Je n'ai pas de lien d'intérêt avec les projets que vous avez mentionnés autres que l'autoroute A65 et la LGV Tours-Bordeaux. J'ai été en poste en Loire-Atlantique, mais à une date ancienne.
La mise en oeuvre de la séquence ERC est désormais un principe fondamental qui anime l'action des services de l'État, chargés d'en assurer la diffusion auprès de leurs partenaires : la séquence est mise en oeuvre que le maître d'ouvrage soit l'État, une collectivité territoriale ou un acteur privé. C'est un point important, notamment au regard de la délivrance des autorisations au titre de la loi sur l'eau, des dérogations à l'interdiction de détruire des espèces protégées et, demain, de l'autorisation unique qui simplifiera les procédures sans pour autant en réduire le niveau d'exigence.
Les DREAL suivent attentivement la mise en oeuvre de la compensation des atteintes à la biodiversité, au vu des difficultés que celle-ci peut présenter. Elles s'appuient sur leur très bonne connaissance des procédures, mais aussi des milieux naturels où des installations sont envisagées. Il est important de veiller à ce que les autres partenaires, collectivités territoriales et opérateurs économiques, prennent eux aussi en compte les enjeux environnementaux. L'objectif est de rechercher l'acceptabilité globale du projet par le public concerné et en prenant soin de faire respecter la séance ERC.
Les services de l'État interviennent à toutes les phases de l'élaboration du projet ; et lorsqu'ils ne sont pas le maître d'ouvrage, il convient qu'ils le fassent aussi en amont que possible : ils garantissent la bonne application des textes, mais aident aussi le porteur de projet à identifier les solutions les mieux appropriées.
La bonne connaissance par les services de l'État de l'état initial de l'environnement concerné est une condition essentielle de la mise en oeuvre de la séquence ERC ; elle doit reposer sur des inventaires, des rapports et des études précis, objectifs et approfondis. Dans le cas des infrastructures linéaires notamment, le choix du meilleur fuseau doit également intégrer d'autres critères que la protection de la biodiversité, d'ordre technique, financier, économique et social.
L'application de la réglementation sur les espèces protégées relève normalement du préfet de département, sauf pour certaines espèces menacées, où elle est exercée au niveau ministériel. Le préfet de région que je suis a un rôle de coordination lorsque le projet concerné présente une dimension interdépartementale. En tant que service instructeur, la DREAL veille à la bonne application de la séquence ERC dans la prise des arrêtés de dérogation, notamment à l'interdiction de destruction d'espèces ou d'habitats d'espèces protégées. Au-delà du plan réglementaire, les services de l'État ont aussi une fonction de conseil voire d'assistance à maîtrise d'ouvrage, en veillant à la bonne intégration des enjeux de la biodiversité par les bureaux d'étude sollicités.
Ainsi, dans le projet de LGV Sud-Europe Atlantique (SEA), la DREAL est d'abord intervenue pour l'instruction des demandes de dérogation relatives aux espèces protégées au stade du défrichement et des opérations d'archéologie préventive, puis dans le cadre du projet lui-même, porté par le concessionnaire LISEA.
Quel est le déroulement classique de la procédure ? Au stade de la conception, jusqu'à la déclaration d'utilité publique (DUP), il convient d'intégrer la séquence ERC à travers l'identification des enjeux environnementaux, notamment dans les différentes variantes retenues. Il faut alors mobiliser des acteurs locaux, notamment les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER), pour la recherche de solutions foncières de compensation. Dans cette phase, qui dure environ trois ans, le projet n'est pas assez mûr pour la mise en oeuvre précise de mesures d'évitement.
Après la DUP commence la conception détaillée. L'élaboration des dossiers réglementaires intègre la séquence ERC ; les acteurs locaux sont mobilisés pour la recherche de foncier dans le cadre de la compensation. Une fois le dossier déposé auprès du préfet de département, l'instruction est conduite par la direction départementale du territoire (DDT) pour les autorisations prises dans le cadre de la loi sur l'eau, par la DREAL pour les dérogations relatives aux espèces protégées.
Les éventuelles mesures de compensation sont conçues et réalisées indépendamment du chantier routier ou ferroviaire. La durée de conception et de réalisation est sensiblement égale à celle du projet lui-même.
Les relations entre les services déconcentrés et les collectivités ou communes dont les territoires vont accueillir les mesures de compensation commencent avec la recherche du foncier. S'il incombe aux services de l'État de contrôler le respect par le maître d'ouvrage des mesures de compensation prescrites, ils n'ont pas de relations directes avec les collectivités. En revanche, sous maîtrise d'ouvrage de l'État, la mobilisation des collectivités est assurée par un prestataire ensemblier qui assiste le maître d'ouvrage dans la conception, la mise en oeuvre et la gestion des mesures compensatoires.
La première phase de la mise en oeuvre de la compensation est l'évaluation de la dette compensatoire, conduite par les services de l'État sur la base d'éléments méthodologiques et d'expertises scientifiques réalisées par les conservatoires botaniques, le Conseil scientifique régional du patrimoine naturel et le Conseil national de la protection de la nature (CNPN). Enfin, certains fonctionnaires ont une connaissance approfondie des milieux naturels, en particulier dans notre région.
Il faut ensuite définir les ratios de compensation pour déterminer le montant de la dette compensatoire surfacique ou linéaire. La qualification est reprise dans l'arrêté de dérogation et accompagnée de prescriptions sur les conditions de mise en oeuvre.
Dans la troisième phase, celle de l'exécution de l'arrêté, le porteur de projet présente des propositions de sites et de mesures de compensation. Une attention particulière est portée aux potentialités du site retenu pour l'implantation d'une espèce. Lorsque, dans l'état initial, le milieu offre un habitat pour l'espèce considérée, le site de compensation ne sera retenu que si sa plus-value dans la restauration de l'espèce ou de son habitat naturel est avérée.
À titre d'exemple, le projet de l'autoroute A65 s'est déroulé selon la séquence suivante : définition des mesures de compensation, définition des référentiels habitat cible par espèce ciblée, définition d'une enveloppe cible de surface, prospection foncière sur 8 000 hectares, validation par la DREAL des sites potentiels, choix des gestionnaires de site, évaluation de l'état écologique initial des sites, validation de ceux-ci, élaboration de plans de restauration-gestion sur cinq ans, nouvelle validation par la DREAL et mise en oeuvre, mise en place d'une gouvernance dans le cadre d'un comité de suivi, définition d'indicateurs pour le bon suivi des espèces, et enfin définition des conditions d'un suivi annuel. Le fort investissement des services de l'État a abouti à la définition d'un cadre particulièrement précis pour le porteur de projet dès l'adoption des arrêtés de dérogation.
Des adaptations de la dette compensatoire peuvent être consenties lorsque le porteur de projet fait état de contraintes de disponibilité foncière de nature à perturber la compensation. La qualité de l'animation foncière est essentielle : pour l'A65, l'animateur a su trouver plus de 1 600 hectares de surfaces écologiquement pertinentes. Enfin, il appartient aux services de l'État de suivre l'exécution des mesures de compensation dans le temps.
Les mesures de compensation sont naturellement étudiées projet par projet : c'est la responsabilité de chaque maître d'ouvrage. Les effets cumulés ne sont pris en compte que depuis une date récente, et de manière insuffisante. Un exemple : pour le Grand projet ferroviaire du Sud-Ouest (GPSO) - le projet de LGV Bordeaux-Toulouse, avec un embranchement conduisant à Dax -, l'un des principaux enjeux résidera dans l'articulation avec les mesures de compensation prises dans le cadre du projet de l'A65. Les fuseaux sont en effet très proches.
Les projets d'infrastructures linéaires doivent garantir la mise en oeuvre de la séquence ERC à tous les stades, avec la limite évoquée précédemment pour la phase en amont de la DUP. Le principal enjeu est l'appropriation par tous les acteurs des orientations et modalités de la doctrine ERC. Elle progresse nettement dans les bureaux d'études spécialisés dans l'environnement, moins dans les bureaux plus généralistes ; mais l'effort majeur doit porter sur les collectivités territoriales et les acteurs économiques. Notons que pour certains projets, en particulier les projets d'infrastructures linéaires, il est plus difficile de trouver des zones d'évitement.
Existe-t-il des différences de traitement significatives entre les grands projets et les projets de moindre ampleur ? En droit, tous les projets doivent faire l'objet d'un traitement équivalent au regard du code de l'environnement ; mais dans les faits aussi, il n'y a pas de grand ou de petit projet. Même un « petit » projet peut soulever des questionnements et des contestations. Les paramètres les plus décisifs dans la prise en compte des enjeux relatifs à la biodiversité sont la plasticité du projet, c'est-à-dire la possibilité ou non d'y ménager des adaptations ; lorsque l'État n'est pas maître d'ouvrage, la qualité et l'efficacité de l'accompagnement par ses services en amont et dans le suivi ; le suivi et la disponibilité en moyens humains pour infléchir les mesures d'évitement dans le cadre des grands projets ; et enfin les capacités financières pour absorber les études et mesures de compensation.
La cohérence juridique des mesures de compensation autorisées par les services déconcentrés de l'État sur l'ensemble du territoire national repose sur la définition, par l'autorité environnementale, de directives harmonisées et sur le rapport annuel relatif à l'exercice de l'autorité environnementale établi par le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD). La cohérence scientifique est notamment assurée grâce à l'expertise et la connaissance du terrain du CNPN, qui nous donnent une vision plus large de la qualité des mesures de compensation mises en oeuvre et de leur cohérence à l'échelon national.
Le contrôle de la mise en oeuvre et de l'efficacité des mesures de compensation nécessite, en particulier dans la phase d'instruction des demandes de dérogation, des moyens humains importants. Les services de l'État procèdent à un contrôle administratif sur pièces, mais aussi à des visites de terrain sur les secteurs les plus sensibles, en collaboration avec les établissements publics chargés de la police de l'environnement - l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA) et l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) jusqu'à la création de l'Agence française pour la biodiversité (AFB). Environ 50 % des sites sont visités par les services de l'État. Pour la LGV Tours-Bordeaux, le taux atteint 100 % en Gironde, mais il est bien moindre en Charente-Maritime, en Charente et dans la Vienne, compte tenu de la bonne connaissance des territoires concernés par les services.
Le contrôle nécessite naturellement des effectifs adaptés en nombre et en compétence.