Nous examinons ce matin une proposition de loi déposée le 15 décembre 2016 par notre collègue Alain Anziani et les membres du groupe socialiste et républicain. Elle reprend des dispositions identiques introduites par l'Assemblée nationale sous forme d'amendement lors de l'examen en première lecture de la loi dite « Sapin 2 ». En première lecture, notre commission les avait supprimées, puis avait déclaré irrecevable un amendement tendant à les rétablir au motif qu'elles étaient dépourvues de lien avec le projet de loi initial. Le Conseil constitutionnel lui a donné raison en censurant l'article comme un « cavalier législatif » en application de l'article 45 de la Constitution.
L'auteur du texte pourra mieux en expliquer la genèse, mais il n'échappera à personne qu'il est en réaction à des soupçons sur des financements étrangers d'un parti politique français d'extrême droite.
Avec cette proposition de loi, nous disposons de conditions plus favorables pour examiner ces dispositions, notamment de temps, ce qui est d'autant plus souhaitable que, lors de leur examen dans le cadre du projet de loi « Sapin 2 », un débat sur leur constitutionnalité avait surgi. Le rapporteur de l'Assemblée nationale avait fait état de ses doutes, comme l'auteur de l'amendement, et le Gouvernement s'était gardé d'émettre tout avis.
Reprenant une proposition de notre collègue député Romain Colas formulée en juillet 2015 dans un rapport d'information de la commission des finances de l'Assemblée nationale, cette proposition de loi prévoit deux séries d'obligations : l'une qui est relative aux partis et groupements politiques, l'autre aux candidats à certaines élections politiques. Si elles résultent de la même philosophie, je les distingue, car le cadre constitutionnel relatif aux partis ou groupements politiques est plus contraignant pour le législateur. L'article 4 de la Constitution prévoit en effet que les partis et groupements politiques « se forment et exercent leur activité librement », sans que soit évoqué, à la différence des collectivités territoriales, l'encadrement de cette activité par la loi. La jurisprudence constitutionnelle sur le sujet est extrêmement réduite, rendant d'autant plus délicat de cerner les limites constitutionnelles au libre exercice de leurs activités par les partis politiques.
L'article 1er de la proposition de loi prévoit la publication par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), pour les candidats qui sont tenus d'établir un compte de campagne, des informations relatives aux emprunts qu'ils ont éventuellement souscrits : catégories de prêteurs, types de prêts, « pays d'origine des prêteurs » et, pour les personnes morales, leur identité. La CNCCFP dispose déjà de ces informations à travers l'annexe n° 3 au compte de campagne déposé auprès de la CNCCFP. L'article 1er de la proposition de loi rend ainsi systématique une publicité qui n'était, pour l'instant, que sur demande d'un tiers.
L'article 2 de la proposition de la loi est plus substantiel. Actuellement, les partis et groupements politiques qui bénéficient des aides publiques ou de dons ont l'obligation de tenir une comptabilité, d'arrêter leurs comptes chaque année, de les faire certifier par deux commissaires aux comptes puis de les adresser au cours du semestre de l'année suivante à la CCNCFP. Ce texte prévoit que, en annexe de leurs comptes, les partis ou groupements politiques précisent désormais les mêmes informations que les candidats, lesquelles seraient à leur tour rendues publiques par la CNCCFP. Les partis politiques devraient également transmettre des informations sur les flux financiers qu'ils entretiennent avec d'autres partis politiques dont seuls les montants seraient publiés. Je reviendrai sur ce point particulier à travers un amendement pour engager un débat, car cette information me semble plus fragile que les autres sur le plan des principes et de la constitutionnalité.
De manière plus globale, les représentants du ministère de l'intérieur, comme ceux de la CNCCFP, ont marqué leur accord avec ce texte. La CNCCFP a toutefois relevé que le traitement des informations des comptes de campagne en vue de leur publication engendrerait un surcroît de travail pour ses équipes, sans être capable à ce stade d'évaluer ce coût humain.
Sur le plan constitutionnel, les craintes initiales semblent avoir été levées, notamment pour la protection du droit au respect de la vie privée. En effet, les informations relatives aux personnes physiques prêteurs ne seraient pas rendues publiques, ce qui, au regard de la jurisprudence constitutionnelle récente, paraît sage.
Comme rapporteur, j'ai souhaité apporter quelques compléments utiles à ce texte si la commission en approuve le principe. Je vous proposerai deux amendements rédactionnels, ainsi qu'un amendement prévoyant l'application outre-mer de ce texte ainsi que des dispositions d'application différée dans le temps. Je vous propose que les modifications proposées soient rendues applicables uniquement aux élections organisées à partir du 1er janvier 2018, et aux comptes des partis et groupements politiques à compter de ceux arrêtés pour l'année 2018 et déposés au premier semestre 2019 auprès de la CNCCFP.
À défaut de ces dispositions transitoires, ces obligations s'appliqueraient dès leur entrée en vigueur, ce qui voudrait dire, au mépris de la sécurité juridique, à des campagnes électorales ou des exercices comptables en cours.