Intervention de Patrick Jeantet

Commission d'enquête Compensation des atteintes à la biodiversité — Réunion du 18 janvier 2017 à 14h10
Audition de M. Patrick Jeantet président-directeur général M. Bernard Torrin directeur de l'environnement et du développement durable de sncf réseau et Mme Corinne Roecklin

Patrick Jeantet, président de SNCF Réseau :

Merci de nous permettre d'échanger sur ce sujet, qui est majeur pour SNCF Réseau, car nous sommes un maître d'ouvrage important en matière d'infrastructures ferroviaires. Nous sommes également un acteur responsable, conscient des impacts en matière d'environnement, respectueux des lois mais également volontaire, notamment en matière de recherche sur la biodiversité. Les enjeux que vous examinez sont importants pour la faisabilité des projets et les options à prendre, ainsi que les coûts liés à l'évitement, à la réduction et à la compensation.

Avant de parler de la biodiversité, je souhaiterais évoquer la politique de responsabilité sociale et environnementale (RSE), dans laquelle la SNCF est très impliquée. Lors de la COP 21, nous avions organisé une grande manifestation avec les acteurs internationaux du développement durable. En matière sociétale, la fondation SNCF concrétise la dimension citoyenne de la SNCF, avec trois axes, consacrés à l'illettrisme, la culture et la solidarité. 1 500 agents de la SNCF sont impliqués auprès d'associations sur ce dernier point. Par ailleurs, dans le cadre du contrat de performance avec l'État, nous avons pris des engagements pour mettre en accessibilité l'ensemble de nos gares.

La biodiversité est un de nos 16 engagements de RSE. À ce titre, nous développons l'écoconception de nos projets. Les projets de lignes nouvelles ont un impact indéniable sur la biodiversité.

Ce sujet est pris très au sérieux, dans ses trois composantes : éviter, réduire et compenser. Le réseau de 30 000 km que nous exploitons a été largement conçu avant la loi de 1976 et n'a donc pas été soumis à une réglementation en la matière. C'est essentiellement le réseau de LGV, développé depuis les années 1980 et d'environ 2 000 km, qui a été progressivement soumis à ces règles.

Nous avons un système en entonnoir, avec des études progressives jusqu'au tracé final. À chaque étape, nous examinons les impacts sur la biodiversité. La réduction intervient surtout par la création de passages d'un côté à l'autre des voies ferrées. Pour la LGV Est européenne, inaugurée en 2016, nous avons construit 70 passages pour le grand gibier et 110 à 115 passages pour le petit gibier. Pour les projets plus récents, comme la LGV SEA, les passages sont plus nombreux : environ un par kilomètre. La compensation s'accélère. SNCF Réseau est responsable d'environ 900 hectares pour des mesures de compensation.

En termes de chiffres, nous avons donc 30 000 km de lignes, qui représentent environ 50 000 km de voies. Nous avons 90 000 hectares de dépendances vertes, qui nous appartiennent, mais qui sont situés en dehors de la plateforme. S'agissant de la plateforme elle-même, pour une LGV, on consomme en moyenne 10 hectares au kilomètre, avec une plateforme d'environ 15 mètres de large. Les infrastructures totales peuvent donc représenter un ordre de grandeur d'environ 300 000 hectares, auxquels il faut ajouter les 90 000 hectares de dépendances vertes. La majorité du linéaire a été construite au XIXe siècle, et les lignes construites après 1976 correspondent essentiellement aux LGV.

Indéniablement, les milieux sont fragmentés par les lignes ferroviaires. Mais elles n'engendrent pas que des effets négatifs. À travers le programme TRANS-FER (Transparence écologique des infrastructures ferroviaires), nous constatons que les lignes ferroviaires peuvent avoir des effets positifs, notamment longitudinaux. Les lignes sont des corridors de biodiversité. Les effets négatifs doivent bien entendu faire l'objet d'évitement, de réduction et de compensation. Mais ces corridors créent et alimentent la biodiversité.

Nous agissons sur le réseau existant pour favoriser la biodiversité et limiter l'impact de ce réseau. Nous travaillons en particulier sur les continuités écologiques, en matière de cours d'eau notamment. Par une charte, nous nous sommes engagés à rétablir 100 % des continuités hydro-écologiques d'ici 2025 sur l'ensemble du réseau. Nous avons un partenariat en matière d'éco-pâturage avec l'Office national des forêts (ONF) pour privilégier une gestion différenciée de la végétation, comme l'implantation de mélanges de mellifères sur les talus. Sur les voies anciennes inutilisées, nous avons des partenariats avec les collectivités territoriales pour développer des voies vertes ou le vélo-rail.

Nous contribuons également à l'évolution de la connaissance, notamment par le programme TRANSFER, en contribuant à des associations, organismes et programmes de recherche, pour mieux connaître la biodiversité et se former collectivement, afin de développer les compétences en la matière.

Nos partenaires sont nombreux, comme France nature environnement (FNE), la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), et la Ligue de protection des oiseaux (LPO). Avec FNE, nous avons notamment élaboré un guide commun sur la biodiversité.

Concernant la méthode suivie pour nos projets, essentiellement le programme LGV, nous avons différentes phases : des études préalables, un débat public, puis des études précédant l'enquête publique. À partir de zones assez larges, nous nous recentrons sur des faisceaux, puis sur le tracé, qui fera finalement l'objet d'une déclaration d'utilité publique (DUP). À chaque phase, nous prenons en compte les enjeux de biodiversité, principalement dans une approche d'évitement. Plusieurs LGV ont ainsi vu leur tracé prévisionnel dévié pour éviter des forêts ou des habitats, comme la LGV Méditerranée, avec un changement de tracé d'environ 2 km pour des espaces de nidification d'aigles royaux. Si l'on souhaite éviter des atteintes, il faut intervenir à ce stade préalable, avant que le tracé ne soit défini.

Comme je le disais, nous avons environ 900 hectares de compensation. Les mesures de compensation s'accroissent avec le temps. Pour la ligne nouvelle (LN) 1, il n'y avait pas à proprement parler de compensation ; pour la LN 5 Méditerranée, mise en service en 2001 et qui fait 250 km, nous avons environ 90 hectares pour la compensation ; pour la LN 7 Est européenne, inaugurée en 2016 et qui fait 400 km, nous avons 340 hectares.

S'agissant des projets en cours de construction, sous forme de partenariats public-privé (PPP) ou de concessions, comme la ligne SEA, la ligne Bretagne Pays-de-la-Loire (BPL) ou la ligne de contournement Nîmes-Montpellier (CNM), les mesures sont encore plus élevées. Pour la ligne SEA, 3 500 hectares sont nécessaires, pour 302 km de ligne. La demande de compensation s'est accrue, avec certaines difficultés nouvelles.

Il ne nous semble pas déraisonnable d'évaluer les coûts de la compensation dans une fourchette comprise entre 5 et 10 % du total d'une opération. Mais il faut reconnaître que nous avons des difficultés à les estimer précisément car ils n'ont pas été précisément suivis par le passé. C'est sans doute un point sur lequel il faudrait progresser à l'avenir. Cela dépend aussi de l'évitement et de la réduction qui ont précédé. L'évitement est particulièrement difficile à chiffrer. La réduction est plus simple à évaluer, lorsque l'on crée des aménagements comme des passages. Mais il faut également prendre en compte la durée croissante des mesures car elle augmente les coûts d'entretien. Nous ne sommes pas encore assez armés pour donner des chiffres fiables.

Je souhaiterais évoquer maintenant quelques difficultés que nous rencontrons sur le terrain. La compensation a pris un rôle important, peut-être trop important. Nous avons des problèmes de disponibilité du foncier, notamment sur la SEA, que LISEA pourra présenter plus en détail. Par le contrat de concession, c'est LISEA qui est responsable de toutes les conséquences liées aux autorisations qu'ils ont obtenues pour réaliser le projet, en particulier en matière de biodiversité. L'exigence de proximité accroît cette difficulté. Si l'on traverse le marais Poitevin, identifier des terrains libres à proximité est un problème.

Nous manquons d'outils à ce sujet. La DUP ne couvre pas les terrains de compensation. Il faut donc convaincre au niveau local et la construction d'une relation de confiance avec les acteurs du territoire, en particulier le monde agricole, est importante, vu l'ampleur de la compensation. La création des obligations réelles environnementales par la loi biodiversité est un point très positif, dont nous attendons l'application.

L'anticipation de la réalisation des compensations est un autre enjeu. Tant que le projet n'est pas définitivement confirmé, on ne mène pas de compensation. Elle intervient en aval du processus et se heurte parfois à des difficultés foncières. Anticiper ces enjeux, dès les premières phases du projet, par exemple par la réalisation de réserves foncières, serait intéressant, même si financer la compensation sans certitude sur la réalisation du projet peut être un autre problème.

Nous avons également des difficultés à trouver des partenaires, non seulement pour trouver des terrains accueillant les mesures de compensation, mais également pour gérer ces espaces naturels, car ce n'est pas notre métier. Deux catégories de partenaires sont importantes : les gestionnaires d'espaces naturels - comme les syndicats mixtes, les conservatoires d'espaces naturels - qui peuvent suivre et coordonner le programme de mesures, et les exploitants agricoles qui peuvent mettre en oeuvre les mesures sur les parcelles. La professionnalisation de toutes ces activités restent en cours.

Le dernier point important est la confiance et l'anticipation. L'évolution législative et réglementaire est importante ces vingt dernières années. L'ensemble du processus pour réaliser une LGV prend environ 20 ans. Le changement des normes peut créer de l'incertitude pour le porteur d'un projet. Par ailleurs, suivant les régions, les demandes de compensation sont très variées et hétérogènes, pour un même sujet ou pour des sujets proches. Nous serions désireux d'une uniformisation des règles en matière de compensation. À ce jour, nous avons des difficultés à anticiper les mesures nécessaires et les coûts.

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