Pourquoi avons-nous souhaité que Jean-Paul Naud présente ce cas ? Parce que s'agissant du projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, en matière de mesures compensatoires, il n'y a rien eu de tout cela ! Pour commencer, le diagnostic environnemental a été jugé très insuffisant, alors que la bonne connaissance des lieux est censée être au fondement de la doctrine ERC.
En outre, les porteurs de projet ne disposent d'aucune maîtrise foncière, donc d'aucune garantie de compensation, en dehors de la ZAD. Les enveloppes évoquées sont des enveloppes potentielles. Par ailleurs, aucune description précise, à l'échelle de la parcelle, des mesures compensatoires n'a été proposée. Il n'y pas non plus de localisation, ni de convention pérenne. Seules sont proposées des conventions de 5 ans avec des agriculteurs, alors que le contrat de concession, lui, est de 55 ans ! Et à ce jour, à notre connaissance - Sylvain Fresneau, agriculteur, ou Julien Durand, agriculteur retraité, pourront nous le confirmer -, aucune convention n'a été signée avec des agriculteurs. Aucune ! Aucune mesure compensatoire n'est donc engagée, aujourd'hui, à Notre-Dame-des-Landes.
Les porteurs de projet, à savoir l'État et AGO-Vinci, ont développé une méthode fondée sur des unités de compensation, alors que le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), et les SAGE nous invitent plutôt à appliquer une méthode de compensation « surfacique ». L'espace naturel unique que j'ai décrit tout à l'heure, l'État et AGO-Vinci l'ont donc déconstruit pièce par pièce, tel un puzzle, sous forme d'unités de compensation, pour les affecter sur d'autres parcelles selon une logique totalement désordonnée. L'ensemble complexe constitué par les deux têtes de bassin versant est détricoté pour réaffecter ici et là des unités de compensation.
Nous avons soulevé un autre problème lors des différentes enquêtes publiques, mais aussi devant les juridictions : les porteurs de projet ont proposé comme mesures compensatoires des zones humides immédiatement voisines de celles qui seront détruites, sur la ZAD elle-même, c'est-à-dire à proximité du futur aéroport ! Si vous veniez sur place, vous constateriez que cette méthode relève de la supercherie intellectuelle. On peut véritablement s'interroger sur la pertinence scientifique de cette méthodologie ! D'ailleurs, le collège d'experts nommé en avril 2013 avait invalidé cette méthode de compensation.
Je prends une image que nous utilisons régulièrement : si, par malheur, un projet conduisait à la nécessité de détruire le domaine de Chambord, et que la méthode appliquée à Notre-Dame-des-Landes était retenue, cela reviendrait à proposer, à titre de compensation, de restaurer les huisseries et les peintures du château voisin de Chenonceau. C'est ce qui se passe à Notre-Dame-des-Landes : on perd un joyau de biodiversité, sans aucune garantie de compensation !
Il existe donc un déficit dans la définition scientifique de la méthode de compensation : aucune compensation n'est envisagée pour la destruction des têtes de bassin versant. Ce sont des cours d'eau, des prairies et des bocages humides qui sont concernés, et on nous propose de petites interventions sur des parcelles, ici ou là.
En résumé : de grandes enveloppes non définies, pas de localisation précise, aucun chiffrage, règne du « deux poids, deux mesures » dans l'application de la réglementation française, absence de conventions avec les agriculteurs. Surtout, en principe, les mesures compensatoires doivent être réalisées avant la destruction des espaces concernés ! À Notre-Dame-des-Landes, le dossier dit qu'elles le seront dans les 20 ou 30 ans à venir.
Pour conclure, nous considérons que la méthode ERC n'a pas été utilisée correctement à Notre-Dame-des-Landes. Il s'agit d'ailleurs plutôt, en réalité, de la méthode « CRE » : d'abord compenser, partiellement réduire, et, en dernier ressort, éviter. Mais la question de l'évitement, donc de l'éventuel abandon du projet sur ce site, aurait dû être posée il y a 17 ans, au moment de la relance du projet de transfert, en 2000 ! Le fractionnement des procédures environnementales et leur examen 12 ans après la relance du projet ont conduit à l'absence d'évaluation globale des impacts environnementaux. Et la question de l'évitement n'a fait l'objet d'aucune procédure démocratique.
La priorité, en 2008, a en effet été donnée à la procédure de DUP au détriment des dispositions de la loi sur l'eau de 2006, du SDAGE du bassin Loire-Bretagne, et a fortiori de la directive-cadre européenne sur l'eau. Précisément, de nombreux jugements qui nous ont été défavorables en Conseil d'État se fondent davantage sur la procédure de DUP que sur la loi sur l'eau, sans prendre en compte le droit européen.
Un autre ordonnancement des procédures aurait été nécessaire : évaluation globale des impacts, débat sur les alternatives, consultation du public, voire votation ; ensuite seulement seraient intervenues la DUP et les autorisations « loi sur l'eau ». Depuis une vingtaine d'années, on a pris le dossier à l'envers ! Si l'on avait procédé différemment dès la relance, comme l'a dit Geneviève Lebouteux, l'alternative consistant à optimiser Nantes-Atlantique aurait pu être étudiée convenablement. Parce qu'une réserve foncière et une zone d'aménagement différé (ZAD) existent à Notre-Dame-des-Landes, on a tout fait pour y imposer le projet d'un aéroport à deux pistes, d'un barreau routier et d'une aérogare ; si cette ZAD n'avait pas existé, le projet d'aéroport n'aurait évidemment jamais été développé sur ce site !