Intervention de David Skuli

Commission d'enquête Frontières européennes et avenir espace Schengen — Réunion du 12 janvier 2017 à 11h00
Audition de Mm. David Skuli directeur central de la police aux frontières fernand gontier directeur central adjoint et bernard siffert sous-directeur des affaires internationales transfrontières et de la sûreté au ministère de l'intérieur

David Skuli, directeur central de la police aux frontières :

Depuis le 13 novembre, nous avons mobilisé entre 4 000 et 4 500 personnes - ce nombre variant en fonction des événements comme l'Euro ou la COP-21 - pour le rétablissement du contrôle des frontières. Des douaniers se sont joints à nous, ainsi que des forces plus généralistes dans la bande des 20 kms. Le contrôle aux frontières n'est pas de même nature que celui de 1995. À l'époque, tous les pays étaient dans la logique de contrôler leurs frontières. La PAF comprenait alors 6 000 agents, dont 4 000 étaient déployés pour le contrôle aux frontières. Aujourd'hui, la logique qui a prévalu après Schengen était de s'orienter vers les territoires car les flux migratoires y sont d'installation ou de transit. Nous disposons également d'outils plus performants et intégrés aujourd'hui qu'en 1995.

Le contrôle d'aujourd'hui, s'il conjugue les aspects aléatoires et dynamiques avec les moyens de pouvoir accéder aux bases de données, s'avère sans doute plus efficace. Cependant, il ne saurait être infaillible, puisqu'un système de surveillance, par essence, ne saurait être totalement hermétique.

Certains accords transfrontaliers impliquent des démarches plus souples vis-à-vis de travailleurs transfrontaliers identifiés : entre la Sarre et l'Est notamment, on partage des espaces communs. Il faut développer ce type d'accord de petit trafic frontalier. Si je partage votre analyse économique sur l'espace Schengen, je dois reconnaître que notre vie a changé à la suite des attentats de 2015 et 2016. Le terrorisme modifie l'activité économique et les contrôles seront accrus. Il est impossible de concevoir un système partiellement renforcé pour lutter contre le terrorisme. Notre vie a profondément changé et les contrôles demeureront effectifs tant que durera la menace terroriste. Or, celle-ci va durer longtemps. Il faut limiter l'impact sur l'activité économique, mais je ne peux répondre positivement à la demande de faire transiter les personnes à l'Aéroport de Roissy-Charles de Gaulle en moins de trente minutes. Les contrôles vont ainsi être renforcés.

L'augmentation des dispositifs de contrôle automatisé aux frontières et l'utilisation des technologies à reconnaissance faciale plutôt que dactylaire permettent d'absorber des trafics passagers dans de bonnes conditions de sécurité. En effet, la reconnaissance faciale permet de prendre toutes les données des puces biométriques avec un niveau de fiabilité reconnu, sans devoir échanger des certificats pour obtenir l'accès aux bases. Aujourd'hui, 41 sas ont été déployés à Roissy, Orly et Marseille et nous devrions atteindre le chiffre de 81 sas dans les trois années qui viennent. D'après nos estimations, il faudrait en implanter près de 160, en intégrant l'ensemble des plateformes parisiennes. Nous avons ainsi créé la fonction de policier superviseur qui contrôle cinq sas, lesquels ne sont, pour le moment, destinés qu'aux ressortissants européens. Il faudrait les ouvrir aux ressortissants des pays tiers, en y ajoutant un capteur multi-doigts afin de consulter la base VIS et avant de les diriger vers une aubette où sont vérifiées par un garde-frontières les justificatifs liés aux conditions de leur séjour.

Aujourd'hui, nous sommes confrontés aux deux défis que sont les flux migratoires et le terrorisme. On ne peut exclure, avec l'état de délabrement de la Libye, que des terroristes se soient introduits dans le flux des migrants, à l'instar des deux terroristes du Stade de France ou des ressortissants tunisiens abattus à Milan après s'être rendus en Allemagne. Je n'irai pas jusqu'à dire que tout migrant est un terroriste, mais on ne peut exclure l'infiltration de certains d'entre eux parmi les 181 000 personnes qui ont traversé la Méditerranée depuis la Libye. L'interopérabilité des bases permettra de répondre à ces deux défis. Si le système d'information Schengen comportait de la biométrie et disposait d'un accès à EURODAC garantissant le croisement des données, la coordination avec les autorités étrangères en serait rendue plus aisée.

On passe des accords avec des pays comme le Pakistan qui prévoient notamment la durée de trente jours pour la délivrance de laisser-passez, sachant que la durée de rétention n'excède pas, en France, quarante-cinq jours. Or, le Pakistan ne respecte pas de tels délais afin de paralyser notre action. Tant au niveau européen, comme l'a souligné Mme Angela Merkel, qui a menacé de supprimer les aides bilatérales au développement à la Tunisie si elle refusait de reprendre leurs ressortissants déboutés du droit d'asile. Pacta sunt servanda. L'affaire du Pakistan a été réglée lorsque nous avons refusé le visa à vingt-huit personnes. Cette démarche me paraît tout à fait pertinente. En effet, quel est l'intérêt d'un accord sur lequel vous ne disposez d'aucun moyen de rétorsion ? De nombreux accords rencontrent cet écueil, comme celui avec le Mali qui nous refuse, en permanence, le retour de nombre de leurs ressortissants. Une telle réalité me dépasse et concerne à la fois la représentation nationale et le ministère des affaires étrangères. Vous n'êtes respecté dans un accord que si celui-ci est synallagmatique. Rétablissez le visa pour les Albanais et le nombre de demandes d'asile sera réduit ! Une telle démarche dépasse mes compétences, mais il importe de clarifier ce qu'attendent les pays. On peut renvoyer aujourd'hui à Kaboul et j'ai proposé que tous les Kurdes irakiens qui ont été pris dans des filières de traite d'êtres humains soient renvoyés dans leur pays d'origine. Il faudrait engager prioritairement des démarches en vue du retour de ces personnes condamnées par nos tribunaux vers leur pays d'origine.

Enfin, si le PNR ne sera opérationnel au niveau européen qu'en 2018, il est d'ores et déjà mis en oeuvre à l'échelle nationale, tout comme en Angleterre et en Espagne. Certes, tous ces dispositifs européens, que j'ai cités, vont dans le bon sens. Il y a là un effort de compréhension mutuel à conduire, qui implique notamment des capacités linguistiques dont est pourvue la PAF au-delà des autres unités de la police nationale. En outre, la temporalité peut poser problème. Il faut ainsi conduire une réflexion sur le temps d'application des mesures en fonction de la menace à laquelle on est confronté.

Enfin, un titre européen existe, conformément à un règlement de 2008 qui précise les éléments homogènes que doivent contenir les papiers d'identité délivrés dans l'espace Schengen. Notre carte nationale d'identité répond ainsi à des standards élaborés par l'Europe. En revanche, la capacité de vérifier entre États la véracité du titre est lacunaire. D'ailleurs, la base iFADO permet aux garde-frontières de vérifier la conformité des titres avec des fac-similés officiels. Le problème réside pour nous davantage dans l'accès aux bases des titres européens que dans la façon dont ils doivent être réalisés.

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