Commission d'enquête Compensation des atteintes à la biodiversité

Réunion du 18 janvier 2017 à 14h10

Résumé de la réunion

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La réunion

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La réunion est ouverte à 14 h 10.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Mes chers collègues, je vous prie tout d'abord d'excuser notre président, Jean-François Longeot, qui n'a pas pu être présent cet après-midi mais qui sera là demain.

Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête sur les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures en entendant SNCF Réseau.

Vous savez que nous nous sommes fixés pour objectif, dans le cadre de cette commission d'enquête, d'analyser plus en détails les conditions de définition, de mise en oeuvre et d'évaluation des mesures de compensation de quatre projets spécifiques : l'autoroute A65, la LGV Tours-Bordeaux, l'aéroport Notre-Dame-des-Landes, ainsi que la réserve d'actifs naturels de Cossure en plaine de la Crau.

Ces projets en sont tous à un stade différent de mise en oeuvre de la compensation et devront ainsi nous permettre d'apprécier l'efficacité et surtout l'effectivité du système de mesures compensatoires existant, et d'identifier les difficultés et les obstacles éventuels qui aujourd'hui ne permettent pas une bonne application de la séquence éviter-réduire-compenser (ERC).

L'audition d'aujourd'hui doit ainsi nous permettre d'aborder plus spécifiquement le cas de la LGV Tours-Bordeaux, même si nous savons que c'est LISEA qui a été chargée de la mise en oeuvre des mesures de compensation. Nous devrions d'ailleurs les entendre dans deux semaines. Nous aborderons également aujourd'hui le sujet de la compensation d'un point de vue plus général, sur l'ensemble des projets qu'a à regarder SNCF Réseau.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; elle fait l'objet d'une captation vidéo et est retransmise en direct sur le site internet du Sénat ; un compte rendu en sera publié.

Nous entendons donc M. Patrick Jeantet, président de SNCF Réseau, M. Bernard Torrin, directeur du développement durable, et Mme Corinne Roecklin, responsable environnement et développement durable au sein du métier accès au réseau. Vous êtes accompagnés de M. Jérôme Grand, directeur de cabinet et de Mme Laurence Nion, conseillère parlementaire.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment.

Je rappelle que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, soit cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende pour un témoignage mensonger.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Patrick Jeantet, M. Bernard Torrin et Mme Corinne Roecklin prêtent successivement serment.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Pouvez-vous nous indiquer à titre liminaire les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les différents projets concernés par notre commission d'enquête ?

Debut de section - Permalien
Patrick Jeantet, président de SNCF Réseau

SNCF Réseau est le concédant du projet de LGV Sud Europe Atlantique (SEA) entre Tours et Bordeaux. Nous avons également un projet à Notre-Dame-des-Landes dont une des options vise à connecter l'aéroport au réseau ferré national. À titre personnel, je n'ai pas de lien d'intérêt.

Debut de section - Permalien
Bernard Torrin, directeur du développement durable

Je n'ai aucun lien d'intérêt avec ces projets à titre personnel.

Debut de section - Permalien
Corinne Roecklin, responsable environnement et développement durable

Je n'ai pas non plus de lien d'intérêt avec ces projets.

Debut de section - Permalien
Patrick Jeantet, président de SNCF Réseau

Merci de nous permettre d'échanger sur ce sujet, qui est majeur pour SNCF Réseau, car nous sommes un maître d'ouvrage important en matière d'infrastructures ferroviaires. Nous sommes également un acteur responsable, conscient des impacts en matière d'environnement, respectueux des lois mais également volontaire, notamment en matière de recherche sur la biodiversité. Les enjeux que vous examinez sont importants pour la faisabilité des projets et les options à prendre, ainsi que les coûts liés à l'évitement, à la réduction et à la compensation.

Avant de parler de la biodiversité, je souhaiterais évoquer la politique de responsabilité sociale et environnementale (RSE), dans laquelle la SNCF est très impliquée. Lors de la COP 21, nous avions organisé une grande manifestation avec les acteurs internationaux du développement durable. En matière sociétale, la fondation SNCF concrétise la dimension citoyenne de la SNCF, avec trois axes, consacrés à l'illettrisme, la culture et la solidarité. 1 500 agents de la SNCF sont impliqués auprès d'associations sur ce dernier point. Par ailleurs, dans le cadre du contrat de performance avec l'État, nous avons pris des engagements pour mettre en accessibilité l'ensemble de nos gares.

La biodiversité est un de nos 16 engagements de RSE. À ce titre, nous développons l'écoconception de nos projets. Les projets de lignes nouvelles ont un impact indéniable sur la biodiversité.

Ce sujet est pris très au sérieux, dans ses trois composantes : éviter, réduire et compenser. Le réseau de 30 000 km que nous exploitons a été largement conçu avant la loi de 1976 et n'a donc pas été soumis à une réglementation en la matière. C'est essentiellement le réseau de LGV, développé depuis les années 1980 et d'environ 2 000 km, qui a été progressivement soumis à ces règles.

Nous avons un système en entonnoir, avec des études progressives jusqu'au tracé final. À chaque étape, nous examinons les impacts sur la biodiversité. La réduction intervient surtout par la création de passages d'un côté à l'autre des voies ferrées. Pour la LGV Est européenne, inaugurée en 2016, nous avons construit 70 passages pour le grand gibier et 110 à 115 passages pour le petit gibier. Pour les projets plus récents, comme la LGV SEA, les passages sont plus nombreux : environ un par kilomètre. La compensation s'accélère. SNCF Réseau est responsable d'environ 900 hectares pour des mesures de compensation.

En termes de chiffres, nous avons donc 30 000 km de lignes, qui représentent environ 50 000 km de voies. Nous avons 90 000 hectares de dépendances vertes, qui nous appartiennent, mais qui sont situés en dehors de la plateforme. S'agissant de la plateforme elle-même, pour une LGV, on consomme en moyenne 10 hectares au kilomètre, avec une plateforme d'environ 15 mètres de large. Les infrastructures totales peuvent donc représenter un ordre de grandeur d'environ 300 000 hectares, auxquels il faut ajouter les 90 000 hectares de dépendances vertes. La majorité du linéaire a été construite au XIXe siècle, et les lignes construites après 1976 correspondent essentiellement aux LGV.

Indéniablement, les milieux sont fragmentés par les lignes ferroviaires. Mais elles n'engendrent pas que des effets négatifs. À travers le programme TRANS-FER (Transparence écologique des infrastructures ferroviaires), nous constatons que les lignes ferroviaires peuvent avoir des effets positifs, notamment longitudinaux. Les lignes sont des corridors de biodiversité. Les effets négatifs doivent bien entendu faire l'objet d'évitement, de réduction et de compensation. Mais ces corridors créent et alimentent la biodiversité.

Nous agissons sur le réseau existant pour favoriser la biodiversité et limiter l'impact de ce réseau. Nous travaillons en particulier sur les continuités écologiques, en matière de cours d'eau notamment. Par une charte, nous nous sommes engagés à rétablir 100 % des continuités hydro-écologiques d'ici 2025 sur l'ensemble du réseau. Nous avons un partenariat en matière d'éco-pâturage avec l'Office national des forêts (ONF) pour privilégier une gestion différenciée de la végétation, comme l'implantation de mélanges de mellifères sur les talus. Sur les voies anciennes inutilisées, nous avons des partenariats avec les collectivités territoriales pour développer des voies vertes ou le vélo-rail.

Nous contribuons également à l'évolution de la connaissance, notamment par le programme TRANSFER, en contribuant à des associations, organismes et programmes de recherche, pour mieux connaître la biodiversité et se former collectivement, afin de développer les compétences en la matière.

Nos partenaires sont nombreux, comme France nature environnement (FNE), la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), et la Ligue de protection des oiseaux (LPO). Avec FNE, nous avons notamment élaboré un guide commun sur la biodiversité.

Concernant la méthode suivie pour nos projets, essentiellement le programme LGV, nous avons différentes phases : des études préalables, un débat public, puis des études précédant l'enquête publique. À partir de zones assez larges, nous nous recentrons sur des faisceaux, puis sur le tracé, qui fera finalement l'objet d'une déclaration d'utilité publique (DUP). À chaque phase, nous prenons en compte les enjeux de biodiversité, principalement dans une approche d'évitement. Plusieurs LGV ont ainsi vu leur tracé prévisionnel dévié pour éviter des forêts ou des habitats, comme la LGV Méditerranée, avec un changement de tracé d'environ 2 km pour des espaces de nidification d'aigles royaux. Si l'on souhaite éviter des atteintes, il faut intervenir à ce stade préalable, avant que le tracé ne soit défini.

Comme je le disais, nous avons environ 900 hectares de compensation. Les mesures de compensation s'accroissent avec le temps. Pour la ligne nouvelle (LN) 1, il n'y avait pas à proprement parler de compensation ; pour la LN 5 Méditerranée, mise en service en 2001 et qui fait 250 km, nous avons environ 90 hectares pour la compensation ; pour la LN 7 Est européenne, inaugurée en 2016 et qui fait 400 km, nous avons 340 hectares.

S'agissant des projets en cours de construction, sous forme de partenariats public-privé (PPP) ou de concessions, comme la ligne SEA, la ligne Bretagne Pays-de-la-Loire (BPL) ou la ligne de contournement Nîmes-Montpellier (CNM), les mesures sont encore plus élevées. Pour la ligne SEA, 3 500 hectares sont nécessaires, pour 302 km de ligne. La demande de compensation s'est accrue, avec certaines difficultés nouvelles.

Il ne nous semble pas déraisonnable d'évaluer les coûts de la compensation dans une fourchette comprise entre 5 et 10 % du total d'une opération. Mais il faut reconnaître que nous avons des difficultés à les estimer précisément car ils n'ont pas été précisément suivis par le passé. C'est sans doute un point sur lequel il faudrait progresser à l'avenir. Cela dépend aussi de l'évitement et de la réduction qui ont précédé. L'évitement est particulièrement difficile à chiffrer. La réduction est plus simple à évaluer, lorsque l'on crée des aménagements comme des passages. Mais il faut également prendre en compte la durée croissante des mesures car elle augmente les coûts d'entretien. Nous ne sommes pas encore assez armés pour donner des chiffres fiables.

Je souhaiterais évoquer maintenant quelques difficultés que nous rencontrons sur le terrain. La compensation a pris un rôle important, peut-être trop important. Nous avons des problèmes de disponibilité du foncier, notamment sur la SEA, que LISEA pourra présenter plus en détail. Par le contrat de concession, c'est LISEA qui est responsable de toutes les conséquences liées aux autorisations qu'ils ont obtenues pour réaliser le projet, en particulier en matière de biodiversité. L'exigence de proximité accroît cette difficulté. Si l'on traverse le marais Poitevin, identifier des terrains libres à proximité est un problème.

Nous manquons d'outils à ce sujet. La DUP ne couvre pas les terrains de compensation. Il faut donc convaincre au niveau local et la construction d'une relation de confiance avec les acteurs du territoire, en particulier le monde agricole, est importante, vu l'ampleur de la compensation. La création des obligations réelles environnementales par la loi biodiversité est un point très positif, dont nous attendons l'application.

L'anticipation de la réalisation des compensations est un autre enjeu. Tant que le projet n'est pas définitivement confirmé, on ne mène pas de compensation. Elle intervient en aval du processus et se heurte parfois à des difficultés foncières. Anticiper ces enjeux, dès les premières phases du projet, par exemple par la réalisation de réserves foncières, serait intéressant, même si financer la compensation sans certitude sur la réalisation du projet peut être un autre problème.

Nous avons également des difficultés à trouver des partenaires, non seulement pour trouver des terrains accueillant les mesures de compensation, mais également pour gérer ces espaces naturels, car ce n'est pas notre métier. Deux catégories de partenaires sont importantes : les gestionnaires d'espaces naturels - comme les syndicats mixtes, les conservatoires d'espaces naturels - qui peuvent suivre et coordonner le programme de mesures, et les exploitants agricoles qui peuvent mettre en oeuvre les mesures sur les parcelles. La professionnalisation de toutes ces activités restent en cours.

Le dernier point important est la confiance et l'anticipation. L'évolution législative et réglementaire est importante ces vingt dernières années. L'ensemble du processus pour réaliser une LGV prend environ 20 ans. Le changement des normes peut créer de l'incertitude pour le porteur d'un projet. Par ailleurs, suivant les régions, les demandes de compensation sont très variées et hétérogènes, pour un même sujet ou pour des sujets proches. Nous serions désireux d'une uniformisation des règles en matière de compensation. À ce jour, nous avons des difficultés à anticiper les mesures nécessaires et les coûts.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Je vous remercie pour vos propositions, qui rejoignent plusieurs de nos préoccupations.

Concernant les ruptures qu'entraînent les voies, vous avez parlé d'études sur les corridors qu'elles créent. Mais avez-vous mené des analyses pour mieux connaître les impacts sur le morcellement des habitats ? Par ailleurs, n'y a-t-il pas une tentation pour la SNCF de multiplier les grillages sur les lignes existantes, en vue d'éviter les collisions avec les animaux ? Enfin, toujours sur ce sujet, il y a également une coupure chimique, qui s'ajoute à la coupure physique, sur le tracé de la voie. Intégrez-vous cette coupure dans votre stratégie ?

Vous avez également évoqué l'hétérogénéité des mesures entre les différentes régions. Qu'il y ait une règle commune en matière d'équivalence écologique est de bon sens. Mais qu'en est-il des contrôles effectués par l'État ? J'aimerais à ce titre que vous puissiez préciser la répartition des responsabilités entre SNCF Réseau et votre concessionnaire.

Enfin, pouvez-vous donner votre sentiment sur l'avancement des travaux sur la LGV Tours-Bordeaux, et sur Notre-Dame-des-Landes ? Pour ce dernier projet, avez-vous déjà travaillé sur les besoins de compensation ?

Debut de section - Permalien
Patrick Jeantet, président de SNCF Réseau

Nous entretenons d'excellentes relations avec l'État, avec les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) en particulier, même si nous ne sommes pas toujours d'accord. Le sujet important, pour l'État comme pour nous, est celui de la formation des personnels. Vu l'ampleur du sujet, trop peu de gens sont suffisamment formés : nous en avons quelques-uns, il y en a aussi à la DREAL, mais globalement pas assez. Je pense qu'il faut faire un effort pour développer cette formation.

Je ne jugerai pas le contrôle par l'État. Je pense qu'il contrôle effectivement, mais a-t-il vraiment tous les moyens pour le faire ? C'est une question que l'on peut se poser.

Concernant la ligne SEA, je vous confirme qu'en tant que maître d'ouvrage, nous sommes tenus de contrôler que notre concessionnaire respecte les engagements qu'il a pris au titre du contrat. C'est une relation contractuelle tout à fait classique. En l'occurrence, LISEA s'est engagé, entre autres choses, à assumer toutes les conséquences environnementales des différentes autorisations obtenues - il y en a plus de 69, même si toutes ne concernent pas la biodiversité - et à mettre en oeuvre les mesures de réduction et de compensation. Nous avons l'obligation de contrôler notre concessionnaire, et nous le faisons régulièrement Nous avons mis en place des méthodes pour nous assurer que le sujet des compensations est pris très au sérieux par notre concessionnaire.

Debut de section - Permalien
Bernard Torrin, directeur du développement durable

Je souhaite revenir sur la question des coupures. Parmi les impacts des infrastructures ferroviaires sur la biodiversité, on compte notamment la consommation d'espace du fait même de l'existence de l'emprise et la destruction éventuelle d'habitats et d'espèces. Le sujet principal reste néanmoins celui de la fragmentation des habitats par l'infrastructure. Pour répondre à votre question, je propose de détailler le projet TRANS-FER que le président a évoqué tout à l'heure.

Ce projet dit TRANS-FER, lancé dans le cadre de l'appel à projets de la stratégie nationale pour la biodiversité (SNB) et mené entre 2011 et 2014 en partenariat avec le Muséum national d'histoire naturel, le CNRS, Ecosphère et le ministère de l'environnement, s'est intéressé à la fragmentation de l'espace par les infrastructures ferroviaires. Nous avons regardé la transparence de quatre tronçons de voies, sur ligne classique et sur ligne à grande vitesse, pour cinq groupes taxonomiques différents. Les études ont prouvé que les infrastructures ferroviaires ne créent pas d'effet de barrière infranchissable. En revanche, on a constaté un effet de filtre sur certaines espèces, qui s'amplifie avec le temps. La conclusion des études est claire : « La plupart des groupes faunistiques adaptent leur comportement en traversant les sections courantes lorsque celles-ci ne sont pas hermétiquement closes, et empruntent les ouvrages existants, spécifiques ou non : passages grande faune, passages agricoles, routes, rétablissements routiers, barrages hydrauliques, buses sèches, etc. » On a souvent l'image d'une infrastructure linéaire infranchissable ; les études scientifiques ont bien montré, et c'est important, que la fragmentation n'est pas irrémédiable.

Les clôtures sont évidemment un élément de difficulté particulier en termes de fragmentation. Il est vrai qu'aujourd'hui, nos lignes à grande vitesse sont clôturées, pour des raisons de sécurité. Nous avons énormément d'introduction de gibier (sangliers, chevreuils) sur nos emprises, avec des impacts importants en termes de sécurité et de régularité. Mais parallèlement, nous avons réalisé des passages pour la faune. Pour limiter les impacts des clôtures, nous menons également plusieurs actions, avec les fédérations de chasse et les associations de protection de l'environnement notamment, sur la maîtrise de la végétation par exemple, ou l'installation de dispositifs techniques, comme des toboggans, qui permettent aux animaux rentrés de ressortir plus facilement de l'emprise.

Vous avez évoqué les corridors écologiques. SNCF Réseau est l'un des membres fondateurs du Club infrastructures linéaires et biodiversité (CIL&B), qui regroupe l'ensemble des grands maîtres d'ouvrage des infrastructures linéaires. Le CIL&B et l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) France ont mené, fin 2014, une grande étude sur le thème « Corridors d'infrastructures, corridors écologiques ? ». Cette étude s'est achevée sur un séminaire au cours duquel les débats ont été nombreux. Je vous en livre la conclusion in extenso : « Les travaux confirment que la contribution des infrastructures de transports et leur emprise peut être possible en faveur de la biodiversité si un ensemble de précautions sont prises pour éviter les atteintes et aménager les espaces de manière optimale. » Là encore, c'est peut-être un préjugé qui est levé : oui, si l'on est attentif à la maîtrise de la végétation, à la gestion des clôtures et que l'on noue des partenariats avec les associations qui connaissent la faune et la flore, on peut faire des infrastructures linéaires des espaces à impact positif sur la biodiversité.

Vous nous interrogez également sur le traitement chimique des voies. Pour assurer la maîtrise de la végétation de nos voies, nous faisons appel à des méthodes à la fois mécaniques et chimiques. Sur la plateforme, notre objectif « zéro végétation » est tiré par des critères de sécurité : au même titre que sur les routes, cela est nécessaire pour voir les signaux, assurer la surveillance des installations, le dispositif de retour de courant, et la stabilité de la plateforme. Aux abords des voies, nous avons une règle de gestion plus raisonnée. Cependant, nous avons des pistes le long des voies, qui permettent le cheminement de nos personnels, des services de secours, mais également des clients en cas de transbordement par exemple. Ces contraintes nécessitent une bonne maîtrise de la végétation. Sur les 30 000 km de voies du réseau, nous utilisons des traitements phytopharmaceutiques qui ont été optimisés : depuis 10 ans, nous avons divisé par trois la quantité de produits utilisés ; nos personnels sont formés. Nous avons également développé des méthodes innovantes : nos trains désherbeurs sont équipés de GPS, ce qui permet de couper l'épandage de produits phytopharmaceutiques au droit des cours d'eau ou près d'une zone de captage d'eau potable. Nous sommes en conformité avec tous les arrêtés préfectoraux en la matière. Au final, nous utilisons moins de 1 % des produits phytopharmaceutiques consommés en France, et toujours dans une optique de réduction et de maîtrise des risques. Sur ce sujet, des débats d'experts sont toujours possibles ; pour notre part, nous considérons qu'en raison de toutes les actions que nous menons, l'utilisation des produits phytopharmaceutiques n'a pas d'impact sur la biodiversité sur nos lignes.

Enfin, sur le sujet de la SEA, je précise qu'au titre de nos responsabilités, nous participons aux comités de suivi entre les services de l'État et LISEA. Nous avons également des comités de suivi propres avec le concessionnaire, dont l'un porte sur les mesures compensatoires, ce qui nous permet de vous livrer en toute transparence des chiffres identiques à ceux de LISEA. Nous assurons un suivi « au fil de l'eau » de la qualité des chantiers et de leur avancement en termes de mesures compensatoires.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Comment expliquez-vous la condamnation de COSEA en décembre dernier pour plusieurs manquements aux réglementations en vigueur, et notamment l'absence de filtres pour la qualité des eaux, pourtant bien prévus dès le départ ? Quel bilan tirez-vous de cette condamnation ? Avez-vous assuré un suivi suffisant ? L'État a-t-il rempli ses obligations ?

Debut de section - Permalien
Bernard Torrin, directeur du développement durable

LISEA en parlera mieux que nous, mais on a effectivement pu constater quelques petits soucis au démarrage. Nous avons notifié à LISEA les manquements que nous avions observés. Ces quelques erreurs impardonnables ont été sanctionnées. Il y a eu une très bonne réaction des équipes, en termes d'organisation, de moyens, de compétences pour une mise en conformité très rapide. Depuis de très nombreux mois, les observations que nous pouvons avoir sont minimes.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Vous avez parlé du montant des travaux. C'est un point important. Les condamnations prononcées étaient de l'ordre de 40 000 euros. Vous qui connaissez à peu près le montant des travaux, pensez-vous que ces amendes sont dissuasives pour des filiales de grands groupes comme Bouygues et Vinci, ou est-ce qu'au final, cela reste une économie par rapport au fait de prendre toutes les mesures en amont ?

Debut de section - Permalien
Bernard Torrin, directeur du développement durable

J'ai du mal à m'exprimer sur le sujet. Je n'ai pas le sentiment que LISEA ait cherché à faire des économies en prenant le risque de la pénalité ou de l'amende. Nous travaillons avec un partenaire responsable.

Debut de section - Permalien
Patrick Jeantet, président de SNCF Réseau

Je pense aussi qu'au-delà du risque purement financier, il y a un risque d'image. Un groupe de la taille de Vinci fait attention à son image, car il en a besoin en France mais également à l'international. Afficher un non-respect volontaire des réglementations en matière d'environnement pourrait lui nuire. Vous poserez la question aux représentants de LISEA, mais je pense que l'image est un élément important.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Comme vous l'avez dit, vous êtes chargés de veiller au bon déroulement de la concession et au respect des réglementations en matière d'environnement. Suite au problème sur la concession, c'est bien votre part de suivi et d'intervention que j'interroge.

Debut de section - Permalien
Patrick Jeantet, président de SNCF Réseau

Le suivi du chantier est assuré par les services du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA). Ils effectuent des visites régulières pour contrôler l'atteinte des objectifs environnementaux. Nous allons, cette année, réceptionner les travaux : le CEREMA poursuivra sa mission dans cette nouvelle phase pour contrôler toutes les obligations liées au projet, et pas uniquement les obligations opérationnelles.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Je n'ai pas eu de réponse sur le projet « liaisons nouvelles Ouest Bretagne - Pays de la Loire » (LNOBPL) : quels sont les besoins en compensation ? Quelles solutions sont possibles ? La réglementation européenne impose l'intégration de la totalité des projets dans un projet unique. Avez-vous été en mesure de fournir des données à l'État ?

Debut de section - Permalien
Corinne Roecklin, responsable environnement et développement durable

LNOBPL est un projet émergent, dont le débat public s'est achevé il y a tout juste deux ans. Aujourd'hui, on est en phase post-débat public. Le travail sur les différents scénarios possibles pour répondre aux fonctionnalités du projet continue. L'une des fonctionnalités envisagées est la desserte éventuelle de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, mais les deux projets n'en sont pas au même niveau de définition : LNOBPL est une idée de projet - il reste près de vingt ans d'études, alors que Notre-Dame-des-Landes est un projet plus abouti. Actuellement, nous recensons un ensemble d'enjeux environnementaux, afin de dessiner des options de passage possibles pour desservir le site de l'aéroport, mais pas seulement. Aujourd'hui, nous sommes vraiment dans la phase d'évitement des enjeux majeurs, porteurs de risques forts. LNOBPL n'a pas encore de tracé, on ne peut donc pas savoir quels seront les impacts résiduels qu'il faudra compenser.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

La Commission européenne demande d'avoir une vision globale du projet, y compris des dessertes. L'État ne vous a donc pas encore demandé de données sur les besoins en compensation de la desserte de Notre-Dame-des-Landes ?

Debut de section - Permalien
Corinne Roecklin, responsable environnement et développement durable

Non, parce qu'on ne les connaît pas... On ne sait pas où va passer le projet.

Debut de section - PermalienPhoto de Évelyne Didier

Vous avez précisé que la DUP ne couvre pas la compensation. Avez-vous des propositions à faire à ce sujet ? Est-il crédible ou utopique d'envisager l'intégration de la maîtrise foncière des surfaces de compensation à la DUP ?

Vous avez évoqué la question des produits phytopharmaceutiques. Nous pouvons tous constater en prenant le train que des plantes - j'évite le terme de « mauvaises herbes » car on me répond toujours que cela n'existe pas ! - poussent le long des voies. Jusqu'ici, le regard que nous portions sur ce phénomène était négatif. Dans certains pays, comme la Suisse, cette végétation ne dérange plus depuis longtemps, mais j'ai l'impression que nous n'en sommes pas encore tout à fait là. Avez-vous des campagnes de communication en direction des voyageurs et des riverains pour préciser que cette végétation n'est ni gênante, ni esthétiquement déplorable ? Avez-vous cette volonté d'éduquer ?

Concernant les différences de pratiques dans l'application des règlements en fonction des régions, comment pourrions-nous régler ce problème et uniformiser les pratiques ? À travers des textes ? Des rencontres ? Des formations ?

Enfin, vous avez évoqué le contrôle de l'État. La concession est un contrat très particulier. Pour les concessions autoroutières, tous les coûts sont prévus dans le contrat. D'ailleurs, les sociétés d'autoroutes, que nous avons entendues dans le cadre de cette commission d'enquête, ont à peine compris les questions que nous leur avons posées sur les coûts des compensations : conscients que l'environnement est malheureusement souvent le dernier sujet traité dans les projets, nous laissions entendre que la compensation pouvait n'être traitée que lorsqu'il reste de l'argent dans un programme.

Dans le domaine ferroviaire, le principe de la concession est nouveau. À votre avis, tous les projets désormais seront-ils réalisés en PPP ou exploités via un contrat de concession ? Ces options ont un certain coût pour le contribuable. Quels avantages et quels inconvénients voyez-vous à ces concessions ?

Debut de section - PermalienPhoto de Roland Courteau

Vous avez dit que les corridors créent et alimentent la biodiversité. J'aimerais que vous soyez plus précis sur ces deux expressions qui m'ont interpellé.

Ma seconde question concerne le projet de ligne à grande vitesse Montpellier-Perpignan, qui est le chaînon manquant de cette grande ligne reliant Paris à Barcelone : avez-vous un ordre de grandeur des mesures de compensation ?

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Bailly

Mon département a été traversé, il y a quelques années, par la LGV Rhin-Rhône. J'étais à l'époque président du conseil général, et les choses se sont relativement bien passées au niveau des compensations.

J'ai pris la parole pour réagir à ce qui a été dit par notre collègue Evelyne Didier sur les mauvaises herbes : je m'excuse, mais le paysan que je suis estime qu'il y a des mauvaises herbes ! Certains gardent des chardons sur leurs terrains. Mais les chardons, ça vole ! Qu'ils aillent ensuite les ramasser dans nos champs de blé ou dans les prés où nos vaches pâturent ! C'est pour cela que je n'admets pas que l'on dise qu'il n'y a pas de mauvaises herbes !

Debut de section - Permalien
Patrick Jeantet, président de SNCF Réseau

Sans trancher sur l'opportunité des contrats de concession, il me semble que l'un des points durs les plus importants est la forte instabilité interrégionale et la variabilité des demandes de compensation d'une région à l'autre. Quel que soit le groupement auquel la concession est confiée, l'important, c'est la prévisibilité.

Debut de section - PermalienPhoto de Évelyne Didier

Cette prévisibilité, à qui ou à quoi tient-elle ?

Debut de section - Permalien
Patrick Jeantet, président de SNCF Réseau

La prévisibilité est importante quel que soit le domaine. En matière de biodiversité, elle concerne le niveau de compensation qui sera demandé. Lorsqu'on est dans l'inconnu, on tend naturellement à maximiser le risque. Si l'imprévisibilité actuelle continue, les réponses aux appels d'offres des concessionnaires deviendront financièrement très élevées, par peur du risque. D'où l'importance de votre question sur les raisons de ces différences régionales. Je ne suis pas un expert, mais j'ai tendance à croire qu'elles tiennent à la jeunesse de la science de la biodiversité : comme elle manque de maturité, les expertises et l'appréciation des problèmes varient encore beaucoup d'une personne à l'autre.

Créer une filière universitaire permettrait d'approfondir les recherches en matière de biodiversité, et leurs applications industrielles. Cela favoriserait peut-être l'émergence d'un certain consensus.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Sur un même projet, deux experts peuvent avoir des appréciations totalement différentes ?

Debut de section - Permalien
Mm. Patrick Jeantet et Bernard Torrin

Absolument !

Debut de section - Permalien
Bernard Torrin, directeur du développement durable

La biodiversité n'est pas une science exacte, et le domaine n'a pas encore été complètement exploré. Nous manquons donc de connaissances. Nous participons, au travers de nos différents partenariats, aux travaux de recherche. Pour l'instant, les écologues, les services de l'État et les maîtres d'ouvrage peuvent avoir des appréciations très variables.

Revenons un instant sur le sujet de la DUP. La maîtrise foncière est bien la clé de voûte de la compensation. Elle le sera d'autant plus que les volumes de compensation deviennent substantiels et doivent être mis en oeuvre sur des territoires où la pression foncière est forte. Nous ne proposerons pas de rendre « DUPables » les mesures compensatoires, car cela nous semble excessif pour ceux qui seraient alors contraints de nous céder leurs emprises. Les partenaires agricoles ont dû vous parler de la « double peine »... En revanche, nous souhaitons vivement trouver des outils qui permettent de rendre les mesures de compensation accessoires de l'infrastructure - peut-être les décrets d'application de la loi biodiversité le permettront-ils. Il faut trouver les moyens juridiques qui nous permettent de dégager assez facilement des solutions. Nous pensons que l'une des clés de la réussite réside dans une démarche territoriale, en partenariat très étroit avec le monde agricole, les conservatoires des espaces naturels, les chambres d'agriculture... Cette proximité territoriale, si elle est nécessaire, n'est pas pour autant suffisante. Nous avons besoin d'outils juridiques, mais la DUP ne nous semble pas forcément adaptée.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Avez-vous une idée plus précise de l'outil juridique idoine ? Plusieurs des intervenants que nous avons entendus jusqu'ici trouvaient que la meilleure solution consistait à intégrer les mesures compensatoires à la DUP. Vous avez visiblement une opinion différente. Comment voyez-vous les choses ?

Debut de section - Permalien
Bernard Torrin, directeur du développement durable

Aujourd'hui, la mesure compensatoire doit être mise en oeuvre au plus près de l'infrastructure. Sans être écologue, on comprend que cette proximité est importante. Pour autant, et la loi biodiversité le permet, je pense qu'il faut également explorer les concepts d'unité d'équivalence et de zones de compensation.

SNCF Réseau est propriétaire de 90 000 hectares de dépendances vertes. Toutes ne sont pas des paradis pour la biodiversité, loin s'en faut ; mais un certain nombre d'espaces sont des réservoirs de biodiversité et pourraient être le support de compensations, que ce soit pour nos projets ou pour ceux d'autres aménageurs. La démarche de CDC Biodiversité est également intéressante.

SNCF Réseau est très attaché à cette idée de proximité territoriale, mais il faut pouvoir la compléter par d'autres approches.

Parmi les outils dont nous disposons, l'obligation réelle environnementale, créée par la loi biodiversité, a introduit une certaine servitude qui peut éventuellement permettre de répondre à la question de la gestion des mesures sur le long terme : comment garantir que l'exploitant agricole ou le propriétaire assurera les mesures compensatoires sur une durée de 30 ou 50 ans ? Il faut consolider cette capacité à garantir dans le temps les mesures de compensation.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Nous arrivons sur un point important, celui des actifs. Dans la plaine de la Crau, acquérir et entretenir les surfaces de compensation revient à environ 50 000 euros par hectare ; en zone humide, nous sommes aux alentours de 100 000 euros par hectare. Ces coûts sont-ils acceptables sur les projets, ou sont-ils trop élevés ?

Vous nous avez également fait part de vos difficultés à assurer l'entretien dans la durée. Là aussi, n'est-ce pas tout simplement une question de moyens ? Si vous augmentez le coût du dédommagement à l'hectare, ne trouverez-vous pas plus d'agriculteurs favorables et enclins à suivre les mesures sur la durée ? Êtes-vous prêts à y réfléchir ou est-ce un point sur lequel le concessionnaire et vous refusez de transiger ?

Debut de section - Permalien
Bernard Torrin, directeur du développement durable

Nous assurons actuellement l'entretien et le suivi d'environ 1 000 hectares de compensation. Il suffit de s'organiser et de développer les budgets. Mais nous n'avons que 1 000 hectares... Si demain, nous arrivons à des volumes plus importants dans des zones où la pression foncière est plus lourde, cela peut avoir des impacts considérables sur le coût du projet. 50 000 euros à l'hectare, c'est un chiffre qui inclut l'acquisition du foncier, les travaux et le suivi dans le temps des mesures. Il est évident que les mesures compensatoires ont un coût. Cependant, ce coût n'est pas révélateur de l'efficacité écologique des mesures : il faut être attentif à ne pas se laisser enfermer dans cette logique. Ce n'est pas parce que l'on paie plus cher que la biodiversité en retire plus de bénéfices !

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Vous attisez notre curiosité. Avez-vous des exemples et des contre-exemples de ce rapport entre coût et efficacité ?

Debut de section - Permalien
Bernard Torrin, directeur de l'environnement et du développement durable

Nous avons quelques exemples, mais nous manquons encore de recul. La mutualisation des mesures compensatoires sur un même terrain, dont nous n'avons pas beaucoup parlé, permet de diminuer les coûts globaux. Nous parvenons parfois à conclure des partenariats sur des mesures simples et peu coûteuses, comme le fauchage tardif. Tout dépend de l'exigence de la mesure de compensation attendue.

Je suis peut-être iconoclaste, mais il faut s'interroger sur la possibilité d'assurer la compensation sur le réseau existant. Il faut trouver d'autres pistes de compensation, plus globales. SNCF Réseau, comme d'autres gestionnaires, a une infrastructure très importante sur le territoire national. Pourquoi ne pas profiter de ce réseau pour améliorer la continuité écologique au titre de la compensation d'un autre projet ?Certes, en procédant de la sorte, on va peut-être sacrifier l'outarde canepetière au profit de la continuité écologique du vison d'Europe. Mais à s'enfermer dans le tout-local, on va, si ce n'est déjà fait, atteindre nos limites.

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Bignon

Vous avez tenu des propos intéressants, mais qui m'ont paru contradictoires.

Les 90 000 hectares que vous appelez « dépendances vertes » et sur lesquelles vous souhaitez développer la compensation me semblent, pour circuler régulièrement en train, être davantage des friches que des futurs outils d'exploitation du réseau. Ces friches sont peu présentes autour des lignes TGV mais sont devenues légion sur les lignes plus anciennes. C'est certainement sur ces territoires qu'il faut agir.

Vous nous dites d'ailleurs qu'il serait peut-être intéressant d'utiliser ces friches. Mais à partir du moment où l'on accepte de délocaliser la compensation, pourquoi s'arrêter aux friches de la SNCF ? Il y a des centaines, des milliers d'hectares de friches en France qui dénaturent nos territoires. Ces friches sont le résultat d'un passé industriel glorieux mais qui s'est mondialisé et délocalisé. Il a fait souffrir la biodiversité, et nous restons sans solution pour ces territoires. L'ADEME avait entamé un travail de transformation de ces friches qui n'a pas été poursuivi et je ne vois pas de solution dans l'immédiat. Ce serait vraiment intéressant de mettre en rapport les surfaces de friches qui sont abandonnées et celles créées pour la compensation en démembrant des terres agricoles de bonne qualité... Tout cela a un côté très shadokien !

Le principe de proximité voudrait que l'on réimplante des espèces de grenouille à proximité immédiate de leur habitat initial, afin de recréer des conditions de vie strictement identiques. Est-on certains qu'il s'agit-là de la solution la plus adaptée pour les grenouilles ? Rien n'est moins sûr. On se refuse pourtant à avoir une réflexion plus pragmatique qui consisterait, en priorité à résorber les friches. Cela permettrait de recréer de la biodiversité de façon intelligente, mais coûteuse pour les porteurs de projets et de façon plus efficace pour la collectivité. Car les hommes et les femmes qui vivent à proximité de ces friches seraient heureux de les voir restaurées.

Je ne mets pas en cause la SNCF, mais je crois que le système conduit à faire naître des friches, puis à les laisser mourir tout en essayant de créer de la biodiversité ailleurs. J'ai été un peu long, et je m'en excuse mais je voulais apporter ma contribution et exprimer mon indignation.

Debut de section - Permalien
Patrick Jeantet, président de SNCF Réseau

Je pense qu'il faut continuer à compenser localement, tout en ayant la possibilité de compenser ailleurs, et ce d'autant plus qu'on constate une augmentation des demandes de compensation par rapport à des projets menés il y a 5 ou 10 ans.

Pour les projets tels qu'ils sont aujourd'hui, nous allons vers des situations de plus en plus difficiles.

Sur la ligne SEA, 25 000 hectares de compensation ont été demandés au titre des différents arrêtés. Nous en avons mutualisé un certain nombre et, au final, 3 500 hectares de compensation seront mis en oeuvre. Ce chiffre est très nettement supérieur à ce qui avait été demandé lors de la construction de la ligne à grande vitesse est-européenne vers Strasbourg, puisque nous avions alors compensé 340 hectares. Dans le marais poitevin, il sera très compliqué de dégager les surfaces nécessaires pour les mesures de compensation. Trouver d'autres terrains, d'autres mécanismes, permettrait de compléter la compensation locale. Il ne s'agit en aucun cas d'exclure cette première approche, mais bien de voir s'il est possible de s'ouvrir à la seconde.

Debut de section - Permalien
Bernard Torrin, directeur de l'environnement et du développement durable

Je voudrais répondre sur la façon dont nos infrastructures « créent » et « alimentent » la biodiversité. La maîtrise de la végétation le long des voies ferrées, et en particulier sur les talus et accotements, est assurée de manière raisonnée. Nous avons développé des partenariats avec l'ONF et la LPO pour développer de bonnes pratiques, par exemple en évitant de faucher pendant les périodes de nidification. De ce fait, les abords des voies sont certainement plus sauvegardés que certaines exploitations agricoles intensives, qui se trouvent de part et d'autre de nos emprises ferroviaires. Au final, nous avons la chance d'avoir de longs linéaires, aux abords bien traités, dans lesquels la biodiversité ordinaire s'installe, se crée et s'alimente. On a vu des plantes protégées apparaître, le lézard des murailles se développer.

Le terme coupure chimique ne me paraît pas adapté. En réalité, il n'y a pas de coupure chimique : il y a un traitement chimique de la plateforme qui est raisonné - les doses employées sont inférieures à celles utilisées dans le monde agricole. Nos espaces, globalement protégés, permettent l'installation et la prospérité de la biodiversité ordinaire.

Debut de section - Permalien
Patrick Jeantet, président de SNCF Réseau

S'agissant de la LGV Montpellier-Perpignan, nous sommes dans une phase d'études préliminaires.

Debut de section - Permalien
Patrick Jeantet, président de SNCF Réseau

Je le sais, mais c'est l'état actuel des choses. Nous sommes en train de redémarrer les études sur cette ligne et, à ce stade, je ne peux pas vous répondre sur les mesures de compensation car nous ne les connaissons pas encore. Elles dépendront notamment de la capacité d'évitement, et donc du tracé détaillé, qui n'est pas connu à ce jour.

Debut de section - Permalien
Bernard Torrin, directeur de l'environnement et du développement durable

Sur la sensibilisation des riverains et des élus, je vous confirme que nous menons des actions. Nous avons réalisé récemment une « fiche réflexe », qui explique nos pratiques de manière très pédagogique. Nous utilisons cette fiche dans notre dialogue territorial de concertation avec les élus, et en amont d'opérations importantes de traitement de la végétation. Être plus transparents sur nos actions fait partie de nos responsabilités. Nous essayons d'expliquer les choses pour démystifier un certain nombre de sujets : le traitement chimique ou encore la présence normale de la végétation.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Aujourd'hui, les Anglais ont choisi d'utiliser ce qu'ils appellent les brownfields, les friches, pour faire de la compensation : je désartificialise un hectare de friche pour compenser une artificialisation en zone naturelle. Le potentiel est important, mais avec le coût de dépollution des sols, n'est-il pas au final plus cher que la compensation telle qu'elle est pratiquée aujourd'hui ?

Quels coûts d'entretien des zones de compensation vous semblent acceptables ? Est-ce qu'une fourchette de 1 000 à 2 000 euros par hectare vous paraît raisonnable ? Nous avons besoin d'ordres de grandeur. Vous avez 3 500 hectares de zones de compensation sur la LGV Tours-Bordeaux - ce qui ne paraît d'ailleurs pas si considérable, puisque cela correspond à environ 350 kms d'artificialisation. Cela pourrait vos coûter 3 à 4 millions d'euros par an d'entretien. Est-ce un coût difficile à assumer ?

Debut de section - Permalien
Patrick Jeantet, président de SNCF Réseau

Je propose que nous vous répondions par écrit sur ce sujet, car nous avons besoin de faire une étude détaillée. Juste une remarque : 3 500 hectares, cela représente tout de même l'équivalent d'une deuxième LGV...

Debut de section - Permalien
Bernard Torrin, directeur de l'environnement et du développement durable

La zone de compensation de Vaires-sur-Marne, mise en oeuvre dans le cadre du TGV Est-européen, me semble une bonne illustration de l'utilisation des friches. Nous avons mis en place un bassin d'expansion des crues. Nous avons choisi de le traiter sous forme d'une zone d'aménagement écologique réutilisant des terres de terrassement. Nous avons créé une zone humide de 30 000 m², gérée par une association. Elle ouvre cet espace à des écoliers qui viennent s'enrichir sur la biodiversité : on est donc capables de transformer des installations de type industriel en véritables zones de biodiversité. Vaires-sur-Marne se situe en zone périurbaine et le site est géré de manière écologique, avec fauches tardives et suivi écologique. Des choses sont donc possibles sur les friches.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Je vous remercie vivement pour la quantité d'éléments que vous nous avez apportés et la qualité de vos réponses. Nous vous poserons probablement de nouvelles questions par courrier. N'hésitez pas à nous faire parvenir d'autres éléments, sur les coûts notamment, cela nous intéresse.