La réunion est ouverte à 18 heures.
Nous reprenons aujourd'hui les travaux de la commission d'enquête sur les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures.
Je rappelle que nous nous sommes fixés pour objectif d'analyser plus en détail les conditions de définition, de mise en oeuvre et d'évaluation des mesures de compensation de quatre projets spécifiques : l'autoroute A65, la LGV Tours-Bordeaux, l'aéroport Notre-Dame-des-Landes, ainsi que la réserve d'actifs naturels de Cossure en plaine de la Crau.
Ces projets en sont tous à un stade différent de mise en oeuvre de la compensation. Ils devront ainsi nous permettre d'apprécier l'efficacité et surtout l'effectivité du système de mesures compensatoires existant aujourd'hui, et d'identifier les difficultés et les obstacles éventuels qui ne permettent pas une bonne application de la séquence « éviter-réduire-compenser ».
La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; elle fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site internet du Sénat ; un compte rendu en sera publié.
Nous entendons ce soir deux associations sur le projet spécifique de la définition des mesures compensatoires à Notre-Dame-des-Landes : le CéDPA (collectif d'élus doutant de la pertinence de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes) et l'ACIPA (association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes).
Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander aux personnes que nous entendons aujourd'hui, de prêter serment.
Je rappelle que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, soit cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende pour un témoignage mensonger.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Jean-Paul Naud, Geneviève Lebouteux, Christophe Dougé, Agnès Belaud, Sylvain Fresneau et Julien Durand prêtent successivement serment.
Mesdames, messieurs, à la suite de vos propos introductifs, qui devront être courts, mon collègue Ronan Dantec, rapporteur de la commission d'enquête, vous posera un certain nombre de questions. Puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour.
Pouvez-vous nous indiquer à titre liminaire les liens d'intérêt que vous pourriez avoir avec les autres projets concernés par notre commission d'enquête ?
Les personnes entendues déclarent n'avoir aucun lien d'intérêt avec les autres projets.
Je vous remercie de votre invitation et de l'attention que vous portez à notre délégation d'associations afin que nous puissions témoigner de la réalité des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur de grands projets d'infrastructures.
Il nous est effectivement possible de témoigner de l'application du mécanisme « éviter-réduire-compenser », aussi bien en ce qui concerne le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes qu'en ce qui concerne d'autres projets communaux ou intercommunaux.
Je commencerai par présenter le CéDPA, dont je suis co-président. J'ai été élu maire de Notre-Dame-des-Landes en 2008 sur une liste hostile au projet. En 2009, nous avons créé un collectif regroupant environ 1 000 élus doutant de la pertinence de l'aéroport. À partir de 2011, ce collectif a été transformé en association. Le but était de faire entendre au niveau local, national et international la voix des élus qui contestaient la réalisation d'un nouvel aéroport sur le site de Notre-Dame-des-Landes. Il s'agissait également d'obtenir un réexamen des dossiers à la lumière des propositions alternatives qui n'avaient jamais été sérieusement étudiées.
La transformation du collectif en association nous permettait d'ester en justice devant les juridictions compétentes. Je laisse Agnès Belaud présenter l'ACIPA.
L'ACIPA est l'Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Elle a été créée le 16 décembre 2000 lorsque le gouvernement Jospin a relancé le dossier de l'aéroport.
L'objet de notre association est, entre autres, d'informer les adhérents et la population, et de protéger les forêts, les bois, les cours d'eau, les plans d'eau ainsi que les zones humides situés dans le secteur géographique concerné. Notre lettre d'information hebdomadaire est envoyée à plus de 7 000 personnes. Nous travaillons également mensuellement avec soixante autres organisations - associations, collectifs, syndicats et mouvements politiques - au sein de ce que nous appelons la « coordination des opposants au projet de Notre-Dame-des-Landes ».
Aujourd'hui, nous avons invité Sylvain Fresneau, adhérent de l'ACIPA et président de l'ADECA (Association de défense des exploitants concernés par l'aéroport). Cette association est la plus ancienne de nos associations puisqu'elle a été créée en décembre 1973.
Nous avons abordé les travaux de votre commission d'enquête à travers le prisme de Notre-Dame-des-Landes. Geneviève Lebouteux évoquera la partie « éviter-réduire ». J'aborderai, pour ma part, les mesures compensatoires. Jean-Paul Naud vous présentera ensuite une autre expérience sur la mise en oeuvre de la compensation dans la commune de Notre-Dame-des-Landes, non liée à l'aéroport. Cela permettra de montrer qu'il existe plusieurs lectures de la doctrine ERC.
À titre préalable, je souhaite rappeler que la biodiversité composant l'emprise du projet d'aéroport est constituée à 98 % de zones humides, et pas n'importe lesquelles : un bocage humide, des prairies humides, des landes, des boisements humides, ainsi qu'un chevelu dense de multiples têtes de bassin versant des affluents de la Vilaine et la Loire. Ce site n'a pas subi de perturbations durant les soixante dernières années d'évolution et de développement de l'agriculture moderne. Il n'y a pas eu de recalibrage de cours d'eau, comme ça a pu être le cas ailleurs, ni de drainage important ou d'arrachage de haies.
Cette qualité apparaît clairement dans les inventaires faune et flore, même si des insuffisances ont néanmoins été relevées. C'est donc un espace naturel quasi unique dans l'ouest de la France. De par l'imbrication de ces têtes de bassin versant, il s'agit d'un lieu exceptionnel pour les corridors écologiques, trame verte et bleue, entre deux bassins fluviaux. Ces têtes de bassin versant sont des espaces importants pour la qualité et la régulation de l'eau en aval des cours. Il existe des connexions étroites entre les sols, les sous-sols et les boisements dans la circulation et la fourniture de l'eau en aval, que ce soit pour les rus, les ruisseaux, les rivières et les fleuves qui les collectent.
Cet écosystème naturel complexe est un ensemble unique et entier. Il constitue une illustration concrète du bon état écologique des cours d'eau tel que le définit la directive européenne cadre sur l'eau.
Nous avons concentré notre présentation sur la séquence « éviter-réduire-compenser ».
Je commencerai par la partie « éviter ». Pour Notre-Dame-des-Landes, à aucune étape du projet, la notion d'évitement n'a été intégrée. Le choix du site a été fait en 1967 : à l'époque, il n'y avait aucune préoccupation environnementale. On pensait même bétonner les marais du côté de la Brière !
En 2000, le projet est relancé, en grande partie pour des préoccupations foncières autour de Nantes, et surtout parce que cette zone avait été réservée pendant trente ans. En 2002 et 2003, un débat public a eu lieu sur le site de Notre-Dame-des-Landes. En 2006-2007, l'enquête publique a été réalisée. D'après l'analyse coûts-bénéfices, 40 millions d'euros sont prévus pour le plan agro-environnemental. Néanmoins, il s'agit essentiellement du coût global estimé pour l'acquisition des terres et l'on ne voit pas ce qui est prévu pour les mesures environnementales.
En 2011, nous avons fait expertiser cette analyse par un cabinet d'études CE Delft. Il ressort que le coût de gestion additionnel de l'eau avait été omis, de même que la valeur de la nature et les dépenses annuelles de mise en place du plan environnemental.
En 2008 est publiée la déclaration d'utilité publique (DUP). Durant toute cette période, aucune notion d'évitement n'a été inscrite. Nous assistons à un fractionnement des procédures dans le temps. Les préoccupations environnementales apparaissent en 2012, avec l'enquête publique « loi sur l'eau ». C'est à partir de ce moment-là qu'il est enfin question de la séquence « éviter-réduire-compenser ».
« Éviter » signifie étudier s'il existe une alternative au projet existant. Mais comment appliquer cet évitement alors qu'initialement le milieu était qualifié de non contraignant ? En définitive, il est à 98 % situé en zone humide ! Il était alors trop tard pour chercher des alternatives permettant l'évitement, point fondamental de la doctrine « éviter-réduire-compenser ».
Les porteurs du projet n'ont manifesté aucune volonté de rechercher une alternative : les terres avaient déjà été réservées pour la moitié d'entre elles. Nos propositions, notamment celle d'étudier les capacités de l'aéroport de l'Ouest, ont été refusées à plusieurs reprises.
Autre point qui nous choque : en 2012, au moment de l'enquête publique « loi sur l'eau », les porteurs du projet AGO et l'État prétendent qu'ils ont appliqué la procédure « éviter-réduire-compenser ».
Vous trouverez dans le dossier que nous vous laisserons quelques pages extraites du document qui nous a été présenté en décembre 2012. Trois pages portent sur « éviter » et « réduire ». Vous constaterez que pour les porteurs du projet « éviter », c'est alléguer simplement que l'emprise du projet est moindre que celle de la « ZAD ». Il ne s'agit nullement de conduire une réflexion sur de possibles alternatives !
En 2013, puis en 2016, deux études officielles ont montré qu'une alternative existait.
En effet, la Direction générale de l'aviation civile (DGAC) a remis en 2013 une étude à la demande de la Commission du dialogue. La DGAC a gonflé les coûts, mais a néanmoins reconnu que l'alternative consistant à réaménager l'aéroport de Nantes-Atlantique était possible.
En 2016, ce point est confirmé par le rapport du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) commandé par Ségolène Royal.
Fin 2016, les conclusions du rapporteur public à la cour administrative d'appel reconnaissent également que l'alternative existe. Il était ainsi proposé à la cour administrative d'appel de nous donner raison, en vain.
Les considérations environnementales et la préoccupation d'évitement doivent donc être envisagées en amont d'un projet, en réponse à un besoin. Sur Notre-Dame-des-Landes, les porteurs du projet ont fait exactement l'inverse : ils ont cherché à justifier un projet déjà défini et surtout pas à l'éviter !
Or il existe des projets évités : le projet d'autoroute A83 Nantes-Niort a finalement contourné le Marais poitevin par le Nord et le projet A831 Fontenay-le-Compte-La Rochelle, qui devait également traverser le Marais poitevin, a été carrément abandonné au profit du contournement de Marans.
Je serai plus brève sur la partie « réduire ». De la même façon que pour « éviter », la préoccupation de réduction de l'impact n'a pas été intégrée au projet. L'enquête publique de 2006 concluait déjà que le projet d'aéroport était un lourd tribut pour l'agriculture. La mission agricole de 2012 va plus loin. Selon elle, il n'y a aucun souci d'économie du foncier. Par exemple, tous les parkings prévus sont à plat, il n'y a aucun parking à silos.
La seule réduction consentie a consisté à diminuer la superficie des places de parking, les voitures seront plus serrées. Cette réduction demandée par la mission agricole et par la Commission du dialogue en 2012-2013 n'avait pas été acceptée par l'État et par AGO ; le tribunal administratif de Nantes a imposé cette décision en 2015.
D'autres réductions ont été refusées, comme la demande de rapprochement du barreau routier de la plateforme. Récemment, le CGEDD a parlé d'aéroport surdimensionné et a estimé, comme nous, qu'une seule piste suffirait. Cette réduction n'a pas non plus été acceptée. La consultation qui s'est tenue en juin dernier a porté sur le projet initial d'un aéroport à deux pistes.
Il existe pourtant des projets à impact réduit. Nous avons tous en tête des exemples de lotissements auxquels on a retiré des parcelles.
En conclusion, pour prendre en compte les deux étapes que sont « éviter » et « réduire », il convient d'intégrer les préoccupations environnementales dès le début de la démarche. De façon plus générale, il importe de garder à l'esprit une certaine hiérarchie des priorités.
Notre pays est très largement pourvu en équipements. Par conséquent, la priorité de préservation de la biodiversité mise en balance avec les objectifs qui ont prévalu pour le projet d'aéroport, à savoir le moindre coût et la non-remise en cause d'un projet prévu de longue date.
Nous vous transmettrons les propositions que nous avons faites au moment de la commission de rénovation du débat public de 2015. Plusieurs d'entre elles concernent les sujets qui nous préoccupent.
La proposition 3 demande de faire cesser immédiatement le « saucissonnage » des procédures, d'ailleurs en contradiction avec les directives européennes. Le projet doit être évalué dans son ensemble et l'utilité publique ne peut être prononcée avant.
La proposition 4 vise à intégrer l'analyse environnementale globale au moment de la comparaison entre les différentes solutions.
Je poursuis sur la notion de compensation qui vous intéresse en priorité ; néanmoins, ce qu'a dit Geneviève Lebouteux sur « éviter » et « réduire » est très important.
Dans le cadre d'une procédure classique, lorsque vous êtes porteur d'un projet affectant une zone humide, comme à Notre-Dame-des-Landes, vous devez indiquer très formellement comment vous comptez compenser la destruction de cette zone.
Le porteur de projet doit notamment apporter la preuve qu'il a la maîtrise foncière des terrains destinés à assurer la compensation, évoquer la méthode de réalisation de cette compensation, garantir la pérennité et le financement des mesures envisagées. La description, en outre, doit être précise : plans, accompagnement de bureaux d'études, garanties de localisation et de coût, et même, parfois, conventions de longue durée relatives à l'entretien de ces espaces et au suivi après travaux. Ça, c'est la règle !
Je vais laisser la parole à mon collègue Jean-Paul Naud, maire de Notre-Dame-des-Landes, qui a eu à traiter un projet d'aménagement sur sa commune, autre que celui de l'aéroport.
Mon témoignage illustre le traitement de projets communaux ou intercommunaux plus modestes, dont la réalisation est également affectée par le mécanisme « éviter-réduire-compenser ».
La commune de Notre-Dame-des-Landes est située dans le périmètre du schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) du bassin de la Vilaine. Les contraintes de ce SAGE, s'agissant de la destruction de zones humides, sont beaucoup plus drastiques que celles qui s'appliquent sur d'autres secteurs. On nous impose en effet, dès que l'emprise en zone humide dépasse les 1 000 mètres carrés, la réalisation d'un projet « présentant un intérêt public avéré », c'est-à-dire d'un projet qui peut faire l'objet soit d'une DUP, notion bien connue, soit d'une déclaration de projet, notion beaucoup plus vague.
Ainsi, nous projetions de créer une zone d'activités de proximité à Notre-Dame-des-Landes, la première tranche s'étendant sur 2,5 hectares seulement. Nous avons découvert, à cette occasion, la lourdeur de la procédure consistant à monter une déclaration de projet. La direction départementale des territoires et de la mer (DDTM), que nous avions interrogée sur cette notion très récente, n'avait pas été en mesure de nous répondre.
Le dossier est lourd à monter ; s'il est accepté, il faudra restaurer les zones humides, la surface de la compensation prévue étant égale à 200 % de la surface perdue. Nous avons rencontré les représentants de la commission locale de l'eau (CLE), du SAGE Vilaine. Ceux-ci nous ont encouragés à lancer la procédure de déclaration de projet, mais en nous conseillant d'anticiper sur les mesures compensatoires à réaliser au titre des zones humides détruites, alors que le projet ne faisait que de 2,5 hectares !
Sur de petits projets comme celui-ci, à la lourdeur du dossier de déclaration de projet vient donc s'ajouter le coût très élevé des mesures compensatoires, même lorsque les superficies concernées sont faibles. À Vigneux-de-Bretagne, qui appartient à la communauté de communes d'Erdre et Gesvres, dont dépend également Notre-Dame-des-Landes, nous avons réalisé l'extension d'une zone d'activité ; pour 1 800 mètres carrés de zone humide, le coût des mesures compensatoires s'est élevé à 70 000 euros ! Nous craignons qu'à l'avenir, certains projets plus importants puissent être ainsi freinés.
Pourquoi avons-nous souhaité que Jean-Paul Naud présente ce cas ? Parce que s'agissant du projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, en matière de mesures compensatoires, il n'y a rien eu de tout cela ! Pour commencer, le diagnostic environnemental a été jugé très insuffisant, alors que la bonne connaissance des lieux est censée être au fondement de la doctrine ERC.
En outre, les porteurs de projet ne disposent d'aucune maîtrise foncière, donc d'aucune garantie de compensation, en dehors de la ZAD. Les enveloppes évoquées sont des enveloppes potentielles. Par ailleurs, aucune description précise, à l'échelle de la parcelle, des mesures compensatoires n'a été proposée. Il n'y pas non plus de localisation, ni de convention pérenne. Seules sont proposées des conventions de 5 ans avec des agriculteurs, alors que le contrat de concession, lui, est de 55 ans ! Et à ce jour, à notre connaissance - Sylvain Fresneau, agriculteur, ou Julien Durand, agriculteur retraité, pourront nous le confirmer -, aucune convention n'a été signée avec des agriculteurs. Aucune ! Aucune mesure compensatoire n'est donc engagée, aujourd'hui, à Notre-Dame-des-Landes.
Les porteurs de projet, à savoir l'État et AGO-Vinci, ont développé une méthode fondée sur des unités de compensation, alors que le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), et les SAGE nous invitent plutôt à appliquer une méthode de compensation « surfacique ». L'espace naturel unique que j'ai décrit tout à l'heure, l'État et AGO-Vinci l'ont donc déconstruit pièce par pièce, tel un puzzle, sous forme d'unités de compensation, pour les affecter sur d'autres parcelles selon une logique totalement désordonnée. L'ensemble complexe constitué par les deux têtes de bassin versant est détricoté pour réaffecter ici et là des unités de compensation.
Nous avons soulevé un autre problème lors des différentes enquêtes publiques, mais aussi devant les juridictions : les porteurs de projet ont proposé comme mesures compensatoires des zones humides immédiatement voisines de celles qui seront détruites, sur la ZAD elle-même, c'est-à-dire à proximité du futur aéroport ! Si vous veniez sur place, vous constateriez que cette méthode relève de la supercherie intellectuelle. On peut véritablement s'interroger sur la pertinence scientifique de cette méthodologie ! D'ailleurs, le collège d'experts nommé en avril 2013 avait invalidé cette méthode de compensation.
Je prends une image que nous utilisons régulièrement : si, par malheur, un projet conduisait à la nécessité de détruire le domaine de Chambord, et que la méthode appliquée à Notre-Dame-des-Landes était retenue, cela reviendrait à proposer, à titre de compensation, de restaurer les huisseries et les peintures du château voisin de Chenonceau. C'est ce qui se passe à Notre-Dame-des-Landes : on perd un joyau de biodiversité, sans aucune garantie de compensation !
Il existe donc un déficit dans la définition scientifique de la méthode de compensation : aucune compensation n'est envisagée pour la destruction des têtes de bassin versant. Ce sont des cours d'eau, des prairies et des bocages humides qui sont concernés, et on nous propose de petites interventions sur des parcelles, ici ou là.
En résumé : de grandes enveloppes non définies, pas de localisation précise, aucun chiffrage, règne du « deux poids, deux mesures » dans l'application de la réglementation française, absence de conventions avec les agriculteurs. Surtout, en principe, les mesures compensatoires doivent être réalisées avant la destruction des espaces concernés ! À Notre-Dame-des-Landes, le dossier dit qu'elles le seront dans les 20 ou 30 ans à venir.
Pour conclure, nous considérons que la méthode ERC n'a pas été utilisée correctement à Notre-Dame-des-Landes. Il s'agit d'ailleurs plutôt, en réalité, de la méthode « CRE » : d'abord compenser, partiellement réduire, et, en dernier ressort, éviter. Mais la question de l'évitement, donc de l'éventuel abandon du projet sur ce site, aurait dû être posée il y a 17 ans, au moment de la relance du projet de transfert, en 2000 ! Le fractionnement des procédures environnementales et leur examen 12 ans après la relance du projet ont conduit à l'absence d'évaluation globale des impacts environnementaux. Et la question de l'évitement n'a fait l'objet d'aucune procédure démocratique.
La priorité, en 2008, a en effet été donnée à la procédure de DUP au détriment des dispositions de la loi sur l'eau de 2006, du SDAGE du bassin Loire-Bretagne, et a fortiori de la directive-cadre européenne sur l'eau. Précisément, de nombreux jugements qui nous ont été défavorables en Conseil d'État se fondent davantage sur la procédure de DUP que sur la loi sur l'eau, sans prendre en compte le droit européen.
Un autre ordonnancement des procédures aurait été nécessaire : évaluation globale des impacts, débat sur les alternatives, consultation du public, voire votation ; ensuite seulement seraient intervenues la DUP et les autorisations « loi sur l'eau ». Depuis une vingtaine d'années, on a pris le dossier à l'envers ! Si l'on avait procédé différemment dès la relance, comme l'a dit Geneviève Lebouteux, l'alternative consistant à optimiser Nantes-Atlantique aurait pu être étudiée convenablement. Parce qu'une réserve foncière et une zone d'aménagement différé (ZAD) existent à Notre-Dame-des-Landes, on a tout fait pour y imposer le projet d'un aéroport à deux pistes, d'un barreau routier et d'une aérogare ; si cette ZAD n'avait pas existé, le projet d'aéroport n'aurait évidemment jamais été développé sur ce site !
Je souhaite d'abord revenir sur un point que nous entendons régulièrement : la différence de traitement entre petits et grands projets, y compris sur un même territoire. Êtes-vous inquiets, en tant qu'élus, quant à la menace qui pèserait sur beaucoup d'autres petits projets en raison de la difficulté à trouver des mesures compensatoires ?
Deuxième question : de telles mesures compensatoires sont-elles impossibles ? Nous avons bien compris que l'évitement était le coeur de votre approche, mais existerait-il des possibilités de compensation qui n'auraient pas été étudiées ou mises sur la table, y compris plus loin sur le territoire ?
Enfin, comment se fait-il qu'aucune contractualisation avec le monde agricole n'ait encore été engagée ?
J'ai entendu le mot « concession » ; il s'agit d'un contrat particulier, conclu entre une puissance publique et une ou plusieurs personnes privées. Normalement - ce fut le cas pour les autoroutes -, tout est prévu noir sur blanc dans le contrat, y compris les mesures de compensation. Comment et avec qui ce contrat de concession a-t-il été signé ? Pourquoi ne contient-il pas de telles précisions, alors que c'est la norme, en principe, pour les grands projets, lorsqu'une concession est attribuée ?
Dès lors que la méthode de compensation choisie s'appuie sur des unités de compensation, et qu'une zone humide jouxtant une zone détruite peut devenir mesure compensatoire de cette dernière, il n'y a évidemment aucun problème pour trouver des compensations ! Mais la réalité, c'est que la France a perdu plus de la moitié de ses zones humides depuis un siècle. Prendre au sérieux l'enjeu environnemental, c'est-à-dire compenser réellement, signifierait restaurer des espaces dégradés. À Notre-Dame-des-Landes, où un complexe de têtes de bassin versant de 1 200 hectares serait impacté, la compensation consisterait à restaurer un cours d'eau totalement détruit pour refaire à l'identique des têtes de bassin versant.
Or nous savons aujourd'hui que c'est totalement impossible ! C'est pourquoi les scientifiques, en 2013, ont conclu que la perte des têtes de bassin versant de Notre-Dame-des-Landes ne pourrait être compensée. Si le dossier avait été mené dans le bon ordre, cette conclusion aurait été tirée dès le début des années 2000. Nous aurions tout de suite choisi l'option « éviter », à l'image de ce qui s'est passé pour les projets autoroutiers évoqués par Geneviève Lebouteux. D'autres sites, voire l'optimisation de Nantes-Atlantique, auraient été mis à l'étude, ce qui ne fut pas le cas à l'époque.
Madame Didier, lorsque l'État contracte avec une personne privée, en l'occurrence AGO-Vinci, il est clair qu'il doit introduire des garanties dans le projet de concession, s'il examine correctement le droit de l'environnement et le droit de l'eau. À supposer qu'il soit possible de chiffrer la compensation de la perte de têtes de bassin versant, ce que nous contestons, ce n'est pas 450 millions d'euros, mais peut-être le double, qu'il faudrait prévoir dans le contrat.
Les agriculteurs du secteur, dont je fais partie, n'ont jamais été démarchés par des représentants de la concession pour évoquer d'éventuelles mesures compensatoires. En revanche, de notre côté, nous avons organisé une rencontre avec nos voisins pour leur demander s'ils étaient d'accord pour participer à la compensation ; un grand nombre d'entre eux y étaient opposés. Le document que nous vous avons remis contient une carte recensant les agriculteurs du secteur qui refusent d'office les mesures compensatoires.
Deux ou trois précisions sur ce dossier que je connais un peu. Pourquoi avoir choisi ce site ? Des dizaines de milliers de personnes vivent dans la zone de bruit directe de l'aéroport de Nantes-Atlantique ; en comparaison, elles seraient 800 à Notre-Dame-des-Landes ! Le projet est dimensionné pour intégrer les zones de bruit 1 et 2. Plusieurs centaines d'hectares ne sont pas transformés.
Je ne commenterai pas le choix des méthodes de travail. J'ai moi-même présidé une collectivité en Loire-Atlantique, mais à une époque antérieure à la loi de 2006. Le problème est que nous courons toujours derrière la législation ! Mais la concession a été accordée.
J'entends ce que vous dites, Jean-Paul Naud, sur la différence de traitement entre petites et grandes communes ; mais je pourrais vous opposer la différence entre petits et grands dérangements, pour ne pas dire délits, en citant Notre-Dame-des-Landes parmi les derniers. Les opposants au projet ne sont pas seuls sur place ; s'y trouvent aussi les zadistes, qui forment une population pour le moins particulière ! Constater que les choses ne se passent pas de la même façon selon que vous êtes puissant ou misérable, ce n'est pas nouveau : La Fontaine l'avait écrit !
Le projet est ancien, il a avancé, et ce serait très clairement une erreur dangereuse de revenir à Nantes pour la protection de la population, vu le comportement de certains pilotes. Il y a également une zone Natura 2000 au bout de la piste : le lac de Grand Lieu. Il y a donc des raisons objectives de déplacer l'aéroport.
Combien d'agriculteurs sont favorables au projet et aux mesures de compensation ? Combien y sont hostiles ?
Merci de revenir aux fondamentaux, c'est-à-dire les mesures compensatoires, et non les zones de bruit. Nous disposons d'un seul document montrant la zone retenue par les porteurs du projet pour d'éventuelles mesures de compensation. Un protocole d'accord a été signé par la chambre d'agriculture, le conseil départemental et le préfet, mais il n'engage les agriculteurs à rien de concret. De notre côté, 80 paysans et propriétaires de quelque 8 000 hectares sur les 16 000 hectares de terrains qui entoureraient l'aéroport se sont engagés à ne pas souscrire à des mesures compensatoires pour ce projet. Du reste, l'agronomie est à peu près la même sur ces terrains. Comment, dès lors, compenser la perte de terres humides ? Mathématiquement, le compte n'y est pas. En tous cas, s'ils veulent respecter la loi, les porteurs du projet devront aller au-delà de ces 8 000 hectares, et proposer des surfaces plus importantes ou davantage d'unités de compensation. La mouture qui nous a été proposée est intellectuellement malhonnête. Pour nous autres paysans, un hectare doit valoir un hectare, et non des subdivisions qui ne tombent pas rond.
Si vous nous faites l'honneur de visiter la zone, nous vous accompagnerons en toute sécurité dans la partie Nord-Est, qui est la seule où des terrains soient disponibles pour aménager d'éventuelles mesures compensatoires, à l'intérieur de la zone des 1 650 hectares, et sur des terres humides. On nous propose d'y faire des mares à l'infini... Manqueront néanmoins les forêts qui auront été détruites, puisque l'aérogare doit être installée sur une forêt acquise par le conseil départemental sous la présidence de M. Trillard. Les contrats ont une durée de cinq ans, pour une concession de 55 ans, cherchez l'erreur... Quant à l'indemnité, nous n'en voyons pas la couleur !
Qui a choisi ce site ? Avant le protocole d'accord, les agriculteurs n'ont-ils jamais été réunis ? N'ont-ils eu aucun échange avec les porteurs du projet ? Combien d'hectares les porteurs du projet et les agriculteurs possèdent-ils respectivement ? Je suis moi-même agriculteur, et je connais bien ces sujets pour avoir été président de la chambre d'agriculture et du conseil général lors de l'élaboration du tracé de l'A 39, qui traversait tout le Jura, et de la ligne de TGV. Nous avions beaucoup discuté en amont avec les organisations agricoles et Réseau ferré de France (RFF), ou Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR).
Nous parlons de deux protocoles différents. Le protocole d'indemnités et d'éviction consiste en la signature d'accords amiables de vente de terres avec AGO-Vinci, et l'ADECA a veillé à ce que l'égalité soit respectée entre les différentes propriétaires.
Je parlais pour ma part du protocole d'accord sur les mesures compensatoires environnementales, au sujet desquelles nous n'avons à aucun moment été contactés.
C'est l'État qui est propriétaire des 1 650 hectares mis en concession, y compris pour le barreau routier, qui représente environ 200 hectares. À l'extérieur de cette zone, nous savons que l'État et AGO n'a encore rien acheté, car la Safer nous tient au courant des mutations agricoles.
Nous avons été convoqués au tribunal comme propriétaires, par les services de l'État et la société AGO-Vinci qui agit pour le compte du ministère de l'écologie. C'est l'État qui est propriétaire des 1 650 hectares sur la ZAD. En 2003, les services du conseil général de Loire-Atlantique avaient déjà acquis 850 hectares avec un droit de préemption ; 150 hectares ont été négociés à l'amiable par AGO-Vinci auprès de plusieurs propriétaires, et 650 hectares ont fait l'objet de mesures d'expropriation.
Ces 1 650 hectares ne correspondent pas exactement à la surface du futur aéroport. Un remembrement doit être fait.
Ils ont fait l'objet d'une déclaration d'utilité publique signée le 9 février 2008 par M. Fillon. Les expropriations ont lieu à l'intérieur de ce périmètre, qui comporte la desserte routière et les infrastructures aéroportuaires.
Sur les documents fournis par AGO-Vinci figurent le périmètre de la ZAD, le tracé des pistes et la zone aéroportuaire. Une partie restera à l'état naturel pour servir, soi-disant, à la compensation.
Elle concerne plusieurs communes. À vrai dire, deux remembrements étaient prévus, pour le barreau routier et pour l'aéroport, mais elles ont été fusionnées. Le conseil départemental suit ce dossier, mais il n'a pas avancé depuis 2013, faute de progrès sur le projet d'aéroport lui-même.
L'État, via l'organisme d'études et d'aménagement de l'aire métropolitaine (Oream).
Merci. Nous entendrons la chambre d'agriculture et les syndicats agricoles, ainsi que les porteurs du projet, et nous nous rendrons sur le site en février. Nous y visiterons aussi bien les zones dont vous avez parlé que celles que nous proposeront les porteurs du projet.