Intervention de Michèle André

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 25 janvier 2017 à 9h30
Suivi quinquennal de l'application des lois — Communication

Photo de Michèle AndréMichèle André, présidente :

Comme vous le savez, notre assemblée accorde une attention particulière au suivi de l'application des lois et, au sein du Bureau du Sénat, Claude Bérit-Débat est plus particulièrement chargé de ce dossier.

Nous présenterons avant l'été le traditionnel bilan de l'application des lois de la session écoulée mais le président du Sénat et Claude Bérit-Débat ont souhaité dresser, avant la suspension de nos travaux, un bilan de l'application des lois emblématiques de la législature. La conférence des présidents a fixé ce débat au mardi 21 février à 17 h 45.

Évidemment sélectionner des lois emblématiques est un exercice subjectif et les lois de finances sont pleines de mesures que chacun d'entre nous pourrait juger emblématiques. La liste que nous avons retenue vous a été distribuée.

En outre, dresser le bilan de l'application des lois emblématiques conduit à s'affranchir de la méthodologie que nous retenons habituellement pour évaluer l'application des lois et qui consiste surtout à faire le point sur la mise en oeuvre des mesures d'application, décrets ou arrêtés. En effet, un grand nombre, voire la plupart, des mesures que nous avons retenues ne nécessitaient pas de décret d'application, ou alors seulement sur des points secondaires.

En revanche, dans beaucoup de cas, nous nous sommes attachés, au sein de la commission, à suivre la mise en oeuvre des dispositifs, soit en organisant des auditions publiques, par exemple pour suivre les différentes étapes de la séparation des activités bancaires, soit en confiant des rapports d'information aux rapporteurs spéciaux concernés, par exemple pour suivre l'application du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) comme l'a fait Marie-France Beaufils.

Sur le fond que pouvons-nous retenir ?

Je commencerai par les textes relatifs à la gouvernance des finances publiques.

Depuis le 17 décembre 2012, notre loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, n'est plus notre seul texte de référence puisque nous sommes également régis par la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, prise essentiellement pour introduire dans notre droit interne les règles de gouvernance budgétaire décidées au niveau européen, et que nous avions adoptée à une large majorité.

Si on peut considérer que le vote au début de chaque loi de finances d'un article liminaire n'a pas eu d'incidence majeure sur le déroulement des débats, la création du Haut Conseil des finances publiques a introduit dans le débat budgétaire un acteur nouveau, dont l'existence même a conduit à améliorer le réalisme des prévisions budgétaires et dont les avis sont au coeur de nos discussions et même de l'examen des textes financiers par le Conseil constitutionnel.

Le seul décret d'application de cette loi portait sur la désignation des membres de cette institution. Je vous rappelle que le principe de la parité a été adopté au Sénat à l'initiative d'un amendement d'André Gattolin, que j'avais soutenu, et que c'est notre rapporteur général de l'époque François Marc qui a inventé le dispositif de parité absolue selon lequel chaque autorité de nomination désigne alternativement une femme et un homme. C'est ainsi que Philippe Marini avait désigné une femme en 2013 et que mes successeurs désigneront un homme en 2018, une femme en 2023 et ainsi de suite.

Les lois de programmation des finances publiques votées depuis cinq ans, celle de 2012 et celle 2014, comportaient de nombreuses mesures relatives à la gouvernance des finances publiques, adoptées de manière consensuelle mais diversement appliquées.

À l'initiative d'Albéric de Montgolfier, les documents budgétaires ont été très substantiellement enrichis pour permettre un meilleur suivi des opérateurs. La procédure d'évaluation socio-économique des investissements publics par le commissariat général à l'investissement s'installe peu à peu dans nos processus de prise de décision.

En sens inverse, le décret instituant une conférence des finances publiques n'a jamais été pris. Cette conférence devait réunir une fois par an des représentants de toutes les catégories d'administrations publiques, l'État, les organismes sociaux et les collectivités territoriales, pour élaborer un diagnostic sur la situation des finances publiques et apprécier les conditions requises pour respecter la trajectoire des finances publiques.

Aucune des dispositions pour restreindre le champ de la fiscalité affectée n'a été appliquée et les dispositifs d'évaluation des dépenses fiscales prévus dans la loi de 2012 comme dans celle de 2014 n'ont pas été mis en oeuvre. Des revues de dépenses ont bien été élaborées, mais sans susciter de réforme d'ampleur à ce jour.

En matière fiscale j'ai retenu trois réformes emblématiques, mais dont la mise en oeuvre n'est pas liée à la prise de textes réglementaires. Le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi voté fin 2012 est désormais la plus importante dépense fiscale, qui en régime de croisière diminuera de moitié environ le montant de l'impôt sur les sociétés. Elle est en vigueur depuis 2013, ses effets sur les marges des entreprises sont réels mais sa pérennité n'est pas assurée puisque sa transformation en baisse de charges est régulièrement évoquée, y compris au plus haut niveau de l'État.

Le consentement à l'impôt par le Parlement a retrouvé plus de sens avec la réforme de la contribution au service public de l'électricité, la CSPE, qui permet au Parlement de voter un impôt dont le produit est aujourd'hui supérieur à 7 milliards d'euros. Cette conquête démocratique avait été initiée par notre commission et en particulier notre rapporteur pour avis Jean-François Husson dans la loi de transition énergétique avant d'être confirmée dans la loi de finances rectificative de la fin 2015, dans une version dont notre rapporteur général Albéric de Montgolfier avait toutefois jugé qu'elle n'allait pas assez loin du point de vue des pouvoirs du Parlement.

La révision des valeurs locatives sur lesquelles sont assis nos impôts locaux est un processus au long cours que la loi vient périodiquement débloquer ou relancer. La révision des valeurs locatives des locaux professionnels avait été engagée sous la précédente législature et poursuivie depuis 2012, les lois de finances apportant les ajustements législatifs nécessaires. Elle entre en vigueur cette année, ce qui rend urgente la poursuite de la révision des valeurs locatives des locaux d'habitation, lancée en 2013 par une proposition de loi de notre rapporteur général de l'époque François Marc que l'Assemblée nationale avait intégrée à la loi de finances rectificative de fin d'année. Nous n'avons pas encore reçu les résultats de l'expérimentation.

La législature a été marquée par un renforcement considérable des outils à la disposition de l'administration fiscale pour lutter contre la fraude et l'évasion fiscales. La loi du 6 décembre 2013 relative à lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière est emblématique de cette démarche mais les lois de finances successives ont été riches en dispositions en ce sens. La prise de conscience a été progressive mais réelle, comme en témoigne la possibilité de rémunérer les aviseurs des douanes, proposée sans succès par notre commission en juillet 2013 mais finalement votée en décembre 2016.

Un cas original : celui du registre public des trusts. Créé par la loi de 2013, organisé par un décret de mai 2016, censuré en octobre 2016 par le Conseil constitutionnel saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité, revu dans une version non publique par une ordonnance de décembre 2016, et désormais dans l'attente d'un nouveau décret d'application.

Une autre loi emblématique est la loi du 6 août 2015 sur la croissance et l'activité, la « loi Macron ». Je voudrais simplement signaler des cas révélateurs de la manière dont évolue notre façon de légiférer et en particulier l'instabilité de la législation fiscale et financière. Ainsi le dispositif de suramortissement bien connu de notre commission a, depuis août 2015, déjà été modifié par trois lois de finances. La réforme de la fiscalité des actions gratuites issue de la loi « Macron » et mise en oeuvre au premier semestre 2016 a pour sa part été revue dans la loi de finances pour 2017. Autre exemple : les textes d'application de la réforme de la mobilité bancaire issue de la loi « Hamon » de 2014 n'étaient pas encore pris au printemps 2015 que déjà la loi « Macron » venait compléter cette réforme, pour elle-même tenir compte de nouvelles dispositions du droit de l'Union européenne.

J'évoquerai aussi la possibilité ouverte par la loi « Macron » de régler un contrat d'assurance vie par la remise de titres non négociables. La portée de cet assouplissement limité et encadré est affaiblie non par le droit européen ou une autre loi nationale mais par la jurisprudence, en l'espèce par un arrêt de mai 2016 de la Cour de cassation qui reconnaît la possibilité de verser les primes sous forme de titres pour les contrats d'assurance vie régis par la loi française mais distribués par un assureur luxembourgeois, relançant ainsi le débat sur la nécessité de faire évoluer notre code des assurances.

En matière bancaire et financière, la loi la plus emblématique est celle de juillet 2013 sur la séparation et la régulation des activités bancaires, qui a abouti à un dispositif permettant de protéger la banque de détail des conséquences des activités les plus risquées, tout en limitant l'impact de ces règles sur le financement de l'économie. Cette loi illustre aussi l'imbrication entre droit national et droit européen en matière de régulation financière puisque le dispositif de résolution que nous avons voté ne s'applique plus qu'à une minorité d'établissements, le dispositif européen adopté depuis ayant pris le relai.

La Banque publique d'investissement fait désormais tellement partie du paysage du financement de l'économie française et de l'innovation que l'on oublierait presque qu'elle a été créée par une loi de décembre 2012. La gouvernance de l'établissement n'est pas forcément celle que l'on imaginait au départ mais la banque fonctionne. Son action a été notamment évaluée dans un rapport public thématique de la Cour des comptes paru en décembre 2016, qui identifie en particulier certaines débudgétisations.

Je voudrais conclure en évoquant les demandes de rapport. Elles ont mauvaise presse. Les rapports sont pourtant utiles lorsqu'ils permettent de faire le bilan de l'application d'une loi et au besoin d'en tirer les conséquences. Je prendrai l'exemple de la loi du 13 juin 2014, dite «Eckert », sur les comptes bancaires et les contrats d'assurance vie en déshérence. Notre rapporteur François Marc avait fait voter la remise avant le 1er mai 2016 d'un rapport dressant le bilan du respect de leurs obligations par les assureurs. Sur la base de ce rapport, notre rapporteur pour avis de la loi « Sapin 2 », Albéric de Montgolfier, a identifié que beaucoup de bénéficiaires de contrats d'assurance retraite complémentaire ne demandaient pas leur liquidation à leur départ en retraite, ce qui représentait 6,7 milliards d'euros non versés à leurs bénéficiaires. À l'initiative d'Albéric de Montgolfier, les assureurs ont désormais une obligation d'information des bénéficiaires. Et un nouveau rapport est prévu pour 2018, afin de faire le bilan de cette mesure et de s'assurer que tous les bénéficiaires profitent bien des sommes auxquelles ils ont droit.

Voici les quelques enseignements que je pouvais tirer de la mise en oeuvre de quelques lois emblématiques du quinquennat.

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