Intervention de Yves Pozzo di Borgo

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 25 janvier 2017 à 9h35
Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de la république italienne signé le 24 février 2015 pour l'engagement des travaux définitifs de la section transfrontalière de la nouvelle ligne ferroviaire lyon-turin — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Yves Pozzo di BorgoYves Pozzo di Borgo, rapporteur :

Monsieur le Président, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord franco-italien de février 2015 pour l'engagement des travaux définitifs de la section transfrontalière de la nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin.

Le projet de liaison ferroviaire Lyon-Turin, projet phare de la coopération franco-italienne, a déjà fait l'objet de trois accords entre la France et l'Italie, tous ratifiés par la France : l'accord de janvier 1996 créant une commission intergouvernementale pour le Lyon-Turin ; l'accord de janvier 2001 pour la réalisation d'une nouvelle ligne Lyon-Turin, qui a conduit notamment à la création d'un promoteur public chargé de mener les études, les reconnaissances et les travaux préliminaires et enfin l'accord de janvier 2012 - voté à la majorité de nos collègues - pour la réalisation et l'exploitation de la nouvelle ligne.

Cet accord correspond à l'avenant prévu à l'article 4 de l'accord de 2001, afin d'engager les travaux définitifs de la section transfrontalière de la ligne Lyon-Turin, soit le franchissement du massif alpin par un tunnel de base de 57,5 km de long - dont 45 km en France et 12,5 km en Italie - entre Saint-Jean-de-Maurienne en France et Suse - Bussoleno en Italie. Il s'agit de substituer à la ligne de montagne historique de la Maurienne et au tunnel ferroviaire du Fréjus situé à plus de 1 300 mètres d'altitude - les sections très pentues obligent les trains de fret à rouler à 30 km/h et à être tractés par deux, voire trois locomotives - une ligne de plaine, plus compétitive et répondant aux standards internationaux.

Après la ratification de cet accord, le promoteur public, la société TELT (Tunnel Euralpin Lyon Turin), détenue pour moitié par chacun des deux États, sera chargée de la réalisation des travaux définitifs de la section transfrontalière entre 2017 et 2029, puis de son exploitation. Depuis 2001, trois galeries de reconnaissance ont été réalisées, côté France, et deux autres sont actuellement en cours en France et en Italie. Sur l'ensemble des travaux d'excavation, 10 % ont déjà été réalisés et 20 % ont fait l'objet de l'attribution de marchés. 30 % des travaux sont déjà réalisés ou en passe de l'être.

Cet avenant comprend l'accord de février 2015 permettant l'engagement des travaux définitifs, le protocole additionnel de mars 2016 et le règlement des contrats en vue de lutter contre les tentatives d'infiltration mafieuse validé par la commission intergouvernementale en juin 2016.

Le protocole additionnel fixe le coût de la section transfrontalière à un peu plus de 8 milliards d'euros (valeur janvier 2012), coût certifié par le groupement belge Tractebel Engineering-Tuc Rail en 2015. La Commission européenne a attribué à ce chantier une subvention d'environ 810 millions d'euros, pour la période 2014-2019, au titre du Mécanisme pour l'Interconnexion en Europe (MIE) et montre son intention de le financer au-delà de 2019, soit une prise en charge des travaux à hauteur de 40 %, le taux maximal. Aux termes de l'accord de 2012, les coûts de réalisation de la section transfrontalière seront répartis selon la clé de répartition suivante : 42,1 % pour la France et 57,9 % pour l'Italie (la clé de répartition sur l'ensemble de la ligne Lyon-Turin est de 50 % pour la France et de 50 % pour l'Italie), déduction faite de la participation de l'Union européenne qui couvrira 40 % des travaux. La participation financière de la France s'élève à un peu plus de 2 milliards d'euros (valeur janvier 2012), soit 25 % du coût total du projet.

Le financement de la participation financière française, environ 200 millions d'euros chaque année sur 12 ans, pourrait venir du Fonds de développement d'une politique intermodale des transports dans le massif alpin (FDPITMA), alimenté par les recettes des tunnels routiers du Mont Blanc et du Fréjus (environ 15 millions d'euros par an). De nouvelles recettes résultant de la mise en oeuvre d'un sur-péage perçue pour la circulation des poids lourds sur certains tronçons autoroutiers de montagne, au titre de la directive « Eurovignette » de 1999, conformément aux recommandations de la mission parlementaire de MM. Michel Destot et Michel Bouvard, font l'objet de discussion avec la Commission européenne. 290 millions d'euros d'autorisations d'engagement viennent d'être inscrits au budget 2017 de l'Agence de Financement des Infrastructures de Transport de France, l'AFITF. Cela ne veut toutefois pas dire que la pérennité du financement est complétement assurée !

Voyons maintenant le règlement destiné à lutter contre les infiltrations mafieuses dans les contrats conclus par le promoteur public, TELT. C'est la première fois qu'un tel dispositif antimafia s'appliquera au plan transnational à un grand chantier européen de travaux publics.

En quoi consiste ce dispositif qui existe déjà dans la législation italienne? Des motifs d'exclusion des contrats, des contrats de sous-traitance et des sous-contrats viennent compléter les dispositions de l'ordonnance de juillet 2015 relative aux marchés publics. Ils sont vérifiés par une structure binationale composée du préfet de Turin et du préfet désigné par la France: le préfet français vérifiera les entreprises françaises. Il s'agira, je crois savoir, du préfet de la région Auvergne-Rhône-Alpes. L'absence de motifs d'exclusion permet l'inscription des opérateurs économiques - en principe pour 12 mois - sur une liste blanche tenue par TELT. Pour appliquer ces nouvelles mesures de police administrative inédites en France, le préfet ne disposera pas de moyens propres et dédiés et j'ai donc interrogé le ministre de l'intérieur sur les moyens qui seront mis à la disposition de celui-ci pour qu'il puisse véritablement remplir sa mission. Tracfin, que j'ai auditionné, m'a indiqué, par exemple, qu'il ne pouvait pas informer le préfet.

Enfin, voyons les enjeux de cette section transfrontalière. Citons tout d'abord le report modal du fret et des voyageurs de la route vers le rail et la sécurisation des transports. Ce projet vise à permettre au mode ferroviaire d'assurer plus de 50 % des échanges de marchandises transitant par les Alpes franco-italiennes. Actuellement les flux routiers représentent 90 % des échanges de fret entre la France et l'Italie avec le passage annuel de 2,5 millions de poids lourds. La part modale du fer n'a cessé de diminuer pour atteindre 9,2 % en 2013. Il faudra cependant adopter une politique globale efficace en faveur du développement du fret ferroviaire pour atteindre un report de 700 000 à 1 000 000 de poids lourds par an de la route vers le rail. Un effort gouvernemental conséquent est nécessaire pour favoriser le fret ferroviaire. Le transport des voyageurs sera également facilité : Lyon-Turin se fera en 3 heures, Paris-Milan en 4 heures et Milan-Barcelone en 6 h 30. Le trafic international passerait de 1,2 million de voyageurs à 4 millions, dont 1,2 million reportés de l'aérien. Citons ensuite la protection de l'environnement. Le report modal - le train est 4 à 5 fois moins polluant qu'un transport routier - permettra la réduction des émissions de polluants nocifs et des nuisances sonores, alors que la fréquence et la durée des pics de pollution sont en augmentation dans les Alpes (Vallée de Chamonix). Je vous renvoie aux questions au Gouvernement de nos collègues à la fin de l'année dernière. La France sera ainsi à même de respecter ses engagements internationaux sur la protection des Alpes - la convention Alpine de 1991 et son protocole des transports de 2000 - et sur le climat, plus généralement.

Enfin, la liaison ferroviaire Lyon-Turin est un élément clé du corridor transeuropéen méditerranéen, au sein du réseau central du réseau transeuropéen de transport. Ce corridor assurera la liaison entre la péninsule ibérique, l'arc méditerranéen, le Nord de l'Italie, la Slovénie et la Hongrie et prend toute son importance au regard de la construction de la « route de la soie » ferroviaire par la Chine et la Russie, qui n'arrive que jusqu'à Turin. Seul tunnel orienté Est-Ouest, il devrait permettre à terme un rééquilibrage géostratégique des flux économiques et éviter une « finistérisation » de la France, en favorisant les échanges entre la France et l'Italie. La France est le deuxième client et le deuxième fournisseur de l'Italie derrière l'Allemagne. On rappelle que les échanges économiques concernés par les traversées Nord-Sud du massif alpin représentent annuellement 105 milliards d'euros tandis que ceux relatifs aux traversées Est-Ouest s'élèvent seulement à 70 milliards d'euros.

Les aménagements suisses avec les tunnels ferroviaires du Lötschberg et du Saint-Gothard - sans parler de la construction du tunnel du Brenner en Autriche - ont déjà fait basculer, hors de France, le trafic provenant du Benelux et du Royaume-Uni et à destination de l'Italie. Selon moi, la construction de cette liaison ferroviaire Lyon-Turin, qui reliera deux aires économiquement fortes, le Grand Paris et le Grand Milan, permettra d'éviter que les flux économiques ne s'écartent de la France, en marginalisant notamment sa partie ouest. Pour éviter que les containers n'arrivent plus que dans les ports néerlandais et qu'ils ne transitent plus que par les axes Nord-Sud, il faut adopter ce projet de loi.

En conclusion et pour les raisons que je viens d'évoquer, je recommande l'adoption de ce projet de loi. Dans son rapport d'information [rapport n° 858 (2015-2016)] sur le financement des infrastructures de transport, la commission des finances a indiqué, en septembre dernier, que ce projet « peut représenter une véritable opportunité économique pour le sud-est de la France ». La mise en service du tunnel de base fin 2029 ne sera toutefois possible que si les voies d'accès françaises sont opérationnelles à cette même date et une mission vient d'être confiée à ce sujet au Conseil général de l'environnement et du développement durable. J'ajouterai que ce projet a déjà eu des retombées économiques pour la région Auvergne-Rhône-Alpes avec la démarche « Grand chantier » et la signature du contrat de territoire Maurienne en septembre 2016. 500 ouvriers et techniciens travaillent déjà sur le chantier de Saint-Martin-la-Porte et la société TELT prévoit d'employer jusqu'à 4 000 personnes en France et en Italie d'ici à 2029.

Enfin, la procédure de ratification italienne s'est achevée le 12 janvier dernier.

L'examen en séance publique est prévu jeudi 26 janvier 2017, selon la procédure normale.

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