparti les compétences entre la douane et la police aux frontières qui est davantage spécialisée sur les contrôles aux personnes. Ainsi, sur les 118 points de passage frontaliers extérieurs où un contrôle transfrontalier est opéré, 74 incombent à la douane et 44 sont laissés à la police aux frontières. Dans le cadre du rétablissement du contrôle frontière intérieur, on parle désormais de points de passage autorisés (PPA) qui sont au nombre de 285 : 154 relèvent de la police aux frontières et 131 relèvent de la douane. Votre question m'amène à rebondir sur la création de ces points de passage autorisés. En France, aucune infraction n'est prévue si l'on contourne ces points de passage pour franchir la frontière. Quel est l'intérêt d'une mesure n'impliquant pas de sanction ? La circulaire de 1995 prévoit les répartitions territoriales et fonctionnelles entre la douane et la police. On a profité de l'implantation des douanes pour assurer la mutualisation. Historiquement, les douanes ont toujours été placées aux frontières et il n'était pas important que la police se trouve dans les points de passage où elles se trouvaient déjà. Désormais, dans le cadre du rétablissement des frontières intérieures, si nous avons une coordination avec la douane, force est de constater que celle-ci demeure très ancrée sur son corps de métier qui est de contrôler la marchandise, comme en témoigne le faible nombre de non-admissions qu'elle prononce. La logique du fonctionnement de la douane est distincte de celle de la police, puisque celle-ci, à l'inverse de la police, laisse d'abord entrer sur le territoire national avant de procéder à un contrôle. La police, quant à elle, en contrôlant sur la frontière, évite qu'on y pénètre. La police s'occupe ainsi des vingt-deux plus gros aéroports français et est compétente pour les points de passage frontaliers (PPF) qui sont créés par les préfets de départements. Sans doute faudrait-il une instance nationale régulant leur implantation. En effet, le préfet doit aujourd'hui répondre aux demandes d'ouverture de PPF, de manière locale, sans réelle coordination nationale. Comment est-il possible d'armer ces points de passage frontaliers, au risque de créer une vulnérabilité qui s'apparente à une passoire ? De l'« Europe forteresse », on passe ainsi à une forme d'« Europe passoire » ! Telle est la crise de légitimité de l'espace Schengen que j'évoquais précédemment.

La protection des données fait aujourd'hui débat, comme en témoigne la création du fichier TES, qui résulte de la fusion des fichiers des cartes d'identité et des passeports. Aujourd'hui, existe-t-il un obstacle juridique à permettre l'accès des services ? Cet obstacle me paraît davantage de nature politique : à la condition que l'on réponde aux exigences de la Commission nationale informatique et liberté et, plus largement de l'État de droit, il faut concilier la protection de l'État avec le juste équilibre entre la liberté et la sécurité. Je ne vois pas aujourd'hui d'obstacle particulier : à chaque fois que le droit communautaire intervient, nous modifions les textes. Ainsi, l'arrêt Melki nous indiquait l'impossibilité de conduire sans limite des contrôles sur la bande des vingt kilomètres, une telle démarche revenant à transposer les contrôles de la ligne frontière à l'intérieur du territoire national. Le code de procédure pénale a été dûment modifié et on a limité la durée du contrôle, dans la bande des vingt kilomètres, à six heures. Aujourd'hui, je ne vois pas ce qui empêche un policier ou un gendarme de consulter le fichier TES. Il me paraît anormal qu'il soit impossible d'obtenir des informations sur un ressortissant communautaire ; cette incapacité étant valable à l'ensemble de l'espace. En Europe, il existe la base iFADO (False and Authentic Documents Online) qui recense les fac-similés des différents documents d'identité délivrés par les pouvoirs publics de chaque Etat membre, mais il n'existe pas de dispositif en Europe pour contrôler la validité des titres à l'échelle communautaire ! Il faut ainsi permettre a priori le contrôle, car il est impossible de déléguer le contrôle à des policiers et à des douaniers sans leur donner les moyens d'exercer leur mission.

On ne peut, par ailleurs, faire reposer sur le contrôle aux frontières l'absence de consensus européen. Pour preuve, les pays européens sont en désaccord pour désigner quels sont les pays considérés comme sûrs, à l'instar de ce qui s'est produit pour le Kosovo. Aujourd'hui, les Allemands refusent les demandes d'asile des Albanais que nous acceptons ! Ce domaine dépasse ma responsabilité, mais illustre l'exigence d'une cohérence européenne en la matière. Il n'y a donc pas d'obstacle à conduire les contrôles, une fois assurés les garde-fous et accordée la confiance aux personnes auxquelles on a délégué notre sécurité.

- Présidence de M. Didier Marie, vice-président - 

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